vendredi, mai 19, 2017

Connaissons-nous vraiment l'histoire du pays Martinique?



Date : dimanche 26 mars 1848 – Lieu : St Pierre – Contexte : arrivée de nouvelles fraiches de France. C'est en effet le dimanche 26 mars 1848 que la Martinique apprend que le roi Louis-Philippe a abdiqué en France, la République est proclamée là-bas. L'espoir d'une abolition prochaine de l'esclavage renaît. Le 2ème fait le plus important qui va déclencher les évènements du 22 mai date du lundi 10 avril : c’est ce jour-là en effet qu’arrive en Martinique le décret du 4 mars de Victor Schœlcher stipulant que « nulle terre de France ne peut plus porter d’esclaves ». À compter de cette date, les esclaves ne tiendront plus en place.

Jeudi 18 mai 1848 - Lieu : Habitation Laguigneraye (Robert) - Contexte : Le béké Laguigneraye essaie de renvoyer tous ses esclaves qui ne veulent plus obéir - Extrait : " - Il veut bien, mais les esclaves refusent catégoriquement de quitter l’Habitation.

- Il les avait donc congédiés ? Tu veux dire que ces derniers se comportent maintenant en maîtres des lieux ? 
- Ce n’est pas exactement cela, mon cher Jacques. Chez lui, les esclaves essayent d’obtenir quelques attributs de liberté avant l’heure. La semaine dernière, ils ont donc décidé de ralentir la cadence, le temps de négocier. Laguigneraye a refusé tout préalable. Et dans la foulée, il a cherché à réquisitionner les troupes pour une intervention d’envergure.
- Tout comme Duclary…
- Exact ! Mais au gouvernement, la solution ne passe toujours pas. La troupe n’a donc pas été envoyée. Il a ensuite essayé de se débarrasser de trois ou quatre fortes têtes, ceux qu’il considère comme étant les meneurs, en prononçant leur exclusion de l’atelier et leur expulsion définitive de l’Habitation. Toujours niet. Ceux-là n’ont pas voulu partir. Ils ont le soutien des autres. Et maintenant, tous les esclaves roulent au diapason. Ils revendiquent la case et le jardin, disant que Schœlcher a fait cette promesse, et que d’ailleurs, Perrinon arrive bientôt pour leur rendre justice en ce sens... Lundi matin, Laguigneraye leur a laissé entendre, reprend l’employé du gouvernement, qu’il allait se débrouiller sans eux, et qu’ils pouvaient aller se faire voir ailleurs ! 
- Drôle d’attitude pour une drôle d’histoire. Je ne vois pas comment il pourra se débrouiller, s’il renvoie ses esclaves. À part en essayant de tout faire lui-même !
- Une autre idée lui trottait dans la tête. Il est simplement descendu au bourg, au Robert, a ratiboisé toutes les rues et a dégoté presque une trentaine de journaliers, des gens de manœuvre. Entre autres des esclaves en location, des libres de fait, ou autres hommes de couleur libres de modeste condition. Il a ensuite rappliqué à l’Habitation et a distribué les tâches. Durant tout ce temps, les esclaves de son atelier restèrent bien sagement dans leur case...Laguigneraye croyait s’en tirer à bon compte. Pourtant quand les ouvriers s’avancèrent vers la cannaie, les esclaves sortirent tous et les approchèrent. 
« - Que faites-vous ? », demandèrent-ils.
« - Nous nous apprêtons à couper la canne pour monsieur Laguigneraye. »
« - Vous allez couper les cannes ? »
« - Oui ! »
« - Faîtes ! Mais nous, qui sommes là, vous promettons de vous couper tous tant que vous êtes, pareillement que les cannes pour lesquelles vous êtes venus. On vous coupe les jambes, comme on fait avec le pied de canne, et la tête, comme on fait avec l’amarre de la canne. Vous serez sans pieds, sans tête. »

 Date : vendredi 19 mai 1848 - Lieu : Habitation Laguigneraye (Robert) - Contexte : Le béké Laguigneraye essaie de renvoyer tous ses esclaves qui ne veulent plus obéir. 

En réponse à une question posée par Emmanuel Clément à propos du jeudi 18 mai 1848 (« Comment cette histoire a-t-elle finie ? ont-ils pu tenir jusqu'à l'abolition ? »), il faut savoir que les esclaves de l’habitation Laguigneraye ont tenu bon jusqu’à la fin. D’ailleurs le lendemain vendredi 19 mai 1848, ils ont passé leur journée à diligenter des émissaires sur les habitations proches en vue d’une action commune. C’est ainsi qu’ils ont pu faire cesser le travail à l’habitation de Sanois sur les hauteurs de Trinité, mais également sur deux autres habitations de la région du François et une au Gros-Morne. Ce sont ces mêmes esclaves qui vont lancer une opération le 23 mai depuis le Robert en vue d’une descente sur Fort de France en passant par le Vert-Pré et le Lamentin, avec comme objectif final de rejoindre d’autres esclaves venant de Trinité et Gros-Morne (qui les attendraient sur les hauteurs de Redoute), tout cela pour aller libérer l’esclave Bouliki. 

Autre fait important en ce vendredi 19 mai, les esclaves de l’habitation Ste Philomène (habitation appartenant à Duchamp) vont passer leur journée à extraire des maniocs du jardin-nègre de Romain (Romain était un esclave de l’atelier), avec comme objectif d’organiser un « grage » le lendemain soir (samedi). Dans le 4ème volet de demain samedi, nous verrons comment cette opération de « grajage » des maniocs de Romain va être l’élément déclencheur des émeutes de la journée du lundi 22 mai 1848.


Josepha Luce

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