mercredi, septembre 02, 2009

Fouquier-Tinville, la hache de la Terreur 1746-1795


Portrait. 220 ans après la révolution française


Monstre pour la réaction thermidorienne, qui le condamna à mort après la chute de Robespierre, Antoine Quentin Fouquier de Tinville consacra sa vie à la Révolution, dont il fut l’implacable accusateur public du tribunal révolutionnaire.

Au panthéon des figures de la Révolution, celle d’Antoine Quentin Fouquier de Tinville est sans doute l’une des plus décriées et des plus haïes. L’histoire dominante lui a collé l’image d’un monstre sanguinaire, incarnant la répression impitoyable à laquelle est souvent réduite la Terreur. Encore aujourd’hui, son nom, quand il est évoqué, est associé au couperet de la guillotine tombant sans répit, à des procès sommaires et expéditifs, aux exécutions par fournées entières des « ennemis de la Révolution ». Le procès de Fouquier-Tinville, consécutif à la chute de - Robespierre, a largement contribué à forger cette image, la réaction thermidorienne faisant de lui le symbole et l’ordonnateur de la répression sous la Terreur. Il doit cette réputation à la fonction d’accusateur public du tribunal révolutionnaire, qu’il assuma du 13 mars 1793 au 1er août 1794, sous la Convention montagnarde du 2 juin 1793. On lui prête l’obtention d’environ deux mille condamnations à mort, sur les 16 594 sentences capitales recensées sous la Terreur entre mars 1793 et août 1794, d’après les statistiques de l’historien Donald Greer, mais aussi des acquittements que l’histoire a occultés.

Rien ne prédestinait pourtant ce Picard, fils d’une famille paysanne plutôt aisée, à ce destin tragique. Né le 12 juin 1746, il étudie le droit à Paris et embrasse la carrière de procureur en 1773. Ce métier ne suffisant pas à subvenir à ses besoins, il doit, au bout de dix ans, se résoudre à vendre sa charge. On a raconté de lui qu’il mène durant ces années une vie de débauche et de boissons, qui lui sera imputée à charge lors de son procès par les vainqueurs du 9 Thermidor an II (27 juillet 1794).

La Révolution qui monte, dont il épouse la cause, fait basculer la vie de ce cousin éloigné de Camille Desmoulins. En 1792, il est nommé directeur d’un des jurys d’accusation du tribunal créé pour juger les auteurs du complot royaliste du 10 août. Il accède le 13 mars 1793 à la fonction d’accusateur public du tribunal révolutionnaire, élu par la Convention. Fouquier-Tinville y a prononcé les réquisitoires qui l’ont rendu célèbre : contre Marie-Antoinette, contre Charlotte Corday, contre les Girondins et les dantonistes… Lors de la chute de Robespierre, son rôle se borna à faire constater - l’identité de ce dernier, sur ordre de la Convention, préalable à l’exécution sans jugement du chef de la Montagne, conformément à la loi. Ce zèle dans l’obéissance sans faille à la Convention ne lui épargna pas - d’être lui-même mis en accusation, dès le 14 thermidor (1er août 1794), et de finir exécuté comme son maître, le 7 mai 1795.

Son réquisitoire le plus fameux reste celui prononcé contre la « veuve Capet », alias Marie-Antoinette. Le texte est un morceau de bravoure oratoire et d’une modernité stupéfiante. La liste des accusations portées contre la reine est accablante et édifiante. Fouquier-Tinville dénonce : « Marie-Antoinette, veuve de Louis Capet, a été, depuis son séjour en France, le fléau et la sangsue des Français. (…) Depuis la Révolution, la veuve Capet n’a cessé un seul instant d’entretenir des intelligences et des correspondances criminelles et nuisibles à la France, avec les puissances étrangères et dans l’intérieur de la République (…), elle a usé de toutes les manoeuvres qu’elle croyait propres à ses vues perfides pour opérer une contre-révolution. » Fouquier-Tinville détaille le rôle éminent de Marie-Antoinette dans le déclenchement du massacre du Champ-de-Mars du 17 juillet 1791, dans le renseignement des monarchies étrangères en guerre contre la France, dans le complot aristocrate du 10 août 1792, etc. En conclusion, il accuse la veuve - d’avoir « tramé des conspirations et des - complots contre la sûreté intérieure et extérieure de la France, et d’avoir à cet effet allumé la guerre civile dans divers points de la République et armé les citoyens les uns contre les autres, et d’avoir par ce moyen fait couler le sang d’un nombre - incalculable de citoyens ». La peine de mort est votée à l’unanimité par les jurés.

