lundi, octobre 28, 2013

LE CHANT DES DEESSES


Il y eut l’esclavage, puis il y eut la ségrégation, et même après que ces malédictions furent vaincues, il demeura encore le préjugé. Et pourtant, elles triomphèrent de tout cela, sans armée mais non sans arme, car elles en possédaient une d’une incroyable efficacité, qui était capable d’atteindre même l’adversaire le plus résolu et de lui ouvrir tout grand son âme, afin qu’elles puissent en faire la conquête et par là, le subjuguer.

Et, c’est en nous abreuvant du conte de leur histoire que nous apprenons que, même dans les situations qui nous semblent les plus compromises et où comme en ce moment, nous sentons sombrer notre société, il ne faut jamais désespérer de notre espèce humaine. Car, il y aura toujours, et même s’il vient de loin et qu’il se sera fait longuement attendre, quelque chose de bien qui s’en viendra finalement vaincre le mauvais, même si cette victoire ne sera jamais définitive et que plus tard d’autres combats seront encore à mener.

Car, la force d’espérance et la confiance peuvent conduire par des parcours vertigineux depuis les abysses jusqu’aux sommets, à de merveilleuses “rédemption”, et tel fut le parcours de ces femmes exceptionnelles dites “déesses” (divas), dont les ancêtres à seulement deux ou trois générations d’elles, étaient des esclaves, hommes ramenés au niveau de la bête, et dont la première d’entre elles, le fut elle-même. Ces ancêtres hagards, courbés sous la contrainte de la servitude, dont l’idée d’excellence avait déserté leur existence humiliée et à l’horizon bouché, et dans laquelle il ne pouvait y avoir de répit que celui qu’offrait la mort, ont ils pu imaginer un seul instant que leurs descendantes deviendraient les objets d’un véritable culte ?

Ont-ils pu imaginer cette ironie extraordinaire et magnifique selon laquelle ceux qui se sont si longtemps mépris sur eux, allaient seulement quelques décennies plus tard, se vêtir élégamment pour se rendre dans de grandioses salles de spectacle où il est convenu de l’être, et où il avaient retenu de longue date des places au meilleurs endroits pour être certains de ne rien manquer, et qui une fois le rideau ouvert sur l’entrée irréelle d’une “déesse” noire, sitôt fortement acclamée sous la lumière d’un soleil bleu, allaient lui offrir leurs âmes à conquérir ?

C’est alors qu’à la descente d’une baguette magique retentissent les premières notes de l’odyssée musicale, et que sis au fond de leur siège comme Ulysse attaché au mât du navire, ils s’abandonnent volontiers à l’invasion de l’émotion désireux qu’ils sont d’en faire le plein, et le charme opérant, il leur arrive parfois même d’en pleurer autant que d’en sourire. Puis ayant vécu, c’est par un tonnerre d’applaudissements qu’ils saluent le dernier “la” poussé en un point d’orgue au-delà des nues, en le ponctuant ça et là de quelques tonitruants “bravos”. Et, ne se résignant pas à voir la déesse s’en retourner dans son paradis auquel ils n’ont pas accès, certains tentent d’obtenir la complicité d’un saint Pierre pour pouvoir accéder à la loge, d’autres pour arracher à tout prix un autographe, ceux de bonnes manières avaient quant à eux déjà prévus le bouquet de fleurs, en se réjouissant à l’idée que la carte qui l’accompagne serait lue, seule façon pour eux d’obtenir une éphémère installation, au coin d’une divine affection.

Pour ces amoureux de l’art lyrique, quelles sont belles et quelles leur sont chères ces cantatrices, et peu leur importe d’ailleurs de se souvenir d’où elles viennent, mais justement, comment ces descendantes d’esclaves sont-elles parvenues à s’installer jusque dans les cieux, pour que l’instant d’un concert elles puissent avoir ainsi le monde à leurs pieds ?

C’est parce qu’elles possèdent le don de mettre en oeuvre cet heureux allié du “bien”, lequel chez les humains s’accompli par raison ou par devoir, ce qui se révèle être hélas parfois insuffisant, et qui, en adjoignant à ce bien la formidable force de la “séduction”, lui permet de vaincre le “mal”. Il s’agit alors en ce secours des bonnes causes, de ce que nous reconnaissons comme étant le “beau”.

Ainsi la beauté dont elles enivrent tous ceux qui ont la fortune de leur prêter l’oreille, renvoie-t-elle dans ses enfers le mal qui toujours sous-jacent, tendrait à les faire mépriser elles et  leur semblables, pour leur couleur en laquelle certains veulent obstinément voir la marque de l’infériorité. Et, en les voyant produire devant un public succombant à leur charme, mais constitué presque exclusivement d’amateurs blancs, comme pour leur éviter qu’en cas d’une reconnaissance par les leurs qui viendrait tant les combler, elles ne perdent leur contrôle par excès de bonheur, on songe à cette expression de la bien-aimée du cantique des cantiques :

“ Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem...”

On se dit alors qu’en certains instants des acclamations et des félicitations, elles n’ont pas du manquer face à l’un de ces amoureux parmi les plus épris, et en songeant en un film accéléré au long chemin parcouru depuis les champs de coton ou de canne à sucre :

“ Vois, toi qui nous a si longtemps cru incapables d’être tes égaux, vois comme je suis parvenue à te rejoindre dans ta propre culture, et vois comme je suis même capable de devenir le meilleur de toi...”

Il s’agit en ces “déesses” présentées ici sur l’illustration, de gauche à droite et de haut en bas, d’Elisabeth Taylor Greenfield, Maria Anderson, Leontyne Price, Grace Bumbry, Shirley Verett, Christiane Eda Pierre, Jessye Norman, Barbara Hendricks, et Kathleen Battle.

Je ne peux évidemment pas vous les conter toutes ici selon la grande richesse de leurs différentes carrières, mais disons cependant quant à la première, Elisabeth Taylor Greenfield, qu’elle naquit esclave en 1824, mais fut adoptée par un couple de “quakers”, ces adeptes d’un mouvement dissident de l’église anglicane pour lesquels, loin de toute structure hiérarchisée telle que celle d’une église, la croyance ne doit être l’expression que de ce qu’ils nomment la  “lumière intérieure”.

Constatant son don, ils lui firent faire des études de musique, et à partir de son premier concert en 1851, elle parvint rapidement à gagner de la notoriété.

En 1853 elle fit un concert au Metropolitan Hall de New York en recueillant un auditoire de 4000 personnes toutes exclusivement blanches. Mais après ce concert, pour marquer son regret du fait que les siens n’aient pu y assister, elle se produira dans une maison de retraite pour personnes de couleur.

La même année, elle se rend en Angleterre et en 1854, elle se produira au palais de Buckingham devant la reine Victoria. Retournée aux Etats Unis, elle créera en 1860 une troupe d’opéra, dont elle prendra la direction.

Quant à la dernière de l’illustration, qui donc parmi tous ceux qui ont eu la chance de le suivre, dans le cadre du “Concert du nouvel an”, cet événement mondial qui se produit à Vienne tous les premiers de l’an, n’a gardé un souvenir mémorable de ce magnifique concert de 1987 ? Celui où, accompagnée de l’orchestre philarmonique de Vienne sous la direction de l’illustre chef Herbert von Karajan, la belle Kathleen Battle interpréta si sublimement cette œuvre “Voix du printemps”, du compositeur Johan Strauss, et dont un commentateur si plein d’enthousiasme alla jusqu’à dire qu’on pouvait mourir pour pouvoir entendre cela.

Tout au long du morceau, ce bel aryen visiblement également tombé sous le charme, et qui semblait presque en oublier sa direction d’orchestre, n’eut de cesse de jeter des regards pleins de tendresse sur cette femme noire, telle qu’elle était si resplendissante dans une tenue qui l’avantageait encore, et telle qu’elle su rendre magique les échos de ce chant.

