L'histoire et la sociologie de la caraïbe, des antilles et du monde noir. Naviguons dans le passé de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Réunion et de l'Afrique
dimanche, septembre 13, 2009
L'INSURRECTION DU SUD A LA MARTINIQUE Septembre 1870
Il y a 130 ans, une importante révolte embrasa le sud du pays : des milliers d'ouvriers et de paysans se soulevèrent le coutelas et la torche à la main contre le régime qui les oppressaient.
22 ans après la Révolution antiesclavagiste de 1848, c'est toujours le Second Empire en France avec Napoléon.III. Les anciens maîtres, les békés sont confortés dans leur domination malgré l'apparition d'une paysannerie composée pour l'essentiel de petits planteurs vivriers. Ils sont nombreux dans le Sud. Au lendemain de l'abolition, face au refus des anciens esclaves de se laisser exploiter, le travail obligatoire est instauré par le décret du 13 février 1852. En 1955, le gouverneur De Gueydon aggrave les conditions de travail par un nouvel arrêté.
Le travail est obligatoire à partir de 12 ans. Tout individu doit tenir un livret où sont consignés, entre autres, les conventions de travail, la régularité du travail… Ceux qui n'ont pas d'employeurs doivent s'inscrire au bureau de police. Mêmes les travailleurs indépendants subissent ces contrôles. Ils doivent pouvoir prouver en permanence qu'ils exercent une profession. A partir de 16 ans, tout individu doit payer un impôt personnel équivalent au salaire de 5 jours. Il doit avoir un passeport comportant un visa (payant) signifiant que l'impôt est payé.
Manifestement, tout est fait pour contraindre les nouveaux libres à aller travailler sur les habitations. Les békés avec l'appui de la monarchie française mettent en place un régime de servitudes avec son appareil répressif : amendes, prison, atelier de discipline…Les femmes aussi subissent ce régime.
A côté de ces mesures coercitives, le système organise l'immigration. De 1857 à 1861, 9000 africains (appelés Congo) sont introduits suivis ensuite par les immigrants de l'Inde. Les immigrants sont liés par un contrat de travail en principe renouvelable. En fait, ils viennent gonfler la masse des exploités dans les habitations. On estime qu'entre 1853 et 1870, la Martinique a reçu 30 000 immigrants (La population de la Martinique est d'environ 150 000 h). En 17 ans, 1 tiers des immigrants meurent !
Toutes les libertés publiques sont supprimées. Seuls les riches peuvent voter. La presse est censurée. L'école est plus chère. Cette politique permet de diminuer considérablement les salaires. C'était l'objectif. Inexorablement la misère grandit alors que les békés et l'Etat français s'enrichissent. Les premières usines modernes voient le jour. Le gouverneur Lapalin écrit « La Martinique est une poule aux œufs d'or que la Métropole a tout intérêt à ménager ». Le pays est contrôlé par un régime dictatorial et raciste : 10% de la population, les blancs maintiennent les noirs dans un quasi esclavagisme C'est dans ce contexte qu'éclate l'affaire Lubin.
En février 1870, Léopold Lubin, jeune agriculteur, noir est sauvagement par blanc Augier de Maintenon, au Marin. Lubin ne leur aurait pas céder le passage. Ce dernier devant le refus de la justice coloniale de punir les coupables, décide de rendre justice lui-même. Il corrige de sa cravache Augier de Maintenon. Arrêté, il est condamné à 5 ans de bagne et à une lourde amende par un jury de blancs : justice de classe et de race.
Immédiatement après la condamnation, le soulèvement se prépare, à Rivière-Pilote. Dès le 2 septembre, des incidents sont signalés. Parmi les organisateurs on trouve Louis Telgard, Eugène Lacaille, Auguste Villard et Daniel Bolivard. Ils veulent infliger un châtiment aux blancs racistes, confisquer les grandes propriétés, instaurer un République Martiniquaise… Le 22 septembre, Telgard et Lacaille sont au bourg avec plusieurs centaines de personnes scandant « Mort aux blancs, mort à Codé ». Codé est un grand propriétaire blanc, un de ceux qui a fait condamné lourdement Lubin. Dans la soirée, ils se rendent sur l'habitation Codé. Elle est incendiée. C'est le début de l'insurrection. Dès le lendemain, elle se propage à tout le Sud. Ouvriers agricoles, ouvriers des bourgs, immigrants participent massivement à la révolte.
