lundi, septembre 14, 2009

Hortefeux démission

Tu es jeune ou tu es vieux, tu es un homme ou une femme, tu veux assainir le paysage politique français, fais un geste de salubrité pour ton pays, signe la pétition et n'oublie pas de la faire signer par ta famille.

PETITION

dimanche, septembre 13, 2009

L'INSURRECTION DU SUD A LA MARTINIQUE Septembre 1870


Il y a 130 ans, une importante révolte embrasa le sud du pays : des milliers d'ouvriers et de paysans se soulevèrent le coutelas et la torche à la main contre le régime qui les oppressaient.

22 ans après la Révolution antiesclavagiste de 1848, c'est toujours le Second Empire en France avec Napoléon.III. Les anciens maîtres, les békés sont confortés dans leur domination malgré l'apparition d'une paysannerie composée pour l'essentiel de petits planteurs vivriers. Ils sont nombreux dans le Sud. Au lendemain de l'abolition, face au refus des anciens esclaves de se laisser exploiter, le travail obligatoire est instauré par le décret du 13 février 1852. En 1955, le gouverneur De Gueydon aggrave les conditions de travail par un nouvel arrêté.

Le travail est obligatoire à partir de 12 ans. Tout individu doit tenir un livret où sont consignés, entre autres, les conventions de travail, la régularité du travail… Ceux qui n'ont pas d'employeurs doivent s'inscrire au bureau de police. Mêmes les travailleurs indépendants subissent ces contrôles. Ils doivent pouvoir prouver en permanence qu'ils exercent une profession. A partir de 16 ans, tout individu doit payer un impôt personnel équivalent au salaire de 5 jours. Il doit avoir un passeport comportant un visa (payant) signifiant que l'impôt est payé.

Manifestement, tout est fait pour contraindre les nouveaux libres à aller travailler sur les habitations. Les békés avec l'appui de la monarchie française mettent en place un régime de servitudes avec son appareil répressif : amendes, prison, atelier de discipline…Les femmes aussi subissent ce régime.

A côté de ces mesures coercitives, le système organise l'immigration. De 1857 à 1861, 9000 africains (appelés Congo) sont introduits suivis ensuite par les immigrants de l'Inde. Les immigrants sont liés par un contrat de travail en principe renouvelable. En fait, ils viennent gonfler la masse des exploités dans les habitations. On estime qu'entre 1853 et 1870, la Martinique a reçu 30 000 immigrants (La population de la Martinique est d'environ 150 000 h). En 17 ans, 1 tiers des immigrants meurent !

Toutes les libertés publiques sont supprimées. Seuls les riches peuvent voter. La presse est censurée. L'école est plus chère. Cette politique permet de diminuer considérablement les salaires. C'était l'objectif. Inexorablement la misère grandit alors que les békés et l'Etat français s'enrichissent. Les premières usines modernes voient le jour. Le gouverneur Lapalin écrit « La Martinique est une poule aux œufs d'or que la Métropole a tout intérêt à ménager ». Le pays est contrôlé par un régime dictatorial et raciste : 10% de la population, les blancs maintiennent les noirs dans un quasi esclavagisme C'est dans ce contexte qu'éclate l'affaire Lubin.

En février 1870, Léopold Lubin, jeune agriculteur, noir est sauvagement par blanc Augier de Maintenon, au Marin. Lubin ne leur aurait pas céder le passage. Ce dernier devant le refus de la justice coloniale de punir les coupables, décide de rendre justice lui-même. Il corrige de sa cravache Augier de Maintenon. Arrêté, il est condamné à 5 ans de bagne et à une lourde amende par un jury de blancs : justice de classe et de race.

Immédiatement après la condamnation, le soulèvement se prépare, à Rivière-Pilote. Dès le 2 septembre, des incidents sont signalés. Parmi les organisateurs on trouve Louis Telgard, Eugène Lacaille, Auguste Villard et Daniel Bolivard. Ils veulent infliger un châtiment aux blancs racistes, confisquer les grandes propriétés, instaurer un République Martiniquaise… Le 22 septembre, Telgard et Lacaille sont au bourg avec plusieurs centaines de personnes scandant « Mort aux blancs, mort à Codé ». Codé est un grand propriétaire blanc, un de ceux qui a fait condamné lourdement Lubin. Dans la soirée, ils se rendent sur l'habitation Codé. Elle est incendiée. C'est le début de l'insurrection. Dès le lendemain, elle se propage à tout le Sud. Ouvriers agricoles, ouvriers des bourgs, immigrants participent massivement à la révolte.

Les habitions flambent. Codé sera tué le 24. Pendant ce temps les blancs s'organisent. On fait appel aux troupes (1500 hommes), aux volontaires pour mater la révolte. La répression est terrible. Des dizaines de travailleurs sont massacrés. Il y a plus de 500 arrestations. Un climat de terreur s'installe à la mesure de la peur qu'on eue les blancs. Une parodie de justice condamna lourdement les insurgés. Les principaux chefs furent exécutés, sauf Telgard qui réussit à fuir à Ste Lucie. D'autres furent condamnés aux travaux forcés à perpétuité, à la déportation…

Analyse du mouvement

Les évènements de septembre 1870 se situent à un moment charnière de l'histoire de notre pays. Cette insurrection a des caractéristiques particulières qu'on ne retrouve ni dans les luttes anti-serviles d'avant 1848, ni dans les luttes ouvrières qui apparaîtront à compter de 1900.

On peut considérer qu'il y a trois caractéristiques essentielles à cette insurrection qui en font un évènement majeur de notre histoire.

Premièrement, les éléments historiques en notre possession, en dépit des difficultés à connaître l'exacte vérité vu l'absence d'écrits émanant des insurgés eux-mêmes, permettent de penser que cette insurrection a été pensée, réfléchie par un groupe d'hommes et de femmes sachant parfaitement ce qu'ils faisaient et voulaient. Nous ne sommes pas en présence d'une simple révolte spontanée contre la misère et l'exploitation. S'il est vrai par exemple que l'affaire Lubin (ce jeune nègre incarcéré après avoir tenté de se venger de l'agression d'un blanc) a un rôle mobilisateur dans l'insurrection, il reste indéniable que même sans cela, un mouvement insurrectionnel était en préparation.

Deuxièmement , pour la première fois est posée la question essentielle de la possession de la terre. Il faut bien voir que l'insurrection du Sud a lieu 22 ans après l'abolition de l'esclavage et suite au régime impérial de Napoléon III. Si les esclaves avaient arraché leur liberté, celle-ci était formelle. Il n'existait pour eux pratiquement aucune possibilité de pouvoir échapper au travail sur les habitations des anciens maîtres. Les grands moyens de production (terres, usines à sucre) étaient toujours aux mains de la caste blanche. Dans le sud du pays, une petite classe de petits paysans avait réussi à se constituer, elle sera le fer de lance et le moteur de l'insurrection. On retrouvera aussi parmi les insurgés une partie des « Congos » qui avait été déportés après l'abolition de l'esclavage. Leur revendication est celle de la terre. D'ailleurs dans le peu de jours où l'insurrection dominera, on a assisté à un début de partage des terres des békés. Les insurgés ne se battent donc pas pour obtenir une simple amélioration de leurs conditions de vie mais avant tout pour avoir à leur disposition un outil de travail essentiel, la terre. En cela, le mouvement insurrectionnel se distingue de tout ce qui va suivre car il faudra attendre un siècle, pour que soit remise à l'ordre du jour la question d'une authentique réforme agraire qui ne peut passer que par l'expropriation de la terre aux mains des descendants des esclavagistes.

Troisièmement, cette révolte a un caractère nationaliste. Les insurgés ne s'opposent pas seulement à la caste béké pour la terre mais aussi au colonialisme. C'est une révolte frontale et pas simplement une lutte contre les conséquences du colonialisme. C'est la présence française, alliée des békés, qui est directement remise en cause. On sait que les insurgés vont se réjouir de la défaite française à Sedan contre la Prusse et qu'ils allèrent brandir un drapeau (rouge et noir) ou (rouge-vert-noir). Ainsi, c'est la première fois depuis la résistance des Caraïbes au début du XVII siècle que la présence française est remise ainsi en cause. Là encore, il faudra attendre près d'un siècle pour que cette question soit à nouveau posée.

Cette insurrection a par la suite été reléguée aux oubliettes de l'histoire. Comme pour la révolution abolitionniste, le colonialisme, aidé en cela par le mouvement assimilationiste, a voulu ôter de la mémoire de notre peuple que ses ancêtres avaient résisté à l'oppression.

Se rappeler l'Insurrection du Sud n'est donc pas une simple commémoration. Il s'agit avant tout d'une part de voir que notre peuple a une histoire (avec ses héros, ses défaites, ses victoires) qui lui est propre et différente de celle de la France et d'autre part de constater que les questions posées en 1870, celles de la terre et du contrôle de notre destin, sont toujours d'actualité.

dimanche, septembre 06, 2009

Chroniques Saint-louisiennes



A la mode du pays - Chroniques Saint-louisiennes d’Antoine François Feultaine Saint-Louis du Sénégal 1788-1835 par Sylvain Sankalé- 381 pages
Saint-Louis sous occupation coloniale d’avant Faidherbe


L’histoire de Saint-Louis fut très simple. Occupée momentanément en 1693 par les Anglais elle ne connut en fait qu’une longue période de domination britannique. Dans ce livre, l’avocat Sylvain Sankalé, lointain descendant d’Antoine Feultaine, revient sur cette ville sénégalaise, perçue à l’époque comme un terreau d’expérimentation sociale unique au monde, avant que la colonisation militaire du général Faidherbe n’éradique ses particularités.

Saint-Louis du Sénégal, 1788 : un jeune militaire, fils d’amidonnier de la ville de Metz, débarque en Afrique pour y faire fortune. 1835 : Quelque cinquante ans plus tard, au soir de sa vie, il raconte à ses petits-enfants la chronique des guerres, naufrages, missions, explorations qui firent de cette île à l’embouchure du fleuve un terreau d’expérimentation sociale unique au monde, avant que la colonisation militaire du général Faidherbe n’éradique ses particularités. Mariages sans curé, enfants naturels reconnus, jardin d’acclimatation pour plantes venues d’ailleurs, objet de juridictions sensées et pragmatiques faites tout express pour une société métissée, joyeux repaire de farfelus, brigands, exaltés, aventuriers ou braves gens, Saint-Louis du Sénégal est aussi la ville où débarquèrent en 1816 les survivants de la frégate naufragée la Méduse. Antoine Feultaine, témoin privilégié, époux d’une femme noire dont il a cinq enfants, incarne un moment d’histoire englouti avec la colonisation.

Lointain descendant d’Antoine Feultaine, Sylvain Sankalé, avocat, a travaillé sur les archives du Sénégal, de France et d’Angleterre, ainsi que sur les matériaux laissés par son aïeul. Le chevalier de Boufflers, titre qu’il préférait conserver compte tenu des bénéfices que lui accordait son statut de chevalier de Malte, même s’il avait récupéré à la mort de son frère aîné le titre familial de marquis, n’aimait pas Saint-Louis et lui préférait Gorée. Là-bas il avait, à ce qu’on dit, mené une vie insouciante, tout en prétendant rester fidèle à celle qui était déjà la femme de sa vie, avant de finalement devenir son épouse, la brillante comtesse de Sabran. Gorée bruissait encore de l’écho de ses mille et une fantaisies, des fêtes données en son honneur par la Signare Anne Pépin, la fille du chirurgien, qui affichait, sans grande pudeur, le penchant qui les animait mutuellement. Venu au Sénégal pour y chercher gloire et fortune, le chevalier de Boufflers en repartit sans acquérir ni l’une ni l’autre.

Avide de sensations, avide de faire frissonner son auditoire à l’évocation des sauvages qu’il n’a jamais vus que de loin et débordant de générosité dénonçant la barbarie de l’esclavage, sans avoir jamais rien fait pour s’y opposer dans les faits. La chance de Boufflers aura été d’être secondé par un homme énergique, efficace, et suffisamment peu soucieux de sa carrière pour ne pas lui porter ombrage, celui qui resta pour tout ce brave colonel Blanchot. En décembre 1787, Blanchot avait décidé d’aller en voyage d’exploration en direction des côtes s’étendant entre Gorée et la rivière de Sierra Leone.

Rentré à Gorée après à peine un mois de navigation, Blanchot adressa au ministre son rapport de tournée et sollicita l’autorisation de rentrer en France. L’histoire de Saint-Louis fut très simple. Occupée momentanément en 1693 par les Anglais elle ne connut en fait qu’une longue période de domination britannique.

Dans la deuxième partie, Feultaine traite de l’âge des responsabilités au midi de sa vie (1816-1826). L’idée d’une mise en valeur effective des comptoirs africains n’était pas une nouveauté. Il est certain que la politique de la France, que Schmaltz était chargé de mettre en œuvre au Sénégal, relevait d’une approche plus économique que mercantile de l’exploitation pratique des colonies françaises. La rupture avec ce que l’on commençait à appeler l’Ancien Régime était cependant manifeste. Tous les efforts déployés par le gouvernement royal, et même ceux issus de la Révolution et l’Empire, avaient pour seule ambition de faciliter le commerce, notamment, dans les premiers temps, en accordant un monopole à une compagnie privilégiée.

Les comptoirs d’Afrique semblaient être des réservoirs inépuisables d’esclaves, marchandise d’excellent rapport, n’exigeant que de faibles investissements de la part de l’Etat. Il n’y avait aucun effort soutenu à faire, aucune incursion dans l’intérieur, aucune guerre, aucune campagne armée. Les potentats locaux se chargeaient de conduire les cargaisons sur la côte. Avec les dispositions du deuxième traité de Paris consacrant l’abolition de la traite, la question de la substitution d’autres sources d’enrichissement en Afrique prit une acuité nouvelle. Désormais, il s’agissait d’aller au devant de la main d’œuvre naturelle, là où elle se trouvait, c’est-à-dire en Afrique. L’agriculture devenait ainsi la principale préoccupation du gouvernement.

Toutefois, incidemment d’autres secteurs d’activité économique avaient retenu l’intérêt. Il en alla ainsi de la pêche qui attira l’attention de quelques-uns, comme cet Abbé Braudeau. Mais le projet de fonder une compagnie royale de pêche se heurtait aux pillages pratiqués par les Maures. Il ne connut en définitive aucune suite immédiate. Il en alla de même pour les fabuleuses mines d’or du Bambouk vantées par tous les voyageurs depuis le quinzième siècle, et dont Lauzun, puis Durand se firent les hérauts.

Dans la troisième partie du livre, Antoine Feultaine s’intéresse à la période (1826-1835) où tout est réglé et un monde s’achève. Le Baron Roger sollicitait le ministre Chabrol de vouloir bien pourvoir à son remplacement. A sa place fut nommé Gerbidon. Dans son rapport du 25 août 1827, sa conviction était définitivement établie : ‘L’expérience n’a pas confirmé les espérances conçues et le Sénégal ne paraît pas destiné à devenir jamais une colonie à cultures.’ En septembre 1827, Richard, jardinier du roi, dégoûté du Sénégal, partit en congé de convalescence, avec la ferme intention de ne plus revenir. Il aurait en définitive continué sa carrière à l’île Bourbon où il s’est installé en 1830.

Après Gerbidon, le gouvernement a nommé le commissaire Principal de la marine, Jubelin, Sous-directeur des colonies et ayant déjà eu à remplir des fonctions d’ordonnateur en Guadeloupe. Il communiqua à la politique agricole une activité nouvelle et dressa tout un programme agricole avec l’assistance des anciens collaborateurs de Roger. Le 10 mai, Brunet, toujours inspecteur des cultures, déposa un rapport constatant l’échec de la culture du coton. Il invita les autorités à renoncer à toute espérance concernant l’indigo et déclara que les entreprises de colonisation étaient condamnées.

Jubelin écarta d’emblée la possibilité d’envoyer les enfants s’instruire en France ; il rejeta le recours à la langue arabe qui n’est en fait réellement maîtrisée que par une faible proportion de mahométans, pour aboutir à la conclusion que c’est la langue Ouolof qui régnait presque exclusivement dans la colonie et même les enfants européens parlent le Ouolof au moins autant que le français. Il était du plus haut intérêt d’effacer graduellement ces différences d’éducation, de langage et de mœurs qui sont ici les seuls obstacles au rapprochement et à la fusion de toutes les classes, puisqu’ aucun préjugé ne les divise d’ailleurs.

Epinat partit de son propre chef en 1832 et fut remplacé par Jean Dard qui n’avait pas renoncé à ses méthodes. Mais Jean Dard devait décéder à Saint-Louis en octobre 1833. Le gouverneur Pujol vient de soumettre au ministre sous le titre d’Arrêté concernant l’organisation et le régime intérieur de l’école de Saint-Louis. Le gouverneur Brou continua la politique commencée en 1827, de reconversion des personnels indigènes, essentiellement constitués d’engagés à temps, captifs enrôlés dans les compagnies des troupes noires, ou dont l’exercice des facultés de rachat, avant leur libération à terme, fut facilité.

Brou triomphait des Maures. Il put imposer à Mohamed El Habib de renoncer à ses incursions dans le Oualo pour y lever des impôts. Le commerce, qui se faisait sur la rive droite du fleuve, était protégé contre les troubles du Oualo et dans les meilleurs termes avec les Trarza. Le Oualo, miné par une triple crise économique, politique et sociale, dépourvu d’intérêt du fait de l’abandon du projet agricole, était livré à lui-même et n’allait pas tarder à sombrer dans une guerre de succession encore plus âpre que les précédentes. Un demi-siècle avait été aboli, le Sénégal était redevenu, à la satisfaction générale de sa population, un banal comptoir. La population du Sénégal dans son ensemble a toujours préféré, aux travaux manuels ou agricoles, les satisfactions du négoce, ses marchandages, ses tromperies, ses ivresses, ses fortunes aussi acquises que perdues.

Le commerce bordelais était pour l’essentiel composé de jeunes gens de modeste origine venus tenter fortune au Sénégal. Souvent originaires du Tarn, ils créèrent, dès que leurs affaires fructifièrent, des têtes de pont à Bordeaux où ils installèrent tel ou tel membre de leur parenté. Les plus importants des négociants sont aujourd’hui, outre Prom, Devès, Maurel, Teisseire, Lombard Monteillet, Gasconi, Régis et Calvé. Quelques mulâtres leur tiennent la dragée haute dont François Valantin, mais ils ne sont que trois ou quatre en face de la vingtaine de négociants européens.

A côté de ces négociants blancs se trouvent les marchands, modestes détaillants ou grossistes, échangeant marchandises européennes contre produits locaux. Il se dit longtemps que la famille Maurel se fit doublement du gouverneur son obligé d’une part en obtenant sa nomination et d’autre part en acquittant les lourdes dettes de jeunesse dont Faidherbe, issu d’un milieu social modeste, était encore affligé. Energique et volontaire, Faidherbe insuffla au Sénégal, en deux séjours totalisant dix ans (1854-1861/ 1863-1865) un véritable vent de changement. Il s’est rendu sympathique par sa connaissance approfondie de la population noire et de la culture islamique. Peu favorable aux métis et allié manifeste des Bordelais, il fut un adversaire déterminé de la mode du pays.

Ce livre bien écrit est une contribution très importante à la connaissance de l’histoire économique et sociale qui reste à faire.

Amady Aly DIENG

samedi, septembre 05, 2009

Danton, le verbe chevillé au peuple

Portrait. 220 ans après la révolution française




1759-1794. Orateur brillant, parfois opposé abusivement à Robespierre, Georges Danton est autant le symbole des « indulgents » que le partisan résolu du tribunal révolutionnaire. Un complot imaginaire « vendu » à Robespierre et Saint-Just par Barère de Vieuzac scellera sa chute, et le mènera tout droit à l’échafaud.

Jusqu’au pied de l’échafaud, le grand orateur de la Révolution française aura gardé le sens de la formule, à moins que la postérité ne l’ait affublé à tort de cette pirouette bravache : « Allons bourreau, fais ton métier, et ne manque pas de montrer ma tête au peuple, elle en vaut la peine ! » Quelques instants plus tôt, l’homme au visage grêlé depuis l’enfance par la vérole tentait de consoler Camille Desmoulins, et lançait à l’aide qui tentait de les séparer : « Tu n’empêcheras pas nos têtes de s’embrasser dans le panier ! » En ce début du mois d’avril 1794, depuis trois jours, Georges Danton et le célèbre journaliste du Vieux Cordelier doivent répondre de « conspiration » et de « friponnerie » devant le tribunal révolutionnaire, sans pouvoir réellement ni se défendre ni s’exprimer. Barère de Vieuzac et Vadier ont habilement convaincu Saint-Just de la véracité d’un rapport fabriqué accusant Danton d’appartenir à un vaste complot de l’étranger orchestré par Londres et Vienne.