Entre les deux nous trouvons à la 7eme place de l'illustration, l’immense Jessye Norman dont on se souvient comment en 1989, à l’occasion des célébrations du bicentenaire de la révolution française, on la vit surgir sous les projecteurs toute de tricolore vêtue, par devant l’obélisque de Louxor pour entamer une marseillaise si vibrante qu’elle aurait probablement fait tressaillir Rouget de l’Isle lui-même. Et ce, sous les regards à la fois émus et pleins de fierté, du président des Etats Unis d’Amérique et de son épouse, invités pour l’occasion au balcon de l’hôtel de Crillon. Et c’est donc cette femme noire qui fut choisie pour célébrer au plus haut point en ces instants du souvenir de sa fondation, la république française...

Quelque temps plus tard, en 1992, c’est dans cet autre haut lieu de la nation française s’il en est, que constitue la cathédrale Notre-Dame de Paris, et dans une atmosphère d’une telle ferveur que même un non croyant ne pouvait douter que d’évidence, Dieu lui-même avait pris place en l’endroit, que la grande Jessye Norman qui constitue l’archétype même de ce que nous concevons comme étant une “diva”, interprétera d’une façon troublante le fameux “Sanctus” de la messe solennelle de Charles Gounod.

Sur le parvis, des milliers de parisiens n’ayant pu trouver place dans la cathédrale, et ne voulant rien manquer de l’événement, suivaient le concert sur un écran géant.

Enfin, permettez-moi de faire une mention spéciale pour de celle qui se trouve en 6eme position sur l’illustration, la Martiniquaise Christiane Eda Pierre, qui bien que défendant un immense répertoire, demeure une interprète d’élection de Mozart, et qui débutant à Nice, eut un grand succès à l’Opéra de Paris, puis entama une brillante carrière internationale de Moscou à Chicago, en passant par Vienne, Salzburg, Londres, Lisbonne et New York.

Après avoir été professeur au conservatoire supérieur de Paris puis dans la même ville, à la Schola Cantorum, elle formera de nombreux artistes qui sont aujourd’hui de renommée internationale et parmi lesquels il faut bien le remarquer, plusieurs artistes hommes et femmes Martiniquais. Sous son impulsion sera ainsi créée chez les siens, une toute nouvelle tradition dédiée à cet art et qui aura été l’occasion de déboucher il y a quelques années sur un inattendu festival de “Mozart en Martinique”.

Que nous faut-il remarquer et retenir de tout cela ?

Il nous faut tout d’abord remarquer que c’est précisément en ces endroits où les noirs durent affronter les pires difficultés, Etats Unis d’Amérique, Antilles, et Afrique du Sud que, paradoxalement, ils se seront le plus brillamment affirmés, ce qui montre que rien de grand ne s’obtient hors de l’épreuve, et que dans les pays comme c’est actuellement le cas en France, où on refuse de comprendre la normalité des problèmes qui se posent à une société, et qu’on veut en faire la cause exclusive de boucs émissaires pour ne surtout pas avoir à les affronter, on se condamne à la médiocrité.

D’autre part, pour ces femmes, la beauté de leur voix fut un don hérité dès leur naissance mais qui, comme il est facile de le comprendre, n’a certainement pas suffit à faire leur grand succès. Celui-ci à forcément nécessité de plus un énorme travail, avec une détermination sans faille qu’elles n’ont pu manifester que si elles se trouvaient également habitées par une grande “beauté de l’âme”, une disposition à bien faire, à faire le bien, et favoriser ce bien. C’est probablement ce que Luther comprenait comme étant la “grâce”, et dont il disait que ceux qui en étaient dépourvus ne pouvaient l’acquérir.

Egalement, il s’agit probablement en cette beauté de l’âme de ce dont nous désignons les manifestations comportementales comme étant la “classe”, et il est clair que ces femmes en sont grandement pourvues...

Nous devons donc comprendre que sans qu’il y ait de la beauté dans l’œuvre, et sans que ses auteurs ne manifestent une certaine classe, le bien n’a aucune chance d’y être contenu. Et, il est remarquable que la débâcle qui frappe notre actuelle société s’accompagne de toutes les laideurs, à commencer par celle comportementale de nos dirigeants que nous avons eu le tort depuis le passage au Palais de l’ignoble nabot, d’en supporter la grossièreté et le caractère injurieux, partant de laquelle il était clair que rien ne pouvait sortir de bien de l’action de tels hommes...

Aujourd’hui, c’est bel et bien la laideur du discours politique selon lequel des leaders mal inspirés s’emploient à solliciter toutes les bassesses pour se constituer leur clientèle, qui constitue la preuve du mal actuellement triomphant dans cette société, et les “libérateurs” seront ceux qui sauront proclamer à nouveau, après les avoir dégagées de la fange dans laquelle les ont plongées tous ces faussaires s’en réclamant, les si belles idées généreuses de l’humanisme et du progrès...


                                 Paris, le 28 octobre 2013
                                         Richard Pulvar                  

vendredi, octobre 25, 2013

25 OCTOBRE 1983: GRENADE, UNE INVASION POUR L’EXEMPLE


« Le coup d’État qui a précédé de quelques jours le débarquement américain, s’est traduit par l’élimination physique du leader le plus populaire, Bishop, créant ainsi une situation favorable pour l’intervention américaine. La population ne pouvait qu’être désorientée par l’assassinat de Bishop par l’armée, au lendemain même où elle lui avait montré sa confiance ou sa sympathie en le délivrant et en manifestant avec lui dans la rue massivement. Cette population en grande majorité était très méfiante vis-à-vis des nouvelles autorités, et la mobilisation populaire contre les troupes américaines était rendue d’autant plus difficile. D’autre part Reagan prenant le prétexte du coup d’État a pu ainsi se justifier vis-à-vis de l’opinion publique mondiale en prétendant intervenir pour rétablir la démocratie.

Bishop était au pouvoir depuis le printemps 1979. Il s’en était emparé à l’aide d’un commando d’une douzaine de compagnons, profitant de l’absence du chef de l’État en titre, Gairy. Ce dernier s’était transmué d’ancien syndicaliste en un dictateur corrompu et faisait régner son ordre à l’aide de sa police, « les Mangoustes » qui, à l’image des « Tontons Macoutes » de Duvalier en Haïti, lui permettait d’utiliser à sa guise les ressources du pays c’est-à-dire en grande partie à accroître sa richesse personnelle.

La venue au pouvoir de Bishop n’a pas été le résultat d’une mobilisation populaire, mais celle d’un coup de main. Elle fut cependant applaudie par la population de Grenade et Bishop est devenu très populaire. Ce n’est pas pour autant que le nouveau pouvoir ait été mis sous le contrôle des masses, ni que l’armée ait été dissoute. C’est d’ailleurs dans cette dernière que se sont recrutés les assassins de Bishop. L’essentiel de l’action de Bishop et de son équipe a consisté à essayer d’éliminer la corruption et à mettre l’accent sur la gratuité de l’éducation, l’alphabétisation de la population, la gratuité des soins et l’amélioration des services de santé. Et dans un premier temps au moins il avait réussi à mobiliser une fraction de la jeunesse pour la réalisation de ces tâches bénévoles. Tels étaient les traits essentiels de ce qui a été baptisé « la révolution » à Grenade.

Restait que Grenade prenait l’air, après Cuba et le Nicaragua, du troisième État « marxiste » dans la région. Bishop lui-même le présentait ainsi.

Pourtant Bishop cherchait un accommodement avec les États-Unis. L’été dernier encore, il avait fait antichambre à Washington pour n’être finalement reçu que par un conseiller de Reagan, et sans avoir réussi en rien à infléchir l’attitude des dirigeants américains.

L’impérialisme américain ne pouvait accepter qu’une dictature pourrie certes mais ayant son aval ait été éliminée sans son autorisation et qu’elle ait été remplacée par des dirigeants se disant amis de Castro, nouant des relations avec Cuba, de même qu’avec l’URSS, sans toutefois d’ailleurs quitter le Commonwealth.

