L'histoire et la sociologie de la caraïbe, des antilles et du monde noir. Naviguons dans le passé de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Réunion et de l'Afrique
dimanche, septembre 06, 2009
Chroniques Saint-louisiennes
A la mode du pays - Chroniques Saint-louisiennes d’Antoine François Feultaine Saint-Louis du Sénégal 1788-1835 par Sylvain Sankalé- 381 pages
Saint-Louis sous occupation coloniale d’avant Faidherbe
L’histoire de Saint-Louis fut très simple. Occupée momentanément en 1693 par les Anglais elle ne connut en fait qu’une longue période de domination britannique. Dans ce livre, l’avocat Sylvain Sankalé, lointain descendant d’Antoine Feultaine, revient sur cette ville sénégalaise, perçue à l’époque comme un terreau d’expérimentation sociale unique au monde, avant que la colonisation militaire du général Faidherbe n’éradique ses particularités.
Saint-Louis du Sénégal, 1788 : un jeune militaire, fils d’amidonnier de la ville de Metz, débarque en Afrique pour y faire fortune. 1835 : Quelque cinquante ans plus tard, au soir de sa vie, il raconte à ses petits-enfants la chronique des guerres, naufrages, missions, explorations qui firent de cette île à l’embouchure du fleuve un terreau d’expérimentation sociale unique au monde, avant que la colonisation militaire du général Faidherbe n’éradique ses particularités. Mariages sans curé, enfants naturels reconnus, jardin d’acclimatation pour plantes venues d’ailleurs, objet de juridictions sensées et pragmatiques faites tout express pour une société métissée, joyeux repaire de farfelus, brigands, exaltés, aventuriers ou braves gens, Saint-Louis du Sénégal est aussi la ville où débarquèrent en 1816 les survivants de la frégate naufragée la Méduse. Antoine Feultaine, témoin privilégié, époux d’une femme noire dont il a cinq enfants, incarne un moment d’histoire englouti avec la colonisation.
Lointain descendant d’Antoine Feultaine, Sylvain Sankalé, avocat, a travaillé sur les archives du Sénégal, de France et d’Angleterre, ainsi que sur les matériaux laissés par son aïeul. Le chevalier de Boufflers, titre qu’il préférait conserver compte tenu des bénéfices que lui accordait son statut de chevalier de Malte, même s’il avait récupéré à la mort de son frère aîné le titre familial de marquis, n’aimait pas Saint-Louis et lui préférait Gorée. Là-bas il avait, à ce qu’on dit, mené une vie insouciante, tout en prétendant rester fidèle à celle qui était déjà la femme de sa vie, avant de finalement devenir son épouse, la brillante comtesse de Sabran. Gorée bruissait encore de l’écho de ses mille et une fantaisies, des fêtes données en son honneur par la Signare Anne Pépin, la fille du chirurgien, qui affichait, sans grande pudeur, le penchant qui les animait mutuellement. Venu au Sénégal pour y chercher gloire et fortune, le chevalier de Boufflers en repartit sans acquérir ni l’une ni l’autre.
Avide de sensations, avide de faire frissonner son auditoire à l’évocation des sauvages qu’il n’a jamais vus que de loin et débordant de générosité dénonçant la barbarie de l’esclavage, sans avoir jamais rien fait pour s’y opposer dans les faits. La chance de Boufflers aura été d’être secondé par un homme énergique, efficace, et suffisamment peu soucieux de sa carrière pour ne pas lui porter ombrage, celui qui resta pour tout ce brave colonel Blanchot. En décembre 1787, Blanchot avait décidé d’aller en voyage d’exploration en direction des côtes s’étendant entre Gorée et la rivière de Sierra Leone.
Rentré à Gorée après à peine un mois de navigation, Blanchot adressa au ministre son rapport de tournée et sollicita l’autorisation de rentrer en France. L’histoire de Saint-Louis fut très simple. Occupée momentanément en 1693 par les Anglais elle ne connut en fait qu’une longue période de domination britannique.
Dans la deuxième partie, Feultaine traite de l’âge des responsabilités au midi de sa vie (1816-1826). L’idée d’une mise en valeur effective des comptoirs africains n’était pas une nouveauté. Il est certain que la politique de la France, que Schmaltz était chargé de mettre en œuvre au Sénégal, relevait d’une approche plus économique que mercantile de l’exploitation pratique des colonies françaises. La rupture avec ce que l’on commençait à appeler l’Ancien Régime était cependant manifeste. Tous les efforts déployés par le gouvernement royal, et même ceux issus de la Révolution et l’Empire, avaient pour seule ambition de faciliter le commerce, notamment, dans les premiers temps, en accordant un monopole à une compagnie privilégiée.
Les comptoirs d’Afrique semblaient être des réservoirs inépuisables d’esclaves, marchandise d’excellent rapport, n’exigeant que de faibles investissements de la part de l’Etat. Il n’y avait aucun effort soutenu à faire, aucune incursion dans l’intérieur, aucune guerre, aucune campagne armée. Les potentats locaux se chargeaient de conduire les cargaisons sur la côte. Avec les dispositions du deuxième traité de Paris consacrant l’abolition de la traite, la question de la substitution d’autres sources d’enrichissement en Afrique prit une acuité nouvelle. Désormais, il s’agissait d’aller au devant de la main d’œuvre naturelle, là où elle se trouvait, c’est-à-dire en Afrique. L’agriculture devenait ainsi la principale préoccupation du gouvernement.
Toutefois, incidemment d’autres secteurs d’activité économique avaient retenu l’intérêt. Il en alla ainsi de la pêche qui attira l’attention de quelques-uns, comme cet Abbé Braudeau. Mais le projet de fonder une compagnie royale de pêche se heurtait aux pillages pratiqués par les Maures. Il ne connut en définitive aucune suite immédiate. Il en alla de même pour les fabuleuses mines d’or du Bambouk vantées par tous les voyageurs depuis le quinzième siècle, et dont Lauzun, puis Durand se firent les hérauts.
Dans la troisième partie du livre, Antoine Feultaine s’intéresse à la période (1826-1835) où tout est réglé et un monde s’achève. Le Baron Roger sollicitait le ministre Chabrol de vouloir bien pourvoir à son remplacement. A sa place fut nommé Gerbidon. Dans son rapport du 25 août 1827, sa conviction était définitivement établie : ‘L’expérience n’a pas confirmé les espérances conçues et le Sénégal ne paraît pas destiné à devenir jamais une colonie à cultures.’ En septembre 1827, Richard, jardinier du roi, dégoûté du Sénégal, partit en congé de convalescence, avec la ferme intention de ne plus revenir. Il aurait en définitive continué sa carrière à l’île Bourbon où il s’est installé en 1830.
Après Gerbidon, le gouvernement a nommé le commissaire Principal de la marine, Jubelin, Sous-directeur des colonies et ayant déjà eu à remplir des fonctions d’ordonnateur en Guadeloupe. Il communiqua à la politique agricole une activité nouvelle et dressa tout un programme agricole avec l’assistance des anciens collaborateurs de Roger. Le 10 mai, Brunet, toujours inspecteur des cultures, déposa un rapport constatant l’échec de la culture du coton. Il invita les autorités à renoncer à toute espérance concernant l’indigo et déclara que les entreprises de colonisation étaient condamnées.
Jubelin écarta d’emblée la possibilité d’envoyer les enfants s’instruire en France ; il rejeta le recours à la langue arabe qui n’est en fait réellement maîtrisée que par une faible proportion de mahométans, pour aboutir à la conclusion que c’est la langue Ouolof qui régnait presque exclusivement dans la colonie et même les enfants européens parlent le Ouolof au moins autant que le français. Il était du plus haut intérêt d’effacer graduellement ces différences d’éducation, de langage et de mœurs qui sont ici les seuls obstacles au rapprochement et à la fusion de toutes les classes, puisqu’ aucun préjugé ne les divise d’ailleurs.
Epinat partit de son propre chef en 1832 et fut remplacé par Jean Dard qui n’avait pas renoncé à ses méthodes. Mais Jean Dard devait décéder à Saint-Louis en octobre 1833. Le gouverneur Pujol vient de soumettre au ministre sous le titre d’Arrêté concernant l’organisation et le régime intérieur de l’école de Saint-Louis. Le gouverneur Brou continua la politique commencée en 1827, de reconversion des personnels indigènes, essentiellement constitués d’engagés à temps, captifs enrôlés dans les compagnies des troupes noires, ou dont l’exercice des facultés de rachat, avant leur libération à terme, fut facilité.
Brou triomphait des Maures. Il put imposer à Mohamed El Habib de renoncer à ses incursions dans le Oualo pour y lever des impôts. Le commerce, qui se faisait sur la rive droite du fleuve, était protégé contre les troubles du Oualo et dans les meilleurs termes avec les Trarza. Le Oualo, miné par une triple crise économique, politique et sociale, dépourvu d’intérêt du fait de l’abandon du projet agricole, était livré à lui-même et n’allait pas tarder à sombrer dans une guerre de succession encore plus âpre que les précédentes. Un demi-siècle avait été aboli, le Sénégal était redevenu, à la satisfaction générale de sa population, un banal comptoir. La population du Sénégal dans son ensemble a toujours préféré, aux travaux manuels ou agricoles, les satisfactions du négoce, ses marchandages, ses tromperies, ses ivresses, ses fortunes aussi acquises que perdues.
Le commerce bordelais était pour l’essentiel composé de jeunes gens de modeste origine venus tenter fortune au Sénégal. Souvent originaires du Tarn, ils créèrent, dès que leurs affaires fructifièrent, des têtes de pont à Bordeaux où ils installèrent tel ou tel membre de leur parenté. Les plus importants des négociants sont aujourd’hui, outre Prom, Devès, Maurel, Teisseire, Lombard Monteillet, Gasconi, Régis et Calvé. Quelques mulâtres leur tiennent la dragée haute dont François Valantin, mais ils ne sont que trois ou quatre en face de la vingtaine de négociants européens.
A côté de ces négociants blancs se trouvent les marchands, modestes détaillants ou grossistes, échangeant marchandises européennes contre produits locaux. Il se dit longtemps que la famille Maurel se fit doublement du gouverneur son obligé d’une part en obtenant sa nomination et d’autre part en acquittant les lourdes dettes de jeunesse dont Faidherbe, issu d’un milieu social modeste, était encore affligé. Energique et volontaire, Faidherbe insuffla au Sénégal, en deux séjours totalisant dix ans (1854-1861/ 1863-1865) un véritable vent de changement. Il s’est rendu sympathique par sa connaissance approfondie de la population noire et de la culture islamique. Peu favorable aux métis et allié manifeste des Bordelais, il fut un adversaire déterminé de la mode du pays.
Ce livre bien écrit est une contribution très importante à la connaissance de l’histoire économique et sociale qui reste à faire.
Amady Aly DIENG
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