Les habitions flambent. Codé sera tué le 24. Pendant ce temps les blancs s'organisent. On fait appel aux troupes (1500 hommes), aux volontaires pour mater la révolte. La répression est terrible. Des dizaines de travailleurs sont massacrés. Il y a plus de 500 arrestations. Un climat de terreur s'installe à la mesure de la peur qu'on eue les blancs. Une parodie de justice condamna lourdement les insurgés. Les principaux chefs furent exécutés, sauf Telgard qui réussit à fuir à Ste Lucie. D'autres furent condamnés aux travaux forcés à perpétuité, à la déportation…
Analyse du mouvement
Les évènements de septembre 1870 se situent à un moment charnière de l'histoire de notre pays. Cette insurrection a des caractéristiques particulières qu'on ne retrouve ni dans les luttes anti-serviles d'avant 1848, ni dans les luttes ouvrières qui apparaîtront à compter de 1900.
On peut considérer qu'il y a trois caractéristiques essentielles à cette insurrection qui en font un évènement majeur de notre histoire.
Premièrement, les éléments historiques en notre possession, en dépit des difficultés à connaître l'exacte vérité vu l'absence d'écrits émanant des insurgés eux-mêmes, permettent de penser que cette insurrection a été pensée, réfléchie par un groupe d'hommes et de femmes sachant parfaitement ce qu'ils faisaient et voulaient. Nous ne sommes pas en présence d'une simple révolte spontanée contre la misère et l'exploitation. S'il est vrai par exemple que l'affaire Lubin (ce jeune nègre incarcéré après avoir tenté de se venger de l'agression d'un blanc) a un rôle mobilisateur dans l'insurrection, il reste indéniable que même sans cela, un mouvement insurrectionnel était en préparation.
Deuxièmement , pour la première fois est posée la question essentielle de la possession de la terre. Il faut bien voir que l'insurrection du Sud a lieu 22 ans après l'abolition de l'esclavage et suite au régime impérial de Napoléon III. Si les esclaves avaient arraché leur liberté, celle-ci était formelle. Il n'existait pour eux pratiquement aucune possibilité de pouvoir échapper au travail sur les habitations des anciens maîtres. Les grands moyens de production (terres, usines à sucre) étaient toujours aux mains de la caste blanche. Dans le sud du pays, une petite classe de petits paysans avait réussi à se constituer, elle sera le fer de lance et le moteur de l'insurrection. On retrouvera aussi parmi les insurgés une partie des « Congos » qui avait été déportés après l'abolition de l'esclavage. Leur revendication est celle de la terre. D'ailleurs dans le peu de jours où l'insurrection dominera, on a assisté à un début de partage des terres des békés. Les insurgés ne se battent donc pas pour obtenir une simple amélioration de leurs conditions de vie mais avant tout pour avoir à leur disposition un outil de travail essentiel, la terre. En cela, le mouvement insurrectionnel se distingue de tout ce qui va suivre car il faudra attendre un siècle, pour que soit remise à l'ordre du jour la question d'une authentique réforme agraire qui ne peut passer que par l'expropriation de la terre aux mains des descendants des esclavagistes.
Troisièmement, cette révolte a un caractère nationaliste. Les insurgés ne s'opposent pas seulement à la caste béké pour la terre mais aussi au colonialisme. C'est une révolte frontale et pas simplement une lutte contre les conséquences du colonialisme. C'est la présence française, alliée des békés, qui est directement remise en cause. On sait que les insurgés vont se réjouir de la défaite française à Sedan contre la Prusse et qu'ils allèrent brandir un drapeau (rouge et noir) ou (rouge-vert-noir). Ainsi, c'est la première fois depuis la résistance des Caraïbes au début du XVII siècle que la présence française est remise ainsi en cause. Là encore, il faudra attendre près d'un siècle pour que cette question soit à nouveau posée.
Cette insurrection a par la suite été reléguée aux oubliettes de l'histoire. Comme pour la révolution abolitionniste, le colonialisme, aidé en cela par le mouvement assimilationiste, a voulu ôter de la mémoire de notre peuple que ses ancêtres avaient résisté à l'oppression.
Se rappeler l'Insurrection du Sud n'est donc pas une simple commémoration. Il s'agit avant tout d'une part de voir que notre peuple a une histoire (avec ses héros, ses défaites, ses victoires) qui lui est propre et différente de celle de la France et d'autre part de constater que les questions posées en 1870, celles de la terre et du contrôle de notre destin, sont toujours d'actualité.
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