Ce mois de mars 2008, se caractérise dans l'histoire martiniquaise par un funeste soixantenaire, celui d'une répression sanglante ayant eu lieu le 4 mars 1948 dans la petite commune du nord caraïbe, celle du Carbet.
Pour comprendre ce qui c'est passé ce jour là, il est impératif de contextualiser cet évènement en brossant un tableau de la situation de l'île à cette époque.
Il faut se remémorer, durant la seconde guerre mondiale, la Martinique, comme d'autres colonies a largement pourvu à l'effort de guerre, nombre de Martiniquais et Guadeloupéens sont entrés en dissidence, ils sont partis renforcer les rangs des troupes de l'armée française de libération, et aussi la Martinique a été contrainte de vivre une période drastique particulièrement traumatisante, car coupée de la métropole qui ne peut plus la ravitailler, ni exporter sa production, la Martinique se retrouve confrontée aux pénuries, aux rationnements et les files s'allongent devant les magasins.
Au lendemain de la guerre, la Martinique est exsangue, en proie à une situation de délabrement économique et social des plus atroce.
L'excèdent naturel annuel qui est de l'ordre de 2 993 à cette époque, est loin d'être un atout, un élément dynamique grâce auquel la Martinique pourrait se développer.
La population active comptabilisant 73 000 travailleurs, est majoritairement employée dans le secteur agricole (41 422), ceci contribue à expliquer la raison pour laquelle, le tissu industriel est quasi-inexistant, en outre, en 1948, l'industrie est axée sur la distillation de la canne à sucre, ainsi l'industrialisation est étroitement liée et dépendante de l'agriculture coloniale, aux conditions de travail pénibles, aux conditions salariales peu rémunératrices pour les ouvriers agricoles.
A coté de cette agriculture industrielle et coloniale, jouxte tant bien que mal, ce que l'on pourrait englober dans un secteur tertiaire restreint, à savoir les fonctionnaires, les artisans, les commerçants et les professions libérales.
Par-dessus cet état de fait marqué par de fortes tensions sociales, se greffe une situation de sous-développement dramatique du pays.
La société est foncièrement inégalitaire, il y a un important clivage entre la minorité possédante (essentiellement béké) et la majorité de la population réduite à une misère économique et sociale insupportable.
Le gros de la population se compose de familles nombreuses, vivant entassées dans des cases d'une à deux pièces, dans des quartiers populaires qui ont des allures de taudis, les infrastructures sanitaires sont absentes, les hôpitaux sont d'une grande insalubrité, d'une grande pauvreté et le dénuement y est tel, que l'on est obligé d'amasser les bébés par 3 ou 4 dans des caisses en bois en guise de berceaux, les écoles sont aussi dans un état pitoyable avec des locaux exigus et sordides.
Face à cela, le peuple a réagi et une lutte s'est alors engagée sur un plan social et politique, impulsée par des forces populaires s'appuyant sur les syndicats d'une part (la CGT, la Fédération des syndicats de fonctionnaires) et sur les partis politiques d'autre part, principalement le parti communiste (PC) et son organe de presse Justice.
Ces éléments moteurs estimaient qu'il fallait passer par la lutte pour extirper le pays de la pauvreté.
Mais en 1948, l'histoire des relations internationales où l'on verra le bloc capitaliste et communiste s'affronter dans une répartition bipolaire du monde, venir influer sur l'histoire martiniquaise.
En effet, sept mois auparavant, le 23 août 1947, débarque le tout premier préfet de l'histoire de la Martinique, M. Pierre Trouillé, de nombreux espoirs sont fondés par la population, mais c'est en vain, car le préfet n'a été nommé pour apaiser les tensions sociales, ni pour améliorer le quotidien des Martiniquais, il était au contraire mandaté pour enrayer par tous les moyens possibles les révoltes sociales et contrer les éléments communistes.
Ainsi, en Martinique à cette époque, il y avait deux camps qui s'opposaient, d'un coté, les aspirants aux changements en matière de protection sociale et de droits du travail, c'est à dire la population noire dans sa grande majorité, et de l'autre coté, les possédants, la population blanche, notamment les békés partisans du statut-quo, ils ont un allié de poids en la personne du préfet Trouillé.