Coupable de « modération contre-révolutionnaire », de vouloir arrêter la guerre avec les États disposés à reconnaître la République française, d’enrichissement, aussi, dans le cadre de ses missions en Belgique, Danton est en réalité perdu avant même d’avoir été jugé. Minoritaire au sein des comités de salut public que Danton menace d’accuser à la Convention de malversation et de tyrannie, Robespierre a bien tenté de s’opposer à l’arrestation de son ex-camarade et à celle de son « ami »
Desmoulins. Il n’obtiendra rien, et un décret voté en urgence empêchera Danton de produire ses témoins et, surtout, de faire de son procès une ultime tribune… La même qu’il utilisa pour déclarer, prémonitoire, à la Convention : « Oui, nous devons réunir nos efforts pour faire cesser l’agitation de quelques ressentiments et de quelques préventions personnelles, plutôt que de nous effrayer par de vains et chimériques complots dont on serait bien embarrassé d’avoir à prouver l’existence.

Je provoque donc une explication franche sur les défiances qui nous divisent (…). Je le déclare nettement, parce qu’il est temps de le dire : tous ceux qui parlent de la faction Robespierre sont à mes yeux ou des hommes prévenus ou de mauvais citoyens. »

L’avocat entré au panthéon révolutionnaire grâce à son verbe aurait donc pu y poursuivre sa critique d’une Terreur dont il avait, dans d’autres circonstances, approuvé la vertu. Bien qu’ayant participé aux réunions du district des Cordeliers, avec Camille Desmoulins et Marat, son rôle dans la Révolution n’a certes pas été prépondérant. Élu président dans ce même district en octobre 1789, sa renommée va en revanche grandir au rythme de ses discours remarquables et remarqués. La popularité de ce bon vivant apologue inspiré du pavé leur doit beaucoup : le peuple, la patrie, Danton les célèbre en plaçant le civisme, l’honnêteté et le courage au-dessus de tout. Il affiche volontiers un mépris de la rhétorique, assumant une réputation de jouisseur, que ses ennemis ont parfois travesti en matérialisme, voire en grossièreté : « Je porte dans mon caractère une bonne portion de gaieté française », répondait ce magistrat étranger au jargon des juristes.

Fils de petits-bourgeois, s’est-il enrichi ? Loin de récuser sa bonne fortune, il s’en lavait les mains à sa manière, comme lors de ce discours à la Convention, le 10 mars 1993 : « Messieurs, quand l’édifice est en feu, je ne m’attache pas aux fripons qui enlèvent les meubles, mais j’éteins l’incendie ! (…) Le peuple n’a que du sang et il le prodigue. Alors, misérables, prodiguez vos richesses ! (…) Vos discussions sont misérables. Je ne connais que l’ennemi, battons l’ennemi. Vous qui me fatiguez de vos contestations particulières au lieu de vous occuper du salut de la République, je vous répudie comme traîtres à la patrie, je vous mets tous sur la même ligne. Que m’importe ma réputation, que la France soit libre et que mon nom soit flétri ! Que m’importe d’être appelé buveur de sang, oui, buvons s’il le faut le sang des ennemis de la liberté, mais combattons et conquérons la liberté ! »

Modéré, Danton ? Aurait-il rejeté toute responsabilité dans les massacres de septembre 1792, lorsque, comme l’écrit Jean Jaurès, « la Révolution sent pour ainsi dire au visage l’haleine des chevaux prussiens » ? À la Commune, relève l’adversaire résolu de la guerre de 1914, « l’exaltation patriotique est admirable, et je crois bien que c’est sans calcul et avec l’élan d’une foi sublime qu’elle se dresse la première pour organiser la défense ». La parole de Danton, déclare encore Jaurès avec admiration, « fut humaine aussi et sans mélange de passions troubles », avant de célébrer cet éloge du sacrifice populaire, face à l’avancée des armées contre-révolutionnaires : « Les commissaires de la Commune vont proclamer d’une manière solennelle l’invitation aux citoyens de s’armer et de marcher pour la défense de la patrie (…). Nous demandons que quiconque refusera de servir de sa personne, ou de remettre ses armes soit puni de mort. (…) Le tocsin qu’on va sonner n’est point un signal d’alarme, c’est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, Messieurs, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace et la France est sauvée. »

Jean Jaurès voit dans l’image du tocsin une mise en garde, une « merveilleuse image » d’un homme qui cherche « à épurer la sonnerie terrible et triste qui va sonner sur Paris de ce qu’elle pouvait avoir d’inquiétant et d’énervant, pour ne lui laisser que son accent héroïque ». Tout le parcours de Danton est peut-être condensé dans cette oscillation permanente entre les nécessaires violences révolutionnaires, qu’il approuve, et son aversion de la Terreur dans son expression la plus brutale. Entré le 6 avril 1793 au Comité de salut public, ses positions modérées, son refus de la guerre totale vont provoquer la rupture, définitive, avec Barère de Vieuzac. Danton, qui avait voté la mort de Louis XVI, s’oppose au renvoi de Marie-Antoinette devant le tribunal révolutionnaire, qui allait mettre fin aux négociations de paix, notamment avec la Prusse et l’Espagne. Pour lui, la Terreur prônée par Barère ne sert qu’à rendre la République « hideuse », d’empêcher sa reconnaissance et de maintenir son isolement. Il le fait savoir à voix haute, et son éloquence relayée talentueusement par Camille Desmoulins va les mettre tous les deux dans la ligne de mire des « Exagérés »

Tous deux Montagnards unis contre les Girondins durant les premiers mois de la Convention, Danton et Robespierre ont souvent été abusivement opposés, l’un figé en caricature du « bourgeois modéré », l’autre dans celle de l’incorruptible froid, sanguinaire et impopulaire. Idéalistes et pragmatiques, ils l’étaient, au fond, chacun à leur manière. Contrairement au premier, propriétaire aisé peu sensible aux idées socialistes défendues par un Hébert, Robespierre ne s’est certes pas enrichi. Mais sa popularité auprès des sans-culottes parisiens n’avait rien à envier à celle de Danton. Robespierre affirmait l’immortalité de l’âme comme une vérité définitive, éternellement nécessaire aux hommes, quand le « Dieu de l’univers » invoqué par Danton ne serait qu’une étape entre l’antique foi et la liberté nouvelle. Le peuple, pense-t-il, doit voir ses habitudes religieuses ménagées… Tenant d’un modérantisme utopique, à l’heure où Robespierre tente de maintenir l’équilibre politique de son gouvernement, déchiré par les complots et dominé par les radicaux, « l’indulgent », devenu hostile à la Terreur, se sait-il condamné ?

Retiré le 12 octobre 1793 dans la maison de sa mère, sa mise en cause dans l’affaire de la liquidation de la Compagnie des Indes le fait revenir précipitamment à Paris. Avant d’être définitivement privé de parole et de voir sa langue coupée sur le billot, il livrera cette ultime harangue, dans un mélange de résignation et de panache : « Ma voix, qui tant de fois s’est fait entendre pour la cause du peuple, pour appuyer et défendre ses intérêts, n’aura pas de peine à repousser la calomnie. Les lâches qui me calomnient oseraient-ils m’attaquer en face ? Qu’ils se montrent, et bientôt je les couvrirai eux-mêmes de l’ignominie, de l’opprobre qui les caractérisent. (…) Ma demeure sera bientôt le néant, quant à mon nom, vous le trouverez bientôt dans le Panthéon de l’histoire. Ma tête est là, elle répond de tout. La vie m’est à charge, il me tarde d’en être délivré ! »

Marc de Miramon

jeudi, septembre 03, 2009

L’abbé Grégoire, l’ami des Noirs


Portrait. 220 ans après la révolution française

1750-1831 . Ce curé, devenu évêque constitutionnel, a voué sa vie à trois causes : la fin de l’esclavage, l’éducation du peuple et l’organisation d’une Église gallicane.

Au premier plan du tableau de David célébrant le serment du Jeu de paume trône l’abbé Grégoire. Alors que le vent de l’histoire et le peuple, aux fenêtres, font voler les rideaux de la salle, que les députés du tiers état sont tous tendus vers Bailly et leur promesse de donner une constitution à la France, trois hommes, au centre de l’image, attirent l’oeil : l’abbé donne l’accolade au chartreux Dom Gerle et au protestant Rabaut Saint-Étienne. La réconciliation des Églises scellée par la Révolution naissante. Pourquoi Grégoire pour symboliser cette - réunion ? Ce curé, représentant du bas clergé des Trois-Évêchés, est l’un des premiers (le 14 juin) à rejoindre le tiers. Il incarne la lune de miel entre clergé et révolution qui, à l’époque, occulte le « malentendu profond » entre les principes de l’un et de l’autre, et que l’abbé saura gérer au mieux jusqu’à sa mort, naturelle.

Quand ce prêtre arrive à Paris, il est mûr pour la Révolution. Dès 1787, il forme un syndicat de curés, marquant ainsi sa distance avec son évêché et les ordres réguliers. Dans ses lectures de jeunesse, il a rencontré les tyrannicides et le droit de résistance. Il fait partie de ces ecclésiastiques influencés par le jansénisme, nourris de gallicanisme. Pas vraiment homme des Lumières - « Après avoir été dévoré de doutes par la lecture des ouvrages prétendus philosophiques, j’ai ramené tout à l’examen et je suis catholique non parce que mes pères le furent, mais parce que la raison aidée de la grâce divine m’a conduit à la révélation » - il n’en a pas moins une lecture quasi antimonarchiste de l’écriture. En septembre 1792, quand la monarchie est abolie, il est dans un état second : « Depuis hier, la joie m’a suffoqué au point de n’avoir pu ni manger ni dormir. »

Le curé d’Emberménil, dans son ministère, a aussi eu tout loisir de mesurer la misère dans laquelle ses fidèles survivent. Soucieux de l’instruction de la jeunesse pauvre, il a édifié une

bibliothèque dans son presbytère. L’éducation va rester un point cardinal de son engagement : « Un peuple ignorant ne sera jamais un peuple libre. » Sans éducation, comment le peuple pourrait-il accéder à la « raison », condition première à la connaissance des droits et des devoirs, donc à l’observation des lois ? Sans éducation, pas de pacte social durable. C’est fidèle à cette pensée, soucieux du patrimoine, que l’abbé, en janvier 1794, n’hésite pas, dans un rapport à la Convention, à s’en prendre à ceux qui, dans l’armée républicaine, détruisent les bâtiments symboles de la monarchie, popularisant le terme de « vandalisme ». « Je créai le mot pour tuer la chose », dira-t-il dans ses Mémoires.

Éduquer, transmettre, là se trouve sans doute la raison d’une production foisonnante. L’abbé Grégoire écrit beaucoup, et il agit : au sein du comité d’instruction publique de la Convention (de juin 1793 à octobre 1795), il participe à la fondation du Conservatoire des arts et métiers, du Bureau des longitudes et de l’Institut de France. Ce qui ne l’empêche pas de goûter aux joies des joutes oratoires des assemblées. Son ami Jean-Frédéric Oberlin, un réformé apôtre du progrès social, dit de lui qu’il a un « caractère trempé », une belle « prestance », qu’il est « plein de bonnes réparties et de saillies heureuses », nanti d’un « talent admirable de beau parleur », « excellent satirique » : « c’est une bouche qui ne reste en dette avec personne et paye argent comptant ».

L’abbé Grégoire met ce talent au service de l’anti-esclavagisme. Membre de la Société des amis des Noirs fondée en 1788, aux côtés de Condorcet, Robespierre, Mirabeau… il en devient le président en 1790. Ces hommes prônent l’arrêt de la traite et l’octroi des droits civiques aux hommes libres de couleur. La question fait l’objet d’âpres discussions sous la Constituante. Face à eux, le lobby des planteurs et armateurs négriers possède de puissants appuis. L’économie et la puissance de la France outre-mer sont en question : avec quelque 450 000 esclaves noirs en 1789, Saint-Domingue est l’exemple type d’une économie de plantation aux mains d’une aristocratie blanche prête à en découdre pour garder son trésor.

Persuadé qu’« il est dans l’ordre essentiel des choses créées par la providence que ce qui est inique soit impolitique et finisse tôt ou tard par d’épouvantables désastres », l’abbé n’aura de cesse de voir la fin de l’esclavage. En fait, sans la grande insurrection des esclaves de Saint-Domingue, la Convention n’aurait sans doute pas voté l’abolition de l’esclavage. C’est chose faite le 16 pluviôse an II. L’abbé Grégoire salue cette grande anticipation de la Révolution française : « Haïti est un phare élevé sur les Antilles vers - lequel les esclaves et leurs maîtres, les opprimés, les oppresseurs tournent leurs regards, ceux-là en soupirant, ceux-ci en rugissant… On voit approcher l’époque où le soleil en Amérique n’éclairera que des hommes libres, où ses rayons ne tomberont plus sur des fers et des esclaves. » Las, Napoléon, le mari de Joséphine de Beauharnais, fille de riches colons de Martinique, rétablira l’ordre ancien qui survivra jusqu’en 1848. Entre-temps, au Congrès de Vienne (1815), Grégoire aura lancé son célèbre appel anti-esclavagiste : « De la traite et de l’esclavage des Noirs et des Blancs. »

La longévité politique de l’abbé Grégoire ne laisse pas d’interroger, d’autant que l’homme n’a jamais transigé avec son engagement - catholique. Il reste inflexible face aux pressions déchristianisatrices tout en siégeant à la - Montagne et en parlant la langue jacobine. D’aucuns verront en lui la rencontre entre pureté évangélique et austérité révolutionnaire. En 1791, l’abbé Grégoire participe à la création de la Constitution civile du clergé. Il devient évêque constitutionnel de Blois. La répression qui s’abat sur les prêtres réfractaires ne l’émeut guère. S’apitoie-t-il sur le sort des dévotes qui, à Paris, sont fessées par les patriotes quand elles se rendent à la messe d’un prêtre réfractaire ? La condamnation, par le pape Pie VI, de l’initiative révolutionnaire - « hérétique, sacrilège et schismatique » - ne l’ébranle pas plus. Lui, l’évêque gallican, assume le divorce avec Rome, qui saura s’en souvenir.

