L'histoire et la sociologie de la caraïbe, des antilles et du monde noir. Naviguons dans le passé de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Réunion et de l'Afrique
mardi, avril 06, 2010
Mauritanie : une arabité en question
La récente déclaration du Premier ministre mauritanien, Moulaye Ould Laghdaf, qui vise à faire de la langue arabe un instrument d’échange et de travail au sein de l’administration mauritanienne, a rouvert la boîte de Pandore en Mauritanie.
Des propos de la ministre de la culture vont dans le même sens. Selon elle, « les langues nationales font obstacle à l’émergence de l’arabe.» Ce qui peut nous faire penser qu’il s’agit d’une stratégie de communication visant à préparer l’opinion publique et à mesurer les rapports de forces en jeu.
Depuis cinquante et an, c’est à dire depuis la veille des indépendances africaines et jusqu’à nos jours, la question de la place de l’arabe en Mauritanie empoisonne la vie politique, culturelle et sociale.
Les constitutions du 22 mars 1959 et du 20 mars 1961 stipulent que la langue nationale est l'arabe et que la langue officielle est le français _article 3 de la Constitution de 1961_. On voit, déjà, qu’à l’aube et aux premières heures de l’indépendance du pays, les autres langues parlées par les populations vivant sur le sol mauritanien sont exclues d’une portée nationale par la loi fondamentale, car seul l’arabe est considéré comme langue nationale. Les populations noires auraient dû voir là les habiles premières manœuvres d’Ould Daddah et ses comparses en vue de faire de la Mauritanie un pays arabe. Mais le fait que l’arabe soit la langue du Coran, étudié par les couches noires du pays, a peut-être participé à chloroformer les esprits.
Le génie de Moktar Ould Daddah a été d’avoir, très tôt, su trouver un discours anesthésiant la vigilance de Noirs. A la veille et au début de l’indépendance, le premier Président mauritanien, dans ses divers discours, a affirmé le caractère composite, multiethnique de la Mauritanie et s’était engagé à le respecter. Il a aussi souvent affirmé que la Mauritanie était un trait d’union entre le Maghreb et l’Afrique noire, enracinée dans l’Islam et ouverte à l’Occident.
Par ce discours séduisant, il a pu obtenir une certaine confiance de la part de la communauté noire mais aussi de la France, d’autant plus qu’il était marié à une femme d’origine française.
La confiance de la communauté noire ne durera pas longtemps. Moktar Ould Daddah va s’appuyer sur la féodalité négro-africaine pour gouverner et continuer à manœuvrer.
Une analyse pointilleuse nous permet de nous rendre compte que tous les discours du premier Président de la Mauritanie n’étaient que des lénifiants, car le processus d’arabisation va rapidement commencer, à petites doses. Les propos du Premier ministre actuel s’inscrivent dans le cadre de la même stratégie : arriver à faire de la Mauritanie un pays arabisé, à grande échelle, à petit pas et d’une manière subtile. [Les différentes étapes de l’arabisation en Mauritanie sont décrites par Ambroise Queffélec UMR 6039 (CNRS) Université de Provence Bah Ould Zein Université de Nouakchott dans un article qui s’intitule : LA "LONGUE MARCHE" DE L'ARABISATION EN MAURITANIE que l’on peut lire sur Internet.]
Le problème relatif aux questions linguistiques, en Mauritanie, vient du fait que la politique qui est jusque-là menée est fondée sur des mensonges et des négations identitaires. Il y a peut-être, dans la volonté de faire de la Mauritanie un pays arabe, en dehors des rapports de domination d’une entité sur d’autres, quelque chose de pathologique, de névrotique.
Pourquoi pathologique ou névrotique ?
Le cas du Soudan et de la Mauritanie est intéressant à analyser. Les dirigeants de ces deux pays se réclament d’une arabité maladive. On retrouve des points communs dans les pratiques politiques dans les deux Etats : la négation des droits d’une partie de la population, la négation de soi, la violence.
La population mauritanienne est loin d’être majoritairement arabe. Au contraire les Arabes sont une minorité.
