mercredi, mai 07, 2008

POURQUOI NOUS NE SAURIONS COMMÉMORER LE 22 MÉ AVEC LES DESCENDANTS DES ESCLAVAGISTES


par Claudette DUHAMEL

Dans la capitale de la Martinique la nouvelle équipe municipale a instauré il y a quelques années une pratique bien curieuse : celle de commémorer le 22 mé date de la révolution anti esclavagiste en compagnie des grands békés de la Martinique c’est-à-dire des descendants des esclavagistes constitués en une caste raciste et endogame.

Cette pratique se ferait nous a-t-on dit au nom de la réconciliation.

Certes, mais cela signifierait qu’il y a eu au préalable des conciliabules et qu’au minimum les membres de la caste béké aient reconnu publiquement que leur ancêtres européo descendants ont commis plusieurs siècles durant, des actes odieux, ignobles, affreux, bref, des crimes contre l’humanité à l’encontre de nos ancêtres afro descendants.

Or il n’en est rien ! Ces békés qui sont aux premières loges, à coté du maire de la capitale et occupent donc les places d’honneur lors des cérémonies du 22 mé n’ont rien reconnu du tout !

Leur porte parole le sieur Roger De Jaham est venu sur les ondes d’une télévision pour dire qu’il n’était pas question pour eux de faire acte de repentance mais que lui Roger De Jaham avait brusquement pris conscience de ce que l’esclavage avait été un moment terrible douloureux de l’histoire etc. etc.…

C’est donc bien cette simple et banale prise de conscience qui a valu aux békés d’être mieux installés que les afro descendants dans toutes les commémorations de la capitale pour gloryé les luttes de nos ancêtres.

Et ces européo descendants continuent tranquillement au sein de leur caste, de vivre du produit des crimes contre de l’humanité commis par leur ancêtres qu’ils continuent d’honorer au travers diverses manifestations où les nègres ne sont bien évidemment pas invités.

Seuls les quelques mécréants qui parlent et marchent pour la réparation ont l’heur de les inquiéter un peu. Alors ils profitent justement de leur participation aux manifestations de l’édilité foyalaise pour diffamer ces trublions, les traitant de racistes, les accusant de faire appel à la haine raciale le tout dans le silence complice des « élites » compradores et bien sûr avec la bénédiction des juridictions françaises garantes de leur constante impunité.

Messieurs, vos insultes nous importent peu.

Nous n’exigeons de personne qu’elle fasse acte de repentance. La repentance qui repose sur l’humanité et l’amour du prochain est un sentiment qui ne peut s’imposer.

Toujours soumis à l’arbitraire colonial, privé de toute liberté politique et d’existence, nous exigeons la Réparation c’est-à-dire la restauration pleine et entière dans nos droits d’êtres humains libres.

Comme nous y invite le poète nous avançons ! Et si notre marche pour la liberté fait voler en éclats votre petite caste endogène et raciste alors tant mieux pour nous tous !

Le 1er mai 2008

mardi, mai 06, 2008

Invitation




"160e anniversaire de l'abolition de l'esclavage des noirs."

A.R.M.A.D.A Agir pour les Réparations Maintenant

pour les Africains et Descendants d'Africains

assoc.armada@yahoo.fr

Communiqué

«160e anniversaire de l’abolition de l’esclavage des noirs»

1848-2008

ARMADA appelle fermement tous les Africains, descendants d’Africains, les Français gaulois ainsi que les amis des autres communautés qui souffrent de l’oppression raciale à venir massivement le 10 mai 2008 à la Marche des Libertés à 14 h de République à Bastille !

