mercredi, juillet 17, 2019

Arrêté du général Richepance restreignant le titre de citoyens aux seuls Blancs. Basse¬Terre, 17 juillet 1802.

Vue de Basse-Terre en 1810 par Joseph Coussin (ADG)

Considérant que, par l'effet de la Révolution et d'une guerre extraordinaire, il s'est introduit, dans les noms et les choses de ce pays, des abus subversifs de la sûreté et de la prospérité d'une colonie; 

Considérant que les colonies ne sont autre chose que des établissements formés par les Européens, qui y ont amené des Noirs comme les seuls individus propres à l'exploitation de ces pays; qu'entre ces deux classes fondamentales des colons et de leurs Noirs, se sont formés des races de sang mêlé, toujours distinctes des Blancs qui ont formé les établissements; 

Considérant que ceux-ci seuls sont les indigènes de la nation française et doivent en exercer les prérogatives ; 

Considérant que les bienfaits accordés par la mère patrie, en atténuant les principes essentiels de ces établissements, n'ont servi qu'à dénaturer tous les éléments de leur existence et à amener progressivement cette conspiration générale qui a éclaté dans cette colonie contre les Blancs et les troupes envoyées sous les ordres du général par le gouvernement consulaire; tandis que les autres colonies, soumises à un régime domestique et paternel, offrent le tableau de l'aisance de toutes les classes d'hommes, en contraste avec le vagabondage, la paresse, la misère et tous les maux qui ont accablé cette colonie et particulièrement les Noirs livrés à eux-mêmes : en sorte que la justice nationale et l'humanité commandent, autant que la politique, le retour des vrais principes sur lesquels reposent la sécurité et le succès des établissements formés par les Français en cette colonie, en même temps que le Gouvernement proscrira avec ardeur les abus et les excès qui étaient manifestés anciennement et qui pourraient se remontrer encore, 
Arrête ce qui suit: 
Art. 1er. Jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné, le titre de citoyen français ne sera porté, dans l'étendue de cette colonie et dépendances, que par les Blancs. Aucun autre individu ne pourra prendre ce titre, ni exercer les fonctions ou emplois qui y sont attachés. Les Blancs seuls qui auront été inscrits dans la garde nationale, depuis l'âge de 15 ans jusqu'à 55, auront le droit d'en porter l'uniforme et d'avoir des armes à leur usage. 
Ceux des Blancs qui n'y seraient pas inscrits ne pourront jouir du même droit, et seront dénoncés en cas de contravention, pour être statué à leur égard ce qu'il appartiendra par le général en chef. 
Art. 2. Tous autres individus que des Blancs, qui n'auront pas vendu ou disposé de leurs armes en faveur des citoyens inscrits dans la garde nationale dans le terme de cinq jours de la publication du présent, seront tenus d'en faire le dépôt, savoir: dans les villes, chez le commandant de la place, et dans les autres communes, chez les commissaires du gouvernement qui en feront, les uns et les autres, l'enregistrement, dont le double sera envoyé au général en chef. 

Après ce terme, il sera fait des recherches et visites domiciliaires; et tous ceux qui seraient convaincus d'avoir gardé, soustrait ou recelé des armes, en quelque lieu que ce soit, seront traduits par devant la commission militaire, pour être jugés comme complices de rébellion. 

Art. 3. Toutes les fonctions des municipalités sont suspendues et seront concentrées dans les commissaires du gouvernement de chaque commune, sous la surveillance générale du commissaire supérieur.

Art. 4. Tous les hommes de couleur et noirs qui ne seront pas porteurs d'un acte légal d'affranchissement de tout service particulier, sont obligés, dans les 24 heures pour les villes, et dans les cinq jours pour les bourgs et campagnes, de sortir des communes où ils peuvent se trouver, pour retourner aux propriétés dont ils dépendaient avant la guerre, excepté ceux qui auront servi honorablement dans l'armée de ligne, et sur le sort desquels le général en chef aura à prononcer, d'après le rapport du commissaire supérieur. 

La disposition du présent article est générale et aura son effet nonobstant tous arrêtés, règlements, ordres ou autorisations à ce contraires, si ce n'est le cas de l'article 6e ci-après. 

Art. 5. À cet effet, il leur sera expédié des congés par les commissaires du gouvernement qui leur assigneront la voie par laquelle ils se rendront aux dites propriétés, où le général en chef leur accorde grâce, quel que puisse avoir été le motif de leur absence. 

Art. 6. Sont cependant maintenus jusqu'à la fin du bail tous ceux qui ont été loués avec les domaines dits nationaux, et auxquels ils sont censés appartenir jusqu'à résiliation ou fin du bail.