Cette « tête de fer » affligée d’un « caractère en désaccord avec sa robe », selon Michelet ; ce « maladroit », « provocateur », selon Jaurès ; cet « homme de bien, homme de colère, et si souvent loin du pardon », selon Sainte-Beuve, a-t-il été régicide ? L’abbé Grégoire l’a moultes fois écrit : Louis XVI est pour lui un « monstre couronné », un « bourreau du peuple », un « fainéant titré » ; « les rois sont dans l’ordre moral ce que les monstres sont dans l’ordre physique ; les cours sont l’atelier du crime, le foyer de la corruption ; l’histoire des rois est le martyrologue des nations ». Mais en janvier 1793, il est, avec trois autres conventionnels, en mission au pays du Mont-Blanc. Sollicités, ils adressent à Paris leur voeu : « La condamnation de Louis Capet sans appel au peuple. » Première marche de l’échafaud, dira-t-on, mais Grégoire répétera toute sa vie qu’il a alors plaidé la suppression du mot « mort ». Toujours est-il qu’à l’heure fatidique, la Convention n’a pas pris en compte les quatre voix des absents.

Aucune importance pour la faction monarchiste et les contre-révolutionnaires de tout poil qui relèvent la tête en septembre 1819. Quand Grégoire est élu député de l’Isère, ce « régicide » est exclu à l’unanimité de l’Assemblée. Son élection à l’Académie française est refusée pour cause de républicanisme. Septuagénaire, l’abbé écrit à un ami : « Je suis comme le granit, on peut me briser, mais on ne me plie pas. »

Comment ne pas donner crédit à cet écrit tant l’attitude de l’ecclésiastique, sous le Consulat et l’Empire, est courageuse. Opposant irréductible à Napoléon Ier, il est l’un des cinq élus qui s’élevèrent contre la proclamation de l’Empire. Et, bien sûr, il rejette le Concordat conclu entre le pape Pie VII et le premier consul. Jusqu’en 1801, l’abbé Grégoire aura vainement essayé de réorganiser l’Église constitutionnelle. Droit dans sa robe, il refuse tous les honneurs dans lesquels Napoléon essaie de l’enfermer et le 1er avril 1814, il est l’un des 64 sénateurs qui répondent à la convocation de Talleyrand pour proclamer la déchéance de Napoléon.

Après 1819, l’abbé Grégoire se retire de la vie publique et se consacre à l’étude de Port-Royal (son penchant janséniste). N’empêche, le 28 mai 1831, jour de son décès, l’archevêque de Paris s’oppose à ce qu’il reçoive les derniers - sacrements. Contre sa hiérarchie, l’abbé Guillon lui accorde son secours. Deux mille personnes, derrière La Fayette, l’accompagnent au cimetière Montparnasse.

Deux siècles plus tard, l’Église catholique, romaine et apostolique, n’a rien pardonné à l’abbé Grégoire. Quand, à l’automne 1989, François Mitterrand, au nom de la patrie - reconnaissante, fait entrer avec les honneurs de la République trois révolutionnaires, dont l’abbé Grégoire, au Panthéon, les représentants du Très Haut dans l’Hexagone sont absents. L’abbé Grégoire, prêtre et révolutionnaire, gallican insoumis, est toujours trop sulfureux pour Rome.

Dany Stive

Le temps de la quête du siècle africain des lumières


La dernière fois que nous avons entendu parler d’esclavage en Mauritanie, c’était il y a une vingtaine d’années, lorsque le chef d’Etat mauritanien de l’époque en avait annoncé l’abolition. Décidément non informés, nous nous étions étonnés d’apprendre que l’esclavage, au sens premier du terme, existait encore quelque par en Afrique au vingtième siècle finissant. Toujours mal ou non informés, nous venons seulement d’apprendre l’existence, dans cette même Mauritanie, d’une ‘‘Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste’’ (IRA), dont le président, Biram Ould Dah, s’est adressé en août 2009 aux esclaves mauritaniens en des termes, qui recèlent comme un désespoir : ‘‘L’unique choix en votre possession est la résistance physique jusqu’à l’extrême sacrifice.’’ Stoïcisme radical et dernier devant la culture persistante du déni et devant sa durée infinie, puisque ‘‘tous les régimes qui se sont succédé en Mauritanie depuis son indépendance ont perpétué le système esclavagiste dans le pays.’’
Rien n’a donc changé, et l’abolition d’il y a une vingtaine d’années n’était que de la poudre aux yeux, un simple communiqué destiné à berner la communauté internationale. Rien n’a changé et ce n’est, hélas, pas nouveau, car après l’abolition officielle de l’esclavage par les Anglais et les Français au XIXème siècle, le roi Béhanzin du Dahomey avait continué à négocier allègrement le bois d’ébène avec les mêmes abolitionnistes, dans le cadre notamment d’un certain projet (déjà !) dénommé ‘‘chemin de fer Congo-Océan’’, dont Aimé Césaire se souvient amèrement : ‘‘Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan.’’ Sacrifiés avec notre collaboration. Comme toujours et encore de nos jours. Rien de nouveau sous le soleil du bon Dieu. ‘‘Les bagnes toujours et la chair sous la roue’’ (Louis Aragon).

Rien de nouveau sous le soleil, et c’est précisément là le drame, là que le bât blesse, et que l’homme s’écrie, un rien désespéré, ‘‘Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges / Jeter l’ancre un seul jour ?’’ (Lamartine). Le bât blesse, car nous ne sommes plus au temps des Anglais et des Français abolitionnistes pour la façade, mais au temps des Mauritaniens et des Béninois, tous indépendants et souverains, au temps de l’Union Africaine, au temps du Colonel-Guide, Roi des rois d’Afrique. Et sous leurs yeux et sous leur souveraineté et au milieu du flot roulant de leurs discours, ‘‘le système esclavagiste dans le pays’’ Mauritanie se perpétue de même que dans le pays Bénin, où le système ‘‘vidomêgon’’ (à déchiffrer comme ‘‘enfant martyrisé’’), s’est incrusté dans les coutumes. Et les Béninois, aujourd’hui encore, vendent leurs enfants aux Gabonais par cargaisons entières. Rien de nouveau sous le soleil du bon Dieu, et les Africains aussi sont abolitionnistes pour la façade. ‘‘Aux cadavres jeté ce manteau de paroles / Le bâillon pour la bouche et pour la main le clou’’ (L. Aragon).
Il est donc une conscience à prendre. Mais où la trouver pour la prendre ? Les Africains très musulmans, très chrétiens, très animistes, très rosicruciens et patati et patata, perpétuent tous le martyre du prochain, adulte ou enfant. D’où l’appel de Biram Ould Dah au stoïcisme : ‘‘Résistance physique jusqu’à l’extrême sacrifice’’, un appel désespéré, religions et tutti quanti ne semblant d’aucun secours pour le progrès de l’homme, pour l’espoir de l’homme en un avenir de grâce et de bonheur. Il est donc un siècle africain des lumières à quêter, à cultiver, à faire surgir par-delà religions, cultes et coutumes, pour rejoindre l’homme et le libérer. Le siècle européen des lumières n’a pas empêché le déni de l’homme, le déni de l’autre. Voltaire avait des actions dans le commerce des esclaves. Le siècle africain des lumières se caractérisera par son humanisme sans frontière. Pour reprendre les mots de Biram Ould Dah, le siècle africain des lumières sera un appel libérateur ‘‘aux victimes d’esclavage, d’expropriation des terres, de procès inéquitables et autres formes de déni de justice…’’
C’est à cette conversion que nous invite Aimé Césaire depuis toujours : ‘‘Et maintenant pourrissent nos flocs d’ignominie.’’ C’est à cette grandeur que nous invite Senghor depuis toujours : ‘‘Notre noblesse nouvelle est non de dominer notre peuple, mais d’être son rythme et son cœur.’’ Voici le temps de la quête du siècle africain des lumières.