« Pour People Group (2007, le hassanya (dialecte qui résulte d’un mélange d’arabe, de berbère et des langues négro-africaines Ndlr)serait parlé par 76,9 % de la population, puis le poular par 14 % (275 888), le tamasheq par 4 % (78 287), le soninké par 2,8 % (56 323) et le wolof par 0,6 % (13 439). 1
Ethnie Langue Population Pourcentage
Bambara bamanankan 17 617 0,9 %
Maures (Noirs) hassanya 811 608 41,4 %
Fula Macina poular 6 333 0,3 %
Fulbe Futa Toro poular 26 096 1,3 %
Jola jola-fogny 3 000 0,1 %
Maures hassanya 696 631 35,5 %
Soninké soninké 56 323 2,8 %
Tamasheq tamasheq 78 287 4,0 %
Toucouleurs poular 243 482 12,4 %
Wolofs wolof 13 439 0,6 %
Zenaga zenaga 6 763 0,3 %
1 959 579
»
Il est difficile d’avoir des statistiques fiables en Mauritanie. Mais, ce tableau nous permet de confirmer nos propos. Les Arabes hassan sont une minorité. Dans le groupe dit Maure qui représente 35, 5% de la population totale qui parle l’Hassanya, une bonne majorité est d’origine berbère. Le calcul est donc vite fait. Le reste qui serait d’origine arabe est donc une minorité parmi la population mauritanienne. Certains avancent que le nombre personnes d’origine arabe au sein de la population maure ne dépasserait pas 20 %. Si cette hypothèse est vraie, les Mauritaniens d’origine arabe ne seraient qu’entre 7% et 8% de la population totale.
Il y a lieu d’analyser la volonté d’arabiser ou d’islamiser leur pays de ceux qui se disent arabes en Mauritanie et au Soudan.
Le regard méprisant de l’Arabe sur le Noir vient de temps très anciens. Mais il nous semble que le cas de la Mauritanie et du Soudan introduit une autre dimension. « Historiquement l’Arabe a toujours sous-estimé le Noir. […], il est impossible d'ignorer la dimension religieuse et raciste de la traite. Punir les mauvais musulmans ou les païens tenait lieu de justification idéologique à l'esclavagisme : les dirigeants musulmans d'Afrique du Nord, du Sahara et du Sahel lançaient des razzias pour persécuter les infidèles : au Moyen Âge, l'islamisation était en effet superficielle dans les régions rurales de l'Afrique. Les lettrés musulmans invoquaient la suprématie raciale des Blancs, qui se fondait sur le récit de la malédiction proférée par Noé dans l'Ancien Testament (Genèse 9:20-27). Selon eux, elle s'appliquait aux Noirs, descendants de Cham, le père de Canaan, qui avait vu Noé nu (une autre interprétation les rattache à Koush, voir l'article). Les Noirs étaient donc considérés comme « inférieurs » et « prédestinés » à être esclaves. Plusieurs auteurs arabes les comparaient à des animaux. Le poète Al-Mutanabbi méprisait le gouverneur égyptien Abu al-Misk Kafur au Xe siècle à cause de la couleur de sa peau. Le mot arabe abid qui signifiait esclave est devenu à partir du VIIIe siècle plus ou moins synonyme de « Noir ». Quant au mot arabe zanj, il désignait de façon péjorative les Noirs. Ces jugements racistes étaient récurrents dans les œuvres des historiens et des géographes arabes : ainsi, Ibn Khaldoun a pu écrire au XIVe siècle : « Les seuls peuples à accepter vraiment l'esclavage sans espoir de retour sont les nègres, en raison d'un degré inférieur d'humanité, leur place étant plus proche du stade de l'animal » À la même période, le lettré égyptien Al-Abshibi écrivait « Quand il [le Noir] a faim, il vole et lorsqu'il est rassasié, il fornique. ». Les Arabes présents sur la côte orientale de l'Afrique utilisaient le mot « cafre » pour désigner les Noirs de l'intérieur et du Sud. Ce mot vient de « kāfir » qui signifie « infidèle » ou « mécréant. » 2
Si l’Arabe a toujours sous-estimé le Noir, on peut aussi se demander s’il n’y pas un autre problème en Mauritanie et au Soudan. La relation de l’ ‘‘Arabe’’ de Mauritanie et du Soudan au Noir ne serait-elle pas affectée d’une névrose liée au complexe de l’‘‘Arabe’’ de Mauritanie et du Soudan qui tient à prouver, à tout prix, son arabité, qu’il ressent, inconsciemment, parfois de second degré ou usurpée.
