samedi, octobre 19, 2013

CES ILLUSTRES QUE LEUR COULEUR N’A PAS PERMIS DE MIEUX LES ENTENDRE



Il faudra attendre la fin du 20eme siècle pour que soit redécouvert Joseph Bologne, plus connu comme étant le Chevalier de Saint Georges, après que ses œuvres qui ont pourtant eu un si grand succès à son époque, furent tombées dans l’oubli. Il était le fils d’une esclave noire et d’un colon protestant, Georges de Bologne, et il naquit en 1745 en Guadeloupe.

Cet homme qui a reçu de son père une éducation très soignée, s’est rendu en métropole en 1753 pour se préparer à une carrière d’officier. Admis dans le corps prestigieux des gendarmes de la garde du roi, il deviendra vite l’escrimeur le plus renommé de son époque. Mais son génie trouvera également à s’exprimer d’une façon si exceptionnelle et inattendue dans le domaine de la musique, qu’il sera désigné par certains comme étant le Mozart noir.

Louis XVI songeant à le nommer à la direction de l’Académie Royale de Musique, compte tenu de son grand succès, une cabale sera montée contre lui par des artistes refusant de se trouver sous les ordres d’un mulâtre. Mais, le roi désireux de calmer les choses, ayant finalement opté pour quelqu’un d’autre, ceci ne l’empêchera pas d’être régulièrement reçu à la cour, et de devenir l’intime de la reine Marie Antoinette.

Lorsque éclate la Révolution, il s’engage dans la garde nationale et obtient le grade de capitaine, puis se retrouve dans l’armée du nord combattant les Autrichiens avec le grade de colonel, et il s’arrange alors pour faire promouvoir au grade de lieutenant-colonel, un métis comme lui, celui qui deviendra le fougueux général Alexandre Dumas, le père de l’écrivain. Mais ses anciennes amitiés avec la famille royale lui vaudront une suspicion telle, qu’il sera arrêté puis emprisonné, avant d’être définitivement révoqué. C’est alors qu’il s’embarque en 1795 vers Saint-Domingue où il rencontrera Toussaint Louverture, ce qui lui vaudra une haine féroce de la part de Napoléon qui tentera de faire détruire toutes ses ouvres. Disparu en 1799, il tombera dans l’oubli...

Un autre génie des Amériques fut le compositeur brésilien José Mauricio Nunes Garcia, né à Rio en 1767. Il était le fis de deux métis esclaves affranchis, et sa mère qui a perçu très tôt ses talents de musicien, va s’employer à lui donner une éducation musicale. C’est en ayant été enfant de chœur à la cathédrale de Rio, qu’il aura l’occasion d’apprendre le solfège, le clavecin, l’orgue, et le latin. Il composera sa première œuvre en 1783 qu’il va dédier à la cathédrale, et il deviendra rapidement professeur à la confrérie Sainte Cécile.

C’est après bien des difficultés, compte tenu des préjugés de l’époque, qu’il sera ordonné prêtre en 1792, et il deviendra “maitre de chapelle” de la cathédrale, sa fonction consistant alors à produire des œuvres de commande pour les fêtes liturgiques, les mariages et les naissances de la famille royale.

C’est précisément l’arrivée de la famille royale portugaise à Rio en 1808, suite aux guerres napoléoniennes, qui va constituer le tournant et l’occasion de sa grande carrière, car il obtiendra les faveurs du prince régent Jean Vi de Portugal dont il recevra même le titre “d’employé personnel”, et malgré la forte opposition d’une partie du clergé à cause de sa couleur, il sera nommé Maitre de la Chapelle Royale, et produira alors une œuvre importante et d’une qualité telle, qu’il passe aujourd’hui pour être un des plus grands compositeur des Amériques. 

Un autre de ces génies méconnu mais dont le répertoire est pourtant si émouvant, est le compositeur britannique Samuel Coleridge Taylor, né en 1875 d’un père africain et d’une mère anglaise, et qui d’une façon surprenante pour cette époque par rapport à sa couleur, va pouvoir suivre un parcours classique sans embûches. Ceci, en commençant par apprendre la musique au conservatoire de sa ville de Coydon, pour être admis plus tard Au Royal College of Music de Londres où il recevra une formation qui lui permettra de devenir chef d’orchestre dès 1895, dirigeant successivement l’orchestre de la Haendel Society de Londres, et l’orchestre symphonique de Bournemouth.

Comme compositeur il accède à la notoriété en 1898 avec sa “ballade en la mineur” pour orchestre, et il triomphe en 1900 avec sa cantate pour soli, chœurs, et orchestre qui en 1904, passera le cap des 200 exécutions.