Un mouvement pour les Réparations existe de fait en France depuis une vingtaine d’années. Il s’est manifesté sur la scène publique à maintes reprises et avec éclat en 1992 lorsque des militants et militantes anti-colonialistes ont occupé le parvis des Droits de l’Homme au Trocadéro pour contester le cinq-centenaire consacré par l’Europe à Christophe Colomb, celui qui a ouvert la voie à l’œuvre du plus grand génocide historique jamais commis contre les peuples amérindiens et noirs. Cette année 1992 pour la première fois en France, des pancartes et des banderoles déployées en plein Paris exigeaient « le classement de l’esclavage des noirs comme crime contre l’humanité. »

ARMADA, Agir pour les Réparations Maintenant pour les Africains et Descendants d’Africains, est l’héritier des luttes révolutionnaires anti-esclavagistes conduites dès la mise en œuvre de « l’entreprise de barbarie coloniale » en Afrique, sur les bateaux négriers et aux Amériques dans les immenses camps de concentration à l’air libre que représentaient les plantations esclavagistes.

Durban 2001: le tournant pour des Droits Humains pour tous les Humains

S’appuyant sur le tournant que constitue cet événement, le plus important de cette époque pour les Droits Humains, seulement quelques années après l’abolition de l’Apartheid, ARMADA déclare solennellement sa solidarité avec toutes celles et tous ceux qui ont lutté contre l’Apartheid et luttent toujours pour faire rentrer dans les faits l’égalité des droits pour l'enfant, la femme et l’homme noir en Afrique du Sud et partout dans le monde où se constitue, se reconstitue ou se maintient toute forme d'Apartheid ou de violations des droits ; ceci vaut même pour les Etats qui se drapent hypocritement dans les atours de la République mais qui n'appliquent ses principes qu'à une partie de leur population.

En ce sens, la Déclaration et le Programme d'Action adoptés lors du Forum des ONGs du 28 août au 1er septembre 2001 sont des bases fondamentales qui guident l'action de ARMADA, forte de l’avancée enregistrée lors de la Conférence Mondiale Contre le Racisme de Durban où un document des Nations Unies (reprenant en partie la Déclaration et le Programme d’Action du Forum des ONGs), mentionne pour la première fois la reconnaissance historique de la barbarie esclavagiste occidentale ainsi que les gravissimes séquelles contemporaines de la déportation et de l’esclavage sur les hommes et les femmes d’ascendance africaine.

ARMADA conduira une action énergique, intransigeante et durant tout le temps qu’il faudra pour faire rentrer dans les faits notre conclusion : non seulement les pays du Sud dits pauvres n’ont aucune dette vis à vis des pays dits riches mais au contraire ce sont les puissances coloniales occidentales qui ont contracté une dette depuis le 16e siècle, qui n’a cessé de s’accumuler jusqu’à ce jour, et pour laquelle ARMADA demande Réparation politique, économique, financière, morale, culturelle, sociale et spirituelle aux Etats et aux entreprises qui en portent la responsabilité.

Dans le quotidien, ARMADA, profondément attachée aux "Droits Humains pour Tous les Humains", mène toute action nécessaire afin de faire respecter l'égalité des droits dans tous les domaines quelles que soient les entités, privées, publiques ou étatiques qui les transgressent : contre les discriminations dans le travail, le logement, la culture, les institutions, les partis contre les expulsions; contre le mépris; contre les assassinats que ce soit par la police, par l’empoisonnement des terres aux Antilles, ou pour les intérêts carnassiers des requins de l’immobilier…

Réparer ici et maintenant les crimes du passé et les dégâts du présent

La situation de déni d’humanité pour les noirs vivant dans ce pays à atteint des sommets comparables à ceux ayant existé du temps du Code Noir édicté en 1685 par Louis 14 et Colbert qui faisait des noirs des biens meubles. En effet, certains mènent campagne pour faire de l’être humain noir le bouc émissaire des problèmes de la société française. En le traquant comme une bête sauvage le Pouvoir sarkozyste institutionnalise en plein 21e siècle le retour à l’ordre colonial esclavagiste du 17e siècle…qui avait été le précurseur du nazisme appliqué par les Européens aux Européens voici 60 ans !

Rafles, violences, camps de rétention, tortures sont le lot quotidien des femmes, enfants, et hommes africains montrés « du doigt et du fichier » par le Ministère de l’Identité Nationale de Ms. Hortefeux et Sarkozy. Lors des déportations par avion souvent meurtrières, la police et la justice tentent de bâilloner tout citoyen noir ou blanc qui s’oppose à ces atteintes intolérables aux droits humains les plus élémentaires. Des femmes et des hommes courageux demeurés humains, s’organisent dans plusieurs associations pour combattre ce retour aux tristes heures de la France vichyste. Ainsi le Réseau Education Sans Frontières (RESF) pour lequel nous disons « Honneur et Respect ! », car ses membres ne renoncent jamais malgré les peines encourrues ! Et Woulo bwavo pour Jeanne Moreau qui a rejoint avec éclat RESF dans une vidéo du mois d’avril de cette année…

Nous avons le devoir de comprendre très vite le lien entre cette barbarie moderne du 21e siècle avec celle pratiquée dès le 16e siècle par la France et les autres états européens durant le Méga-Crime Contre l’Humanité qu’à été la déportation, l’esclavage et la colonisation des Africains pendant 4 siècles. La France a reconnu le crime péniblement en 2001, soit... 153 ans après l’abolition. Mais le lobby colonialiste des descendants d’esclavagistes ne le digère pas et tente par tous les moyens de revenir sur les avancées de 2001 (loi Taubira et CMCR de Durban). Ainsi ce lobby raciste a été à l’initiative de la rédaction et du vote de la loi de réhabilitation du colonialisme en 2005. Il a fait très fort en trouvant un porte-parole institutionnel en la personne de Nicolas Sarkozy. Depuis 5 ans, comme ministre de l’intérieur puis comme président, celui-ci bat tous les records de négrophobie notamment avec son discours de Dakar en juillet 2007 sur un fond politique quotidien de négation de l’histoire et de la mémoire de l’esclavage des noirs!

La situation de violation permanente des droits humains pour les noirs qu’ils soient Français ou étrangers à atteint un seuil qui devrait conduire la France et les Français à s’abstenir désormais de donner des leçons aux autres pays ! La priorité doit être de s’occuper sincèrement et sérieusement de ce qui se passe ici, là, maintenant, en France !

Noirs d’Afrique, des Antilles et de l’Océan indien, avec les Français gaulois, ainsi que les amis des autres communautés qui souffrent de l’oppression raciale : An nou aye !


Le 10 mai 2008 à 14h :
Résistons en venant massivement
à La Marche des Libertés de République à Bastille,
afin
de Réparer ici et Maintenant
les crimes du passé et les dégâts du présent !

lundi, mai 05, 2008

5 MAI : ON SE SOUVIENT -

5 MAI 1838 : DATE DE L'ARRIVEE DES PREMIERS INDIENS EN AMERIQUE

Dites à vos enfants et à leurs enseignants que c'est le 5 mai 1838 sur le navire à voiles Whitby que le tout premier groupe de travailleurs indiens ou Jahaji (Gens du Bateau), emmenés par les Britanniques après l'abolition de l'esclavage, est arrivés sur le continent américain, plus exactement en Guyana, après 5 long mois de traversée, soit un demi-tour du monde.

Partis de Calcutta le 13 janvier 1838, ils avaient souffert de mal de mer, de faim et de maladie, 5 avaient perdu la vie. Sur le 2è bateau, l'Hespérus, arrivé peu après, 13 indiens devaient périr en mer...

Ce fut le début de la longue période de l'engagisme, nouvelle forme d'exploitation servile à des fins économiques, qui devait durer jusqu'à la fin du 19è siècle. Ce fut aussi un facteur de diversité pour nos peuples, hélas mal (r)enseigné jusqu'à aujourd'hui.

Mémoire du crime de l'esclavage



Une circulaire du premier ministre datée du 29 avril 2008 et relative aux commémorations de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions publiée au journal officiel du 2 mai précise l'objet des manifestations nationales et locales qui seront organisées afin de garantir à travers les générations la mémoire du crime de l'esclavage.