La réaction ne lui pardonnera jamais ses réquisitoires implacables contre « les ennemis de la Révolution ». Le procès de Fouquier-Tinville, qui se tint du 28 mars au 6 mai 1795, veille de son exécution, fut transformé en procès de la Terreur et du tribunal révolutionnaire par les nouveaux maîtres du pays. Ses adversaires accoururent pour se venger. On l’accusa de fomenter « le renversement du régime républicain » et d’avoir fait « périr sous la forme déguisée d’un jugement une foule innombrable de Français ».

L’action et les motivations de Fouquier-Tinville, tout comme son procès, sont inséparables du contexte historique de la France de cette période et du fonctionnement des institutions politiques et judiciaires sous la dictature de salut public. « La volonté punitive constituait, depuis 1789, l’un des traits essentiels de la mentalité révolutionnaire, face au complot aristocratique s’affirmaient la réaction défensive et la volonté punitive des masses populaires comme des dirigeants clairvoyants de la Révolution », rappelle l’éminent historien Albert Soboul (1). « L’établissement de la Terreur découla de l’aggravation de la crise. Mais le gouvernement révolutionnaire s’établissant et se renforçant, la Terreur fut organisée et légalisée. Le 10 mars 1793, pour prévenir de nouveaux massacres populaires, le tribunal révolutionnaire fut institué. »

Nommé par la Convention, ce tribunal juge suivant une procédure simplifiée. Le jury d’accusation a été supprimé, et ses verdicts ne donnent lieu à aucun appel. Le décret de la Convention du 22 prairial an II (10 juin 1794), qui institue la Grande Terreur, marque une évolution radicale. « Elle s’explique par les circonstances du moment », après des tentatives d’attentat contre Collot d’Herbois et Robespierre, rappelle Soboul. La défense et l’interrogatoire préalable des accusés furent supprimés, les jurés pouvaient se contenter de preuves morales, le tribunal n’eut le choix qu’entre lou la mort. La pratique de l’amalgame fut généralisée : la notion élargie de complot aristocratique permit d’inculper dans le même procès des gens sans liens entre eux, mais jugés solidaires dans leurs menées contre la nation.
Couthon, rapporteur de la loi à la Convention, expliqua : « Il ne s’agit pas de donner quelques exemples mais d’exterminer les implacables satellites de la tyrannie. » « Les têtes tombaient comme des ardoises », décrira Fouquier-Tinville.

Ses notes rédigées pour sa défense lors de son procès montrent un révolutionnaire persuadé d’avoir rempli honnêtement sa tâche comme « un être passif, un rouage et un ressort que faisait mouvoir la loi ». « Toutes les accusations pour la plupart (sic) ont été dirigées contre des conspirateurs caractérisés. Il est possible cependant que, sur des dénonciations ourdies par des malveillants, il y ait eu des actes d’accusation dirigés contre quelques patriotes. (…) C’est certainement un malheur qui ne pourrait me rendre coupable, car dès qu’il existe des dénonciations et des charges, la loi impose le devoir à l’accusateur public de diriger des poursuites. » Niant être la « créature de Robespierre », dont il avoua détester le « despotisme », il explique à propos de la loi du 22 prairial de durcissement de la Terreur qu’il désapprouvait, redoutant ses excès : « Je ne pouvais me refuser à l’exécution de ce - décret sans m’exposer à être considéré et traité comme un contre-révolutionnaire. »

Interpréter son action à l’aune de critères d’aujourd’hui, comme le devoir de désobéissance à des ordres injustes ou indignes, n’aurait aucun sens. Pour Fouquier-Tinville et les révolutionnaires de son époque, une fois le règne de l’arbitraire royal abattu, le fait qu’aucun homme ne puisse se déclarer au-dessus des lois caractérise le changement de régime. Dans sa justification, il écrit : « Un fonctionnaire dans une République ne doit connaître que la loi émanée du pouvoir souverain (…), son devoir est de l’exécuter et de la faire exécuter. »

C’est au nom de ce dévouement patriotique qu’apprenant, le 14 thermidor, sa mise en accusation, il se rendit à la Conciergerie pour se constituer prisonnier. En mai 1795, attendant son exécution du fond de sa geôle, on lui prête ces mots, qui résument l’homme : « Je ne suis qu’une hache. Peut-on condamner une hache ? »

(1) La Révolution française, Éditions sociales, 1982, rééditée par Gallimard.


Sébastien Crépel

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