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dimanche, novembre 29, 2009
Brissot, « médiocre Méphistophélès de la Gironde »
1754-1793. Grand admirateur de la révolution américaine et de l’Angleterre, fortement influencé par Adam Smith et les penseurs libéraux de l’époque, Jacques-Pierre Brissot a voué une haine sans bornes à Robespierre et aux sans-culottes parisiens. Sous son inspiration, les Girondins prôneront une République fédérale et commerciale.
Le 15 janvier 1793, la Convention déclare Louis XVI coupable de tous les chefs d’accusation relevés à son encontre. Deux jours après, les députés de la toute jeune République française votent la mort sans sursis. À l’annonce du verdict, celui qui n’est plus que Louis Capet depuis que, le 21 septembre 1792, la royauté a été abolie en France murmure avec amertume : « Je croyais que M. Brissot m’aurait sauvé. » Non seulement l’intervention de Jacques-Pierre Brissot, dit de Warville, n’évite pas la guillotine à Louis XVI, mais elle contribue à précipiter sa perte et celle de ses amis, qui passeront à la postérité sous l’appellation de Girondins. Mais, en 1792-1793, pamphlets, libelles et journaux font référence à ce courant révolutionnaire en utilisant le terme de Brissotins. C’est dire l’influence qu’a Jacques-Pierre Brissot.
Dans ses Mémoires, rédigés en prison avant son exécution, le 31 octobre 1793, il écrit : « Je suis né en 1754, le 14 janvier, dans la ville de Chartres. J’étais le treizième enfant de ma famille, et ma mère en eut encore quatre après moi. Mon père était traiteur et, comme lui, tous ses parents avaient eu la réputation de probité. » Il ajoute : « Je touche à cet âge où Rousseau fit un examen général de sa vie passée et de toutes ses connaissances, et se fixa un plan de conduite qu’il put suivre jusqu’à sa mort. Je vais imiter Rousseau. » Comme de nombreux révolutionnaires de son temps, Brissot voue un véritable culte à Rousseau et aux Lumières. Mais, chez lui, cela se double également d’une profonde admiration pour l’Angleterre, ainsi que pour la jeune République américaine. Il séjourne d’ailleurs dans ces deux pays, ne rentrant précipitamment d’Amérique que lorsqu’il apprend la convocation des États généraux de 1789. Brissot est un touche-à-tout dont la capacité d’écriture est surprenante. Au milieu des années 1770, il commence un ouvrage intitulé une Théorie des lois criminelles, dont il adresse la préface à Voltaire. Le grand philosophe lui répond par une lettre encourageante et flatteuse. Plus tard, il rencontre Simon-Nicolas-Henri Linguet, auteur des Annales, qui le charge de quelques articles pour le Mercure et lui fait découvrir sa passion pour le journalisme. Mais Brissot s’intéresse également à la science et se lie d’amitié avec un jeune médecin passionné par les disciplines scientifiques, qui n’est autre que Jean-Paul Marat. Dans ses Mémoires, Brissot consacre de longues pages à brosser un portrait au vitriol du rédacteur de l’Ami du peuple dont les diatribes enflammées contre ceux qu’il appelait péjorativement « les hommes d’État » ont largement contribué à la journée du 2 juin 1793, entraînant la chute des Brissotins. Toujours dans ses Mémoires, Brissot assure avoir rencontré Robespierre au début des années 1770, alors qu’ils étaient tous deux jeunes avocats. Une anecdote invérifiable qui permet surtout à Brissot de cracher sa haine de l’Incorruptible. Il le décrit comme « ignorant, étranger à toutes les sciences, incapable d’idées, incapable d’écrire, il était parfaitement propre pour le métier de la chicane. Les années ne l’ont point changé, et [je] suis encore à concevoir comment un tel individu exerce une influence si grande et si fatale sur le sort de notre liberté ». Brissot ne tient pas un tel langage en 1791. Dans le Patriote français, journal qu’il avait fondé en juin 1789, il vante alors « l’inflexible logique de Robespierre ». Mais les deux hommes sont encore dans le même camp.
Brissot est un révolutionnaire convaincu. Plus, il fait partie de ces rares hommes qui, dès 1789, se disent républicains. Le 14 juillet 1789, c’est à lui que les vainqueurs de la Bastille remettent les clefs de cette forteresse dans laquelle il a fait un séjour de quelques semaines en 1784.
Brissot s’est forgé sa conception de la république et de la démocratie idéale à partir de ses lectures, de ses voyages à Londres et en Amérique, mais également grâce à des rencontres. Notamment celle d’Étienne Clavière, dont il dit dans ses Mémoires qu’il lui doit son « éducation en matière de républicanisme ». Clavière est un financier suisse qui a participé à la révolution de Genève en 1782. Une révolution avortée à la suite de l’intervention des forces du roi de France. Contraint à l’exil, Clavière devient l’un des spéculateurs de la place de Paris. C’est avec lui que Brissot découvre l’économie et la finance, et qu’il fonde en 1787 la Société des amis des Noirs. L’abolitionnisme des deux hommes repose autant sur des bases morales que sur des conceptions économiques, celles du « profond Smith ». Ils sont convaincus que l’esclavage non seulement viole la liberté civile et les exigences des « moeurs vertueuses », mais qu’il est également moins rentable que la main-d’oeuvre libre. Grâce à la pression de Brissot et des Brissotins, Clavière devient, en mars 1792, ministre des Contributions et Revenus publics dans le premier gouvernement girondin. Brissot et Clavière tentent de mettre en oeuvre une politique inspirée des principes de Smith, et de faire de la France « une société commerciale unie et prospère » ayant « une Constitution en accord avec ses objectifs ».
C’est dès l’année 1791 que les désaccords apparaissent entre les futurs Montagnards et les Girondins. Après la fuite à Varennes et le massacre du Champ-de-Mars, Danton et Marat sont en fuite. Robespierre, qui avait proposé et obtenu que les députés sortants de la Constituante ne puissent être élus à l’Assemblée législative, se trouve sans mandat. Il se replie sur la Commune de Paris et sur le club des Jacobins, affaibli depuis le départ des Feuillants. Brissot, élu député, gagne encore en influence. Pour contrer les Feuillants, favorables à la monarchie, qu’il soupçonne de comploter avec l’Autriche, Brissot pousse à la guerre, persuadé que les sujets de Léopold d’Autriche prendront le parti de la Révolution. À quoi Robespierre répond : « Personne n’aime les missionnaires armés (…). La guerre fait le lit du despotisme. »
Mais si Brissot veut cette guerre, Louis XVI la veut tout autant. Le 23 mars 1792, les Brissotins Roland et Clavière entrent au gouvernement ; le 20 avril, la France déclare la guerre à l’Autriche. Une guerre que le roi fait tout pour perdre, notamment en opposant son veto aux lois adoptées. Le 13 juin, il renvoie les ministres girondins. Le 20, le peuple, conduit par les « chefs » girondins, envahit les Tuileries, réclamant le retour des ministres et l’acceptation de plusieurs décrets auxquels le roi a mis son veto. Louis XVI accepte de se coiffer du bonnet phrygien mais ne cède pas. C’est le 10 août, sous l’influence de Robespierre et de Danton, que la commune insurrectionnelle de Paris et les bataillons de fédérés marseillais et bretons prennent les Tuileries. Paris, Danton et Robespierre ont réussi là où ont échoué les Brissotins. De cet épisode, Brissot tire une certitude : la nécessité de réduire l’influence politique de Paris. Les massacres de septembre renforceront chez lui cette conviction d’une commune insurrectionnelle incontrôlable, aux mains de ceux qu’il nomme désormais les « anarchistes ». Sous son influence, la Gironde se lance dans une lutte acharnée pour réduire Paris à « un 83e d’influence, comme chacun des autres départements » et développe un modèle de République inspiré de la Suisse et de la révolution américaine. Pour réduire Paris, Brissot propose la création d’une force armée issue des 83 départements français. Brissot et ses amis demandent également la mise en accusation de Robespierre et de Marat, coupables, selon eux, de vouloir installer une dictature. Devant les députés, l’Incorruptible prend la parole et réduit à rien les accusations brissotines. « L’ami du peuple » est déclaré innocent par le tribunal révolutionnaire. L’étoile de Brissot pâlit à Paris. Sa demande de surseoir à l’exécution de Louis Capet et la trahison de Dumouriez achèvent de le déconsidérer aux yeux des sans-culottes parisiens. D’autant que Brissot refuse obstinément toutes les mesures proposées par la Montagne pour réglementer les prix du grain et limiter la spéculation. Selon lui, les ennemis de la Révolution sont ceux « qui veulent tout niveler, les propriétés, l’aisance, le prix des denrées, les divers services à rendre à la société ». Comme l’écrit Robespierre, Brissot et les siens « ne veulent constituer la République que pour eux-mêmes » et « n’entendent gouverner que dans l’intérêt des riches et des fonctionnaires publics ».
Le 31 mai et le 2 juin 1793, les sections parisiennes et les représentants de la Commune de Paris soutenus par la garde nationale cernent la Convention et exigent que celle-ci mette en accusation 29 députés girondins, dont Brissot. Il sera condamné à mort le 9 brumaire et exécuté le 10 brumaire de l’an II (31 octobre 1793). Jean Jaurès écrira à son propos que ce « médiocre Méphistophélès de la Gironde » n’était qu’ « un esprit remuant et brouillon, plein d’une haute idée de lui-même ».
Stéphane Sahuc
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