vendredi, juin 01, 2012

JETES DANS LES OUBLIETTES DE L’HISTOIRE


School of Francois de Troy (Toulouse) Portrait of A “Mulatto” Aristocrat in Armor France (c. 1680-1730) Oil on Canvas, 82.5 x 64.5 cm. via Christies
Son allure et sa tenue, tout comme le fait qu’il ait eu l’occasion et les moyens de se faire réaliser ce magnifique portrait, montrent d’évidence qu’il s’agissait d’un dignitaire de haut rang...

Pourtant, nous ne savons strictement rien de cet homme, ni son nom, ni de quelle origine était-il, ni quelle était sa fonction, ni même l’époque exacte qui fut la sienne, et s’il n’y avait eu la survivance de ce tableau, comme de nombreux autres pour en établir ainsi le témoignage, nous demeurerions encore totalement dans l’ignorance du fait que de nombreux hommes dits “de couleur”, ont animé depuis toujours, les différentes cours européennes.

Mais si les portraits ont survécu, par le fait que les tableaux possèdent par eux-mêmes de la valeur, il n’en fut pas de même de la mémoire de tous ces illustres, qui ne pouvaient compter que sur le bon vouloir de ceux qui les suivent, pour en entretenir le souvenir. Car, il vint une époque où parler de la valeur de certains nègres ou métis, s’inscrivait trop en faux, contre la propagande nécessaire pour que soit maintenue, malgré une contestation naissante, la déportation esclavagiste, et justifiées ensuite, les entreprises colonialistes.

C’est ainsi que, contrairement à ceux qui pensent que la conscience humaine poursuit immanquablement sa marche graduelle vers le progrès, celle-ci peut à certaines époques, comme cela semble hélas être le cas, pour notre époque actuelle, subir une terrible régression. Ce fut le cas, de la seconde partie du 17e siècle, à la fin du 19e siècle, période contenant pourtant celle dite des “lumières”, où allait se constituer graduellement et par ces nécessités, le “mythe du nègre”, comme n’étant qu’un animal, tout juste d’un niveau supérieur à celui du singe. Il fallait donc que les valeurs de nègres connues des époques anciennes, furent oubliées...

Bien sûr, malgré tout le zèle que mirent certains comme Gobineau et bien d’autres, tout au long du 19e siècle, dans la prétention scientifique de leurs théories racistes, les penseurs dans leur ensemble, n’allèrent quant même pas jusqu’à déclarer le nègre inférieur, mais considéraient tout simplement que leurs sociétés avaient été tenues à l’écart du train de l’histoire, et qu’il appartenait dès lors aux nations occidentales, de venir les atteler à nouveau à celui-ci.

Il sera très difficile, compte tenu de ce qu’en auront été les conséquences dramatiques, dans la redoutable époque coloniale, de faire admettre que cet argument possédait cependant, un fond de vérité, même si cela ne pouvait justifier bien sûr, les massacres et les atrocités, dont il fut le prétexte.

C’est d’ailleurs ce même argument qui fut repris, mais pour le coup, carrément hors de propos, et selon une formulation totalement maladroite, parce qu’elle ne concernait pas une période particulière de l’Histoire, mais prétendait en rendre compte dans son intégralité, en devenant fausse par le fait, il y a seulement quelques années, par un président de la république qui de toute évidence, répugnait à ouvrir les livres de cette Histoire à laquelle il faisait ainsi référence.

Il aura fallu rien de moins que deux guerres mondiales, une première où l’orgueilleuse métropole a du faire un appel désespéré à ces citoyens de seconde catégorie, afin de son salut, et une seconde où, si promptement et piteusement vaincue sur son propre territoire, elle n’a du de pouvoir s’assoir à la table des vainqueurs, que parce qu’elle avait pu reconstituer une armée à partir de son empire, grâce au ralliement d’un de ses illustres représentants, le gouverneur Eboué, pour que l’état d’esprit change enfin dans ce pays.

C’est ainsi que la quatrième république verra la reconnaissance de la valeur de nombreuses personnalités africaines ou antillaises, auxquelles seront confiées de hautes responsabilités politiques. Ceci, au point qu’un de ces nègres, monsieur Gaston Monnerville, s’en viendra occuper pour une longue période de vingt et une années, la fonction de président du Sénat, ce qui en fera durant tout ce temps, le second personnage par ordre hiérarchique, de l’état français...

Imagine-t-on ceci aujourd’hui, où une femme noire, simplement ministre de la justice, constitue déjà l’occasion d’un vacarme ahurissant ?

Malheureusement cette reconnaissance tardive, n’allait suffire, ni à faire oublier, ni même à mettre simplement fin, comme en Algérie, à toutes les outrances de la colonisation, et à la mentalité si détestable des colons, qui allaient fatalement condamner l’empire. De plus, les conséquences dramatiques de la chute de celui-ci, allaient raviver un racisme qu’on espérait sur le déclin. Non pas tant celui des particuliers, que les nombreuses fréquentations et même, alliances conjugales, dans un monde désormais ouvert, mettent à l’abri de ses excès, mais un effroyable “racisme d’état”, devenu quasiment institutionnel. Ceci, tant il se montre absolument indispensable pour la conquête de larges franges de l’électorat, par la “magie” que constitue l’explication simple qu’il permet de donner, à tous les problèmes qui affectent cette société.

Ainsi, le mythe du nègre de race inférieure, a-t-il été de façon rentable, remplacé par celui de “l’immigré”, fauteur congénital de délinquance, en faisant des défaites de celui-ci, non pas une conséquence de son mode de vie déplorable, ce qui engage la responsabilité des autorités, mais tout simplement une conséquence incurable de ses gènes...

Dans cet état que d’aucun de ceux qu’il protège encore, pour combien de temps, nul d’ailleurs ne le sait, ne veut reconnaitre qu’il est bel et bien devenu tout simplement un état raciste, il serait totalement illusoire d’espérer qu’il fasse sienne, la lourde charge de placer tous ses enfants sur un pied d’égalité, dans les meilleures conditions possibles, afin de leur réussite.

Car ceci implique que soit urgemment restauré le “narcissisme” nécessaire à chacun, pour qu’il puisse déjà, au moins s’accepter tel qu’il est, étant bien entendu qu’il ne saurait fonctionner convenablement sans cela.

Ceci imposerait à cet état, non seulement de renoncer aux discours les plus rentables d’un point de vue électoral, mais de plus, de procéder à la réhabilitation historique, de ceux dont il méprise aujourd’hui les semblables.

Ce sont donc de vaillants militants, qui s’emploient avec ferveur, à sortir des oubliettes de l’histoire, tous les exemples de brillantes réussites, permettant à ceux de la même catégorie d’hommes que ceux-là, de ne pas désespérer de leur nature, de ne plus se sentir orphelins d’excellence, et de tenter donc celle-ci, en toute confiance, et avec détermination.

Qu’on ne s’y trompe pas, c’est de la réussite de cette réhabilitation que dépendra, pour tous les citoyens de ce pays, quels qu’ils soient, la réussite de toute cette société, si celle-ci doit y parvenir, c'est à dire si ces citoyens désirent y parvenir.

Car, cette réussite nécessite que les uns et les autres puisse enfin s’agréer, ce qui ne peut se faire, que pour autant que les premiers s’acceptent déjà, tels qu'ils sont, et soient fiers d'être ce qu'ils sont, et que les seconds, au vu de vérités enfin réhabilitées, les reconnaissent comme ce qu'ils sont, c'est à dire leurs égaux...

Paris, le 1er juin 2012 
Richard Pulvar

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire