Même dans leurs rêves les plus fous, les idéologues de la colonisation et de l’assimilation n’auraient pu envisager atteindre un tel degré de soumission à leurs thèses, un tel déni de soi, de la part d’hommes et de femmes, instruits à l’école de la République, ayant un cerveau qui fonctionne, parfois avec un certain éclat qui suscite l’admiration.
Jamais au pire de leurs cauchemars les hommes des outre-mer français n’auraient pensé voir atteindre un tel degré d’asservissement de la part de leurs élites.
L’année des outre-mer, voulue par Sarkozy, pour « créer un lien nouveau avec l’outre-mer », a été lancée début janvier par Mitterrand, Penchard et Hortefeux, qui, à cette occasion, déclarait : « 2011 est une année pour répondre à l’attente de 2 millions d’Ultramarins peu connus des Métropolitains ». De quelle attente parle-t-il ? A quelle occasion s’est-elle exprimée ? Depuis quand le choix des élites est-il considéré comme volonté du peuple ?
L’exposition coloniale en 1931 répondait-elle déjà à l’attente des colonisés, qui voulaient s’exhiber, dans leurs tenues traditionnelles, exécutant chants et danses de leurs cultures, afin de mieux séduire ceux de l’Hexagone ?
Répondait-elle déjà à une nécessité de reconnaissance de la part des hexagonaux ?
Ou n’était-elle pas l’expression d’un déni de l’homme, voulue par les colonialistes avec la complicité de quelques élites, d’une infériorisation de ces peuples dits sauvages qu’il fallait faire connaître aux enfants et à la population, afin qu’ils comprennent mieux le rôle civilisateur des Européens et des Français en particulier ?
Le lieu choisi, le Jardin d’acclimatation, ne correspondait-il pas à l’idée que se faisaient les colonialistes de ces peuples, qui n’avaient aucune humanité à leurs yeux, mais qui permettaient à la France d’être présente sur les cinq continents ?
Le 8 avril 2011, le temps fort de cette année des outre-mer se déroulera au …Jardin d’acclimatation, transformé pour l’occasion en « Pôle d’excellence de l’Outre-mer », comme le soulignait l’écrivain guadeloupéen D. Maximin. Comme si Drancy ou le Vel d’Hiv devenaient un « pôle d’excellence » accueillant une fête juive ! Ces lieux de mémoire douloureux et tristes qu’il faut connaître, en aucun cas, ne sauraient être des espaces de liesse et d’abandon festif. Il y a des peuples que l’on respecte, parce qu’ils se respectent eux-mêmes. Il y a des peuples que l’on bafoue parce que leurs élites n’ont aucune clairvoyance quant aux manipulations dont ils font l’objet.
Deux Guadeloupéens, l’une ministre, l’autre écrivain, une Réunionnaise, historienne, et d’autres encore, dans le droit fil de Sarkozy qui préconise à nos peuples, surtout ceux issus de l’esclavage, de digérer leur histoire, applaudi à Petit-Bourg(Guadeloupe) en février 2011 par nos élus politiques de droite comme de gauche, viennent cautionner le choix d’un lieu lourd de signification, pour une manifestation, où les outre-mer pourront exhiber leurs costumes traditionnels, leurs chants et danses et faire la fête.
Le même Sarkozy qui préconise d’étudier à l’école les bienfaits de la colonisation, qui refuse d’assumer le passé colonial de la France et les meurtrissures que ses actes ont engendrées.
Le même Sarkozy qui refuse toute idée de repentance ou de réparation de la part de la France, qui rejette par ordonnance, décrets, lois toute immigration surtout celle venant des Maghrébins et des Africains. Celui-là même qui a dit que les Africains n’étaient pas encore rentrés dans l’histoire.(Discours de Dakar)
C’est dans les pas de cet homme-là que des élites issues de l’outre-mer s’engagent. Et pour cela, elles avancent les meilleurs sentiments du monde. Le dépassement, le pardon, l’oubli.
Un véritable exorcisme selon les dires de D. Maximin, une manière de « réinvestir ce Jardin, de répondre aux errements du passé en y affirmant la vitalité de cultures dont nous ne pouvons qu’être immensément fiers et de les présenter avec toute l’exigence d’excellence qui préside au choix des spectacles et activités envisagées. » Non moins qu’une vitrine montrant les bienfaits de la présence française chez nous et laissant croire en sa tolérance et son respect pour ce qui constitue nos êtres diversifiés.
Alors que parallèlement, les langues et coutumes dans les différents outre-mer sont combattues et ont peu d’espace d’expression et ce n’est pas le fait que l’on va traduire en créole (lequel ?) des classiques français qui changera la donne. Cette démarche si elle aboutit, aura principalement comme effet de financer quelques traducteurs et éditeurs et de mettre en lumière la culture de la France. Les mêmes élites qui goûtent déjà à la littérature française s’extasieront devant cette « reconnaissance » qui justifiera leur assimilation aux mœurs et traditions françaises, et continueront d’avoir le même dédain et un mépris souverain pour nos propres créations.
Les polémiques suscitées par cette année des Outre-mer ne font que commencer. Nous souhaitons pour notre part qu’elles enflent et mettent à l’index un colonialisme revanchard, qui use de tous les stratagèmes pour durer, qu’elles dénoncent les digesteurs d’histoire et de cultures attachés aux basques des Sarkozy et consorts et surtout qu’elles éclairent nos peuples à la manière de Taubira (députée de Guyane) qui soutient la démarche de certains Kali’ na de boycotter le Jardin d’acclimatation, parlant de « choix d’un lieu où avaient été déshumanisés des peuples du monde » ou encore Greg Germain (comédien, metteur en scène) qui s’interroge sur ce choix :« une mauvaise idée qui rappelle l’exposition coloniale ».
Nous connaissons la capacité des dirigeants français à s’accaparer nos valeurs et nos chantres pour les détourner et les folkloriser, leur enlevant ainsi toute vitalité, tout ferment de révolte. Il en a été ainsi de notre musique, du gros-ka, du bèlè, de la biguine ou du zouk, de la mazurka, du maloya,… Il en est ainsi de nos langues. Il en a été ainsi de nos écrivains. Césaire à leurs yeux n’était plus militant anti-colonialiste et ni nègre. Il n’était qu’écrivain français et donc sa place est au Panthéon ! Il en a été ainsi de Glissant qui n’a pas été contre la guerre d’Algérie, parce qu’il était écrivain du « Tout Monde ». Il en sera ainsi de Patrick Saint-Eloi, qu’ils vont porter au pinacle, oubliant son engagement aux côtés de son peuple et son combat pour la valorisation de la langue et de la musique guadeloupéennes. Il en sera ainsi du Festival de Gros-ka de Sainte-Anne en Guadeloupe qui n’a pas attendu l’année des Outre-mer pour acquérir ses titres de noblesse et des groupes de carnaval. Gommer. Gommer, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que le vernis français, voilà leur démarche. Et en ce sens, ils reçoivent, aujourd’hui comme hier, l’assentiment, la complicité d’élites complètement assimilationnistes.
C’est peu dire que la bataille contre l’assimilation sera une des grandes questions que l’Outre-mer français aura à régler et une année ne suffira pas pour cela. Ce travail exaltant sera celui d’hommes et de femmes, enseignants, artistes, écrivains, historiens, politiques de nos différents pays qui voudront vivre en « citoyens libres, responsables, instruits de leur histoire et de nos histoires, soucieux pour faire destin commun, de ne pas laisser nier leur dignité ni piétiner leurs meurtrissures. »(Extrait Réplique de Taubira à Penchard).
Roger Valy-Plaisant, écrivain guadeloupéen.
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