Pour les dirigeants américains, traiter avec le nouveau régime de Grenade aurait pu être interprété comme l’acceptation, même contrainte, de voir se multiplier sur le continent américain, dans leur « arrière-cour », des régimes comme celui de Cuba ou du Nicaragua. Or s’ils ont été contraints de tolérer Cuba depuis 25 ans et le Nicaragua depuis quatre ans, ils ne tiennent pas à ce qu’on puisse croire ni que cela signifie qu’ils ont définitivement accepté cette situation de fait, ni qu’ils accepteraient que d’autres régimes semblables s’installent ailleurs dans l’Amérique latine.

A Cuba, ils avaient bien tenté une intervention militaire par exilés interposés, dans la Baie des Cochons, mais cela ne leur avait pas réussi. Au Nicaragua, ils organisent par l’intermédiaire de groupes oppositionnels des opérations militaires ponctuelles à caractère terroriste, en attendant peut-être de faire pire. Mais de fait, ils ont bien été obligés jusqu’à présent de tolérer l’un comme l’autre de ces régimes. Alors Grenade leur a fourni l’occasion de démontrer par une opération, moins coûteuse que s’il s’était agi de Cuba ou du Nicaragua, que les régimes qui veulent échapper à l’emprise américaine non seulement ne seront jamais pleinement acceptés, mais qu’ils restent sous la menace permanente d’une intervention armée américaine.

L’expédition contre Grenade, c’était un avertissement à Cuba et au Nicaragua, c’était un avertissement aux guerillas d’Amérique latine en action, ou à ceux qui rêvent d’y entrer, un avertissement destiné à décourager tous ceux qui, depuis d’autres îles des Caraïbes jusqu’à de vastes pays comme le Brésil, seraient tentés de se dresser contre l’impérialisme américain.

Il n’a pas fallu longtemps d’ailleurs pour que les USA récoltent ailleurs qu’à Grenade des fruits à leur expédition. A peine trois jours après, au Surinam (ex-Guyane hollandaise) où le chef de l’État, le général Bouterse, se déclarait pro-cubain et où depuis quelques mois une aide était fournie par La Havane, tous les diplomates, tous les conseillers et techniciens cubains étaient mis à la porte. »

Source : lutte ouvrière, novembre 1983

jeudi, octobre 24, 2013

Exposition sur la dissidence des Martiniquais et des Guadeloupéens


L'antenne du CM98 (Comité Marche du 23 mai 1998) de Villeneuve-Saint-Georges, vous convie à une double exposition mémorielle (23 au 30 novembre 2013, vernissage le 23 à 15h), d'une grande page de l'histoire de France, qui a souvent été occultée dans les programmes scolaires, donc peu connue  aussi bien aux Antilles-Guyane, que dans l'hexagone.

 Il y eu au moins 4000 à 5000 Antillo-Guyanais dissidents, entre 1940 et 1943 à répondre à l'appel du Général De Gaulle depuis L'Angleterre  ...
Afin de leurs rendre hommage, nous avons voulu les mettre à l'honneur à travers ces deux expositions mises à notre disposition par l'ONAC (Office National des Anciens Combattants) du Val de Marne.

         A l’issu du vernissage, vous pourrez assister à la projection d'un documentaire très émouvant qui a pour titre "La Dissidence aux Antilles et en Guyane" du célèbre réalisateur Barcha Bauer, qui sera présent afin de présenter le film, puis de dialoguer avec vous, à la fin.
                              
                                       D    E    T    A    I    L   S
La première exposition:
 1) "La Dissidence en Martinique et en Guadeloupe de 1940 à 1945"
Cette exposition  rend  hommage à l’engagement de ces Dissidents antillais qui ont  refusé la défaite de la France, l’asservissement de son gouvernement à un pays ennemi, et qui se sont battus pour rendre à la République ses droits; une mise à l’honneur tardive et méritée, une reconnaissance attendue par ces anciens combattants ...

La seconde exposition:
2) "La Force noire"
 Elle retrace, à travers des  documents iconographiques inédits  et des témoignages, l’histoire des «Tirailleurs sénégalais » depuis leur création par Napoléon III en 1857 jusqu’à nos jours. La présentation sur chacun des dix panneaux, de l’itinéraire d’un soldat français et d’un soldat d’origine africaine ou malgache est hautement symbolique et rend un hommage appuyé à ces hommes qui ont servi la France au prix de lourds sacrifices ...
Le film:
"La dissidence aux Antilles et en Guyane" 
réalisation Barcha Bauer
Ce film est dédié à tous les oubliés de l’histoire. En juin 1940, l’Armée Française et l’Armée Anglaise ont perdu la guerre contre l’offensive allemande. De dizaine de milliers d’Antillais, Guyanais, Africains, Maghrébins, Indochinois se retrouvent sur les routes de la défaite en France ...

Le vernissage aura lieu le samedi 23 novembre à 15h, Espace Jean Cocteau, 8 avenue Carnot
94190 Villeneuve-saint-Georges.
L'exposition sera visible du 24 au 30 novembre 2013 de 14h30 à 17h30.

Transport ---> RER D (arrêt Villeneuve-Saint-Georges) c'est à 5mn de la gare.
Voiture ---> parking de la gare

samedi, octobre 19, 2013

CES ILLUSTRES QUE LEUR COULEUR N’A PAS PERMIS DE MIEUX LES ENTENDRE



Il faudra attendre la fin du 20eme siècle pour que soit redécouvert Joseph Bologne, plus connu comme étant le Chevalier de Saint Georges, après que ses œuvres qui ont pourtant eu un si grand succès à son époque, furent tombées dans l’oubli. Il était le fils d’une esclave noire et d’un colon protestant, Georges de Bologne, et il naquit en 1745 en Guadeloupe.

Cet homme qui a reçu de son père une éducation très soignée, s’est rendu en métropole en 1753 pour se préparer à une carrière d’officier. Admis dans le corps prestigieux des gendarmes de la garde du roi, il deviendra vite l’escrimeur le plus renommé de son époque. Mais son génie trouvera également à s’exprimer d’une façon si exceptionnelle et inattendue dans le domaine de la musique, qu’il sera désigné par certains comme étant le Mozart noir.

Louis XVI songeant à le nommer à la direction de l’Académie Royale de Musique, compte tenu de son grand succès, une cabale sera montée contre lui par des artistes refusant de se trouver sous les ordres d’un mulâtre. Mais, le roi désireux de calmer les choses, ayant finalement opté pour quelqu’un d’autre, ceci ne l’empêchera pas d’être régulièrement reçu à la cour, et de devenir l’intime de la reine Marie Antoinette.

Lorsque éclate la Révolution, il s’engage dans la garde nationale et obtient le grade de capitaine, puis se retrouve dans l’armée du nord combattant les Autrichiens avec le grade de colonel, et il s’arrange alors pour faire promouvoir au grade de lieutenant-colonel, un métis comme lui, celui qui deviendra le fougueux général Alexandre Dumas, le père de l’écrivain. Mais ses anciennes amitiés avec la famille royale lui vaudront une suspicion telle, qu’il sera arrêté puis emprisonné, avant d’être définitivement révoqué. C’est alors qu’il s’embarque en 1795 vers Saint-Domingue où il rencontrera Toussaint Louverture, ce qui lui vaudra une haine féroce de la part de Napoléon qui tentera de faire détruire toutes ses ouvres. Disparu en 1799, il tombera dans l’oubli...

Un autre génie des Amériques fut le compositeur brésilien José Mauricio Nunes Garcia, né à Rio en 1767. Il était le fis de deux métis esclaves affranchis, et sa mère qui a perçu très tôt ses talents de musicien, va s’employer à lui donner une éducation musicale. C’est en ayant été enfant de chœur à la cathédrale de Rio, qu’il aura l’occasion d’apprendre le solfège, le clavecin, l’orgue, et le latin. Il composera sa première œuvre en 1783 qu’il va dédier à la cathédrale, et il deviendra rapidement professeur à la confrérie Sainte Cécile.

C’est après bien des difficultés, compte tenu des préjugés de l’époque, qu’il sera ordonné prêtre en 1792, et il deviendra “maitre de chapelle” de la cathédrale, sa fonction consistant alors à produire des œuvres de commande pour les fêtes liturgiques, les mariages et les naissances de la famille royale.

C’est précisément l’arrivée de la famille royale portugaise à Rio en 1808, suite aux guerres napoléoniennes, qui va constituer le tournant et l’occasion de sa grande carrière, car il obtiendra les faveurs du prince régent Jean Vi de Portugal dont il recevra même le titre “d’employé personnel”, et malgré la forte opposition d’une partie du clergé à cause de sa couleur, il sera nommé Maitre de la Chapelle Royale, et produira alors une œuvre importante et d’une qualité telle, qu’il passe aujourd’hui pour être un des plus grands compositeur des Amériques. 

Un autre de ces génies méconnu mais dont le répertoire est pourtant si émouvant, est le compositeur britannique Samuel Coleridge Taylor, né en 1875 d’un père africain et d’une mère anglaise, et qui d’une façon surprenante pour cette époque par rapport à sa couleur, va pouvoir suivre un parcours classique sans embûches. Ceci, en commençant par apprendre la musique au conservatoire de sa ville de Coydon, pour être admis plus tard Au Royal College of Music de Londres où il recevra une formation qui lui permettra de devenir chef d’orchestre dès 1895, dirigeant successivement l’orchestre de la Haendel Society de Londres, et l’orchestre symphonique de Bournemouth.

Comme compositeur il accède à la notoriété en 1898 avec sa “ballade en la mineur” pour orchestre, et il triomphe en 1900 avec sa cantate pour soli, chœurs, et orchestre qui en 1904, passera le cap des 200 exécutions.

Il sera très marqué par son déplacement aux Etats Unis où il découvrira la ségrégation raciale, mais quant aux noirs américains si fiers et si impressionnés par sa personne, ils fonderont à Washington la “Samuel Coleridge Taylor Choral Society” pour faire là-bas la promotion de son œuvre.

Cependant, deux faits exceptionnels vont marquer ses passages aux Etats Unis. Il aura tout d’abord le privilège rare d’être reçu en audience privée à la Maison blanche par le président Theodore Roosevelt, mais surtout, lors de son troisième et dernier voyage, il se trouvera à diriger au festival de Norfolk, une formation de musiciens et de choristes blancs, prestation qui aura un tel succès, qu’il sera alors surnommé comme étant le “Malher noir”.

Si le quatrième génie présenté ici est soudainement sorti de son oubli, c’est parce qu’en 1973 un de ses airs à servi d’illustration pour un film “l’Arnaque”, dont le succès fut alors planétaire. Scott Joplin est un pianiste et compositeur de “Ragtime”, né en 1868 au Texas, et dont les deux parents qui étaient aussi musiciens, ont grandi dans l’esclavage.

C’est en suivant sa mère qui faisait le ménage dans une maison de blancs, que Scott eu le premier contact avec un piano, celui de la “patronne” qui, en échange d’heures de ménage faites par sa mère, lui donnera les enseignements de base et lui fera faire ses tout débuts de musicien, avant qu’il ne poursuive sa formation en autodidacte, et tel sera d’ailleurs en cette éducation par une femme blanche, un des thèmes de son célèbre opéra “Treemonisha”.

Cependant, bien que de revenus modestes, son père conscient du talent de son fils parviendra à force de sacrifices à lui acheter un piano, et à l’inscrire à un cours de musique où il apprendra les techniques de l’harmonie et de la composition, et les genres musicaux européens tels que l’opéra.

C’est en se rendant en 1880 à Saint Louis dans le Missouri que débute sa carrière, dans des conditions très difficiles, en travaillant comme pianiste dans des clubs et en participant occasionnellement à quelques orchestres...

Il publie sa première œuvre, une chanson, en 1895, et ce début l’incite à poursuivre sa formation afin de s’affirmer dans sa carrière de compositeur et, après la composition de deux marche et une valse, il produira son plus grand succès en 1899, “Maple Leaf Rag”, une pièce qui constituera un véritable phénomène musical, puisque la partition sera vendue à plus d’un million d’exemplaires, ce qui a l’époque, constituera un record...

Enfin, c’est en 1911 qu’il produira ce qui demeure comme étant son œuvre majeure, son deuxième opéra, Treemonisha, le premier tout comme une symphonie et un concerto ayant été perdus par sa maison d’édition...

Frappé par la maladie dès 1913, qui lui fera perdre graduellement de sa dextérité de pianiste, celle-ci finira par l’emporter en 1917, et le Ragtime étant supplanté comme style de musique par le Jazz, Scott Joplin tombera dans l’oubli et n’aura de reconnaissance qu’en 1976, où il recevra à titre posthume, le prix Pulitzer de la musique...

Ce qu’il nous faut maintenant remarquer, c’est que si ces grands hommes et beaucoup d’autres comme eux issus des communautés noires, sombrent dans l’oubli, c’est d’abord et avant tout parce qu’ils ne produisent presque exclusivement que devant un public de blancs, et que ceux de ces communautés elles-mêmes les ignorent totalement. Ceci, en se désintéressant de pans entiers de la création humaine, non pas parce qu’ils ne sont pas capables d’y exceller, puisque la démonstration du contraire est apportée par ces illustres, mais selon ce qu’il conviendrait de nommer un nombrilisme racial défensif qui témoigne d’un profond désarroi, et selon lequel pour se protéger en leur authenticité, bien des gens de ces communautés pensent qu’ils n’ont pas à se faire pas même pour s’en enrichir, de ce qui au départ fut la culture des autres, et qui tend aujourd’hui à devenir universelle...

Or, pour comprendre à quel point cette attitude désespérante est pénalisante pour eux, il n’y a qu’à constater que tout au contraire de cela, les asiatiques ont su parfaitement intégrer à leur culture déjà riche, ces joyaux de la culture occidentale, et ont vu l’émergence dans leurs rangs, d’instrumentistes, de concertistes, de solistes et de chefs parmi les plus talentueux, qui produisent non seulement à l’étranger mais également chez eux, devant des salles combles de leur compatriotes, et on ne voit pas qu’ils se portent moins bien que ceux qui se sont enfermés dans le refus culturel de l’autre

Paris, le 19 octobre 2013
Richard Pulvar

Le texte de la circulaire Linard


Mission militaire française près l’Armée Américaine

7 août 1918

Au sujet des troupes noires américaines

I. Il importe que les officiers français appelés à exercer un commandement sur des troupes noires américaines, ou à vivre à leur contact, aient une notion exacte de la situation des nègres aux États-Unis. Les considérations exposées dans la note suivante devraient donc leur être communiquées, et il y a un intérêt considérable à ce qu’elles soient connues et largement diffusées ; il appartiendra même aux autorités militaires françaises de renseigner à ce sujet par l’intermédiaire des autorités civiles, les populations françaises des cantonnements de troupes américaines de couleur.

II. Le point de vue américain sur la « question nègre » peut paraître discutable à bien des esprits français. Mais il ne nous appartient pas à nous Français de discuter ce que certains appellent un « préjugé ». L’opinion américaine est unanime sur la « question noire » et n’admettrait pas la discussion.

Le nombre élevé de nègres aux États-Unis (15 millions environ) créerait pour la race blanche de la République un danger de dégénérescence si une séparation inexorable n’était faite entre noirs et blancs.

Comme ce danger n’existe pas pour la race française, le public français s’est habitué à traiter familièrement le « noir », et à être très indulgent à son égard.

Cette indulgence et cette familiarité blessent profondément les Américains. Ils les considèrent comme une atteinte à leurs dogmes nationaux. Ils craignent que le contact des Français n’inspire aux noirs américains des prétentions qu’ils considèrent comme intolérables. Il est indispensable que tous les efforts soient faits pour éviter d’indisposer profondément l’opinion américaine.

Bien que citoyen des États-Unis, l’homme de couleur est considéré par l’Américain blanc comme un être inférieur avec lequel on ne peut avoir que des relations d’affaires ou de service. On lui reproche une certaine inintelligence, son indiscrétion, son manque de conscience civique ou professionnelle, sa familiarité.

