Retour sur l’insurrection du monde rural qui rassembla en 1870 ouvriers et petits planteurs noirs dans le prolongement de la Commune de Paris et qui fut violemment réprimée.
L’insurrection de Martinique, 1870-1871, de Gilbert Pago.Éditions Syllepse, 2011, 154 pages, 9 euros. La Martinique a-t-elle connu sa Commune en septembre 1870 ? Surgie sur les décombres du second Empire, réprimée dans le sang des exécutions sommaires et par une justice de caste qui condamna à mort ou au bagne, la révolte martiniquaise portait aussi les espoirs d’une population rêvant de bien-être et d’égalité. Mais là s’arrête la comparaison. Car le livre de Gilbert Pago s’attache justement à replacer cet événement dans le contexte d’un monde colonial antillais « qui n’était plus esclavagiste mais n’en restait pas moins violent, ségrégationniste et inhumain ».
Si, sur fond de débâcle militaire en métropole, l’étincelle de la révolte est fournie par la condamnation abusive d’un entrepreneur noir et les provocations d’un béké monarchiste, le feu couvait depuis longtemps sous la cendre des promesses anéanties de 1848. Les paysans noirs sont passés du statut d’esclave à celui de travailleur forcé et subissent les humiliations d’une élite blanche. Ce sont ces ruraux qui composaient le gros de la troupe insurgée. La petite bourgeoisie de couleur et les mulâtres, bien que confinés dans des rôles de citoyens de seconde zone, ne se rallièrent pas au mouvement, préférant jouer la carte de l’assimilation.
L’analyse des minutes des procès nous renseigne autant sur le profil et les motivations des insurgés que sur l’incroyable mépris des békés, dont certains se vantaient d’être « toujours vierges », c’est-à-dire de n’avoir pas encore eu à serrer la main d’un ancien esclave ou à trinquer avec lui ! La place des femmes est elle aussi parfaitement bien illustrée par l’auteur, qui s’attarde sur Lumina Sophie, véritable « pétroleuse martiniquaise », à la fois incendiaire d’habitations et meneuse charismatique. Le sort que la justice lui fit, à elle comme à la plupart de ses compagnes, est d’ailleurs emblématique des valeurs d’une société où le machisme le disputait au racisme : elle sera punie moins pour son rôle dans l’insurrection que pour avoir refusé de se conformer aux codes moraux en vigueur, à l’image « de douceur, de soumission et de réserve » qui sied alors aux femmes.
Pour spontanée qu’elle fût, cette révolte n’était en outre pas dénuée de contenu social et politique. Son attachement naïf à la République du 4 septembre l’éloignait certes de toute visée indépendantiste, mais s’assortissait d’un mot d’ordre de partage des terres qui souda les ardeurs des petits planteurs et des ouvriers agricoles. Il fallait en finir avec l’arrogance des békés et les empêcher « de jouir plus longtemps ». La dénonciation de la pwofitasyon en 2009 témoigne donc du chemin parcouru comme de celui qui reste à parcourir…
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