Les forces progressistes s'inscrivent dans une logique dictée par l'urgence de leur condition, alors que les autres ont plutôt intérêt à ce qu'il y ait peu d'évolution.
Ces deux logiques antagonistes ont conduit aux évènements du 4 mars 1948.
Les faits ont comme localisation initiale l'habitation Lajus au Carbet, un domaine colonial racheté en 1919 par Jaques Bailly sur lequel il a transféré sa distillerie de l'habitation Dariste en 1921 par autorisation du gouverneur, une mutation agro-industrielle loin d'avoir été anodine puisque c'est dans cette distillerie où ont été réalisés les tous premiers rhums vieux de la Martinique.
Mais en 1948, les coupeurs de cannes de la plantation Lajus, qui depuis janvier ne sont payés que partiellement, réclamaient au 1er mars que les dispositions, prises un an auparavant pour la coupe de la canne, dans les pièces encombrées d'herbes hautes et de lignes, soient mises en application.
Le distillateur J.Bailly leur a opposé une fin de non recevoir et a exclu un aménagement prévoyant une diminution du travail en la matière et encore moins d'en modifier à la hausse son coût. Ce qui revenait à s'opposer ni plus ni moins à l'application d'une mesure légale.
Ce refus a entraîné la cessation immédiate du travail de tous les ouvriers agricoles de la plantation, un arrêt jugé comme une impudence par le gros distillateur qui en guise de négociation à fait mander les forces de l'ordre, leur enjoignant de ne pas hésiter à faire usage de leur armes à feu sur les grévistes.
Le 4 mars, après trois jours de grève où chacun campaient sur ses positions, J.Bailly change de tactique et invite ses ouvriers à venir à l’habitation Lajus percevoir le complément de leur solde.
Les syndicats perçoivent cela comme une machination, un appeau patronal, mais ils ne peuvent empêcher les travailleurs grévistes d'aller recevoir le salaire qui leur est dû.
A 18 heures l'opération achevée les ouvriers regagnent le bourg, ils cheminent le long de la RN2 quand ils croisent sur leur route une jeep provenant de Saint-Pierre et ayant à son bord une dizaine de gendarmes environs.
En arrivant à hauteur d'un gréviste et de son épouse restés en arrière du groupe, les gendarmes stoppent alors leur véhicule et s'acharnent à coups de crosses sur André Jacques. Ils se livrent à un passage à tabac en règle, Yvonne Jacques tente de venir en aide à son mari, elle se fait tirer dessus, la balle l’atteint à la jambe.
Le bruit des déflagrations alerte les ouvriers qui rebroussent chemin et interviennent pour prêter assistance à leurs camarades.
Le frère du molesté, Henry Jacques tente de désarmer le tireur, mais il est mis en joue par les gendarmes et abattu.
Ce soir là les balles ont fusées au Carbet tuant trois personnes, les deux frères Jacques et Mathurin Dalin et blessant grièvement deux autres personnes, madame Jacques et André Balmer.
Ces évènements ont été relatés dans le journal Justice, faisant exception dans une presse loquace mais cette dénonciation déplaira fortement au préfet Trouillé qui fera en sorte que les journalistes des articles soient condamnés pour "diffamation" à six mois de prison et le journal à 100 000 francs d'amende.
Néanmoins, cette fusillade a consterné la population martiniquaise, le petit peuple martiniquais, c'est même dit, qu'à l'époque de l'amiral Robert pendant la seconde guerre mondiale (An tant Robè), on n'avait pas osé tirer sur des travailleurs, mais c'était oublier les précédents de 1900 au François ( 10 morts) et de 1925 à Bassignac à Trinité ( 2 morts).
Les luttes ouvrières martiniquaises sont parsemées de cadavres, les békés ne sont pas privés afin de protéger leurs intérêts faire appel à la gendarmerie ou de recourir à leurs sbires et spadassins pour éliminer, ceux qu’ils estimaient gênant à la bonne marche de leurs affaires et ce 4 mars 1948 a été en Martinique une autre journée marquée par la répression sanglante des forces coloniales, et à nouveau ce même Trouillé 3 ans plus tard, le 7 mars 1951 donnera l’ordre à ses gendarmes de tirer sur la foule.