Les vices du nègre sont un danger constant pour l’Américain, qui doit les réprimer sévèrement. Par exemple, les troupes noires américaines en France ont donné lieu à elles seules à autant de plaintes pour tentatives de viol, que tout le reste de l’armée, et cependant on ne nous a envoyé comme soldats qu’une élite au point de vue physique et moral, car le déchet à l’incorporation a été énorme.

Conclusion

I. Il faut éviter toute intimité trop grande d’officiers français avec des officiers noirs, avec lesquels on peut être correct et aimable, mais qu’on ne peut traiter sur le même pied que des officiers blancs américains, sans blesser profondément ces derniers. Il ne faut pas partager leur table et éviter le serrement de main et les conversations ou fréquentations en dehors du service.

II. Il ne faut pas vanter d’une manière exagérée les troupes noires américaines surtout devant les Américains. Reconnaître leurs qualités et leurs services, mais en termes modérés conformes à la stricte réalité.

III. Tâcher d’obtenir des populations des cantonnements qu’elles ne gâtent pas les nègres. Les Américains sont indignés de toute intimité publique de femme blanche avec des noirs. Ils ont élevé récemment de véhémentes protestations contre la gravure de la « Vie Parisienne » intitulée « L’enfant du dessert » représentant une femme en cabinet particulier avec un nègre. Les familiarités des blanches avec les noirs sont du reste profondément regrettées de nos coloniaux expérimentés, qui y voient une perte considérable du prestige de la race blanche. L’autorité militaire ne peut intervenir directement dans cette question, mais elle peut influer sur les populations par les autorités civiles.

Linard

vendredi, octobre 18, 2013

BUFFALO SOLDIERS...


En 1863 durant la guerre de sécession, au constat des pertes considérables qui avaient été celles des armées nordistes, et face aux émeutes populaires grandissantes qui contestaient le principe de la conscription, Abraham Lincoln prit la décision d'ouvrir les rangs des forces armées à des soldats noirs. Et ceci, d'autant que depuis 1862, les sudistes quant à eux avaient déjà constitué à leur service, des milices de nègres.

Ainsi sera créé dans l'armée nordiste, le 54eme régiment du Massachusetts, composé de noirs sous commandement d'officiers blancs, et qui participera au prix de pertes effroyables, comme à la bataille de Fort Wagner où il se trouva pris en tenaille face à une puissante artillerie sudiste, qui le frappait à la fois depuis les terres et depuis la mer, dans quelques unes des plus furieuses batailles de cette guerre...

Cette démarche va amener Lincoln à ajouter à son but principal de guerre qui était la sauvegarde de l'Union, celui d'abolition de l'esclavage...

Au sortir de cette guerre, c'est dans la foulée du 54eme régiment que seront créé ceux dits des "Buffalo soldiers", selon une appellation que leur ont donné les Indiens qu'ils combattaient, qui étaient les premiers régiments noirs de l'armée américaines, et qui seront dissous en 1951 à l'occasion de la guerre de Corée, où sera décidé l'intégration dans cette armée américaine...

Ceux-là non plus vous n'avez par vu ni entendu conté leurs aventures dans quelque épopée de l'Ouest, au cinéma ou ailleurs, et si nous devons nous garder d'en faire l'éloge, compte tenu qu'ils ont participé aux cotés des blancs au génocide des Indiens, il est nécessaire de connaitre leur existence. Ceci, pour comprendre que les noirs aux Etats Unis, et contrairement à la façon dont on rend habituellement compte de l'Histoire de ce pays, n'ont pas du tout été de simples spectateurs dans la constitution de celui-ci, mais qu'ils y ont pleinement participé, même à des aspects contestables de son établissement...

L'autre intérêt d'avoir connaissance de ceci, c'est de comprendre à quel point par la force des choses, des hommes, qu'ils soient noirs ou qu'ils soient blancs, ne peuvent manquer d'être très profondément imprégnés par l'histoire de la nation à laquelle ils appartiennent depuis des générations, combien même y auraient-ils souffert, de la même façon que ceux qui ont souffert toute leur vie au fond de la mine, furent tristes quand celle-ci fut fermée.

C'est à cet attachement très puissant au cadre de son vécu, de ses familiarités, de ses épreuves subies, et de ses émotions partagées avec ses proches, que nous devons l'échec du panafricanisme selon lequel des militants pensaient pouvoir établir une solidarité entre les nègres du monde entier, selon ce critère racial, et pour pouvoir faire face aux problèmes qui étaient les leurs, et partout les mêmes...

Mais, ils ont totalement sous-estimé la force des attachements étatiques, culturels, et affectifs, lies au vécu, et solidifiés par le temps, et qui s'établissent même dans l'inconfort d'une adversité permanente dans sa société, et à laquelle l'individu doit faire face... 

Et de fait, malgré la contribution d'illustres penseurs à ce projet, loin de transcender ainsi qu'ils l'espéraient toutes les autres formes d'appartenance, la solidarité raciale n'a pas suffit à ce que puisse se constituer un ensemble panafricain, et c'est cette même amère expérience que sont en train de faire les peuples européens qui, bien qu'appartenant à la même race, se demandent aujourd'hui qu'est-ce qu'ils foutent ensemble...

Comprenons alors qu'on ne remplace pas un vécu par un discours, autrement dit qu'on ne remplace pas l'affect, par l'intellect...

Paris, le 18 octobre 2013
Richard Pulvar

samedi, octobre 05, 2013

LE DEPART DU GENERAL GIAP, LE “NAPOLEON VIETNAMIEN”, L’HOMME QUI A VAINCU LES ARMEES FRANCAISE, ET AMERICAINE


Profitant de l’installation en France des “collaborateurs”, suite à la défaite en 1940 de la France face à l’Allemagne nazie, le Japon qui était alors l’allié de celle-ci, n’hésitera pas à exiger sous la menace, auprès de l’administration coloniale dépêchée au Viet Nam par Vichy, des facilités logistiques pour pouvoir mener sa guerre contre la Chine, et particulièrement le passage pour ses troupes à travers toute l’Indochine française, et la mise à sa disposition de terrains d’aviation.

Au fil du temps, ces exigences opportunistes furent multipliées et l’administration coloniale s’inclinant sans cesse, l’Indochine s’est retrouvée quasiment occupée par le Japon, à la façon même dont la France l’était par l’Allemagne, et ceci, avec le cortège inévitable d’exactions de l’occupant commises contre la population civile que l’administration française, tant par manque de moyens militaires que par manque de réelle préoccupation pour ces colonisés, ne parvint jamais à protéger.

Il vint de cet abandon que la population vietnamienne décida d’assurer elle-même sa défense et c’est ainsi qu’en 1944 fut créé un mouvement de résistance, le “Viet-Minh” à la fondation duquel participa le général Giap, et qui entreprit aussitôt de mener une guérilla contre l’occupant japonais.

Parce qu’ils avaient des visées territoriales sur l’Indochine, et pour pouvoir avoir les mains libres, tant pour leur guerre contre la Chine que pour mater la résistance vietnamienne, en mars 1945 les Japonais renversèrent l’administration française et prirent possession de l’Indochine, les vietnamiens se retrouvant seuls pour combattre l’ennemi.

Cependant, en aout 1945 le Japon est vaincu, et profitant du vide passager d’autorité, le Viet-Minh qui était d’obédience communiste et qui jouissant d’un grand prestige auprès de la population, proclama la “République démocratique du Viet Nam”, au moment même où le général de Gaulle qui ne l’entendait pas de cette oreille, dépêchait le général Leclerc avec un corps expéditionnaire, pour tenter de rétablir l’autorité française sur le Viet-Nam.

Dans un premier temps, compte tenu de ce que fut le lâche abandon de cette colonie par la métropole, et qu’on ne pouvait faire ainsi injure à ces gens qui avaient conquis par les armes et le sacrifice, leur liberté, et compte tenu également de la grande admiration que les chefs militaires français issus des Forces Françaises Libres, avaient pour ces vaillants combattants, on tenta de régler le différent par la négociation.

