dimanche, juillet 17, 2016

Le premier noir à entrer au Pérou faisait partie de l'expédition de Pizarro


Le premier noir à entrer au Pérou faisait partie de l'expédition de Pizarro. Il était Guinéen, esclave d'Alfonso de Molina, l'un des Trece del Gallo. L'espagnol débarqua à Tumbes avec deux cochons, un coq et quelques poules, mais ce fut la peau noire de l’esclave qui attira le plus l'attention des indiens.

La légende raconte qu'ils lui offrirent de l'eau pour qu'il se lave, mais sa couleur ne changea pas. Les indiens le regardèrent avec plus de surprise encore. Ils ne pouvaient simplement pas y croire.

Il n’existe pas de chiffres exacts relativement à l’importance du commerce esclavagiste en Amérique, mais depuis le milieu du XVe siècle, au moins 10 millions d'africains ont débarqué sur les côtes du Nouveau Monde, un nombre trompeur si on tient compte du fait que trois esclaves sur quatre mouraient sur le trajet.

Un crime de lèse humanité qui n'a jamais été réparé et sans lequel les empires anglais, français, hollandais, espagnols et portugais ne se seraient pas érigés sur le continent. Carlos Aguirre mentionne dans "Une Brève histoire de l'esclavage au Pérou"( Breve historia de la esclavitud en el Perú ) qu'environ 660 mille africains sont arrivés aux États-Unis, 4 millions au Brésil et 1 million 600 milles en Amérique espagnole.

Résultat : ces hommes et femmes avec leur variété de langues, de nationalités, de cultures, de rites et de coutumes, ont transformé chacune des régions qu'ils ont foulées, du Canada à la Patagonie.

Dans leur situation de captivité, les noirs ont configuré l'identité de l'actuel Brésil, le deuxième pays au monde avec la population noire la plus importante, ils ont également modelé la culture musicale de Cuba, de la Jamaïque et de toute l’Amérique Centrale et de la Caraïbe, ils ont développé l'industrie cotonnière du sud des États-Unis, et ils ont travaillé jusqu’à la mort dans les maisons, les haciendas et les mines d’Amérique du Sud.

Leur contribution est pourtant demeurée occulte durant des siècles. Elle fut invisible pour Vasconcelos au Mexique et minimisée par Mariátegui au Pérou, pour citer deux penseurs notables.

Au cours des cinquante dernières années, diverses études ont mis l'accent sur cette réalité comme d’une découverte de cette racine culturelle occulte du continent.

"Je parlerais d’une culture indoafrosinoaméricaine", dit l’anthropologue Humberto Rodríguez Pastor, auteur du livre "Negritud. Afroperuanos: resistencia y existencia". Par cette expression, il met l’accent sur les influences autochtones, africaines et chinoises dans la configuration des Amériques. Au-delà de la musique, qui est la contribution la plus visible, l'apport des afro-américains se trouve dans beaucoup d'autres aspects de la vie et de la culture du continent, dans quelques cas de manière anonyme.

"Dans la gastronomie, ils n'ont pas apporté de plantes et de condiments, mais ils ont apporté leur assaisonnement. La cuisine créole américaine a une grande influence noire. Toutes les églises de Lima ont été construites par des noirs, et que l’on ne connaisse pas leurs noms est une autre chose. Sans parler de Pancho Fierro ou de José Manuel Valdés (1767-1843), qui fut le médecin le plus important de Lima à la fin de la Colonie et dans les débuts de la République, à une époque où les curanderos (guérisseurs) noirs avaient un grand prestige ", dit Rodríguez Pastor.

L'histoire de Valdés est intéressante parce qu'il était le fils d'un musicien et d'une mulâtresse libre, et à cause de sa couleur il ne put obtenir que le titre de bachelier en Médecine. Cependant, il a contribué de façon importante à contrecarrer les épidémies à Lima.

Il fut professeur du Collège de Médecine, participa aux luttes d’indépendance et il se distingua en tant qu’historien (il a écrit une biographie de Fray Martín de Porres) et théologien.

La négritude

Les luttes des noirs pour leurs droits sont aussi vieilles que l’esclavage même. En 1609 s’établissait à Veracruz, au Mexique, le premier peuple libre du continent grâce à la rébellion des esclaves.

Haïti fut le premier pays indépendant de l'Amérique (1804) pour les mêmes raisons et pour ce qui est de la période contemporaine, les luttes civiles des noirs aux États-Unis ont eu des répercussions sur l’ensemble du continent.
Le 'Black Power' de la Jamaïque a des composantes politiques et culturelles, représentées dans la musique reggae; et au Brésil un mouvement solide de conscience noire existe aussi, de même qu’en Colombie.