Pour comprendre ce qui c'est passé ce jour là, il est impératif de contextualiser cet évènement en brossant un tableau de la situation de l'île à cette époque.
Il faut se remémorer, durant la seconde guerre mondiale, la Martinique, comme d'autres colonies a largement pourvu à l'effort de guerre, nombre de Martiniquais et Guadeloupéens sont entrés en dissidence, ils sont partis renforcer les rangs des troupes de l'armée française de libération, et aussi la Martinique a été contrainte de vivre une période drastique particulièrement traumatisante, car coupée de la métropole qui ne peut plus la ravitailler, ni exporter sa production, la Martinique se retrouve confrontée aux pénuries, aux rationnements et les files s'allongent devant les magasins.
Au lendemain de la guerre, la Martinique est exsangue, en proie à une situation de délabrement économique et social des plus atroce.
L'excèdent naturel annuel qui est de l'ordre de 2 993 à cette époque, est loin d'être un atout, un élément dynamique grâce auquel la Martinique pourrait se développer.
La population active comptabilisant 73 000 travailleurs, est majoritairement employée dans le secteur agricole (41 422), ceci contribue à expliquer la raison pour laquelle, le tissu industriel est quasi-inexistant, en outre, en 1948, l'industrie est axée sur la distillation de la canne à sucre, ainsi l'industrialisation est étroitement liée et dépendante de l'agriculture coloniale, aux conditions de travail pénibles, aux conditions salariales peu rémunératrices pour les ouvriers agricoles.
A coté de cette agriculture industrielle et coloniale, jouxte tant bien que mal, ce que l'on pourrait englober dans un secteur tertiaire restreint, à savoir les fonctionnaires, les artisans, les commerçants et les professions libérales.
Par-dessus cet état de fait marqué par de fortes tensions sociales, se greffe une situation de sous-développement dramatique du pays.
La société est foncièrement inégalitaire, il y a un important clivage entre la minorité possédante (essentiellement béké) et la majorité de la population réduite à une misère économique et sociale insupportable.
Le gros de la population se compose de familles nombreuses, vivant entassées dans des cases d'une à deux pièces, dans des quartiers populaires qui ont des allures de taudis, les infrastructures sanitaires sont absentes, les hôpitaux sont d'une grande insalubrité, d'une grande pauvreté et le dénuement y est tel, que l'on est obligé d'amasser les bébés par 3 ou 4 dans des caisses en bois en guise de berceaux, les écoles sont aussi dans un état pitoyable avec des locaux exigus et sordides.
Face à cela, le peuple a réagi et une lutte s'est alors engagée sur un plan social et politique, impulsée par des forces populaires s'appuyant sur les syndicats d'une part (la CGT, la Fédération des syndicats de fonctionnaires) et sur les partis politiques d'autre part, principalement le parti communiste (PC) et son organe de presse Justice.
Ces éléments moteurs estimaient qu'il fallait passer par la lutte pour extirper le pays de la pauvreté.
Mais en 1948, l'histoire des relations internationales où l'on verra le bloc capitaliste et communiste s'affronter dans une répartition bipolaire du monde, venir influer sur l'histoire martiniquaise.
En effet, sept mois auparavant, le 23 août 1947, débarque le tout premier préfet de l'histoire de la Martinique, M. Pierre Trouillé, de nombreux espoirs sont fondés par la population, mais c'est en vain, car le préfet n'a été nommé pour apaiser les tensions sociales, ni pour améliorer le quotidien des Martiniquais, il était au contraire mandaté pour enrayer par tous les moyens possibles les révoltes sociales et contrer les éléments communistes.
Ainsi, en Martinique à cette époque, il y avait deux camps qui s'opposaient, d'un coté, les aspirants aux changements en matière de protection sociale et de droits du travail, c'est à dire la population noire dans sa grande majorité, et de l'autre coté, les possédants, la population blanche, notamment les békés partisans du statut-quo, ils ont un allié de poids en la personne du préfet Trouillé.