La plupart des ‘‘Arabes’’ du Soudan n’auraient-ils pas, au fond d’eux, un complexe lié à la noirceur de leur peau qui les pousserait à être aveugles dans leur relation à leur arabité. Ne tenteraient-ils pas de faire oublier de leur noirceur de peau, supposée « infériorisante».
Les Hassan sont des arabes chassés d’Arabie qui ont sillonné de nombreux territoires avant de se poser en Mauritanie. Ces expulsés de leur terre ont fini par dominer les Berbères qu’ils auraient trouvés sur place et à qui ils auraient imposé leur langue. Ayant étant chassés d’Arabie et pas trop souvent considérés par le monde arabe, ne seraient-ils pas, inconsciemment, dans le besoin de s’affirmer.
Tout acharnement à affirmer son identité doit faire l’objet d’examen. Comme le disait Wolé Soyinka, le tigre n'a pas besoin de proclamer sa tigritude, il bondit sur sa proie. Le prix Nobel ne comprenait pas « pourquoi fallait-il gaspiller notre énergie dans de vaines rhétoriques alors que notre continent se débattait dans des problèmes politiques et économiques insurmontables ? La situation nécessitait que l'on agisse avant tout. »
Mais il dira plus tard : « ma réflexion sur la question de la négritude a beaucoup évolué à partir du moment où j'ai compris que la libération des Africains francophones passait nécessairement par l'affirmation de l'identité noire. Les Senghor, les Césaire, les Damas étaient les produits typiques de la colonisation française, qui, en voulant faire de l'élite noire des Français à part entière, ont déclenché ce mouvement de rébellion intellectuelle et poétique. On a assisté à un phénomène similaire dans les colonies portugaises où l'assimilation des autochtones était la politique officielle. Les Anglais, pour leur part, s'étaient toujours gardés de s'immiscer dans la vie culturelle de leurs sujets africains tout simplement parce qu'ils les croyaient incapables de s'adapter à la culture britannique, nécessairement supérieure. » 3
Le mouvement de la Négritude est né à partir du poids du regard de l’autre (Français) sur le Noir. En effet, pour le Français, le Noir était, ou est encore pour un certains nombre de Français, considéré comme un être inférieur au Blanc. Le Noir éduqué, parfois complexé, parfois révolté, a donc eu besoin de s’affirmer pour dire qu’il valait autant que le Blanc.
Pour ce qui est du Soudan et de la Mauritanie, nous pouvons penser qu’il s’agit de la même problématique. Les ‘‘Arabes soudanais et mauritaniens’’ ont une immense soif d’être reconnus comme arabes car nombreux sont parmi eux, ceux qui sont complexés par rapport au reste du monde arabe. Ce qui peut expliquer leur passion et parfois leur maladresse, leur aveuglement, dans leur tentative d’affirmation de leur « arabité ».
C’est ce besoin d’être reconnus par le monde arabe qui pousse les dirigeants « arabes ou arabo-berbères » de ces deux pays, à remuer ciel et terre pour affirmer l’arabité de leur pays au mépris de l’identité plurielle réelle de celui-ci. En plus de cette quête de reconnaissance, l’idée sous-jacente qui guide de nombreux Arabes mauritaniens et soudanais est que, dans leur imaginaire, être arabe valorise et rend supérieur au Noir.
En Mauritanie, les Berbères qui se déclarent arabes ne le sont pas puisqu’ils sont berbères. Ce qui peut expliquer leurs comportements. En Algérie, les Kabyles sont fiers de leur identité et se battent depuis des siècles pour qu’on la leur laisse, qu’on la respecte. Ils refusent d'être assimilés à des Arabes. Au Maroc, Les Berbères se sont battus pour leur identité et ils sont reconnus dans leur spécifité.
Depuis que la Mauritanie est indépendante, ce sont essentiellement des présidents d’origine berbère qui ont mené les politiques d’arabisation et qui ont, avec acharnement, œuvré pour que la Mauritanie soit reconnue comme appartenant au monde arabe. Il s’agit donc de personnes qui souffrent d’une négation d’eux-mêmes, de leur réelle identité. Une arabité complexée, morbide, qui se sent de seconde zone, qui doute d’elle-même, usurpée, conduit facilement à la violence. Les personnes porteuses d’une telle identité peuvent être dangereuses pour elles-mêmes et pour les autres car dans le déni d’elles-mêmes, elles sont facilement portées vers la cruauté. Elles peuvent aisément tuer l’autre qui semble être l’obstacle à la réalisation de leur fantasme ou objet de réalisation de leur fantasme [Le Noir est un être inférieur et donc à ne pas respecter, à dominer].