"Nous partons du concept de diaspora ", dit Mónica Carrillo, jeune directrice de Lundu, un centre d’études et de promotion des afropéruviens. "Cette dispersion forcée de la population africaine a fait que nous sommes 150 millions d’afrodescendants dans les Amériques."

"C’est important de comprendre –poursuit-elle -- que le mot noir est une construction faite par les colonisateurs, en opposition avec le blanc. Il naît avec une charge négative qui implique le mal, le sale, l'abject. C'est pourquoi, peu à peu nous lui avons donné un sens positif. Maintenant nous pouvons dire que nous faisons partie du mouvement noir, mais nous préférons utiliser le terme afrodescendant qui renvoie à notre origine africaine et transcende la couleur de la peau".

Palenques et confréries

Peut-être le premier échappement de l'oppression se trouvait dans cette résistance secrète au dieu imposé par le christianisme, que l’on dota de rites et de pouvoirs qui renvoyaient à l'Afrique ancestrale.

La santería à Cuba et ses orichás (les dieux), le candomblé au nord du Brésil et dans les Guyanes, le vaudou à Haïti ou la macumba à Bahía (Brésil) renvoient à un syncrétisme de manifestations religieuses, également nourries par les cultures indigènes locales.

Par exemple Shangó, le dieu de la foudre, de la guerre et de la musique, est devenu Sainte Barbara, Ochún la Vierge de la Charité ou Yemayá, la reine de la mer devenue la Vierge de Regla et Babalú Ayé devenu San Lázaro.
Cette religiosité chargée de sens mystique et de résistance était associée à la danse et à la musique, et s'est développée dans ces espaces libérés que les marrons (les esclaves fugitifs) établirent dans les montagnes de l'Équateur, de la Colombie, du Brésil ou des Antilles.

Ces palenques ou quilombos (le nom qu’ils portent au Brésil) furent stratégiques dans le processus de préservation et le syncrétisme des cultures africaines.
Comme l’indique Mónica Carrillo, en Équateur, il s’agissait de toute la région d’Esmeraldas, dont la devise reste jusqu’à présent "rebelde por libre y por libre nunca esclava", (rebelle pour la liberté et pour la liberté jamais esclave), ou Palmares au Brésil, où l’on célèbre la journée de la conscience noire, ou San Basilio sur la côte nord de la Colombie, un territoire libéré seulement alors que le XXème siècle était bien entamé.

Bien que le territoire est devenu un foyer de résistance, au Pérou le phénomène n'a pas été si marqué. "Tout d'abord à cause de la géographie", dit Humberto Rodríguez Pastor, "notre côte est aride, c'est pourquoi les palenques furent nombreux et petits, le plus connu était celui de Huachipa, qui ne rassemblait pas plus de 40 noirs".

Un autre point central consiste en ce que les esclaves qui sont arrivés au Pérou n'appartenaient pas à une seule ethnie, comme au Brésil, mais ils étaient achetés sur des marchés du Panama et de Cartagena. Ils appartenaient à divers groupes (un article du "Mercurio Peruano" parle de terranovos, lucumés, mandingas, cambundas, carabelíes, cangaes, chalas, huarochiríes, congos et mirengas), ils parlaient différentes langues et beaucoup d’entre eux étaient nés en Amérique.

C'est la raison pour laquelle on les classifia en gros en bozales (ceux qui venaient d'Afrique) et en ladinos (ceux qui connaissaient l’Espagnol). Ici, leur organisation se basa sur les confréries, qui étaient des fraternités réunies autour d'un saint.

Vers 1619, il y avait dix-neuf de ces communautés à Lima et la plus connue était celle qui donna naissance au Señor de los Milagros.

"Au cours des dernières années", raconte Mónica Carrillo, " les jeunes afrodescendants péruviens se sont rapprochés des religions africaines à travers la musique cubaine moderne, ils ont connu Shangó à travers Celina y Reutilio et la religion yoruba à travers des groupes de timba ".

La dette envers la culture africaine est impayable. Et il y en a encore beaucoup à reconnaitre et à accepter. Peu savent que des termes comme "quimba", "banana", "conga", "mambo", " mucama ", " tocayo ", ont des racines africaines.
Autre fait : Garret Morgan, un afro-américain, fut l'inventeur du signal d’arrêt automatique en 1923. Il vendit les droits à Général Electric par la suite pour seulement 40 mille dollars.

Cependant, dans beaucoup de pays d'Amérique, le racisme latent persiste. Au Brésil cette pratique est punie, et au Pérou les mesures se contentent d’éviter la discrimination dans des lieux publics. C'est pourquoi le triomphe du démocrate Barack Obama aux États-Unis a également été perçu ici comme une réparation, comme une nouvelle occasion de changement.

"Ma mère a pleuré à cause de cette nouvell, avoue Mónica Carrillo. Elle a remercié Dieu de lui avoir permis de la vivre, et elle s'est rappelée de la fois où elle est allée dans un hôpital et qu’un médecin a refusé de s'occuper d'elle parce qu'elle est noire".

RYTHME ET COULEUR

L’écriture noire
Après des siècles d'infortune et de ségrégation à cause de leur race, la population afro-états-unienne a récemment abordé les cénacles de la culture officielle entre 1920 et 1930. Dans les années 20, à New York, la communauté noire de Harlem débordait de créativité artistique, principalement grâce à l'apogée du jazz et du rhythm & blues. Des musiciens tels que Duke Ellington ou des interprètes comme Bessie Smith étaient accueillis comme des stars, même en dehors des États-Unis. Avec eux renaissaient également la danse et le théâtre ayant des racines noires.

Ce bouillonnement culturel favorisa l’émergence de ce qu’on appelle La Renaissance de Harlem par laquelle des narrateurs et des poètes de race noire intégrèrent pleinement la Littérature américaine. Leur principale influence était la musique populaire noire qui leur dictait des rythmes syncopés, une imitation de sons et d'improvisations semblables au jazz.

Les poètes pionniers dans cette exploration furent Carl Dunbar et Langston Hughes qui dans leurs poésies parlaient de l'orgueil racial et exhortaient les afro-nord- américains à cultiver une tradition culturelle. La marque de ce mouvement est telle que plus tard, elle influencera la beat generation et plus récemment celle des troubadours populaires du rap.

La Renaissance de Harlem était également l’héritière des "spirituals" que l’on chantait durant les cérémonies religieuses de la communauté noire et du folklore des esclaves noirs en général. D'autres représentants de ce mouvement furent Zora Neale Hurston (une romancière et anthropologue), Nella Larsen (romancière), Jessie Fauset (éditrice, poétesse, essayiste et romancière), Countee Cullen (poète), Claude McKay (poète), James Weldon Jonson (poète), Arna Bontemps (poète) et Richard Bruce Nugent (poète), entre autres.

Dans les années 50 et 60 le mouvement des écrivains noirs participa de manière enthousiaste à la lutte pour les droits civils de leur communauté et il produisit une littérature fortement politique, qui s'est étendue jusqu'aux débuts des années 70, surtout pour les poètes.

Durant ces années le poète le plus célèbre fut LeRoi Jones (qui se rebaptisa Imamu Amiri Baraka) et le suivaient June Jordan, Dudley Randall, Nikki Giovanni, Naomi Long Madgett, Mae Jackson, S. E. Anderson, Etheridge Knight, A.B. Spellman ou James Emmanuel (qui a un poème célère intitulé "Black Panther", allusion symbolique au mouvement radical noir du même nom). Le ton politique de leurs poèmes ne diminua pas la musicalité, ni le brio de leurs prédécesseurs, en employant de plus le sarcasme, le vers court, la polyrythmie et une intensité émotive.

Autres domaines

Curieusement, dans les années 20, dans les régions de l'Afrique d'influence coloniale française, un grand mouvement se produit également, celui qui provoque l'apparition de poètes et de narrateurs africains de valeur. En 1920 un livre pour enfants apparaît au Sénégal qui fonde cette expression, Les Trois Volontés de Malic, de l’écrivain Amadou Mapaté Diagne.

L’éclosion des poètes et des écrivains qui se succéderont rapidement va de paire avec des œuvres comme celle du poète français Blaise Cendrars, qui enfant avait vécu en Égypte et qui publie son " Anthologie nègre ", fortement influencé par cette culture en 1921.

L'ébullition de la culture noire se répand sur d’autres continents. En 1928 débute à Cuba le "negrismo" cubain, également influencé par la musique de l'île (principalement le son) et par la santería de tradition abakuá, comme l'a bien noté Alejo Carpentier. En 1930 paraitra le recueil de poèmes "Motivos del son" de l’emblématique Nicolás Guillén, et l’année suivante son non moins célèbre "Sóngoro Cosongo".

Au Pérou qui a également connu ce fourmillement, le plus célèbre représentant des lettres afropéruviennes est le décimista Nicomedes Santa Cruz.
Avec lui figurent Gregorio Martínez (et son splendide roman "Canto de Sirena"), Antonio Gálvez Ronceros (avec l’emblématique "Monólogo desde las tinieblas") et le poète Enrique Verástegui, dont l’ardeur est plus cosmopolite. (E.S.H.)

LUTTES ET PASSIONS

Au XXIème siècle résonne le tambour
L'historien cubain Manuel Moreno Fraginals rappelle une phrase qui résume très bien le climat d'asphyxie et de passion dans lequel se développe la culture africaine sur notre continent : "Le problème ici est de ne pas mourir".
Marquée par l'urgence la plus extrême, frappée par la violence physique et psychologique de l'esclavage, la communauté noire a fait de l'expression musicale un espace de survie morale depuis son établissement en Amérique. Un espace qui allait devenir l’éventail varié de manifestations musicales le plus puissant au monde alors que le XXe siècle était entamé: le blues, le jazz et le rock and roll aux États-Unis; la zamba au Brésil; le son, le mambo et le guaguancó à Cuba; le merengue en République Dominicaine; le candombe en Uruguay, etcétéra.

Et qu’en fut-il chez nous?

Pour le maître Octavio Santa Cruz, guitariste et spécialiste en traditions musicales du Pérou ce qu’on appelle aujourd’hui musique afropéruvienne a une présence réelle depuis la Colonie, mais il s’agit d’une présence ambivalente. " Tout comme la réalité créole va en s’amplifiant et en se reconfigurant dans la société, la culture noire commence à se transformer et à s'intégrer comme un élément important à ce processus complexe de métissage".

Selon Santa Cruz cette ambivalence réside dans l'aspect social : la population noire, marquée par la marginalité d'un statut social inférieur, voit son patrimoine culturel imprégner le pays sans pouvoir se sentir comme faisant partie du phénomène.

Comme dans le cas du blues américain, la genèse de la musique afropéruvienne se produit dans les champs, durant de longues journées tortueuses de travail. Santa Cruz explique que ces expressions musicales originaires ont surgi de manière absolument spontanée comme une façon de marquer le rythme pendant le travail - la coupure de la canne, par exemple - et d'alléger la monotonie et le malaise du travail forcé.

"Il est également probable qu'il y ait eu une série de chants plus dramatiques, dans lesquels la tristesse et l'oppression devenaient explicites. Des chants improvisés dans le hangar, dans le dos des contremaîtres".

Aucun de ces chants ne survécut jusqu'à nos jours, certainement parce qu’ils étaient perçus comme instigateurs de subversion et en conséquence, ils étaient censurés, interdits.

Santa Cruz prend l'exemple du panalivio. "Il semble que le panalivio était un chant rebelle, très intense, puissant, et pourtant, ce qui nous est parvenu est une sorte d’air doucereux, cadencé. J’imagine que pour subsister,il a subi tout un processus de transformation, et c’est probablement la raison pour laquelle il ressemble peu à l’original".

Mais la censure ne répondait pas seulement à une stratégie pratique de répression. Avec le temps et progressivement apparurent une série d’obstacles et d’entraves d’ordre moral.

Au milieu du XIXe siècle quelques danses ayant un caractère sensuel indéniable, comme la zamacueca ou la mozamala ont commencé à s'introduire dans la société créole, mais elles ont généré des situations compliquées, puisque l'on traita de ' pernicieux ' tout ceux qui les pratiquaient.

Au début de XXIème siècle, on voit que le métissage a été inévitable. Et à coup sûr, il a été profitable. Comme le dit Luis Delgado Aparicio dans le livre "Lo africano en la cultura criolla" (Le fait Africain dans la culturecréole): on a vécu "le triomphe cosmopolite et universel du tambour". Mais beaucoup d'informations culturelles très précieuses ont également été perdues : des genres musicaux entiers ont disparu, victimes de cette vieille chaîne de censures, ou d’indifférence et de négligence.
(D.O.)
Au cours des trente dernières années, la culture afropéruvienne s'est vue revalorisée, pour beaucoup grâce à l'œuvre magnifique des frères Nicomedes et Victoria Santa Cruz, et aujourd'hui, la communauté noire ne se démène plus seulement sur le terrain de la création musicale et artistique, mais également dans la réflexion académique et l’intervention politique. Et le combat continue.




Par Jorge Paredes - Traduit de l’Espagnol par Guy Everard Mbarga


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