Mais entretemps, le général de Gaulle avait quitté le pouvoir et quand s’ouvre la conférence de Fontainebleau à l’été 1946, c’est face à des planqués qui n’avaient rien connu des épreuves de la guerre, face aux pires colonialistes, qui ne souhaitaient dans le fond rien d’autre que d’en revenir à ce système qui établissait les Vietnamiens en citoyens de seconde classe, que se sont retrouvés les patriotes. Et, bien que ceux-ci se montraient prêts à faire quelques concessions de souveraineté, pour s’établir dans les meilleures relations avec la métropole, ce que montrait leur présence même à cette conférence, les exigences et l’outrance méprisante des négociateurs français fut telle, que soudainement, le premier août, la délégation du Viet-Minh quitta la conférence.

Ce fut le début de la première guerre du Viet-Nam, qui fut une guerre criminelle à deux titres, puisque c’est la guerre que mène contre une nation qui ne lui à rien fait et qui ne lui est redevable de rien, puisqu’elle fut abandonnée, une nation prédatrice venue d’au-delà des mers pour la soumettre à son bénéfice, mais également parce que c’est pour l’essentiel avec des troupes coloniales, celles qui s’étaient si vaillamment battues pour sa libération, que cette métropole indigne et ingrate entendra mater d’autres colonisés en quête de leur liberté.

Cette guerre qui durera huit longues années, prendra fin suite à la défaite écrasante et humiliante de l’armée française établie dans la cuvette de Dien Bien Phu, et ne soupçonnant pas une seconde que l’audacieux général Giap fera transporter à travers la jungle impénétrable qui semblait être pour elle une protection, en pièces détachées par des sentiers boueux, à dos d’homme ou sur des bicyclettes aménagées pour cela, les pièces d’artillerie et les munitions qui, installées sur les collines environnantes, vont faire pleuvoir un déluge de feux sur les troupes ennemies stationnées dans la plaine.

C’est alors que vint l’heure de la négociation, la fameuse conférence de Genève et ses accords conclus en 1954, aux termes desquels il fut convenu de procéder au regroupement des forces antagonistes en deux zones distinctes, afin de pouvoir procéder au dégagement en bon ordre des forces françaises, et de procéder ensuite dans des conditions acceptables, à des élections qui devaient conférer son autorité au gouvernement d’un Viet Nam indépendant.

C’est ainsi que les forces communistes furent regroupées dans le nord, et les forces françaises et leur supplétifs vietnamiens dans le sud, selon un partage qui ne devait être que provisoire, mais qui durera plus de vingt ans...

Ceci, parce que malgré leur défaite militaire, les colonialistes français n’avaient pas renoncé à leur rêve de domination, et trahissant totalement l’esprit des accords, ils évacuèrent le pays, mais non sans avoir préalablement proclamé en toute illégalité et unilatéralement, un “état du Viet Nam du Sud”, associé à la France, avec pour capitale Saigon, et à la tête duquel ils placèrent sans à aucun moment s’inquiéter de consulter la population concernée, le fils de Duy Tan, l’ancien empereur d’Annam, qu’ils avaient pourtant déposé et exilé en 1916.

Ce fils s’était déjà proclamé lui-même empereur d’Annam, en s’opposant ainsi au Viet-Minh, dans la période de vacance du pouvoir de 1945, mais faute d’assise populaire, il avait du vite renoncer à son projet. Mais cette fois, il se faisait introniser par la puissance coloniale en prenant le nom d’empereur Bao Daï.

Les américains qui n’avaient un moment rien proposé de moins à leurs alliés français en difficulté et auxquels ils fournissaient l’armement, que d’utiliser la bombe atomique pour pouvoir réduire le Viet-Minh, et qui considéraient le communisme comme le mal absolu, ne faisaient aucune confiance à cet empereur et sa volonté de régner depuis Hué, l’ancienne capitale impériale située en limite de séparation des deux zones, sur la totalité du Viet Nam.

Car, cette réunification supposait l’application des accords de Genève et en particulier, l’organisation d’élections dans tout le pays qui risquaient fortement de porter les communistes au pouvoir. De plus Bao Daï était l’homme des Français.

En exerçant une pression sans pareille sur lui, les Américains vont alors contraindre Bao Daï à nommer comme chef du gouvernement un homme à leur solde, Ngo Dinh Diem, lequel se dépêchera d’organiser dès 1955 un référendum, afin d’abolir la monarchie et de déposer l’empereur Bao Daï.

S’estimant heureux d’avoir limité ce qu’ils considéraient comme étant une contagion communiste, à la seule partie nord du pays, les Américains manifesteront ainsi dès la mise en place de leur homme de paille, leur refus de voir à jamais organisé l’élection, prévue par les accord de Genève, qui permettrait d’établir une autorité unique sur tout le Viet Nam et que les communistes avaient toutes les chances de remporter.

Les patriotes vietnamiens comprirent alors que leur nation ne serait jamais réunifiée, tant que persistera le régime totalement illégal et illégitime établi dans la partie sud du pays, et c’est alors qu’ils formèrent un mouvement de libération dont les combattant portaient le nom de Viet Cong, ce sera le début de la deuxième guerre d’Indochine dite guerre du Viet Nam. Elle sera menée cette fois contre les Américains et leur supplétifs sud vietnamiens, comme un véritable combat de David contre Goliath où, depuis les batailles de Dak-To et de Da Nang, à l’offensive du Têt, qui furent si meurtrières pour les jeunes conscrits américains, tout le génie du général Giap s’exprimera à nouveau, jusqu’à la défaite de l’envahisseur.

Cependant, bien qu’il fut victorieux, cette bataille pour son indépendance aura eu un coût absolument effrayant pour le Viet Nam qui, sur la vingtaine d’années qu’elle aura duré, aura vu périr dans d’affreuses souffrances due au “napalm” pour beaucoup d’entre eux, plus de un million et demi de ses enfants, en plus de toutes les destructions, la pollution quasi définitive des sols par le terrible défoliant dit “agent orange”, que les Américains déversaient sur toute la contrée, pour que l’épaisse jungle ne soit plus l’alliée naturelle des maquisards.

Cet agent est la cause d’un nombre sans fin de malformations génétiques, et il faut encore ajouter à tout cela, le désastre complet que constituent les mines anti personnel qui furent éparpillées par dizaines de milliers sur tout le territoire, et qui aujourd’hui, près de quarante ans après la fin des hostilités, sont encore responsables tous les jours qui passent, d’affreuses mutilations...

L’épilogue de tout cela, c’est qu’après cette guerre criminelle pour l’empêcher de le devenir, le Viet Nam est justement devenu entièrement communiste, et ceci, sans qu’un seul américain n’en ait péri, que ces communistes évoluant avec leur temps, ont fait une ouverture chez eux à l’économie de marché, que le pays est en plein essor économique, et que les Américains dont la culture s’est répandu dans ce pays, constituent désormais un de ses principaux partenaires économiques. On se dit alors que s’il s’était trouvé aux Etats Unis en ces périodes, un homme suffisamment visionnaire pour être capable d’envisager positivement l’avenir, il aurait évité à notre humanité tout entière, le drame inhumain et totalement indigne que fut cette guerre...


Paris, le 5 octobre 2013
Richard Pulvar

mercredi, octobre 02, 2013

CES VAILLANTES PIONNIERES...


Elles étaient femmes, et elles étaient noires, et elles durent donc lutter pour se réaliser, contre cette alliance redoutable du machisme et du racisme qui comme ailleurs en ces temps, sévissaient si cruellement aux Etats Unis. Et, c’est en étant déterminées par une force inexplicable mais admirable, qu’elles parvinrent à faire de leurs vies, de véritables exploits...

Cependant, pire encore que toutes les obstructions objectives qui leurs furent faites, leur premier et plus redoutable combat fut de lutter par toutes les forces de leur esprit, contre l’idée qu’elles souffriraient d’une infériorité en tant que femme, et aggravée en tant que noire. Car c’est bien cette idée que cette société tendait à leur faire admettre comme étant la raison. Elles durent ainsi déjà lutter pour pouvoir se sentir en elles-mêmes, capables, malgré tous ces préjugés, pour acquérir et conserver une pleine confiance en elles, espérer pour ensuite tenter, et persévérer pour finalement parvenir et triompher...

