mardi, septembre 01, 2009

Des patronymes lourds à porter


Le 23 août 1791, Toussaint Louverture, esclave affranchi, mène l'insurrection des esclaves de l'île de Saint-Domingue. Pour se remémorer cette date, l'Unesco a déclaré en 1998 le 23 août Journée nationale du souvenir de la traite négrière et son abolition.

218 ans après ce soulèvement précurseur de l'abolition de l'esclavage, Karfa Diallo, président de l'association DiversCité à Bordeaux, interpelle les maires et élus de quatre villes concernées par le commerce triangulaire : Bordeaux, La Rochelle, Nantes et Le Havre.

Selon Karfa Diallo, à La Rochelle quatre sites seraient à débaptiser : les rues Admyrault, Giraudeau, Fleuriau et le square Rasteau.

Une apologie de crime

« Ce serait une initiative de justice urbaine, selon Karfa Diallo. Aujourd'hui l'esclavage est reconnu comme un crime contre l'humanité [depuis la loi Taubira du 21 mai 2001 NDLR]. Mais si la loi existe, elle n'a connu aucune traduction juridique. En débaptisant les rues aux noms de négriers, ce serait chose faite. »

Pour l'association DiversCité, maintenir ces noms en haut de nos rues constitue même une apologie de crime contre l'humanité, décrit comme « l'éloge fait en public ou par la voie de presse de certains agissements légalement qualifiés de crimes, déjà accomplis ou susceptibles de l'être ».

Juste réparer un oubli

Si débaptiser est impossible, Karfa Diallo demande au minimum d'installer une plaque expliquant le passé des armateurs. « Nous ne voulons condamner personne, juste réparer un oubli, indique- t-il. À l'époque où ces plaques ont été apposées, l'histoire était très peu connue des citadins. Les gens n'avaient pas grande connaissance des droits humains. »

Le cas Fleuriau

Or, aujourd'hui, les choses ont changé et Karfa Diallo estime ces plaques « choquantes ». N'hésitant pas à comparer les armateurs aux nazis.

« C'est comme si aujourd'hui on décidait de nommer nos rues Goebbels ou Goering », explique-t-il.

Rue Fleuriau, la question prête déjà à confusion. Car, si au XVIIIe siècle, le père, Aimé-Benjamin, fut bien armateur, son fils, à qui la rue est dédiée, était botaniste. Quant au Giraudeau qui a donné son nom à un square à Tasdon, c'est Louis, le conservateur des Beaux-Arts et non Pierre, le négociant, d'ailleurs ancêtre de l'acteur. Seuls le Rasteau du square (Pierre-Isaac) et l'Admyrauld de la rue furent réellement des armateurs vivant du commerce triangulaire.

Pour Karfa Dialo, peu importe la génération, seul compte le nom. « Le commerce des hommes a fait la fortune non d'un seul homme mais de toute une famille », explique Karfa Diallo. Mais Josy Roten, présidente de l'association rochelaise Memoria Esclavage, ne partage pas cette opinion. Selon elle, « les enfants ne sont pas forcément responsables des actes de leurs parents ».

« Ce n'est pas une priorité »

« S'attaquer aux noms de rues est délicat, il faut mener une réflexion, prévient Josy Roten. La seule chose qu'il reste à faire est de nommer d'autres rues du nom de héros de la lutte contre l'esclavage, comme Toussaint Louverture, ou des abolitionnistes connus. »

D'autant que, pour l'historienne, « les noms de rues font partie de la construction d'une mémoire collective à un moment donné. Selon elle, les noms de rues ne sont pas une priorité. « Le plus urgent reste de créer des lieux de mémoire, des monuments qui montrent le parcours de l'esclave, sa révolte. L'esclave n'a pas seulement été victime, il a été un héros, un homme. Pas seulement un objet. »

Une pétition a été lancée

Pour le moment, aucun des maires contactés n'a réagi. Une pétition a également été lancée. Diallo espère collecter près de 10 000 signatures à Bordeaux. « Que nous remettrons au maire de la ville le 10 mai prochain. »

À la rentrée, Karfa Diallo ira à la rencontre des élus, afin de les persuader d'inscrire la question à l'ordre du jour d'un prochain Conseil municipal.

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