Art. 7. Tous ceux qui ne se trouveront point rendus sur les propriétés ou au service dont ils dépendent, ainsi qu'il est dit ci-dessus, dans les cinq jours de la publication du présent, seront considérés comme complices de rébellion. 
À l'expiration de ce terme, les autorités civiles et militaires en feront faire les perquisitions et poursuites les plus vigoureuses ; en cas de résistance ou de fuite, ils pourront être arrêtés, morts ou vifs; ceux dont on s'emparera après le délai de grâce, s'ils sont prévenus de quelques actes directs de rébellion, seront traduits à la commission militaire, sinon, seront détenus à la geôle jusqu'à réclamation du maître, appuyée de l'autorisation du commissaire du gouvernement du lieu où ils sont incarcérés, et subiront en y entrant la peine correctionnelle qui sera infligée par ledit commissaire. 

Art. 8. Tous individus dont les propriétés respectives desquelles ils dépendaient avant la guerre sont hors de la colonie, seront tenus, et sous les mêmes peines prononcées dans l'article 7, de se présenter aussi dans les 24 heures au commissaire du gouvernement de la commune où ils peuvent se trouver, pour être réunis au dépôt fixé dans la ville de Basse- Terre, et être distribués ainsi que le jugera à propos le général en chef, d'après le rapport du commissaire supérieur. 

Art. 9. Tous individus venus depuis la reprise du pays sur les Anglais, et qui seraient porteurs d'un acte légal d'affranchissement, seront tenus de se présenter dans les cinq jours de la publication du présent au commissaire du gouvernement pour se faire délivrer un congé à l'effet de retourner dans le pays qu'ils habitaient ou partout ailleurs, la paix ayant rendu les communications et les résidences libres dans toutes les dépendances de la République. Les délinquants seront poursuivis et incarcérés pour être remis à la disposition du général en chef. 

Art. 10. Ceux qui favoriseraient les contrevenants aux différentes dispositions établies ci-dessus, en leur fournissant un asile ou quelque assistance que ce soit, seront sujets aux mêmes peines qu'eux; et si ce sont des Blancs, ils seront arrêtés et envoyés sous bonne escorte au général en chef qui prononcera telle amende qu'il appartiendra et renverra _la commission militaire s'il y a lieu à longue détention ou à des peines plus fortes suivant gravité du délit, surtout s'il y a complicité des brigands, sans préjudice des indemnités ~n faveur des propriétaires, comme il va être déclaré à l'égard des divagants. 

Art. 11. À l'avenir, tout divagant au-dessus de l'âge de 14 ans sera puni pour la première fois d'un an de chaîne et de la discipline correctionnelle sur la propriété à laquelle est attaché ; à la seconde fois, il sera puni de cinq ans de chaîne outre la discipline correctionnelle, et en cas de récidive, il sera livré à la commission militaire ou au tribunal spécialement établi à cet effet, qui lui appliquera les peines décernées contre les brigands et les voleurs publics. Dans tous les cas, le divagant qui sera rencontré avec des armes sera jugé d'après ces dernières dispositions.

Art. 12. Chaque habitant a la police particulière de son habitation, et peut infliger les peines spécifiées dans l'article précédent, ainsi que la punition du cachot, sous la surveillance du commissaire du gouvernement, qui est tenu de réprimer, dénoncer et poursuivre sous sa responsabilité tous abus et excès qui pourraient être commis de la part d'aucun habitant ; cette disposition est spécialement confiée au zèle et à la justice du commissaire supérieur. 
Art. 13. Les maîtres seront tenus de déclarer leurs divagants dans les 24 heures de leur absence au commissaire du gouvernement qui recevra lesdites déclarations sur un registre particulier; sous peine, contre l'habitant qui négligera de faire sa déclaration, d'être déchu de toute indemnité qui sera acquise au profit du trésor, et même de ses droits sur ledit individu si ce dernier est arrêté après 10 jours d'absence sans avoir été déclaré. 

Art. 14. Tout citoyen dans les villes, bourgs et dans la campagne qui, au mépris du présent arrêté, continuerait à garder, ou à l'avenir se trouverait avoir, travaillant au profit dudit citoyen, sur ses propriétés ou à son service, un ou plusieurs individus qui n'en dépendent point, sans la permission expresse du véritable propriétaire, ou sans la permission du commissaire du gouvernement de la commune où il réside, qui aurait reconnu son état d'affranchissement, sera réputé receleur de divagants. 

Art. 15. Tout receleur ou fauteur de la divagation sera condamné, par le fait même, à payer, dans les 24 heures, à la diligence du commissaire du gouvernement de la résidence où le fait aura lieu, une amende de 200 gourdes pour chacun des divagants désignés dans l'article 14 ; et si ce qu'il possède ne peut suffire au payement de l'amende, il sera puni d'un an de détention. L'amende, pour la seconde fois, sera de 400 gourdes par divagant, sans préjudice et en outre d'un an de détention; au cas où il serait insolvable, il sera banni de la colonie pour 10 ans. Enfin, pour la troisième fois, ses biens seront confisqués, et il sera banni à perpétuité. 