Si le 10 mai est une journée nationale consacrée à l'histoire de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions, le décret n° 83-1003 du 23 novembre 1983 relatif à la commémoration de l'abolition de l'esclavage fixe pour chacun des départements d'outre-mer et pour Mayotte une date annuelle de commémoration : le 27 mai en Guadeloupe ; le 10 juin en Guyane ; le 22 mai en Martinique ; le 20 décembre à La Réunion et le 27 avril à Mayotte.

Par ailleurs, de nombreuses associations originaires d'outre-mer organisent le 23 mai une journée commémorative en souvenir de la souffrance des esclaves. Cette date rappelle, d'une part, celle de l'abolition de l'esclavage en 1848 et, d'autre part, celle de la marche silencieuse du 23 mai 1998 qui a contribué au débat national aboutissant au vote de la loi reconnaissant l'esclavage comme un crime contre l'humanité.

La journée du 2 décembre dite "Journée internationale pour l'abolition de l'esclavage" commémore la date anniversaire de l'adoption par l'Assemblée générale des Nations unies de la Convention pour la répression et l'abolition de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui en 1949.

Enfin, précise la circulaire, le 23 août, "Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition" initiée par l'UNESCO depuis 1998, rappelle que, dans la nuit du 22 au 23 août 1791, éclata à Saint-Domingue un soulèvement d'esclaves qui a fortement influencé le processus d'abolition de la traite négrière dans l'ensemble des colonies européennes.

dimanche, mai 04, 2008

Michel RODIGNEAUX historien de la guerre de Course en Guadeloupe


Tout commença par une correspondance par Web interposé. Michel RODIGNEAUX m’interrogea sur les sources d’un Petit Journal de Montmain consacré à Victor HUGUES.


Cher Monsieur,

Travaillant depuis plusieurs années sur Victor Hugues, j'ai lu avec beaucoup d'intérêt le n° 390 du Petit Journal (découvert par hasard).
Pourriez-vous me communiquer la source du rapport secret et des autres documents sur V. Hugues mentionnés dans ce texte ? Je vous en serais reconnaissant.
Bien cordialement,

Michel Rodigneaux
Auteur de "La Guerre de course en Guadeloupe
ou Alger sous les tropiques, XVIIIe-XIXe siècles", L'Harmattan, 2006.


Je lui répondis, naturellement :

Cher auteur,

J'ai lu et apprécié votre livre, auquel je voudrais rendre hommage dans mon Petit Journal.
Je vais répondre à votre question, mais je dois me livrer à quelques recherches pour cela. Je vous demande donc un peu de patience.
Votre livre m'a d'autant plus passionné que j'ai commis, moi-même, un roman historique, qui veut faire le point sur l'action des corsaires barbaresques d'Alger, pendan t la seconde partie du XVI° siècle :
http://dernierroialger.caloucaera.net/

Très cordialement,
Paul MOMBELLI.

Et sa réponse ne tarda pas :


Cher Monsieur,

Il n'y a pas d'urgence ; j'attendrai votre réponse.

Je fais actuellement des recherches en vue d'un autre ouvrage.
Comme dans le premier, cette démarche tend à resituer notre île et ceux qui l'ont marquée dans un cadre historique élargi (par exemple, l'influence des corsaires Barbaresques et Guadeloupéens sur la politique extérieure des Etats-Unis au XVIIIe siècle).
A mon retour en Guadeloupe, je vous communiquerai quelques "matériaux" sur les Barbaresques.
En tout cas, je vous suis reconnaissant de vouloir parler de "La Guerre de course...".

Bien cordialement,
Michel Rodigneaux.


Si j’ai un peu tardé à m’exécuter, ce n’est pas par désintérêt pour le livre merveilleux de Michel RODIGNEAUX, mais parce que la densité des informations qu’il y fournit est telle que je n’ai pas su par quel bout le prendre dans une chronique aussi restreinte que celle du Petit Journal.
En désespoir de cause, j’ai décidé de vous livrer inextenso la conclusion de son livre. J’espère que, ni l’auteur, ni l’éditeur, ne m’en feront grief.

Le livre est préfacé par Hélène Servant, Conservateur en chef du Patrimoine, Directrice des archives départementales de la Guadeloupe.
J’en ai extrait le passage le plus significatif :


Le chapitre le plus novateur se situe cependant à la fin de l'ouvrage : c'est celui consacré aux revendications américaines. S'appuyant sur les sources tant françaises qu'américaines, l'auteur suit tout le fil de la négociation, démontant un imbroglio juridique quelque peu abscons pour le non-spécialiste.
On découvre au passage que l'une des raisons de la vente de la Louisiane au Gouvernement de Washington, en 1803, puise ses racines, précisément, dans la fameuse polémique franco-américaine à propos des prises faites par les corsaires de la Guadeloupe !


Tout d’abord, présentons Michel RODIGNEAUX, dont vous savez déjà qu’il est un auteur très sympathique :

Michel Rodigneaux est né à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe). Ancien élève du Centre de perfectionnement aux affaires (CPA), il a étudié le droit à l'Institut Vizioz, l'histoire et 'les relations internationales, en France et aux États-Unis. Au cours de sa carrière, après plusieurs postes de direction en Guadeloupe, il a représenté l'Agence française de développement dans des pays de la Caraïbe, de l'océan Indien et du Pacifique. Descendant avéré de corsaire, c'est tout naturellement que ses recherches généalogiques l'ont amené à l'histoire du phénomène corsaire en général. La guerre de course en Guadeloupe est son premier essai.

CONCLUSION




La course maritime en Guadeloupe n'est pas née de la Révolution française ni de la première coalition. Flibustiers et corsaires avaient déjà écrit les pages d'une histoire haute en couleur dans les eaux antillaises. Néanmoins, le contexte de la fin du XVIII° siècle lui a donné un regain de vigueur en lui offrant des perspectives tout à fait nouvelles. Si la flibuste a surtout opéré, à partir des Grandes Antilles, dans les eaux de la Côte Ferme et celles du golfe du Mexique, la course révolutionnaire s'est déroulée dans l'ensemble de l'arc antillais, avec Saint-Domingue, la Guadeloupe et la Guyane comme principaux points d'appui. On doit donc considérer comme une réelle bonne fortune la découverte à Washington, puis le retour en Guadeloupe, des archives du tribunal de commerce de Basse-Terre. Ces matériaux, que l'on aurait cherchés vainement, contiennent des renseignements inédits qui remettent les corsaires à leur juste place historique.

La guerre que nous avons tenté de décrire se subdivise en trois phases : celle menée par Victor Hugues contre les Anglais, la Quasi-guerre poursuivie par ses successeurs contre les Américains alliés aux Britanniques, et le cycle des escarmouches soutenues par les fermiers d'Ernouf depuis la rupture de la paix d'Amiens jusqu'à la reprise de l'île par les Anglais en 1810.
Entre 1794 et 1800, la course guadeloupéenne a connu une activité fulgurante. Les historiens, faute de références homogènes, ne s'entendent guère sur le nombre de prises effectuées. Le docteur Nègre indique «plus de 800», entre 1794 et 1798.
Boyer-Peyreleau mentionne 700 prises entre 1795 et 1810.
Martineau et May font état de 601 navires.
A. Pérotin-Dumon les estime à 1 800 - dont 839 jugées en Guadeloupe - ce nombre, souligne-t-elle, constituant le second record dans l'histoire de la course des XVIIe et XIXe siècles, après les Dunquerkois espagnols (1629-1638).

