mardi, juillet 21, 2020

EN HOMMAGE A FANON



Frantz Fanon est né en Martinique le 20 juillet 1925.
Il est mort le 6 décembre 1961, aux USA.

En ces temps où , dans son propre pays, l'impuissance et l'absence de pensée politiques génèrent d’effarantes régressions, il est bon de relire cette méditation... manière d'hommage.

FANON, COTE CŒUR, COTE SEVE

De Fanon, je conserve le souvenir d’une irruption très forte dans mon adolescence anticolonialiste. Le souvenir aussi d’une fulgurance qui allait jeter les bases de mes évolutions ultérieures. L’Homme de Peaux noires, masques blancs, l’homme des Damnés de la terre, constitue pourtant une partie invisible de ce que je suis aujourd’hui : il m’accompagne silencieusement dans ce que je tente de deviner des mutations contemporaines du monde. Cette discrétion de Fanon en moi, ou plutôt cette dés-apparition, est aussi sans doute liée à ces lectures que l’on fait de son œuvre au fil des commémorations, lectures historiques, lectures contextuelles, qui l’installent dans le mausolée de la colonisation et de la décolonisation. Ces lectures élaborent une sorte de linceul, qui à l’instar de la Négritude pour Césaire, lui confère une stature grandiose dans cela même qui le limite, et qui, tout compte fait, diminue sa portée.

Je crois qu’il faut recommencer Fanon au point exact où l’on a tendance à l’arrêter. Pour moi, son œuvre ne s’arrête pas à l’effondrement colonialiste, avec quelques lumières sur l’ère des indépendances et du post-colonialisme. C’est justement à partir de ces frontières-là que sa pensée s’ouvre, qu’elle nous empoigne et nous secoue, et qu’elle nous offre, sinon le seul Fanon qui vaille, mais le plus riche de tous : celui qui est en devenir.

Donc, attardons-nous sur mon rapport personnel à Fanon. Disons, sur cette « expérience » que j’ai engrangée grâce à lui. Je ne crois pas aux vérités de lectures et d’interprétation, je crois à la richesse des expériences, en ce que l’expérience déserte toute Vérité, laquelle ne fait que figer les choses en dehors du réel. L’expérience personnelle –– ce que l’on fait de ce que la vie nous réserve –– nous instruit des tremblements d’une conscience individuelle : une conscience solitaire (mais solidaire) qui cherche sa voie dans l’imprévisible et l’impensable du monde. C’est tout ce que nous pouvons transmettre : notre propre expérience.
Et donc, dans mes rencontres avec Fanon, je distingue quatre niveaux.

1 – D’abord, le choc d’une langue, ou plus exactement d’un langage. Un sens prodigieux de la formule. Une électricité du verbe. Des séquences langagières étonnantes qui vous dévoilent, avec l’ampleur brusque et totale des foudres, des perceptions inattendues de vous-même et du monde. De fait, il existe avant tout chez Fanon, la magistrale mobilisation d’une connaissance poétique, c'est-à-dire d’une aptitude à inventorier le réel où le plus décisif est livré par les secousses de l’intuition, les orages de la vision, les impatiences de l’éclair et de la fulgurance. J’ai toujours perçu à quel point il était habité par le verbe et par la rhétorique césairienne, et combien ce qui faisait sa force – et la force de ce qu’il nous disait – relevait des alchimies d’un grand sens poétique, et de ces transmutations de l’imaginaire dont seule est capable la puissance littéraire. Nous avons ici, la plus exacte définition du poète, en ce que ce dernier est avant tout un homme dont le verbe à lui seul est une action sur la matière du monde. Chez Fanon, cette étonnante capacité a pu atteindre son corps, ses muscles, et ses actions les plus concrètes. Il fut le plus « agissant » de nos nombreux poètes.