Dans tous les cas, il sera prélevé, sur lesdites peines pécuniaires, l'indemnité due au maître du divagant, à raison d'une gourde par jour, depuis la date de la déclaration qui en aura été faite au désir de l'article 13. 
Art. 16. Tout individu noir ou de couleur, attaché à quelque propriété, qui sera complice ou fauteur de la divagation, subira les mêmes peines que celles prononcées contre les divagants. 

Art. 17. Tous propriétaires, locataires et autres particuliers dans les villes comme dans les bourgs et campagnes sont tenus, sous les mêmes peines que les receleurs de divagants, de déclarer dans les 10 jours de la déclaration du présent au commissaire du gouvernement de leur résidence, tous les noirs nouveaux provenant des prises faites pendant la guerre et qui ont été mis ou sont parvenus en leur possession, présents ou non, pour en être dressé par lesdits commissaires un état nominatif qu'ils adresseront au commissaire supérieur chargé d'en faire le rapport au général en chef, qui prendra telle mesure qu'il jugera convenable ; ledit état fera mention de l'habitation où est placé l'individu dont il s'agit, du propriétaire ou locataire au service de qui il est, et de toutes les circonstances ou observations qui seront déclarées ou connues sur ledit individu. 

L'individu de cette classe qui sera trouvé divaguant, à moins qu'il ne soit dans l'exception de l'article 6, sera réputé épave et envoyé de suite au commissaire du gouvernement à la Basse-Terre qui le fera mettre au dépôt général de la geôle de ladite ville, en en donnant avis au commissaire supérieur qui en fera son rapport comme ci-dessus. 

Art. 18. Pour réprimer les abus et infidélités qui existaient dans l'imposition du quart alloué aux cultivateurs sur les revenus en y substituant un ordre de choses plus conforme à l'humanité, à dater du 20 thermidor [8 août] prochain exclusivement, le payement du quart est aboli. Tous les comptes seront néanmoins réglés et arrêtés jusqu'à cette époque par les commissaires du gouvernement, qui seront tenus d'en envoyer le tableau dans le mois au commissaire supérieur en faisant mention du payement, pour qu'au cas contraire il soit pris par le général en chef telles mesures qu'il appartiendra, excepté pour les habitations qui ont pu être incendiées en tout ou en partie dans les derniers événements, lesquelles en sont pleinement déchargées. 
À dater du 20 thermidor [8 août] prochain inclusivement, le temps du travail des cultivateurs et autres individus attachés aux manufactures sera divisé par semaine; il y aura repos tous les dimanches. Le général en chef va s'occuper des moyens de rétablir l'exercice du culte dans toute la colonie, conformément à ce qui est établi en France. 

À dater de la même époque, les habitants seront obligés de nourrir et vêtir les individus attachés à leurs habitations, savoir: 
Pour le vêtement, deux rechanges par an en toile, au gré des maîtres; 
Pour la nourriture, à chacun des individus depuis l'âge de 10 ans et au-dessus, 2 livres de viande ou 3 livres de morue, 2 pots de farine manioque, ou l'équivalent en autres vivres, par chaque semaine, et la moitié des vivres seulement à tous les enfants, depuis qu'ils sont sevrés jusqu'à l'âge de 10 ans. 
Les habitants seront tenus d'entretenir dans tous les temps une certaine quantité -e plantations en vivres, qui ne pourra être au-dessous de 5 carrés par 50 têtes de Noirs vaillants. 

Ils seront également tenus d'avoir un hôpital particulier où seront soignés, nourris - médicamentés à leurs frais, les malades et infirmes, avec un officier de santé dans les unes où il y en a. 

Les dispositions du présent article sont spécialement recommandées à la surveillance et à l'humanité des commissaires du gouvernement, sous l'inspection particulière du commissaire supérieur.

Art. 19. Les mesures prescrites par les arrêtés précédents du général en chef sont maintenues en tout ce qui n'est point contraire au présent, qui sera imprimé, lu, publié, enregistré et affiché, partout où besoin sera. 
Ordonne à tous les officiers civils, militaires, tribunaux, notaires, el chacun en ce qui les concerne, d'avoir à s'y conformer. 

Fait au quartier général, à la Basse-Terre (Guadeloupe), le 28 messidor de l' l'an X [17 juillet 1802] de la République française. 
RICHEPANCE.

Source: document cité intégralement dans La Revue coloniale, 1844. 
28 messidor an 10 [17 juillet 1802] 


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