Le débat en Mauritanie serait facilité, sil n’y avait pas cette part d’ombre névrotique, s’il y avait moins de passions et un peu plus de clairvoyance. Car il y a les faits. Il y a l’histoire.
La population mauritanienne est composée de Wolofs, Bambaras, Soninkés, Berbères, Pulaars et d’Arabes. Voilà quelque chose qui est là, qui se pose comme objet. A partir de là, pour celui qui cherche l’équité, il doit se demander comment toutes ces populations peuvent vivre ensemble dans le respect mutuel.
Pour que des personnes différentes vivent ensemble pacifiquement, il faut que les droits de chacune d’entre elles soient respectés par les autres. Reconnaître l’identité de chaque Mauritanien ne peut être que source d’apaisement, de rapprochement, d’ouverture vers l’autre, de coopération.
Une fois cette étape franchie, se posent alors des problèmes d’ordre pratique. Comment faire pour que des ethnies différences cohabitent et travaillent ensemble.
Par rapport à ce que nous venons de dire, il est donc du droit de chaque Mauritanien de préserver son identité, s’il en a envie, donc d’apprendre sa langue maternelle, et il faudra en même temps trouver une langue de travail commune.
Là aussi, il faut essayer d’être objectif, lucide. Pourquoi vouloir faire de l’arabe la langue de travail ?
La langue arabe n’est pas la langue de nombreux Mauritaniens. Nous faisons la différence entre hassanya et arabe. D’autre part, l’arabe n’est ni une langue technologique avancée, ni une langue avancée des sciences exactes ou humaines ou à la pointe des connaissances moderne, ni fondatrice de la démocratie avancée et moderne. Alors soyons pratique, choisissons une langue étrangère performante pour nous développer et démocratiser, moderniser, humaniser. Il faut sortir des sentiments et de la politique politicienne, névrotique, aveugle et regarder les choses en face.
En choisissant une langue étrangère, tous les Mauritaniens sont égaux devant leurs chances. On peut recourir au français, à l’anglais. Il faudra aussi penser au chinois car il s’agit d’une langue qui pourrait jouer un rôle important sous peu.
Pour ce qui des langues maternelles, des études ont montré que lorsque l’enfant commence sa scolarisation par sa langue maternelle, puis intègre une langue étrangère, il est plus performant. Donc en Mauritanie, chacun peut commencer par sa langue maternelle puis intégrer par la suite la langue officielle choisie, ce qui permet à chacun de préserver un élément essentiel de sa culture et de s’ouvrir au monde.
Un système éducatif adapté et performant en Mauritanie aura nécessairement un coût important, mais les objectifs de progrès et de paix en valent la peine.
Parallèlement, un travail d’enrichissement des langues nationales (hassanya, bambara, wolof, soninké, pulaar) doit être réalisé, ainsi qu’un travail sur les cultures africaines. Il faut cependant sortir de leur folklorisation, telle qu’elle est parfois pratiquée actuellement dans les milieux Pulaars, Soninké, etc. Il s’agit d’œuvrer en vue de la renaissance des cultures africaines.
Pour conclure, nous dirons que malheureusement, l’histoire ne repose pas sur la raison mais sur des rapports de force. Il est donc essentiel que les populations noires et les forces progressistes imposent un rapport de force positif. Nous ne parlons pas de violence, nous parlons de rapport de forces. Une fois ce rapport de force établi, le dialogue peut s'ouvrir entre forces qui se respectent. Ce rapport de forces dépendra du sérieux des communautés noires, souvent victimes d’elles-mêmes, de leurs pratiques et attitudes. Il dépendra aussi de l’émergence d’une classe de Mauritaniens soucieux de paix et de justice.
Oumar Diagne
1 Ce tableau a été obtenu à la page Internet http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/afrique/mauritanie.htm
2 Lire Traite arabe in http://fr.wikipedia.org/wiki/Traite_arabe
Lire Tigritude contre négritude in http://www.jeuneafrique.com/article.php?idarticle=LIN25117tigriedutir0
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire