vendredi, septembre 30, 2011

20ème anniversaire du coup d’Etat de 1991 : 20 ans depuis la mort du capitaine Fritz Pierre-Louis Témoignages contre l’oubli



Le capitaine Fritz Pierre-Louis fut probablement assassiné le 30 septembre 1991 au Palais National, après une folle et chaude journée au cours de laquelle les hommes placés sous son commandement et lui-même ont ramené au siège de la présidence un chef d’Etat dont le sort était pourtant déjà scellé.

Sa « journée », comme disent affectueusement les américains, aurait pu cependant se terminer différemment, de façon moins tragique, si, quelques heures seulement auparavant, le chef d’Etat en question, avait tant soit peu tenu compte de son analyse judicieuse de la situation qui se développait dès la veille au soir et qui allait se préciser avec les événements enregistrés dans la matinée du 30 septembre.

Retranché en la résidence du « président » à Tabarre, Fritz Pierre-Louis avait clairement vu venir le « coup d’Etat ». Il avait alors proposé une riposte urgente et appropriée. Mais, on attendait...

Et on a attendu...

L’exécution de Fritz Pierre-Louis, présentée par la suite comme un suicide, fut une étape décisive dans la réalisation du coup d’Etat. Ceux qui l’ont connu savent que, vivant, il aurait tout tenté pour renverser la situation. Il aurait pu alors compter sur son ascendant sur ses camarades militaires dont les plus gradés l’appelaient « le chef ».

Ce charisme, Fritz Pierre-Louis le devait à sa force de caractère, à sa discipline militaire et à sa rectitude.

Peu de gens savent que, bien avant de s’inscrire à l’Académie militaire, Fritz Pierre-Louis était épris d’idéaux de justice et de progrès.

Peu de gens savent que le pays a failli découvrir un Thomas Sankara haïtien le 7 novembre 1986, jour où, en compagnie de certains frères d’armes, le sous-lieutenant Fritz Pierre-Louis du puissant bataillon Jean Jacques Dessalines, avait projeté de « décapiter » l’armée en le débarrassant de tous ses généraux et colonels apatrides et corrompus.

Pourtant, le colonel Jean Claude Paul croyait l’avoir dans sa poche et ne ménageait aucune faveur au jeune et brillant officier. Au même moment, il contrevenait systématiquement à ses ordres, notamment en refusant d’honorer son quota de morts par jour pour instaurer la terreur ou d’exécuter prêtres, dirigeants politiques et journalistes « nuisibles ».

L’un des officiers ayant vendu la mèche, il dut prendre le chemin de l’exil.

Peu de gens savent qu’il a abandonné femme et enfants, de même que le confort matériel offert par les Etats-Unis, pour venir reprendre du service en Haïti dans des conditions qui étaient loin de conduire à la réussite individuelle.

Sait-on que, au moment de prendre la décision cruciale de regagner la mère-patrie, Fritz Pierre Louis s’était donné la peine de savoir si le père Aristide et le mouvement lavalas voulaient réellement conduire le pays à bon port ?

Sait-on aussi que son projet de retour en Haïti impliquait qu’il ne pourrait plus retourner aux Etats-Unis où il jouissait du statut de réfugié politique ? Sa décision était prise quoique, de surcroît, aucune garantie ne lui avait été donnée concernant son intégration éventuelle dans le nouvel appareil d’Etat, dans la sécurité d’Etat ou dans l’armée...

A la veille de son retour d’exil, Fritz Pierre-Louis a participé, de Miami étant, à la coordination de l’action militaire qui devait être déclenchée pour faire échec au coup d’Etat perpétré le 7 janvier 1991 par Roger Lafontant et consorts. Le commandant d’alors du Corps des Engins Lourds, le major Gérard Salomon, était en contact direct avec « le chef » se trouvant à Miami. Le Haut-commandement militaire s’était « évaporé ». Aucun membre de l’Etat-Major n’a pu être atteint par Salomon pour des instructions spécifiques. Au niveau des Engins Lourds, la décision était tout de même prise de passer à l’action contre Roger Lafontant et consorts.

De retour en Haïti au lendemain du 7 février 1991, Fritz Pierre-Louis fut admis dans le groupe des « civils » qui devaient recevoir une formation dans le domaine de la sécurité rapprochée dispensée par des instructeurs de police suisses. Très vite, il se distingua auprès de ces derniers par la précision de son tir, sa rigueur, son ardeur à l’effort physique et ses brillantes facultés intellectuelles. Il fut alors recommandé pour diriger le groupe.

En raison des frictions incessantes entre ce groupe de civils et les militaires de la sécurité présidentielle, le chef de l’Etat résolut de solliciter la réintégration au sein de l’armée de ceux d’entre eux qui en faisaient partie, jadis. C’est ainsi que Fritz Pierre-Louis et certains ex-officiers du groupe furent réintégrés dans l’armée. Le classement lui permit d’être promu au grade de capitaine.

Le commandant en chef par intérim Raoul Cédras a vainement tenté de faire comprendre au chef de l’Etat que cette réintégration posait des problèmes et que la plupart de ces ex-officiers étaient des déserteurs jugés par contumace. L’ironie de l’histoire était que Cédras fut le principal accusateur militaire dans le procès en cour martiale contre la plupart des hommes que le chef de l’Etat lui avait finalement intimé l’ordre de réintégrer au sein de l’institution militaire.

Dans d’autres sphères de l’armée, on se méfiait ouvertement de ces « officiers réintégrés » qu’on désignait alors sous le vocable peu flatteur dans l’institution militaire d’« officiers politiques ».

Fritz Pierre-Louis et consorts se sont donc vite retrouvés sous l’autorité directe de chefs militaires qui ne les appréciaient guère et qui guettaient assurément la meilleure occasion pour les expédier « en enfer ».

La réintégration dans l’armée n’était pourtant pas l’objectif premier de Fritz Pierre-Louis. Il voulait de préférence contribuer, en protégeant un « leader populaire et constitutionnel », à une entreprise qui eut pu tirer le peuple des conditions abjectes dans lesquelles il vivait depuis plus d’un siècle.

Moins d’un mois avant le coup d’Etat, il confia à un ami d’enfance alors responsable de la Télévision d’Etat et en présence d’un ami commun, que nous faisions face à des risques énormes et que nous pouvions y laisser notre peau compte tenu, d’après son constat, de la légèreté avec laquelle le président et le premier ministre traitaient des questions sensibles de sécurité nationale. Il en voulait pour preuve, entre autres exemples, le fait par le chef de l’Etat de s’être ravisé à la dernière minute sur un ordre de transfert en province du « dangereux » major Joseph Michel François.

Tirant sa propre conclusion de cette situation, Fritz Pierre-Louis a alors vaguement considéré, au cours de la conversation, l’éventualité de solliciter un transfert à un autre poste où il exercerait exclusivement sa fonction militaire.

Une autre fois, au même ami d’enfance, il a fait part de son amertume de constater que certains de ses frères d’armes en qui il avait placé sa confiance pour une cause noble, commençaient à s’enrichir par tous les moyens, « comme le faisaient les officiers sous Jean Claude Duvalier ». « Ce n’est pas ce qui m’intéresse, moi. Il se pourrait que, un de ces jours, je le leur crache au visage et que je coupe les ponts avec eux », avait-il ajouté avec dépit.

La thèse du suicide de Fritz Pierre-Louis a été annoncée par le général Cédras en personne, quelques heures seulement après son décès. Il n’y a donc pas eu d’enquête sur les circonstances exactes de la mort du responsable de la sécurité rapprochée du chef de l’Etat.

20 ans après, peu de gens savent qui était le capitaine Fritz Pierre-Louis. Mais ceux qui l’ont connu et qui savent qu’il n’appartenait pas à un parti, mais plutôt à une cause, doivent empêcher que son nom et son sacrifice tombent dans l’oubli.

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