Les Indiens Kali’na de Guyanne, "exposés" en 1892 |
Rares sont les Français qui le savent mais 2011 est officiellement « l’année des Outre-mer ». Toute une série de manifestations et d’expositions, en métropole et dans les DOM-TOM, accompagnent cette année, qui célèbre pêle-mêle Aimé Césaire, Frantz Fanon, le zouk ou l’histoire de ces territoires, dix ans après l’adoption de la « loi Taubira » reconnaissant l’esclavage comme un crime contre l’humanité. Mais Christiane Taubira, justement, la député de gauche qui a porté cette loi, n’apprécie pas du tout certains aspects du programme des festivités.
Dans une lettre adressée à Marie-Luce Penchard, la ministre de l’Outre mer, la député s’indigne que l’opération « un jardin en Outremer » , l’un des temps forts de l’année, ait choisi le Jardin d’acclimatation de Paris pour organiser une série de spectacles et d’ateliers du 8 avril au 8 mai prochain. La député relaie la voix d’élus amérindiens de Guyane qui rappellent que « le jardin d’acclimatation, appelé également « jardin colonial » a été un des sites d’accueil des expositions coloniales des XIXe et XXe siècles de la France ( …) des Indiens Kali’na du bas Maroni furent exposés entre 1882 et 1892 (à trois reprises) dans ce jardin d’acclimatation. Ils y avaient reconstitué un village et devaient vaquer à leurs occupations, dites traditionnelles, sous les yeux des visiteurs. »
Christiane Taubira qui rappelle dans sa lettre que ces expositions d’êtres humains ont duré durant l’époque coloniale, jusqu’aux années 1930 (le grand-père du footballeur Christian Karembeu a ainsi été exhibé au milieu d’autres Kanaks) demande de « respecter les symboles » et exhorte la ministre de l’Outre mer à changer de lieu pour cet événement. Au « Nous n’irons pas à l’exposition coloniale » des surréalistes boycottant la vitrine de l’empire colonial en 1931, Christiane Taubira répond en quelque sorte, quatre vingt ans plus tard, par un« Nous n’irons pas au Jardin d’acclimatation ».
Réaction exaspérée du commissaire de l’année des Outre-mer, l’écrivain Daniel Maximin : « Changer de lieu ? Hors de question ! Ce serait la victoire du passé. Il faut investir ce lieu, inverser les symboles, pour changer ainsi le regard de nos contemporains. Christiane Taubira a réagi trop tôt ; notre programme n’est même pas encore bouclé. Mais on sait qu’il y aura trois spectacles par jour, pendant un mois, avec des troupes de théâtre, des chanteurs, des conteurs venant de l’Outre-mer. Il ne s’agit pas, en 2011, d’exhiber des « sauvages » pour la joie des Parisiens mais au contraire de montrer la dignité des pratiques artistiques de l’Outre-mer. »
Pour le choix et l’enjeu symbolique du Jardin d’Acclimatation (concédé par la mairie de Paris au groupe de luxe LVMH qui veut y construire sa fondation pour l’art contemporain), Daniel Maximin est plus évasif. Réagissant à la lettre de Christiane Taubira, il affirme qu’un débat avec « des spécialistes des zoos humains » était prévu mais visiblement personne n’a encore été contacté. « Choisir le Jardin d’acclimatation, ancien lieu d’exhibition des Indiens amérindiens Kali’na et des Kanaks présentés en 1931 comme des sauvages cannibales ? Pourquoi pas mais alors il faut saisir l’occasion pour faire une vraie leçon d’Histoire, ce qui ne semble pas vraiment le cas ». rétorque l’historien Pascal Blanchard, auteur d’un livre collectif de référence sur les « Zoos humains » (1) En compagnie de l’ancien footballeur antillais Lilian Thuram, il prépare d’ailleurs une exposition sur ce sujet, pour la fin de l’année, au musée du quai Branly. Elle aura pour titre « Exhibitions. L’invention du sauvage ». La fondation LVMH aurait-elle envie de la faire tourner au Jardin d’Acclimatation ?
Thierry Leclère
(1) Zoos humains, ouvrage collectif sous la direction de Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Gilles Boëtsch, Éric Deroo et Sandrine Lemaire (La Découverte, 2002)
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