Il sera très marqué par son déplacement aux Etats Unis où il découvrira la ségrégation raciale, mais quant aux noirs américains si fiers et si impressionnés par sa personne, ils fonderont à Washington la “Samuel Coleridge Taylor Choral Society” pour faire là-bas la promotion de son œuvre.

Cependant, deux faits exceptionnels vont marquer ses passages aux Etats Unis. Il aura tout d’abord le privilège rare d’être reçu en audience privée à la Maison blanche par le président Theodore Roosevelt, mais surtout, lors de son troisième et dernier voyage, il se trouvera à diriger au festival de Norfolk, une formation de musiciens et de choristes blancs, prestation qui aura un tel succès, qu’il sera alors surnommé comme étant le “Malher noir”.

Si le quatrième génie présenté ici est soudainement sorti de son oubli, c’est parce qu’en 1973 un de ses airs à servi d’illustration pour un film “l’Arnaque”, dont le succès fut alors planétaire. Scott Joplin est un pianiste et compositeur de “Ragtime”, né en 1868 au Texas, et dont les deux parents qui étaient aussi musiciens, ont grandi dans l’esclavage.

C’est en suivant sa mère qui faisait le ménage dans une maison de blancs, que Scott eu le premier contact avec un piano, celui de la “patronne” qui, en échange d’heures de ménage faites par sa mère, lui donnera les enseignements de base et lui fera faire ses tout débuts de musicien, avant qu’il ne poursuive sa formation en autodidacte, et tel sera d’ailleurs en cette éducation par une femme blanche, un des thèmes de son célèbre opéra “Treemonisha”.

Cependant, bien que de revenus modestes, son père conscient du talent de son fils parviendra à force de sacrifices à lui acheter un piano, et à l’inscrire à un cours de musique où il apprendra les techniques de l’harmonie et de la composition, et les genres musicaux européens tels que l’opéra.

C’est en se rendant en 1880 à Saint Louis dans le Missouri que débute sa carrière, dans des conditions très difficiles, en travaillant comme pianiste dans des clubs et en participant occasionnellement à quelques orchestres...

Il publie sa première œuvre, une chanson, en 1895, et ce début l’incite à poursuivre sa formation afin de s’affirmer dans sa carrière de compositeur et, après la composition de deux marche et une valse, il produira son plus grand succès en 1899, “Maple Leaf Rag”, une pièce qui constituera un véritable phénomène musical, puisque la partition sera vendue à plus d’un million d’exemplaires, ce qui a l’époque, constituera un record...

Enfin, c’est en 1911 qu’il produira ce qui demeure comme étant son œuvre majeure, son deuxième opéra, Treemonisha, le premier tout comme une symphonie et un concerto ayant été perdus par sa maison d’édition...

Frappé par la maladie dès 1913, qui lui fera perdre graduellement de sa dextérité de pianiste, celle-ci finira par l’emporter en 1917, et le Ragtime étant supplanté comme style de musique par le Jazz, Scott Joplin tombera dans l’oubli et n’aura de reconnaissance qu’en 1976, où il recevra à titre posthume, le prix Pulitzer de la musique...

Ce qu’il nous faut maintenant remarquer, c’est que si ces grands hommes et beaucoup d’autres comme eux issus des communautés noires, sombrent dans l’oubli, c’est d’abord et avant tout parce qu’ils ne produisent presque exclusivement que devant un public de blancs, et que ceux de ces communautés elles-mêmes les ignorent totalement. Ceci, en se désintéressant de pans entiers de la création humaine, non pas parce qu’ils ne sont pas capables d’y exceller, puisque la démonstration du contraire est apportée par ces illustres, mais selon ce qu’il conviendrait de nommer un nombrilisme racial défensif qui témoigne d’un profond désarroi, et selon lequel pour se protéger en leur authenticité, bien des gens de ces communautés pensent qu’ils n’ont pas à se faire pas même pour s’en enrichir, de ce qui au départ fut la culture des autres, et qui tend aujourd’hui à devenir universelle...

Or, pour comprendre à quel point cette attitude désespérante est pénalisante pour eux, il n’y a qu’à constater que tout au contraire de cela, les asiatiques ont su parfaitement intégrer à leur culture déjà riche, ces joyaux de la culture occidentale, et ont vu l’émergence dans leurs rangs, d’instrumentistes, de concertistes, de solistes et de chefs parmi les plus talentueux, qui produisent non seulement à l’étranger mais également chez eux, devant des salles combles de leur compatriotes, et on ne voit pas qu’ils se portent moins bien que ceux qui se sont enfermés dans le refus culturel de l’autre

Paris, le 19 octobre 2013
Richard Pulvar

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