(Par Roger Gbégnonvi)

mercredi, septembre 02, 2009

Fouquier-Tinville, la hache de la Terreur 1746-1795


Portrait. 220 ans après la révolution française


Monstre pour la réaction thermidorienne, qui le condamna à mort après la chute de Robespierre, Antoine Quentin Fouquier de Tinville consacra sa vie à la Révolution, dont il fut l’implacable accusateur public du tribunal révolutionnaire.

Au panthéon des figures de la Révolution, celle d’Antoine Quentin Fouquier de Tinville est sans doute l’une des plus décriées et des plus haïes. L’histoire dominante lui a collé l’image d’un monstre sanguinaire, incarnant la répression impitoyable à laquelle est souvent réduite la Terreur. Encore aujourd’hui, son nom, quand il est évoqué, est associé au couperet de la guillotine tombant sans répit, à des procès sommaires et expéditifs, aux exécutions par fournées entières des « ennemis de la Révolution ». Le procès de Fouquier-Tinville, consécutif à la chute de - Robespierre, a largement contribué à forger cette image, la réaction thermidorienne faisant de lui le symbole et l’ordonnateur de la répression sous la Terreur. Il doit cette réputation à la fonction d’accusateur public du tribunal révolutionnaire, qu’il assuma du 13 mars 1793 au 1er août 1794, sous la Convention montagnarde du 2 juin 1793. On lui prête l’obtention d’environ deux mille condamnations à mort, sur les 16 594 sentences capitales recensées sous la Terreur entre mars 1793 et août 1794, d’après les statistiques de l’historien Donald Greer, mais aussi des acquittements que l’histoire a occultés.

Rien ne prédestinait pourtant ce Picard, fils d’une famille paysanne plutôt aisée, à ce destin tragique. Né le 12 juin 1746, il étudie le droit à Paris et embrasse la carrière de procureur en 1773. Ce métier ne suffisant pas à subvenir à ses besoins, il doit, au bout de dix ans, se résoudre à vendre sa charge. On a raconté de lui qu’il mène durant ces années une vie de débauche et de boissons, qui lui sera imputée à charge lors de son procès par les vainqueurs du 9 Thermidor an II (27 juillet 1794).

La Révolution qui monte, dont il épouse la cause, fait basculer la vie de ce cousin éloigné de Camille Desmoulins. En 1792, il est nommé directeur d’un des jurys d’accusation du tribunal créé pour juger les auteurs du complot royaliste du 10 août. Il accède le 13 mars 1793 à la fonction d’accusateur public du tribunal révolutionnaire, élu par la Convention. Fouquier-Tinville y a prononcé les réquisitoires qui l’ont rendu célèbre : contre Marie-Antoinette, contre Charlotte Corday, contre les Girondins et les dantonistes… Lors de la chute de Robespierre, son rôle se borna à faire constater - l’identité de ce dernier, sur ordre de la Convention, préalable à l’exécution sans jugement du chef de la Montagne, conformément à la loi. Ce zèle dans l’obéissance sans faille à la Convention ne lui épargna pas - d’être lui-même mis en accusation, dès le 14 thermidor (1er août 1794), et de finir exécuté comme son maître, le 7 mai 1795.

Son réquisitoire le plus fameux reste celui prononcé contre la « veuve Capet », alias Marie-Antoinette. Le texte est un morceau de bravoure oratoire et d’une modernité stupéfiante. La liste des accusations portées contre la reine est accablante et édifiante. Fouquier-Tinville dénonce : « Marie-Antoinette, veuve de Louis Capet, a été, depuis son séjour en France, le fléau et la sangsue des Français. (…) Depuis la Révolution, la veuve Capet n’a cessé un seul instant d’entretenir des intelligences et des correspondances criminelles et nuisibles à la France, avec les puissances étrangères et dans l’intérieur de la République (…), elle a usé de toutes les manoeuvres qu’elle croyait propres à ses vues perfides pour opérer une contre-révolution. » Fouquier-Tinville détaille le rôle éminent de Marie-Antoinette dans le déclenchement du massacre du Champ-de-Mars du 17 juillet 1791, dans le renseignement des monarchies étrangères en guerre contre la France, dans le complot aristocrate du 10 août 1792, etc. En conclusion, il accuse la veuve - d’avoir « tramé des conspirations et des - complots contre la sûreté intérieure et extérieure de la France, et d’avoir à cet effet allumé la guerre civile dans divers points de la République et armé les citoyens les uns contre les autres, et d’avoir par ce moyen fait couler le sang d’un nombre - incalculable de citoyens ». La peine de mort est votée à l’unanimité par les jurés.

La réaction ne lui pardonnera jamais ses réquisitoires implacables contre « les ennemis de la Révolution ». Le procès de Fouquier-Tinville, qui se tint du 28 mars au 6 mai 1795, veille de son exécution, fut transformé en procès de la Terreur et du tribunal révolutionnaire par les nouveaux maîtres du pays. Ses adversaires accoururent pour se venger. On l’accusa de fomenter « le renversement du régime républicain » et d’avoir fait « périr sous la forme déguisée d’un jugement une foule innombrable de Français ».

L’action et les motivations de Fouquier-Tinville, tout comme son procès, sont inséparables du contexte historique de la France de cette période et du fonctionnement des institutions politiques et judiciaires sous la dictature de salut public. « La volonté punitive constituait, depuis 1789, l’un des traits essentiels de la mentalité révolutionnaire, face au complot aristocratique s’affirmaient la réaction défensive et la volonté punitive des masses populaires comme des dirigeants clairvoyants de la Révolution », rappelle l’éminent historien Albert Soboul (1). « L’établissement de la Terreur découla de l’aggravation de la crise. Mais le gouvernement révolutionnaire s’établissant et se renforçant, la Terreur fut organisée et légalisée. Le 10 mars 1793, pour prévenir de nouveaux massacres populaires, le tribunal révolutionnaire fut institué. »

Nommé par la Convention, ce tribunal juge suivant une procédure simplifiée. Le jury d’accusation a été supprimé, et ses verdicts ne donnent lieu à aucun appel. Le décret de la Convention du 22 prairial an II (10 juin 1794), qui institue la Grande Terreur, marque une évolution radicale. « Elle s’explique par les circonstances du moment », après des tentatives d’attentat contre Collot d’Herbois et Robespierre, rappelle Soboul. La défense et l’interrogatoire préalable des accusés furent supprimés, les jurés pouvaient se contenter de preuves morales, le tribunal n’eut le choix qu’entre lou la mort. La pratique de l’amalgame fut généralisée : la notion élargie de complot aristocratique permit d’inculper dans le même procès des gens sans liens entre eux, mais jugés solidaires dans leurs menées contre la nation.
Couthon, rapporteur de la loi à la Convention, expliqua : « Il ne s’agit pas de donner quelques exemples mais d’exterminer les implacables satellites de la tyrannie. » « Les têtes tombaient comme des ardoises », décrira Fouquier-Tinville.