Les forces progressistes s'inscrivent dans une logique dictée par l'urgence de leur condition, alors que les autres ont plutôt intérêt à ce qu'il y ait peu d'évolution.
Ces deux logiques antagonistes ont conduit aux évènements du 4 mars 1948.
Les faits ont comme localisation initiale l'habitation Lajus au Carbet, un domaine colonial racheté en 1919 par Jaques Bailly sur lequel il a transféré sa distillerie de l'habitation Dariste en 1921 par autorisation du gouverneur, une mutation agro-industrielle loin d'avoir été anodine puisque c'est dans cette distillerie où ont été réalisés les tous premiers rhums vieux de la Martinique.
Mais en 1948, les coupeurs de cannes de la plantation Lajus, qui depuis janvier ne sont payés que partiellement, réclamaient au 1er mars que les dispositions, prises un an auparavant pour la coupe de la canne, dans les pièces encombrées d'herbes hautes et de lignes, soient mises en application.
Le distillateur J.Bailly leur a opposé une fin de non recevoir et a exclu un aménagement prévoyant une diminution du travail en la matière et encore moins d'en modifier à la hausse son coût. Ce qui revenait à s'opposer ni plus ni moins à l'application d'une mesure légale.
Ce refus a entraîné la cessation immédiate du travail de tous les ouvriers agricoles de la plantation, un arrêt jugé comme une impudence par le gros distillateur qui en guise de négociation à fait mander les forces de l'ordre, leur enjoignant de ne pas hésiter à faire usage de leur armes à feu sur les grévistes.
Le 4 mars, après trois jours de grève où chacun campaient sur ses positions, J.Bailly change de tactique et invite ses ouvriers à venir à l’habitation Lajus percevoir le complément de leur solde.
Les syndicats perçoivent cela comme une machination, un appeau patronal, mais ils ne peuvent empêcher les travailleurs grévistes d'aller recevoir le salaire qui leur est dû.
A 18 heures l'opération achevée les ouvriers regagnent le bourg, ils cheminent le long de la RN2 quand ils croisent sur leur route une jeep provenant de Saint-Pierre et ayant à son bord une dizaine de gendarmes environs.
En arrivant à hauteur d'un gréviste et de son épouse restés en arrière du groupe, les gendarmes stoppent alors leur véhicule et s'acharnent à coups de crosses sur André Jacques. Ils se livrent à un passage à tabac en règle, Yvonne Jacques tente de venir en aide à son mari, elle se fait tirer dessus, la balle l’atteint à la jambe.
Le bruit des déflagrations alerte les ouvriers qui rebroussent chemin et interviennent pour prêter assistance à leurs camarades.
Le frère du molesté, Henry Jacques tente de désarmer le tireur, mais il est mis en joue par les gendarmes et abattu.
Ce soir là les balles ont fusées au Carbet tuant trois personnes, les deux frères Jacques et Mathurin Dalin et blessant grièvement deux autres personnes, madame Jacques et André Balmer.
Ces évènements ont été relatés dans le journal Justice, faisant exception dans une presse loquace mais cette dénonciation déplaira fortement au préfet Trouillé qui fera en sorte que les journalistes des articles soient condamnés pour "diffamation" à six mois de prison et le journal à 100 000 francs d'amende.
Néanmoins, cette fusillade a consterné la population martiniquaise, le petit peuple martiniquais, c'est même dit, qu'à l'époque de l'amiral Robert pendant la seconde guerre mondiale (An tant Robè), on n'avait pas osé tirer sur des travailleurs, mais c'était oublier les précédents de 1900 au François ( 10 morts) et de 1925 à Bassignac à Trinité ( 2 morts).
Les luttes ouvrières martiniquaises sont parsemées de cadavres, les békés ne sont pas privés afin de protéger leurs intérêts faire appel à la gendarmerie ou de recourir à leurs sbires et spadassins pour éliminer, ceux qu’ils estimaient gênant à la bonne marche de leurs affaires et ce 4 mars 1948 a été en Martinique une autre journée marquée par la répression sanglante des forces coloniales, et à nouveau ce même Trouillé 3 ans plus tard, le 7 mars 1951 donnera l’ordre à ses gendarmes de tirer sur la foule.
Emmanuelle Bramban