C’est en ce sens que leur lutte fut exemplaire et s’est faite pour notre bénéfice à tous. Car, l’intériorisation d’une image infériorisée de soi-même, constitue le plus cruel, le plus cynique et le plus terrifiant des instruments que mettent en œuvre contre ceux qu’ils veulent soumettre, ces hommes prédateurs de leur propre espèce, animés par les forces de domination. Et il est certain que ce procédé indigne et même criminel, se trouve à l’origine de quantités de naufrages humains et de vies dévastées, lesquelles auraient tout au contraire nécessité d’être rassurées et encouragées, dans ce qu’elles possédaient forcément de bon.

1. La première de ces vaillantes que nous envisageons ici, parmi quantités d’autres, travaillait comme nurse de sorte que la santé des enfants la préoccupait. C’est en forçant les choses par un formidable coup d’audace en pleine guerre de sécession, en profitant alors de cette époque incertaine où d’aucun ne savait s’il devait encore se montrer ségrégationniste, puisqu’il ne pouvait déjà plus être esclavagiste, que Rebecca Crumplers parvint à se faire accepter dans un collège de médecine où jusqu’alors, on ignorait presque jusqu’à l’existence même des noirs. Elle en ressortira comme étant la première femme noire médecin, en 1864.

2. La seconde était fille d’un pasteur abolitionniste, et sachant bien qu’elle serait fatalement démasquée, mais comptant sur un effet produit par ce coup d’audace et sur la chance qui dit-on, sourit aux audacieux, c’est par le subterfuge qui consista à masquer par un faux prénom, au moins son genre, à défaut de masquer sa race, que Charlotte E. Ray fit acte de candidature, et parvint à obtenir une place parmi les quelques rares qui étaient réservées à des hommes noirs, pour pouvoir effectuer des études de droit. Elle deviendra ainsi la première femme noire juge en 1872, avant de devenir plus tard professeur de droit à l’université.

3. Issue d’une famille dissolue, et ayant fait pour cela un mariage refuge dès l’âge de 14 ans, celle qui après s’être débarrassée de trois maris successifs prendra finalement le nom de Madam CJ Walker, et que l’on voit ici fièrement au volant de sa Ford, souffrait, alors qu’elle travaillait en 1890 comme servante, d’une maladie du cuir chevelu lui faisant perdre ses cheveux. Elle essaya pour se soigner quelques remèdes de guérisseurs de sa communauté, et suite au succès sur elle de ceux-là, elle eut l’idée de les commercialiser et développa dans la foulée des cosmétiques. Ceux-ci eurent d’emblée un très grand succès auprès des femmes noires qui jusqu’alors, n’avaient strictement rien qui leur était spécifiquement destiné.

Elle fondera en 1908 une école de soins de beauté, et en 1910 une usine de produits de base qui jusqu’en 1918, commercialisera plus de 8000 produits chimiques divers.

Elle devint alors richissime, la première grande femme d’affaire noire américaine, se fit construire une magnifique demeure qui lui servira également de centre de conférence, et fait notable, elle profitera de sa fortune pour financer plusieurs mouvements de lutte pour l’égalité des droits...

4. Alors qu’elle n’a que 23 ans, la jeune Bessie Coleman rêve et se passionne pour les histoires racontées par les pilotes qui reviennent de la première guerre mondiale, et s’y voit.

N’ayant absolument aucune chance de se faire accepter dans les écoles américaines de pilotage, parce que femme et de plus, parce que noire, afin de pouvoir vivre sa passion, elle prend des cours de français et, suivant ainsi les traces de son idole, l’as noir américain Eugène Bullard, elle se rend à Paris en 1920 pour apprendre à piloter et de là-bas en juin 1921, devint la première femme noire au monde à devenir pilote.

S’étant patiemment aguerrie auprès des as français, et ayant atteint par cela la pleine maitrise de son art, elle fit par ses démonstrations un triomphe à son retour aux Etats Unis, mais malheureusement, elle meurt en 1926, au cours d’une séance d’essais.

5. C’est sous Lyndon Johnson qu’en 1965, s’étant faite remarquée pour ses qualités professionnelles, et alors qu’en ces temps ou sévissait encore le Ku Klux Klan et où les noirs venant à peine d’obtenir l’égalité des droits, personne n’aurait imaginé une seconde qu’une des leurs pourrait avoir la haute fonction de représenter la nation, que Patricia Harris devint la première femme noire ambassadrice des Etats Unis d’Amérique. Plus tard, sous la présidence de Jimmy Carter en 1997, elle deviendra même la première femme noire secrétaire d’état.

6. Pourtant fille de modestes ouvriers, mais n’étant pas privée de détermination et de rage de vaincre, Shirley Chrisholm devint tout d’abord diplômée de l’université de Columbia, et ensuite une autorité reconnue en matière d’éducation.

C’est alors que malgré l’ambiance et l’incertitude de ces années là, le peut de chances qui semblaient être les siennes, elle eut l’audace et le cran malgré bien des réticences, de se lancer en politique. Elle deviendra alors à la surprise des uns et à la consternation des autres, la première femme noire élue au congrès, et elle le fut heureusement car de 1968 à 1983, elle n’accumulera rien de moins que sept mandats...

7. C’était une chanteuse de jazz, très impliquée au travers de cette musique, quant à la condition des siens et, se mettant en accord avec les idées qu’elle défendait, Loretta Glickman décide avec courage et en en connaissant tous les dangers et tous les aléas, de se lancer en politique. Elle deviendra alors à Pasadena, la première femme noire à devenir maire d’une grande ville américaine, en 1982...

Ainsi, la voie fut ouverte par ces pionnières de sorte qu’il n’est plus rien qui ne puisse faire partie de l’imaginaire de jeunes hommes et surtout de jeunes femmes noires, lesquels peuvent désormais s’envisager sans aucun complexe dans les fonctions les plus prestigieuses.

Mais disons encore que tout ceci vaut également pour nous tous, pour tous ceux qui de par le monde, luttent contre leur infériorisation mentale, par une autre classe, une autre race, ou une autre culture, et dont les effets sont encore plus dévastateurs que ceux de la soumission physique...

Et, ceci vaut également pour nous autres à Paris, face aux mafias qui se sont emparées des rênes du pouvoir, et qui s’emploient alors à nous dévaloriser et nous culpabiliser, pour nous faire accepter comme étant de notre responsabilité, et en arguant de notre prétendue inadaptation aux exigences du triomphe productiviste, comme il fut dit pareillement dans le temps et quant aux exigences sociales, des femmes et des noirs, les conséquences désastreuses des politiques de déni de progrès qu’ils ont menées, pour satisfaire leur soif de privilège et de domination.

Ainsi, comprenons à l’instar de ces vaillantes, que nous ne nous retrouverons en pleine possession de nos moyens, dans la voie du succès, que quant nous cesserons de nous voir infériorisés et donner la leçon, par ces malfaisants cravatés qui prétendent que leurs échecs manifestes, leur totale impuissance quant au règlement des moindres difficultés qui se posent, sont dus à la mauvaise qualité du peuple, dont ils se sont fait les dirigeants par la combine politico-médiatique, et que cette récupération de nos moyens et par là, de nos responsabilités, nécessite tout d’abord que nous chassions ces imposteurs...

Paris, le 2 octobre 2013
Richard Pulvar

mardi, octobre 01, 2013

Condoleeza Rice et Spike Lee exhument le passé du port négrier de Bimbia (Cameroun)


SENENEWS.COM avec Jeune Afrique- Dans la recherche de leurs racines africaines des personnalités américaines comme Condoleeza Rice, Spike Lee ou Eddy Muphy exhument le passé des comptoirs négriers établis au Cameroun à l’image de celui de Bimbia. Suscitant l’intérêt des organisations afro-américaines de recherche identitaire mais aussi les appétits touristiques de l’Etat camerounais.

