L'histoire et la sociologie de la caraïbe, des antilles et du monde noir. Naviguons dans le passé de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Réunion et de l'Afrique
dimanche, janvier 31, 2010
Histoire : “Sans connaissance, on peut dire n’importe quoi”
Auteur l’an dernier des “Enjeux politiques dans l’histoire coloniale”, le professeur Vidrovitch, spécialiste de l’Histoire africaine à l’Université Paris 7 sera à la Réunion la semaine prochaine. Entretien téléphonique en amont.
Pourquoi vous êtes vous consacrée à l’Afrique ?
Catherine Coquery-Vidrovitch : “C’est très conjoncturel, très politique. En 1960, j’avais choisi de faire ma thèse d’Etat sur Paris au XVe siècle. Un professeur m’a fait remarquer qu’il serait bien ardu de passer ma vie sur un sujet pareil. On était en pleine guerre d’Algérie. Mon mari, géographe et sursitaire, a été envoyé à Oran. Je l’ai rejoint comme prof de lycée et j’ai découvert un univers superbe, des gens attachants (j’étais jeune et anticolonialiste). Alors quand j’ai rencontré l’historien Henri Brunswig qui recrutait une assistante pour l’Institut des Hautes Etudes Politiques sur les questions africaines, un sujet bien vivant, je n’ai pas hésité et je ne regrette pas d’y avoir consacré ma vie plutôt qu’au XVe siècle !
Quels liens développez-vous avec la Maison des civilisations ?
J’ai découvert cette association MCUR, que je ne connaissais pas, parce que je participe depuis la loi Taubira à la vulgarisation scientifique, notamment auprès des lycéens pour expliquer l’histoire de l’esclavage, tabou total avant cela dans l’enseignement scolaire français. Je suis très interpellée depuis 2000 par la violence et l’inefficacité des disputes françaises à propos de l’histoire coloniale et cette façon de vouloir peser le bon et le mauvais, qui est tout le contraire de ce que préconise le métier d’historien, dégagé de tout problème moral. J’avais croisé Madame Vergès, que je ne connais pas personnellement, dans différentes conférences et j’ai apprécié son travail, la façon dont elle pose les questions. Sans être toujours d’accord avec elle ! C’est important dans mon métier.
Vous participez au comité scientifique de la MCUR ?
Non. J’ai accepté cette invitation parce que ce qui m’intéresse c’est raconter. Et les épisodes qui concernent la Réunion sont au cœur de mes préoccupations. L’histoire est une scène humaine et sociale, située dans le temps et dans l’espace. La culture française résulte des héritages multiples qui se sont mêlés dans un passé complexe et cosmopolite où le fait colonial a joué et continue de jouer son rôle.
Vous êtes au courant de la controverse qui oppose ici certains historiens au contenu du programme scientifique de la MCUR ?
Non, je ne suis pas au courant. Je sais d’ailleurs peu de chose sur ce projet. J’imagine que j’en prendrai connaissance sur place. Mais être en désaccord, c’est assez fréquent entre historiens. C’est ce que j’appelle l’intersection délicate entre la mémoire, l’histoire et le politique. La mémoire varie selon les individus, les collectivités, les générations. Les points de vue peuvent changer mais la rigueur scientifique veut que l’on avance que des faits démontrés. L’historien a comme fonction de tout étudier sans tabou. Il n’est pas un moraliste. Des faits se sont produits et ont entraîné des conséquences complexes dont on ne peut dire s’ils sont négatifs ou positifs. J’étudie tout ça. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir mon avis en tant que citoyenne. L’important pour les historiens, c’est de pouvoir se rencontrer, s’entendre, ne pas travailler l’un contre l’autre, mais apporter chacun sa petite pierre. Tout est si compliqué.
De quoi allez-vous parler aux scolaires la semaine prochaine ?
Aux plus jeunes, j’expliquerai l’Afrique avant la colonisation et aux grands, je parlerai de la colonisation et de la décolonisation. J’aime ces rencontres qu’impose la loi Taubira. Elle se fonde sur l’idée que sans connaissance, on peut dire n’importe quoi.
Et sur quoi va porter votre conférence publique ?
Je vais essayer de retracer la longue histoire de l’Afrique sub-saharienne, comme on dit aujourd’hui à l’instar des Anglo-saxons, pour parler avec neutralité d’une zone géographique qui était essentialisée, auparavant, par un trait physique, l’Afrique Noire. J’aborderai les grandes étapes de cette histoire, mondialisée depuis les origines à la dimension des mondes successifs jusqu’à l’arrivée de notre monde global d’aujourd’hui. L’histoire de l’humanité est partie de là. L’Afrique a donné de grandes expansions de population internes (exemple : celle du peuple de langue bantoue répandu en deux ou trois millénaires sur le continent). Elle a connu la conquête qui a focalisé une partie de l’héritage africain autour de la Méditerranée ; l’arrivée des arabo-musulmans qui ont créé un choc durable transformant le continent ; les traites négrières... L’esclavage, entre Atlantique et océan Indien, a placé l’Afrique au centre du monde économique comme l’avait déjà fait l’or, au Moyen Âge, et plus tard, l’essor économique partant d’Angleterre, gros consommateur d’oléagineux, notamment, et puis la colonisation. Une suite d’événements en rapport avec l’extérieur du continent qui, pour autant, a continué à avoir une vie intérieure dans chacun de ses 65 états indépendants... Au total, une histoire extrêmement longue, chahutée, complexe, au synchrétisme à la fois culturel et religieux.. Pas juste une Afrique Noire qui vit dans la tradition, préjugé présent dans la tête de bien de mes concitoyens.”
Propos recueillis par Marine Dusigne
L’Afrique au cœur des mondialisations dans l’Histoire”. Conférence publique de Catherine Coquery-Vidrovitch le 5 février à 18h à l’hémicycle Pierre Lagourgue, Hôtel de Région, Saint-Denis.
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