samedi, septembre 05, 2009

Danton, le verbe chevillé au peuple

Portrait. 220 ans après la révolution française




1759-1794. Orateur brillant, parfois opposé abusivement à Robespierre, Georges Danton est autant le symbole des « indulgents » que le partisan résolu du tribunal révolutionnaire. Un complot imaginaire « vendu » à Robespierre et Saint-Just par Barère de Vieuzac scellera sa chute, et le mènera tout droit à l’échafaud.

Jusqu’au pied de l’échafaud, le grand orateur de la Révolution française aura gardé le sens de la formule, à moins que la postérité ne l’ait affublé à tort de cette pirouette bravache : « Allons bourreau, fais ton métier, et ne manque pas de montrer ma tête au peuple, elle en vaut la peine ! » Quelques instants plus tôt, l’homme au visage grêlé depuis l’enfance par la vérole tentait de consoler Camille Desmoulins, et lançait à l’aide qui tentait de les séparer : « Tu n’empêcheras pas nos têtes de s’embrasser dans le panier ! » En ce début du mois d’avril 1794, depuis trois jours, Georges Danton et le célèbre journaliste du Vieux Cordelier doivent répondre de « conspiration » et de « friponnerie » devant le tribunal révolutionnaire, sans pouvoir réellement ni se défendre ni s’exprimer. Barère de Vieuzac et Vadier ont habilement convaincu Saint-Just de la véracité d’un rapport fabriqué accusant Danton d’appartenir à un vaste complot de l’étranger orchestré par Londres et Vienne.

Coupable de « modération contre-révolutionnaire », de vouloir arrêter la guerre avec les États disposés à reconnaître la République française, d’enrichissement, aussi, dans le cadre de ses missions en Belgique, Danton est en réalité perdu avant même d’avoir été jugé. Minoritaire au sein des comités de salut public que Danton menace d’accuser à la Convention de malversation et de tyrannie, Robespierre a bien tenté de s’opposer à l’arrestation de son ex-camarade et à celle de son « ami »
Desmoulins. Il n’obtiendra rien, et un décret voté en urgence empêchera Danton de produire ses témoins et, surtout, de faire de son procès une ultime tribune… La même qu’il utilisa pour déclarer, prémonitoire, à la Convention : « Oui, nous devons réunir nos efforts pour faire cesser l’agitation de quelques ressentiments et de quelques préventions personnelles, plutôt que de nous effrayer par de vains et chimériques complots dont on serait bien embarrassé d’avoir à prouver l’existence.

Je provoque donc une explication franche sur les défiances qui nous divisent (…). Je le déclare nettement, parce qu’il est temps de le dire : tous ceux qui parlent de la faction Robespierre sont à mes yeux ou des hommes prévenus ou de mauvais citoyens. »

L’avocat entré au panthéon révolutionnaire grâce à son verbe aurait donc pu y poursuivre sa critique d’une Terreur dont il avait, dans d’autres circonstances, approuvé la vertu. Bien qu’ayant participé aux réunions du district des Cordeliers, avec Camille Desmoulins et Marat, son rôle dans la Révolution n’a certes pas été prépondérant. Élu président dans ce même district en octobre 1789, sa renommée va en revanche grandir au rythme de ses discours remarquables et remarqués. La popularité de ce bon vivant apologue inspiré du pavé leur doit beaucoup : le peuple, la patrie, Danton les célèbre en plaçant le civisme, l’honnêteté et le courage au-dessus de tout. Il affiche volontiers un mépris de la rhétorique, assumant une réputation de jouisseur, que ses ennemis ont parfois travesti en matérialisme, voire en grossièreté : « Je porte dans mon caractère une bonne portion de gaieté française », répondait ce magistrat étranger au jargon des juristes.

Fils de petits-bourgeois, s’est-il enrichi ? Loin de récuser sa bonne fortune, il s’en lavait les mains à sa manière, comme lors de ce discours à la Convention, le 10 mars 1993 : « Messieurs, quand l’édifice est en feu, je ne m’attache pas aux fripons qui enlèvent les meubles, mais j’éteins l’incendie ! (…) Le peuple n’a que du sang et il le prodigue. Alors, misérables, prodiguez vos richesses ! (…) Vos discussions sont misérables. Je ne connais que l’ennemi, battons l’ennemi. Vous qui me fatiguez de vos contestations particulières au lieu de vous occuper du salut de la République, je vous répudie comme traîtres à la patrie, je vous mets tous sur la même ligne. Que m’importe ma réputation, que la France soit libre et que mon nom soit flétri ! Que m’importe d’être appelé buveur de sang, oui, buvons s’il le faut le sang des ennemis de la liberté, mais combattons et conquérons la liberté ! »

Modéré, Danton ? Aurait-il rejeté toute responsabilité dans les massacres de septembre 1792, lorsque, comme l’écrit Jean Jaurès, « la Révolution sent pour ainsi dire au visage l’haleine des chevaux prussiens » ? À la Commune, relève l’adversaire résolu de la guerre de 1914, « l’exaltation patriotique est admirable, et je crois bien que c’est sans calcul et avec l’élan d’une foi sublime qu’elle se dresse la première pour organiser la défense ». La parole de Danton, déclare encore Jaurès avec admiration, « fut humaine aussi et sans mélange de passions troubles », avant de célébrer cet éloge du sacrifice populaire, face à l’avancée des armées contre-révolutionnaires : « Les commissaires de la Commune vont proclamer d’une manière solennelle l’invitation aux citoyens de s’armer et de marcher pour la défense de la patrie (…). Nous demandons que quiconque refusera de servir de sa personne, ou de remettre ses armes soit puni de mort. (…) Le tocsin qu’on va sonner n’est point un signal d’alarme, c’est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, Messieurs, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace et la France est sauvée. »

Jean Jaurès voit dans l’image du tocsin une mise en garde, une « merveilleuse image » d’un homme qui cherche « à épurer la sonnerie terrible et triste qui va sonner sur Paris de ce qu’elle pouvait avoir d’inquiétant et d’énervant, pour ne lui laisser que son accent héroïque ». Tout le parcours de Danton est peut-être condensé dans cette oscillation permanente entre les nécessaires violences révolutionnaires, qu’il approuve, et son aversion de la Terreur dans son expression la plus brutale. Entré le 6 avril 1793 au Comité de salut public, ses positions modérées, son refus de la guerre totale vont provoquer la rupture, définitive, avec Barère de Vieuzac. Danton, qui avait voté la mort de Louis XVI, s’oppose au renvoi de Marie-Antoinette devant le tribunal révolutionnaire, qui allait mettre fin aux négociations de paix, notamment avec la Prusse et l’Espagne. Pour lui, la Terreur prônée par Barère ne sert qu’à rendre la République « hideuse », d’empêcher sa reconnaissance et de maintenir son isolement. Il le fait savoir à voix haute, et son éloquence relayée talentueusement par Camille Desmoulins va les mettre tous les deux dans la ligne de mire des « Exagérés »

Tous deux Montagnards unis contre les Girondins durant les premiers mois de la Convention, Danton et Robespierre ont souvent été abusivement opposés, l’un figé en caricature du « bourgeois modéré », l’autre dans celle de l’incorruptible froid, sanguinaire et impopulaire. Idéalistes et pragmatiques, ils l’étaient, au fond, chacun à leur manière. Contrairement au premier, propriétaire aisé peu sensible aux idées socialistes défendues par un Hébert, Robespierre ne s’est certes pas enrichi. Mais sa popularité auprès des sans-culottes parisiens n’avait rien à envier à celle de Danton. Robespierre affirmait l’immortalité de l’âme comme une vérité définitive, éternellement nécessaire aux hommes, quand le « Dieu de l’univers » invoqué par Danton ne serait qu’une étape entre l’antique foi et la liberté nouvelle. Le peuple, pense-t-il, doit voir ses habitudes religieuses ménagées… Tenant d’un modérantisme utopique, à l’heure où Robespierre tente de maintenir l’équilibre politique de son gouvernement, déchiré par les complots et dominé par les radicaux, « l’indulgent », devenu hostile à la Terreur, se sait-il condamné ?

Retiré le 12 octobre 1793 dans la maison de sa mère, sa mise en cause dans l’affaire de la liquidation de la Compagnie des Indes le fait revenir précipitamment à Paris. Avant d’être définitivement privé de parole et de voir sa langue coupée sur le billot, il livrera cette ultime harangue, dans un mélange de résignation et de panache : « Ma voix, qui tant de fois s’est fait entendre pour la cause du peuple, pour appuyer et défendre ses intérêts, n’aura pas de peine à repousser la calomnie. Les lâches qui me calomnient oseraient-ils m’attaquer en face ? Qu’ils se montrent, et bientôt je les couvrirai eux-mêmes de l’ignominie, de l’opprobre qui les caractérisent. (…) Ma demeure sera bientôt le néant, quant à mon nom, vous le trouverez bientôt dans le Panthéon de l’histoire. Ma tête est là, elle répond de tout. La vie m’est à charge, il me tarde d’en être délivré ! »

Marc de Miramon

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