lundi, février 26, 2018

LA COURSE AU NID D’AIGLE…



Le 16 avril 1945, le Maréchal de l’armée rouge Gueorgui Joukov, met le siège autour de la ville de Berlin afin de porter le coup de grâce au 3ème Reich allemand. Il installera ainsi autour de la ville à laquelle les chefs nazis promettaient mille ans d’éclat, rien de moins que 41 600 canons, soit un tous les dix mètres, et 6 250 chars, pour mener la bataille décisive…!

Elle prendra fin au 2 mai 1945, après le suicide d’Adolf Hitler le 30 avril, la prise du Reichstag le 1er mai après la reddition des derniers défenseurs de la ville, par des soldats russes qui y hisseront le drapeau de l’Union soviétique, et surtout, après la mort de 92 000 soldats allemands et 81 200 soldats de l’armée soviétique…

Joseph Staline demandant que soit immortalisé l’événement, la prise du Reichstag sera rejouée le 2 mai devant les caméras et les appareils photos qui nous montrerons en gros plan, ces valeureux soldats russes hissant le drapeau soviétique sur les terrasses du Reichstag, et ces images fantastiques feront le tour du monde en consacrant ainsi dans les opinions, la victoire écrasante de l’Union Soviétique sur l’Allemagne nazie…

Cependant, les Américains ayant franchi le Rhin quelques temps auparavant, menaient au travers de l’Allemagne centrale une campagne victorieuse, facilitée par le fait que l’essentiel des forces allemandes demeurait engagé sur le front de l’est, pour faire face à une armée rouge dont la réputation terrifiante avait précipité sur les routes des millions de civils cherchant refuge vers l’ouest. Ceci, de sorte que les Américains ayant à faire face à moins d’opposition, auraient du logiquement parvenir les premiers à Berlin.

Mais, les accords de Yalta conclus le 11 février entre Roosevelt, Churchill, et Staline, prévoyaient que l’est de l’Allemagne à parti de l’Elbe, devait devenir une zone d’occupation soviétique, et c’est alors que trois jours après la mort du président Roosevelt qui entérina cet accord, le général commandant en chef des forces alliées, Eisenhower, fit exécuter cet ordre et imposa aux troupes américaines de s’arrêter sur l’Elbe. Ceci provoquera la colère du fameux général Patton, héros de cette guerre, et qui comme d’ailleurs tous les autres chefs militaires ayant combattu l’armée allemande, se serait volontiers vu arriver en triomphateur à Berlin, et qui l’aurait probablement été sans cet accord…

Cette raison d’état s’imposant à eux provoquera un grand mécontentement et une profonde frustration au sein de l’armée américaine, pour des soldats qui ne se sont pas battus pour se voir ainsi privés de l’événement qui aurait le mieux couronné leur sacrifice et eté le plus significatif de leur victoire, un triomphe à Berlin…

Il fallait absolument leur trouver une compensation pour qu’ils puissent bénéficier eux aussi d’un symbole puissant de leur valeur militaire, et c’est alors que passé la ville de Nuremberg, autre haut lieux du nazisme, qu’ils ont conquise, la préoccupation des militaires américains s’est portée sur la ville de Berchtesgaden qui, autour de la personnalité de Hitler qui y avait sa résidence d’été et y réunissait régulièrement les cadres du parti et les chefs militaires, était la plus symbolique après Berlin, de ce que fut le régime nazis…

Mais ils n’étaient pas les seuls, car les Français, profondément humiliés par la défaite de 1940 et qui avaient absolument besoin de se laver de cet affront, était en quête d’un éclat militaire pour pouvoir se réhabiliter, tant à leur propres yeux qu’à ceux du monde. Ainsi, pour les chefs militaires français, après la libération de Strasbourg selon le serment fait à Koufra par le général Leclerc et ses hommes, Berchtesgaden était le seul objectif ayant une grande valeur symbolique, qu’il leur était possible d’atteindre. Ceci, compte tenu de la zone où ils combattaient selon le dispositif des forces alliées sur le terrain, positionnés qu’ils étaient sur le flanc droit de ce dispositif, et ce, même si cette ville ne se situait pas dans la zone que les forces françaises devaient occuper par la suite…

C’est ainsi que sans avouer clairement leur objectif, ces deux armées pourtant alliées, vont se livrer à une course furieuse avec tous les coups bas permis, pour parvenir la première à Berchtesgaden…

Le course commence déjà sur l’autoroute qui mène de Munich à Salzbourg, chaque armée rendez-vous compte, progresse sur une des voies de l’autoroute de sorte que l’une d’elle emprunte celle-ci à contre sens. Et ceci, en prenant le risque de laisser de dangereuses poches de résistance sur leur arrière, et au milieu de colonnes de dizaines de milliers de prisonniers allemands qui font route dans l’autre sens, de chaque coté de cette autoroute…

Les Américains ont une pointe d’avance et le premier incident va survenir au point de passage de la rivière Paar dont le pont a été détruit par les Allemands. Les Américains vont y installer un pont grâce à leur génie, mais quand les premiers soldats français arrivent, ils se voient fermement refuser le passage sur ce pont. L’incident va alors opposer un général américain à la carrure et au facies de catcheur, le général O’ Daniel, au général français Leclerc. Lorsque ce dernier viendra s’inquiéter auprès de lui de la raison pour laquelle il refuse le passage aux soldats français, loin d’avouer sa volonté de parvenir le premier à Berchtesgaden, il argumentera que les Français ne se situent pas exactement sur la route qui leur était assignée, ce qui était vrai, et que de toutes les façons ce pont avait été construit par eux et que les soldats français ne l’emprunteraient qu’après le passage du dernier américain.

