mardi, novembre 22, 2005

Les gens : Frantz Fanon, théoricien de la Révolution algérienne



Frantz Fanon il y a trente-huit ans, le 12 décembre 1961, décède le théoricien de la Révolution algérienne Il avait 36 ans...

Toute une génération d’Algériens ne connaît pas Frantz Fanon. Ce nom n’évoque pour eux que le nom de l’hôpital psychiatrique de Blida. C’est dire. Il en est de même de Maurice Audin, assassiné par les paras de Massu et dont on n’a jamais retrouvé le corps et de tous ces enfants d’Algérie, juifs ou d’origine européenne, comme Maurice Laban, tombé dans les Aurès, Fernand Yveton, guillotiné à Serkadji ou encore Henri Maillot, mort dans les maquis de Aïn Defla. Sans parler des vivants comme Henri Alleg ou de ceux qui sont demeurés en Algérie, tous anciens combattants de l’ALN et dont on taira les noms pour des raisons de sécurité. Frantz Fanon, né le 20 juillet 1925 à Fort-de-France en Martinique, médecin psychiatrique à l’hôpital de Joinville — ainsi dénommé durant la période coloniale — est plus qu’un Algérien d’adoption, mais un Algérien tout court. Alors qui est cet homme que Abassi Madani a pourfendu en 1990 sans s’attirer de réaction officielle à l’époque, ni du FLN ni de l’ONM et encore moins du gouvernement ? Avant de s’installer en Algérie, titulaire d’un baccalauréat obtenu à Fort-de-France en 1945, il part à Lyon où il obtint un diplôme de médecine. Il se fait connaître en France grâce à un livre resté célèbre, Peau noire et Masque blanc où il analyse la condition de nombreux Antillais qui, dès leur arrivée en France, pensent et se comportent comme des « Blancs » alors qu’ils sont noirs, allant jusqu’à intérioriser dans leur corps et leur esprit le fait de ne pas être des « Noirs » comme les autres. A travers de nombreux cas, Fanon montre comment ces Antillais en viennent à refuser d’être assimilés ou comparés à des Africains et, partant, de pratiquer une sorte de racisme à rebours à l’endroit non seulement des Africains mais, aussi, des Maghrébins. Et de pointer le doigt sur les causes de cette dépersonnalisation, la colonisation des esprits. Peau noire et Masque blanc, [oe]uvre majeure de Frantz Fanon, va lui permettre, une fois installé en Algérie en 1953, d’être confronté à une autre réalité, plus dure, celle des Algériens.

A l’hôpital de Blida, dans cet univers psychiatrique singulier, il découvre l’ampleur des dégâts psychologiques de la colonisation à travers les patients qu’il examine. Pour Fanon, la cause est entendue. Quand survint le 1er Novembre 1954, il n’hésite pas à rejoindre le FLN. A l’insu de l’administration, il soigne des combattants de la wilaya IV. Mais surtout, c’est à la suite d’une lettre dénonçant les atrocités coloniales qu’il a adressée au gouverneur général, Robert Lacoste, qu’il est arrêté et expulsé d’Algérie, en 1956. Qu’à cela ne tienne, Frantz Fanon se rend en Tunisie et se met au service du FLN où il travaille à l’hôpital psychiatrique de la Manouba avant de travailler dans le service de presse du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) alors présidé par Ferhat Abbas. A Tunis, Fanon participe à la création d’El Moudjahid dans lequel il publie plusieurs articles consacrés à la guerre de Libération nationale. Des écrits qui vont sans doute servir à l’élaboration de son autre [oe]uvre majeure : Les Damnés de la terre. Un livre qui suscitera durant les années 60, après son décès, bien des controverses et des débats au sein non seulement du FLN, mais surtout au sein des mouvements de libération nationaux et de la gauche révolutionnaire mondiale. Que disait Fanon ? Observant le déroulement de la guerre de Libération nationale algérienne, il en a conclu que la paysannerie était la seule vraie force révolutionnaire, prenant ainsi le contre-pied des thèses marxistes classiques développées à l’époque, faisant observer que, sans une alliance avec la classe ouvrière, la paysannerie ne pouvait être le fer de lance de la révolution. Ainsi est né ce qu’on a appelé les « théories fanoniennes », qui, par certains aspects, rejoignaient celles développées par un autre théoricien révolutionnaire, Mao Tsé-Toung et, à un degré moindre, Che Guevara. Ses écrits, les seuls d’ailleurs, ont fait de Frantz Fanon, sans doute, l’unique théoricien de la révolution algérienne. Ou du moins, il a été l’un des rares dirigeants du FLN à avoir tenté de théoriser, bien avant l’indépendance de l’Algérie, la guerre de Libération nationale. Un homme sera inspiré par les théories de Frantz Fanon : Houari Boumediène. Lesquelles théories ont permis de doter d’un socle cohérent l’action tiers-mondiste de l’Algérie. En Afrique, Frantz Fanon fera des émules : les dirigeants Kwane Nkrumah, Mobido Keita et, à un degré moindre, Ahmed Sékou Touré.

En 1960, Frantz Fanon est chargé d’une mission au Mali, celle d’étudier les possibilités d’ouvrir un second front et de convoyer des armes vers les maquis à partir du Mali afin de contourner la frontière tunisienne, rendue meurtrière après que l’armée française l’eut électrifiée et minée. Puis, il est nommé ambassadeur d’Algérie au Ghana. Mais Fanon était rongé par un cancer : la leucémie. Il est d’abord soigné à Moscou, puis transféré aux Etats-Unis où il décède le 12 décembre 1961. Des bruits ont alors couru sur le fait que la CIA ait profité de son hospitalisation pour l’assassiner. Quand son corps fut transféré en Tunisie, le GPRA décide alors de respecter le v[oe]u de Frantz Fanon : qu’il soit enterré en Algérie. Une unité combattante de l’ALN achemine de nuit la dépouille de Fanon pour l’inhumer en Algérie, dans la région d’El Tarf. Mais il a fallu attendre l’indépendance nationale, en 1965, pour que Frantz Fanon ait droit à des obsèques officielles. Toujours est-il que ce grand révolutionnaire n’a pas eu droit au carré des Martyrs d’El Alia. Et pourtant, trente-huit ans après son décès, il mérite un hommage particulier. N’en déplaise à ceux qui ont cherché à l’enterrer définitivement.

Hassane Zerrouky

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