Ses notes rédigées pour sa défense lors de son procès montrent un révolutionnaire persuadé d’avoir rempli honnêtement sa tâche comme « un être passif, un rouage et un ressort que faisait mouvoir la loi ». « Toutes les accusations pour la plupart (sic) ont été dirigées contre des conspirateurs caractérisés. Il est possible cependant que, sur des dénonciations ourdies par des malveillants, il y ait eu des actes d’accusation dirigés contre quelques patriotes. (…) C’est certainement un malheur qui ne pourrait me rendre coupable, car dès qu’il existe des dénonciations et des charges, la loi impose le devoir à l’accusateur public de diriger des poursuites. » Niant être la « créature de Robespierre », dont il avoua détester le « despotisme », il explique à propos de la loi du 22 prairial de durcissement de la Terreur qu’il désapprouvait, redoutant ses excès : « Je ne pouvais me refuser à l’exécution de ce - décret sans m’exposer à être considéré et traité comme un contre-révolutionnaire. »

Interpréter son action à l’aune de critères d’aujourd’hui, comme le devoir de désobéissance à des ordres injustes ou indignes, n’aurait aucun sens. Pour Fouquier-Tinville et les révolutionnaires de son époque, une fois le règne de l’arbitraire royal abattu, le fait qu’aucun homme ne puisse se déclarer au-dessus des lois caractérise le changement de régime. Dans sa justification, il écrit : « Un fonctionnaire dans une République ne doit connaître que la loi émanée du pouvoir souverain (…), son devoir est de l’exécuter et de la faire exécuter. »

C’est au nom de ce dévouement patriotique qu’apprenant, le 14 thermidor, sa mise en accusation, il se rendit à la Conciergerie pour se constituer prisonnier. En mai 1795, attendant son exécution du fond de sa geôle, on lui prête ces mots, qui résument l’homme : « Je ne suis qu’une hache. Peut-on condamner une hache ? »

(1) La Révolution française, Éditions sociales, 1982, rééditée par Gallimard.


Sébastien Crépel

mardi, septembre 01, 2009

Des patronymes lourds à porter


Le 23 août 1791, Toussaint Louverture, esclave affranchi, mène l'insurrection des esclaves de l'île de Saint-Domingue. Pour se remémorer cette date, l'Unesco a déclaré en 1998 le 23 août Journée nationale du souvenir de la traite négrière et son abolition.

218 ans après ce soulèvement précurseur de l'abolition de l'esclavage, Karfa Diallo, président de l'association DiversCité à Bordeaux, interpelle les maires et élus de quatre villes concernées par le commerce triangulaire : Bordeaux, La Rochelle, Nantes et Le Havre.

Selon Karfa Diallo, à La Rochelle quatre sites seraient à débaptiser : les rues Admyrault, Giraudeau, Fleuriau et le square Rasteau.

Une apologie de crime

« Ce serait une initiative de justice urbaine, selon Karfa Diallo. Aujourd'hui l'esclavage est reconnu comme un crime contre l'humanité [depuis la loi Taubira du 21 mai 2001 NDLR]. Mais si la loi existe, elle n'a connu aucune traduction juridique. En débaptisant les rues aux noms de négriers, ce serait chose faite. »

Pour l'association DiversCité, maintenir ces noms en haut de nos rues constitue même une apologie de crime contre l'humanité, décrit comme « l'éloge fait en public ou par la voie de presse de certains agissements légalement qualifiés de crimes, déjà accomplis ou susceptibles de l'être ».

Juste réparer un oubli

Si débaptiser est impossible, Karfa Diallo demande au minimum d'installer une plaque expliquant le passé des armateurs. « Nous ne voulons condamner personne, juste réparer un oubli, indique- t-il. À l'époque où ces plaques ont été apposées, l'histoire était très peu connue des citadins. Les gens n'avaient pas grande connaissance des droits humains. »

Le cas Fleuriau

Or, aujourd'hui, les choses ont changé et Karfa Diallo estime ces plaques « choquantes ». N'hésitant pas à comparer les armateurs aux nazis.

« C'est comme si aujourd'hui on décidait de nommer nos rues Goebbels ou Goering », explique-t-il.

Rue Fleuriau, la question prête déjà à confusion. Car, si au XVIIIe siècle, le père, Aimé-Benjamin, fut bien armateur, son fils, à qui la rue est dédiée, était botaniste. Quant au Giraudeau qui a donné son nom à un square à Tasdon, c'est Louis, le conservateur des Beaux-Arts et non Pierre, le négociant, d'ailleurs ancêtre de l'acteur. Seuls le Rasteau du square (Pierre-Isaac) et l'Admyrauld de la rue furent réellement des armateurs vivant du commerce triangulaire.

Pour Karfa Dialo, peu importe la génération, seul compte le nom. « Le commerce des hommes a fait la fortune non d'un seul homme mais de toute une famille », explique Karfa Diallo. Mais Josy Roten, présidente de l'association rochelaise Memoria Esclavage, ne partage pas cette opinion. Selon elle, « les enfants ne sont pas forcément responsables des actes de leurs parents ».

« Ce n'est pas une priorité »

« S'attaquer aux noms de rues est délicat, il faut mener une réflexion, prévient Josy Roten. La seule chose qu'il reste à faire est de nommer d'autres rues du nom de héros de la lutte contre l'esclavage, comme Toussaint Louverture, ou des abolitionnistes connus. »

D'autant que, pour l'historienne, « les noms de rues font partie de la construction d'une mémoire collective à un moment donné. Selon elle, les noms de rues ne sont pas une priorité. « Le plus urgent reste de créer des lieux de mémoire, des monuments qui montrent le parcours de l'esclave, sa révolte. L'esclave n'a pas seulement été victime, il a été un héros, un homme. Pas seulement un objet. »

Une pétition a été lancée

Pour le moment, aucun des maires contactés n'a réagi. Une pétition a également été lancée. Diallo espère collecter près de 10 000 signatures à Bordeaux. « Que nous remettrons au maire de la ville le 10 mai prochain. »

À la rentrée, Karfa Diallo ira à la rencontre des élus, afin de les persuader d'inscrire la question à l'ordre du jour d'un prochain Conseil municipal.