Des bambous d’Inde recourbés forment une voûte, comme une porte se refermant sur le visiteur. Il est à peine 14 heures mais le soir semble déjà tomber dans cette forêt tropicale, sans doute l’une des plus inhospitalières au monde. Nous nous trouvons à l’entrée du comptoir négrier de Bimbia, un petit village juché sur les hauteurs de la ville balnéaire de Limbé, dans le sud-ouest du Cameroun. Découvert en 1987, Bimbia est aujourd’hui un site culturel classé au patrimoine national par l’État camerounais, qui rêve de l’inscrire au patrimoine mondial de l’Unesco. Des archéologues arpentent cette nouvelle “route de l’esclave” après qu’y ont été découverts de nombreux vestiges. Mais plusieurs années de recherches dans les archives et sur le terrain, entre Afrique, Europe et Amérique, seront encore nécessaires pour que Bimbia se transforme en un lieu de pèlerinage majeur. Dikolo, la localité qui abrite le port de Bimbia, veut pourtant y croire et organise déjà des visites guidées.

Au départ de Limbé, après 12 km de piste rocailleuse à bord d’un véhicule 4×4, il faut grimper à pied les 3 km qu’empruntaient jadis les esclaves entravés. Adolf Elwe Mwambo, notre guide, a exigé le paiement d’un droit d’entrée : 1 000 F CFA par personne, 5 000 F CFA par appareil photo, mais sans reçu. Bimbia, ex-État indépendant (jusqu’en 1884) de l’ethnie isubu, s’essaie au tourisme… Les informations qu’Adolf nous délivre, il les tient en partie de son grand-père, Charles Eyoum, 97 ans, dont le propre arrière-grand-père aurait participé à la capture des esclaves. Mais il semble surtout s’appuyer sur le projet Documentation et Restauration du site, financé et confié par les États-Unis à la Route des chefferies, en partenariat avec l’association Alliance internationale des Anneaux de la mémoire. Des riverains venus nous rejoindre affirment avoir eu connaissance de l’existence de la crique aux esclaves, mais ne s’y être jamais aventurés, car, aujourd’hui encore, nul n’en reviendrait jamais…

Une mangeoire et des chaînes encore visibles

Il a encore fallu enjamber les restes d’un gué pour découvrir les ruines d’une dizaine de structures. Notre guide nous explique que ce comptoir longtemps resté méconnu bénéficiait d’un environnement hostile, entre collines, ravins, volcan et côte rocheuse, qui n’offrait aux captifs aucune échappatoire… Repris par les historiens Stephen Fomin et Henry Kah et par l’archéologue Rachel Mariembe, des témoignages indiquent que, pendant la période d’intense commerce d’esclaves, les Isubus utilisaient ces obstacles naturels pour se cacher et se procuraient les esclaves dans l’arrière-pays. La position géographique de Bimbia était stratégique : sur le golfe de Guinée, à l’est de la baie de Biafra, entre Rio del Rey et Cameroon River (l’actuelle ville de Douala). Le maître des lieux, le roi Bilè, surnommé par les Anglais King William of Bimbia, était un homme d’affaires avisé, connu pour avoir convaincu les chefs des deux autres villages de l’État de prendre part au trafic, et pour l’avoir poursuivi après l’abolition de l’esclavage !

La tradition orale, confirmée par des recherches américaines, révèle que douze ou treize navires quittèrent Bimbia. Baptisé Falstaff, le premier a levé l’ancre en 1776 en direction de l’île Saint-Vincent. Le dernier, le Gabriel Dios Amigos, du capitaine Fena Manuel Gireau, parti en 1838, a accosté à Cuba. On retrouverait ainsi trace des esclaves qu’ils transportèrent en Caroline du Nord, au Brésil, en Guyane et à la Jamaïque. Au total, ce sont 2 393 hommes – 42,3 % d’enfants – qui embarquèrent à Bimbia, 2 078 étant parvenus à destination. Des notables de Dikolo et de Douala détiendraient encore des documents écrits datant de cette époque.

Au Cameroun, où l’histoire du pays n’est guère enseignée, certains doutent de l’authenticité de Bimbia. Mais l’un des vestiges les plus révélateurs de l’abjection de la traite bat en brèche la théorie de l’imposture : la mangeoire des esclaves, une auge oblongue sur laquelle il est possible d’observer des restes de chaîne métallique.

À l’intérieur des bâtiments, désormais colonisés par des fromagers centenaires, se dressent encore de monumentaux pylônes de brique et de pierre. Des marques profondes suggèrent que les captifs y étaient enchaînés. Si les changements climatiques ont conduit à la baisse du niveau de l’eau, le touriste devine encore l’océan fouettant les murs pendant que les pirogues récupéraient les prisonniers pour les parquer ensuite sur Nicholls Island, à quelque 300 m des côtes, où la profondeur des eaux permettait aux bateaux d’accoster. Aujourd’hui, l’île, couverte d’une vaste forêt, accueille de temps à autre quelques curieux, qui n’ont cependant jamais osé y passer la nuit. L’administration camerounaise, en particulier le ministère du Tourisme, a des projets plein les cartons, comme la construction d’un complexe hôtelier. Un pont devrait aussi permettre de réunir les deux rives…

Eddy Murphy et Spike Lee, les Camerounais

Si Bimbia est depuis quatre ans sous le feu des projecteurs, c’est sans doute grâce à l’Ancestry Reconnection Program (“programme de retour aux origines”), initié aux États-Unis depuis des décennies par l’association ARK Jammers et qui vise à identifier les trajectoires des navires négriers. Se fondant sur des tests ADN de la firme américaine African Ancestry, il a permis de désigner Bimbia comme l’un des ports d’embarquement. Plus de 8 000 Africains-Américains, dont les acteurs et producteurs Eddy Murphy et Spike Lee, ou encore Quincy Jones, se sont ainsi découvert des racines dans l’actuel Cameroun. Et depuis 2010, ils sont plus de cent cinquante à y avoir entrepris une quête de soi, cherchant à retrouver un peu de la culture de leurs ancêtres, de la même façon que les Italian Americans ou les Irish Americans perpétuent leur culture européenne.

Autobaptisés “Caméricains”, ces Cameroonian Americans sont donc passés par Bimbia. Une étape à leurs yeux si symbolique et si incontournable qu’ils se soumettent aujourd’hui à une cérémonie de purification dans l’océan Atlantique, suscitant un regain d’intérêt et des levées de fonds. C’est d’ailleurs l’ambassade des États-Unis qui, la première, a décidé d’agir, provoquant dans un premier temps l’ire des autorités camerounaises. Mais si les États-Unis ont accordé 40 millions de F CFA à la Route des chefferies, le projet Documentation et Restauration implique désormais le ministère camerounais de la Culture. Il permettra de mettre en place une signalétique délivrant des informations historiques sur le site, tandis que des vestiges de la période seront également collectés, catalogués et exposés. La construction à Limbé d’un musée d’histoire est sur les rails.

Arrière-petit-fils du King of Bimbia, l’ethnologue et historien Kuma Ndoumbe III, professeur en sciences politiques, lui, estime qu’il faut aller plus loin. “Ce serait une erreur de se focaliser sur Bimbia, affirme-t-il. Les statistiques indiquent qu’il est parti davantage d’esclaves de Douala que de Bimbia, entre 1777 et 1821, sans que se profile aujourd’hui l’ombre d’un projet.” Professeur d’études africaines et africaines-américaines à l’université de l’Arizona, Lisa Aubrey avance le chiffre de 46 000 à 68 000 esclaves pour l’ensemble du Cameroun, ce qui en ferait un centre de la traite négrière. De nouvelles fouilles pourraient révéler d’autres vestiges. Ainsi, à Douala, des marchés aux esclaves se sont tenus directement sur le fleuve Wouri : il faut donc y rechercher des forts. Sous le régime Ahidjo, certains avaient servi de prisons pour opposants politiques. “Malheureusement, le Cameroun cultive son amnésie”, regrette Kuma Ndoumbe III.