L’altercation fut violente, les deux hommes se gratifiant mutuellement de noms d’oiseau que l’interprète aura la sagesse de ne pas traduire. Lorsque les Français peuvent enfin passer, les Américains ont une bonne avance vers l’objectif que malheureusement pour eux, ils ne connaissaient pas bien. Car il existe en réalité trois niveaux à Berchtesgaden, la ville elle-même qui se situe à 300 m d’altitude, et que les Américains y parvenant les premiers, pensent être l’objectif et s’y arrêtent. Mais les véritables objectifs militaires et symboliques sont en fait tout d’abord l’Obersalzberg avec le Bergoff, situé plus haut à 900 m d’altitude, un véritable sanctuaire nazi qui était le quartier résidentiel d’Hitler et des hauts dignitaires du régime. Il disposait d’importantes installations souterraines, et se trouvait encadré par des casernes de SS. Hitler et ces dignitaires s’y réunissaient régulièrement depuis 1928, et c’est là qu’ils ont pris en séminaire, un bon nombre des décisions les plus importantes.

Enfin, il y a surtout le Khelstein, le fameux “nid d’aigle”, situé à 1800 m de hauteur sur un pic rocheux, plus symbolique encore par rapport à la personnalité mégalomaniaque de Hitler qui devait avoir ainsi le sentiment d’atteindre les cieux, là où il recevait les plus intimes de ses proches, là ou ses rêves de puissance et de domination trouvaient un cadre grandiose adapté pour leur entretien, d’autant qu’il s’agit d’un endroit d’accès particulièrement difficile si on ne peut utiliser le tunnel conduisant à un ascenseur permettant de l’atteindre 120m plus haut…

Les Américains ont donc emprunté la route qui mène à la ville de Berchtesgaden où ils vont s’arrêter un moment avant de prendre conscience que tel n’est pas le véritable objectif. Les français se lançant après eux à marche forcée, en ne respectant donc aucune des consignes habituelles de pause et de vitesse, parviendront seulement quelques heures après, à la gare de Berchtesgaden. C’est alors qu’un officier, le capitaine Touyeras qui, ayant été fait prisonnier en 1940, avait été embarqué dans un train d’où il se souvenait d’avoir aperçu l’Obersalzberg, suggéra au général Leclerc d’emprunter cette voie pour pouvoir accéder plus directement au site qui est éloigné de la ville même, pour le cas où les américains n’y seraient pas encore.

C’est ainsi qu’en compagnie du brigadier Borg, à bord d’une Jeep équipée d’une mitrailleuse, ils prennent la voie ferrée pour tenter de parvenir les premiers à l’Obersalzberg. Quelle ne fut pas leur surprise lorsque dans un tunnel ils découvrent à l’abri dans celui-ci, le fameux train d’Herman Goering, remplis de tableaux et d’œuvres d’art d’une valeur inestimable, pillés dans tous les pays ayant subi l’occupation allemande, et de documents techniques sur les V1 et les V2 qui vont être transférés à Paris.

Quittant ensuite la voie ferrée, ils vont emprunter une route très sinueuse conduisant à l’Obersalzberg, en constatant qu’il n’y a aucune trace d’une quelconque présence américaine. Ils rencontrent alors une colonne d’une trentaine de jeunes des jeunesses hitlériennes auxquels ils font jeter leurs armes dans le ravin et dont ils apprennent qu’il n’y a personne là haut.

Parvenus devant la porte du bâtiment déjà considérablement dégradé par les bombardements, ils se signalent par deux rafales. Un soldat allemand apparait en brandissant un immense drapeau blanc. Pour se protéger, ils le font s’assoir sur le capot de la Jeep et se rendent jusqu’au poste de garde pour sommer les derniers hommes qui s’y trouvaient encore, de se rendre. Ils étaient 45 et se tenaient parfaitement alignés au garde à vous, mais n’opposèrent pas de résistance, comprenant bien qu’après la chute de Berlin, tout était fini pour eux…

Nos deux gaillards demandent alors du renfort et reçoivent curieusement l’ordre de venir chercher la section, malgré leurs prisonniers. Ils redescendent non sans avoir rendu le chef de ceux-ci chef responsable sur la vie de ses hommes, et ils auront la grande surprise de constater en revenant 1h 30 plus tard avec la section, qu’il n’en manquera pas un seul.

C’est lors de leur deuxième descente qu’ils croisent une colonne d’américains avec des chars, qui visiblement vexés de ne pas être les premiers, les arrête carrément d’une façon très brutale en feignant de ne pas comprendre qui ils sont, avant de finalement les relâcher, ce qui entrainera une seconde explication houleuse entre les chefs.

Félicités par le général Leclerc, celui-ci les envoie dès le lendemain en compagnie du fameux régiment de marche du Tchad qui faisait alors partie de la 2ème division blindée, mais qui se trouvait déjà privé des fameux “tirailleurs” qui avaient été libérés depuis la France, à l’assaut du nid d’aigle où ils ne rencontreront pas de résistance, et où ils planteront à 17h le drapeau français au travers d’une baie…

Il s’en est donc fallu de peu que le sanctuaire d’Hitler ne soit investi par des tirailleurs, ce qui aurait été encore plus spectaculaire, et plus symbolique…

Jusqu’à ce jour la controverse demeure entre Français et Américains qui se réclament comme étant les premiers à être parvenus au sanctuaire d’Hitler. Ces derniers ont même fait un film où ils vantent la bravoure des soldats américains à la conquête de celui-ci, ce qui n’a aucune vérité, puisqu’il ne se trouvait plus un seul soldat allemand dans les lieux quand ils y sont parvenus, et leur préoccupation essentielle fut alors de s’y prendre en nombreuses photos, afin de diffuser celles-ci à travers le monde à la façon dont les Russes l’avaient fait à Berlin…

Richard Pulvar

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