2 – C’est sur cela me semble t-il que se fonde le deuxième niveau de mon rapport à Fanon. Son langage électrique comblait mes absolus anticolonialistes de l’époque, mes cris et mes colères tournées vers l’extérieur. Mais ce qu’il disait me renvoyait à la ruine intérieure qui s’était constituée en chacun de nous, et qui faisait qu’une bonne part du dominateur était alors, et avant tout, installée en nous-mêmes. Nous pensions que la Bête était en dehors, Fanon nous expliquait qu’elle était largement en dedans, et que c’est du dedans qu’elle nous déterminait –– comme un soleil noir qui vivrait dans nos ombres inconscientes, et qui par ces ombres inconscientes, constituerait l’assise perverse, aliénée, aliénante, de nos fragiles lucidités. Dans Peaux noires, masques blancs, il y a déjà la déroute des indépendances à venir, une anticipation de cette décolonisation formelle qui n’allait rien modifier du fait fondamental. Ce fait fondamental n’était pas seulement la mise en lumière d’un masque blanc sur une peau noire, ou d’une peau noire sur un imaginaire blanc – il était surtout de signifier que dans la rencontre, ou plutôt dans le choc entre colonisateurs et colonisés, il ne s’était pas seulement produit des génocides, des violences, des aliénations irrémédiables, mais que s’étaient mis en branle des processus anthropologiques nouveaux. Ces processus transposaient une fois pour toutes le champ de bataille le plus décisif vers les ravines insoupçonnées et agissantes de chacun de nos imaginaires.

Au-delà des questions d’aliénation primaire, Peaux noires, masques blancs nous signifiait que le rapport entre les cultures, les civilisations, les élaborations identitaires collectives ou individuelles, étaient entrées dans des modalités qui allaient invalider les vieux marqueurs identitaires que sont la peau, la langue, le dieu que l’on vénère, la terre ou l’on est né. Le « masque blanc » nous symbolisait déjà un vertige conceptuel que nous commençons à peine à explorer. Bien entendu, à cette époque de ma rencontre avec Fanon, je m’étais contenté, comme nous tous, d’essayer d’arracher ce « masque blanc » qui m’oblitérait l’âme. En exaltant ma négritude, j’ai bien souvent eu le sentiment d’y parvenir, par le recours à un masque noir, plus pertinent, surtout plus rassurant, mais ce nouveau masque ne faisait que voiler l’abîme déjà ouvert d’une autre complexité.

3 – Au troisième niveau, avec Les damnés de la terre, s’élabore l’ouverture non plus seulement sur les ombres intérieures, mais sur les puissances invisibles de l’extérieur dominateur : sur tout l’invisible de la domination occidentale, tous les mécanismes secrets qui, au-delà du fusil ou de la chicote, nous maintenant dans une surdétermination. Cette surdétermination était capable d’absorber sans encombre nos combats les plus immédiats et nos luttes les plus étroitement rebelles. Il fallait se battre bien sûr, avec toute la violence refondatrice que Fanon déclarait nécessaire, mais il fallait se battre aussi et surtout avec toute la radicalité qu’il dévoilait indispensable.
On a beaucoup parlé de la violence de Fanon, de sa célébration de la violence refondatrice. Mais ce qu’il y a de plus violent chez Fanon, c’est sa radicalité. La radicalité n’est que l'exigence d’une analyse autonome, sérieuse, totale, profonde, de ce que nous devons affronter, du réel dans lequel nous devons exister, et du souci de comprendre les forces systémiques qui œuvraient (et qui œuvrent encore) entre le projet capitaliste occidental et le reste du monde. La radicalité est ce qui remet tout en question, et qui recherche sans cesse les questions essentielles, et qui les pose sans cesse. La radicalité est le seul moyen d’éviter que toute lucidité ne soit stérile, ou que le soleil des indépendances n’échoue dans une autre dépendance, la pire de toutes, celle qui se croit libre dessous un hymne national, un drapeau, des frontières, une fièvre nationaliste. Son livre, Les damnés de la terre nous disait, et nous dit encore : attention, les exigences qui s’imposent à notre élan vers plus d’humanité sont plus subtiles et plus complexes qu’une seule décolonisation, et que toute action ne vaut qu’en ce qu’elle est, même en tremblant, puissamment radicale.

4 – Enfin, mon Frantz Fanon : celui du dépassement. Il est évident qu’il su deviner tous les pièges des réactions primaires et des urgences aveugles. Il s’est écarté du masque noir. Il s’est écarté de la simple rébellion. Il s’est écarté de la haine et de la rancœur. Il n’a jamais été esclave de l’esclavage. Il n’a jamais été dupe de cette décolonisation qui ne décolonisait pas le colonisateur. Et il a toujours eu l’intuition qu’un colonisé décolonisé ne suffisait pas à faire un homme –– un homme qu’il appelait d’emblée à être neuf, à être nouveau, à être total. Et quand il demande à son corps de demeurer un homme qui toujours questionne et se questionne, c’est qu’il ne s’agissait pas pour lui de s’installer dans les fictions d’un post-colonialisme. Il avait deviné que le colonialisme, ses faits et ses méfaits, n’étaient qu’une poussière dans le vaste et très profond séisme qui allaient dramatiquement relier les peuples, les peaux, les cultures, les civilisations et leurs histoires, dans une irréversible marée d’entremêlements, de chocs génériques, d’abîmes génésiques, et donc de relations.

Et je me souviens de ce « nous autres algériens » qu’il employait en s’adressant au monde, je me souviens aussi du nom arabe qui avait remplacé le sien dans ses articles et ses diatribes. Cela ne voulait pas dire, comme je l’ai cru, qu’il nous avait abandonnés, nous les bâtards, nous les peuples composites, nous qui étions très difficiles à définir car surgis de la colonisation, dans la colonisation. Cela ne voulait pas dire qu’il s’était refugié (comme je l’ai pensé en d’autres temps), dans une identité atavique plus lisible, porteuse de plus de certitudes, et donc plus confortable. Je pense maintenant que cela signifiait que « quelque chose » s’était ouvert en lui. Et ce « quelque chose » n’était rien d’autre que cet arbre que nous devrions tous aujourd’hui tenter de découvrir en nous.
Je veux parler de l’arbre relationnel.
L’ancien arbre généalogique nous cantonnait dans les branches et les feuilles d’une lignée intangibles d’ancêtres, de traditions, de genèses et de cosmogonies monolithiques. Il nous immobilisait sur le pieu d’une racine unique qui nous plantait dans une seule terre natale. L’arbre relationnel lui, nous déploie sur un treillis des racines, des racines en rhizomes, et qui au gré de nos errances, ou de nos expériences, nous offrent plusieurs terres natales. L’arbre relationnel nous autorise même à choisir la terre natale qui nous convient le mieux, et même à en changer si notre relation aux fluidités du monde se retrouve à changer. Les branches et les feuillages de l’arbre relationnel sont une constellation de dieux, de langues, de lieux, de pays, de facettes culturelles, d’éclats de civilisations, d’aveuglements individuels et de lucidités toute personnelles, et tout cela est ouvert sur le vertige d’un monde globalisé et explosé continûment en nous.
Phénomène que Glissant appelait « le Tout-Monde ».
Dans l’arbre relationnel de Fanon, il y avait l’homme nouveau, l’homme neuf, l’homme total vibrant aux harmonies cosmiques qu’il appelait de ses vœux, et qui n’est rien d’autre à mon sens que l’homme de la relation. Dans le bruissement d’appartenances et de diversités qui constituent le feuillage de son arbre, il y a deux petites feuilles, éloignées l’une de l’autre, mais qui frémissent l’une vers l’autre avec intensité.
Deux petites feuilles : une côté cœur, une côté sève.
Côté cœur, il y a l’Algérie, là où il a voulu être enterré ; et coté sève, je vois la Martinique. Mais c’est sans doute l’inverse … peut-être aussi qu’elles sont toutes les deux placées du côté cœur… nul ne le saura jamais … mais ce détail n’a aucune importance quand il s’agit d’un homme de relation.

Patrick CHAMOISEAU
24 10 11.
Discours prononcé en hommage à F. Fanon,
au congrès international d’addictologie, à Fort de France.

lundi, juillet 13, 2020

UNE IMPREVOYANCE PERSISTANTE DE L’EVOLUTION DU MONDE, QUI AURA CAUSE LA PERTE DE DEUX EMPIRES COLONIAUX FRANÇAIS, ET QUI MENACE LE TROISIEME...


Premier empire colonial français 1534-1815
30 000 000 d’habitants
10 000 000 de km²

Deuxième empire colonial français 1815-1946
150 000 000 d’habitants
13 500 000 km², soit 1/10ème des terres émergées du globe... !

Troisième empire colonial français, “empire maritime” actuel et plus grand du monde, constitué autour des poussières des deux autres empires.

11 700 000 km² de Zone Economique Exclusive (ZEE), répartis sur cinq continents...

D’énormes ressources halieutiques, et énergétiques, qu’il s’agisse d’énergie fossile ou d’énergies renouvelables, des milliards de tonnes de ressources minières, fer, cuivre, nickel, manganèse, cobalt et autres, sous forme d'encroûtement ou de nodules polymétalliques, tout cela demeurant à ce jour totalement inexploité par la France, mais extrêmement convoité par toutes les autres puissances, qui risquent de voir leurs revendications l’emporter devant les Nations Unies, compte tenu que par son inaction, la France prive la planète de ces ressources.

Après le départ forcé des Français, le chef Pontiac de la tribu indienne des Outaouais, qui luttait avec eux contre les Britanniques, ne doutait pas une seconde qu’ils allaient revenir de France avec de puissants moyens, pour mener avec lui l’assaut final...

Mais ces renforts ne vinrent jamais, et les Outaouais abandonnés furent massacrés. Ceci, du fait d’un “nombrilisme” qui sera toujours le défaut de cette nation française où, incapables d’imaginer un avenir se faisant loin d’eux, des faiseurs d’opinion comme Voltaire, ne comprenant rien à ce qui se jouait aux Amériques lointaines, n’avaient de cesse de fustiger cette entreprise coloniale et les efforts déployés pour ces “quelques arpents de neige”, selon l’expression demeurée célèbre de lui, qui sera prêtée par erreur à Louis XV...

Ainsi, en 1763, au traité de Paris mettant fin à la guerre de sept ans, le Canada, colonie française, était-il cédé aux Britanniques...

De la même façon, suite à une défaite certes déprimante, mais qui ne compromettait en rien l’entreprise dans sa globalité, défaite à cause de laquelle ils avaient perdu beaucoup d’argent, les actionnaires de la Société des Indes Orientales en laquelle le Roi lui-même avait des intérêts, et qui avaient donc l’oreille de celui-ci, ont exigé et obtenu le rappel de Dupleix, l’administrateur des comptoirs français de l’Inde, et l’abandon de sa politique d’expansion coloniale, alors même que par une série d’accords, la majorité du pays se trouvait déjà sous influence française. Les Anglais qui n’en demandaient pas tant, ne manqueront pas d’occuper promptement la place...

Toujours dans la même inconséquence, Napoléon qui avait ruiné le pays par toutes ses guerres au travers de l’Europe, et qui avait la ferme intention de continuer à les mener, a vendu dans sa totalité aux Américains qui eux aussi n’en demandaient pas tant, la Louisiane de l’époque qui s’étendait alors du golf du Mexique jusqu’au Canada, sur 2 500 000 km², pour une somme nécessaire pour mener ses guerres, mais qui était dérisoire face à l’immensité du territoire ainsi nonchalamment cédé. Cette perte mettant quasiment fin au premier empire colonial français, celui-ci sera définitivement soldé par le congrès de Vienne en 1915...

Bien-sûr ces gens n’imaginaient pas ce que deviendraient le Canada et les Indes, et par le fait, la Grande Bretagne dont ils ont permis ainsi, bien-sûr sans le vouloir et sans le savoir, le développement de sa toute puissance, en concurrence à une France qui symétriquement, se trouvera privée d’un tel parcours, pas davantage qu’ils n’ont imaginé ce que deviendraient les Etats-Unis d’Amérique, qui ne seraient jamais devenus la puissance dominante d’aujourd’hui, sans la Louisiane qui leur barrait l’accès à l’Ouest, là encore, en concurrence à la France...

Ainsi, une capacité à imaginer l’avenir constitue-t-elle un élément décisif dans la puissance d’une nation, et le mal français réside dans une incapacité désolante à cet exercice...

Il renaîtra un second empire, plus vaste encore, plus peuplé, et beaucoup plus puissant que le premier, grâce auquel la France parviendra au faîte de sa puissance et de son influence dans le monde, et surtout qui lui vaudra sa place si enviée et si convoitée par d’autres, de membre permanent du conseil de sécurité des Nations Unies...

Il est facile de comprendre avec les chiffres dont nous disposons aujourd’hui, mais que ne pouvaient pas imaginer les nombrilistes volontiers racistes de l’époque, que cet empire qui serait actuellement fort de 500 à 550 millions d’hommes, disposant d’énormes ressources naturelles et humaines, et d’un savoir faire de la métropole, serait un des plus puissants sinon carrément le plus puissant, de ceux d’aujourd’hui...


Bien-sûr, par le jeu démocratique, ne se trouverait probablement pas à la tête de cet empire, un homme blanc, et face à cette perspective dérangeante pour certains, dont il faut le dire par delà tous ses mérites, l’illustre général de Gaulle, ceux-ci ont préféré la petitesse, plutôt qu’une grandeur qui ne célébrerait pas la supériorité raciale dont ils se revendiquent secrètement ou ouvertement...

Ainsi, après que le gouvernement de Vichy ait lâchement abandonné les Vietnamiens à la tyrannie des Japonais, sans faire le moindre geste pour protéger ces sujets de son empire, lesquels Vietnamiens parviendront malgré tout, par un formidable tour de force, à libérer leur pays eux-mêmes, la prétention de la France de restaurer sa souveraineté sur celui-ci aurait du pour le moins, s’accompagner de mesures fortes en direction de son peuple, des mesures de justice sociale, de réforme politique, et d’autonomie, que Ho-Chi-Minh s’en était venu lui-même négocier à Paris. Mais il n’obtiendra rien, face encore à d’autres esprits nombrilistes et étriqués, qui se sont montrés incapables d’imaginer ce que serait l’avenir avec cet état d’esprit lamentable, avenir qui sera terrible pour eux...

De la même façon, après la répression sanglante de Sétif contre des Algériens qui ne faisaient que demander reconnaissance après avoir si vaillamment et au prix de sacrifices énormes, participé à la libration de la métropole, des dispositions rapides et énergiques, de justice sociale, d’égalité politique, et de réhabilitation de tout un peuple dans sa dignité, en réparation de cette lourde faute, auraient probablement permis d’éteindre l’incendie naissant, mais elles ne seront jamais prises...

Ceci, parce que la constitution de 1946, que les Français connaissent sous la fausse appellation de constitution de la 4ème république, mais qui est en fait la constitution de “l’Union Française” par laquelle, selon la parole du général de Gaulle disant à la conférence de Brazzaville en 1944, que “les liens de la France et de l’Afrique sont définitifs”, la métropole s’envisageait dans une union définitive avec des nations africaines, en mettant fin au statut de l’indigénat et en faisant de leur ressortissants, des citoyens français de plein droit.

Cependant, toutes espèces d’astuces institutionnelles inavouables et inavouées, telles que la pluralité des collèges électoraux, faisaient que malgré cela, la possibilité des ex-colonisés d’accéder aux plus hautes responsabilités politiques, demeurait faible, ce qui ne trompait personne. L’empire prit fin mais l’Union fut morte née, car par-delà toutes les proclamations universalistes, il était clair que les esprits métropolitains refusaient encore l’égalité des races. Or, il ne peut pas y avoir d’empire si dispersé, sans un fort sentiment partagé d’appartenance, incompatible avec le sectarisme racial.


Les colonisés étaient donc sur leur garde lorsqu’en 1958, le général de Gaulle proposa à la nation, ce que les Français connaissent sous la fausse appellation de constitution de la 5ème république, mais qui est en réalité la constitution de la “Communauté française”, dont les articles strictement spécifiques à l’empire n’ont d’ailleurs été abrogés qu’en 1995, et par laquelle là encore, la métropole s’envisage dans une union définitive avec les nations africaines placées sous sa souveraineté. Cependant, après les expériences douloureuses de l’Indochine et de l’Algérie, il était prévu que les nations africaines décideraient librement d’adhérer ou non à cette Union.

Mais une étude des dispositions prévues montrait que là encore, selon ce qu’il faut bien nommer une véritable “obsession de la race” par des dirigeants qui n’imaginent pas l’avenir, et la nécessité qui sera désormais celle de toutes les nations de ce monde de dépasser ce concept, pour accéder à la plénitude de leurs moyens humains, des subtilités statutaires n’auraient en aucune façon permis à un ex-colonisé d’accéder à l’Elysée selon la voie démocratique...

Devant cette incapacité définitive d’une métropole à considérer que tous ses citoyens doivent bénéficier exactement des mêmes droits et des mêmes opportunités, à la fin de l’année 1960, toutes les nations africaines avaient choisi l’indépendance...

L’empire était mort, ce qui n’a pas semblé immédiatement désavantager la métropole, parce qu’elle avait trouvé par la “françafrique”, le moyen de continuer à bénéficier de ses ressources. Mais, comprenons que le dommage, et il fut de taille, se mesure en réalité par rapport aux autres grands et puissants empires d’aujourd’hui, l’Américain, le Russe, le Chinois, et l’Indien, qui eux, sont devenus tels, tout simplement parce qu'ils ont totalement intégré leur empire colonial, et c’est bien ce qui fait leur toute puissance, face à laquelle la France dévêtue, ne fait clairement plus le poids.

Le racisme est le tendon d’Achille de la nation française, non seulement concernant la paix sociale dans sa métropole, mais parce qu’une sourde tentation indépendantiste sommeille dans ses espaces lointains dont les peuples ne supportent plus l’arrogance métropolitaine, et les nations concurrentes désireuses de lui ravir l’exploitation de ses immenses espaces maritimes, vont pouvoir l’attaquer sur cette faiblesse. Ceci, en exploitant par le moyen de leurs services, les frustrations et le sentiment corrosif qui habite ces citoyens du bout du monde, de ne pas être considérés avec la même préoccupation que ceux de la métropole...

Richard Pulvar

mercredi, juillet 01, 2020

Esclavagisme en Afrique


Je me fais allumer de tous côtés parce que j'ai osé indiquer que la reine Njinga du Ndogo et Matamba avait abandonné aux Portugais l'esclave lui ayant servi de siège lors de son ambassade auprès du vice-roi du Portugal.

On m'invite à prendre des cours de linguistique subsaharienne pour vérifier que la notion d'esclavage n'existe pas dans les langues de cette région du monde. Il faudrait en conclure que, quels que soient les traitements infligés aux personnes, quelle que soit la perception des victimes elles-mêmes, l'esclavage serait étranger au corpus un peu flou qui, dans la bouche d'un grand nombre, porte le nom de "culture africaine". Au singulier.

Tout cela n'a qu'un objectif, et il est aussi clair que navrant: enfermer les Européens (et les Arabes quand on en a l'audace) dans une ontologie criminelle à laquelle les Subsahariens, créatures rendues divines par la mélanine, auraient échappé.

Oui, certaines langues subsahariennes n'emploient qu'un seul et même mot pour dire "esclave" ou "serviteur". Cependant, d'autres utilisent bien des vocables distincts.

Au-delà de toute rhétorique, au-delà des questions de sémantique et de traduction, la chose devrait se définir selon les traitements infligés aux personnes.

Lorsque l'on peut vous acheter et vous vendre, vous déposséder de votre nom et de votre langue initiale (ce fut notamment le cas sur la côte du Cameroun), faire de vous une bête de somme, ne pas rétribuer votre travail, vous violer à toute heure du jour ou de la nuit, vous infliger toutes sortes de sévices, etc., vous êtes un esclave. Que l'on ait l'hypocrisie de dire "serviteur" est une plaisanterie de mauvais goût.

Lorsque vous êtes prétendument intégré à la communauté qui vous a acquis mais que, de génération en génération, un lieu précis est destiné à votre habitat afin que vous ne soyez pas confondu avec les autres et connaissiez toujours votre place, vous êtes un esclave.

Lorsque votre talent vous permet de vous enrichir - d'abord pour le compte de votre possesseur - mais pas de régner, vous restez un esclave aux yeux du groupe, et quels que soient vos mérites.

Lorsque l'on peut, quel que soit votre niveau d'études, l'importance de votre fortune, votre générosité à l'égard de la communauté, vous rappeler que vos grands-parents avaient été achetés, vous demeurez un esclave dans le regard des vôtres.

Nous pouvons en débattre à l'envi, les faits sont là. Et, pour être honnête, je m'intéresse peu à ce problème d'image (que vont penser les autres) qui empêche de dire la vérité et, surtout, de se tenir du côté de ceux qui, encore aujourd'hui, se battent pour être traités comme des êtres humains.

Je vous propose cette vidéo de manifestants Soninkés à Paris l'année dernière. Allez leur dire qu'ils comprennent mal leur langue et sont en réalité des serviteurs ou des serfs...

Ils ne sont pas les seuls à subir et à dénoncer ces pratiques anciennes. Simplement, ils ont le courage de le dire au grand jour. Ils ont tout mon soutien. Et le vôtre?

Si l'esclavage coutumier n'est pas comparable à l'esclavage colonial - massif, quasiment industrialisé et surtout racialisé -, il demeure un esclavage. Et beaucoup de nos sociétés connaissent cela à l'heure où nous parlons.

Il est incompréhensible que l'on ne pense se défendre que par le mensonge, qu'il semble impossible de condamner toutes les formes d'esclavage, tout simplement parce que l'on voudrait faire endosser à d'autres toutes les ombres de l'humanité.

Je crois à une seule espèce humaine, affligée en tout lieu par les mêmes travers, souvent pour les mêmes raisons.

L'humanité, c'est aussi le crime et l'abjection. Les sociétés de notre continent, si elles sont bien les premières, ont nécessairement créé les premières civilisations. Et ces civilisations des origines ont forcément vu la commission des premiers crimes. Parce que nous sommes des humains.

Léonora Miano

 Esclavagisme soninké

Reine et guerrière, Aqualtune est l'un des principaux noms de la résistance afro-brésilienne contre l'esclavage et le racisme.




L'histoire d'Aqualtune est unique dans la mémoire afro-brésilienne. Sa vie a commencé sur le continent africain, au Congo, au XVIe siècle. Elle était une princesse, fille du Mani-Kongo, et jouissait d’un grand respect.

Aqualtune est déportée au Brésil après avoir vu son père et son royaume vaincus lors de la bataille d'Ambuíla, contre les forces angolaises et portugaises pour le contrôle du territoire de Dembos, qui séparait l'Angola et le Congo.

Les historiens affirment que durant ces affrontements, Aqualtune prit la tête d’un groupe de 10 000 personnes lors d'une invasion de son royaume. Cependant, la résistance ne put arrêter les forces angolaises et portugaises.

À la fin de la guerre, son père fut décapité et elle, capturée par les Portugais. Aqualtune et ses compatriotes furent vendus à des esclavagistes brésiliens. Pour la mater, on en fit une esclave reproductrice et Aqualtune fut violée à plusieurs reprises.
Cependant, sa force ne fut pas annihilée. Lorsqu’elle eut vent de la résistance noire au Brésil, qui se déroulait dans les quilombos, Aqualtune ne perdit pas de temps. Avec d'autres esclaves, elle se battit, reprit sa liberté et quitta la ferme où elle avait été esclavisée.

Au Brésil comme jadis dans son pays natal, la renommée d'Aqualtune parmi la population noire fut vite importante. Son passé et sa royauté étaient assez importants pour qu’à Palmarès, elle prenne rapidement une position de leader. Aqualtune dirigea donc le plus grand et le plus célèbre quilombo de l'histoire brésilienne.

Au fil des ans, elle est devenue mère. Son fils et héritier fut Ganga Zumba. Et Zumbi do Palmares, le célèbre héros afro-brésilien, était son petit-fils.

La date de sa mort et la fin de sa vie sont incertaines. Certaines chroniques indiquent qu'elle perdit la vie au cours d'une attaque visant à détruire par le feu le Quilombo dos Palmares, D'autres affirment qu'elle se serait enfuie et aurait vécu ses derniers jours en paix au sein d’une autre communauté.

Peu mentionnée dans les programmes scolaires du brésiliens, Aqualtune fut une figure importante de la résistance afro-brésilienne à l'époque coloniale. Elle incarne le leadership et la résistance au système esclavagiste.


Il faudra en chercher d’autres pour compléter les recherches. On voudrait en savoir davantage. Le concours des historiens serait précieux pour nous dire plus précisément quel était, en cette fin du XVIème siècle où Aqualtune fut déportée, quel était l'agresseur voisin, allié aux Portugais, que les auteurs brésiliens nomment "Angola".

Léonora Miano