En 1803, la reprise des hostilités s'est déroulée avec moins d'éclat, même si les résultats au plan financier restèrent appréciables jusqu'en 1806. Nous avons relevé 431 captures opérées par les corsaires entre 1803 et 1810. Ce score est en réalité bien supérieur car, on le sait, de nombreux navires interceptés ont été repris par les Anglais, coulés ou conduits à Cuba, Saint-Domingue, dans les îles neutres et à Cayenne, quand le blocus anglais devenait difficile à forcer. Quoi qu'il en soit, les relations épisodiques de la Guadeloupe avec l'Europe, suspendant la dépendance coloniale, n'ont pas empêché que l'activité corsaire s'y déroulât selon le droit appliqué en France. En revanche, la juridiction des prises, sous des formes variées, a fonctionné selon une logique parfois différente.
C'est pourquoi le Gouvernement des États-Unis réclama, en 1831, le remboursement des prises jugées abusives. Il a fallu alors rechercher les dossiers, confirmer ou infirmer les réclamations, donnant lieu ainsi à des batailles non plus en haute mer, mais à terre, où intervinrent des diplomates, des juristes, et la force probante des papiers retrouvés en Guadeloupe. On l'a vu, pour ce qui concerne les jugements rendus à Basse-Terre, ce contentieux perdure.
Quels ont été les bénéfices et les pertes pour la colonie aux plans politique, économique et social ?
Grâce aux cargaisons capturées, les gouverneurs - certains repoussant la tentation séparatiste - sont parvenus à approvisionner la Guadeloupe et à maintenir cette colonie dans la mouvance française. L'afflux de richesses - dont une bonne part ne fut pas accumulée localement mais transférée au fur et à mesure dans les îles neutres, en Amérique et en Europe - a généré une économie guerrière d'essence urbaine. Les bénéficiaires furent en premier lieu les commerçants des ports de Basse-Terre et de Pointe-à-Pitre, leurs affidés, certains capitaines de corsaires et leurs marins, puis des fonctionnaires et les hommes de loi.
Le produit net des prises jugées en Guadeloupe entre 1794 et 1810 pourrait représenter environ 150 millions de livres coloniales, soit 90 millions de francs (valeur 1806). Il s'agit, bien entendu, d'un ordre de grandeur, car la comptabilité détaillée des liquidations n'est connue qu'à partir de 1803. On sait que les prises effectuées sur les seuls Britanniques, entre 1795 et 1810, ont rapporté environ 50 millions de livres coloniales. Si l'on se fonde sur les 1.800 prises estimées par A. Pérotin-Dumon, lesquelles englobent toutes celles non jugées à Basse-Terre mais vendues en mer ou dans les colonies voisines avant, pendant et après la Quasi-guerre, le montant de 150 millions est très loin de la réalité.
Le poids de la guerre sur l'impôt local, s'il a été mineur entre 1794 et 1798, a accru progressivement les prélèvements directs qui, durant la dernière phase des hostilités, ont mis le Gouvernement local en état de créancier permanent envers les contribuables, de moins en moins nombreux, jusqu'à l'implosion du système. La fiscalité indirecte, plus insupportable encore, acheva le tarissement des sources de l'impôt et plongea les populations dans l'indigence. En 1809, peu avant la capitulation, la Guadeloupe échangeait faiblement avec la France et les neutres. En 1804, le montant des importations fut de 43.148.212 francs et celui des exportations de 25.262.523 francs.
En 1809, les importations furent ramenées à 13.443.858 francs, et les exportations à 7.364.665 francs. Durant cette même année, malgré le blocus, 311 bâtiments sont cependant parvenus à entrer dans les ports de l'île ; 244 en sont sortis. Cinq ans plus tôt, 940 avaient accosté et 809 étaient repartis.

Si le sort des marins et corsaires prisonniers des Anglais est relativement bien connu, la répercussion de la guerre en termes de mortalité sur la population guadeloupéenne est difficile à cerner. Il semble en tout cas que, de 1794 à 1798, les bâtiments de la République et les corsaires particuliers ont fait près de 8.650 prisonniers - y compris les victimes de l'épidémie carcérale de 1795-1796, et plus d'un millier de passagers britanniques enlevés à bord de navires neutres. Les Anglais, de leur côté, ont capturé en mer des Antilles environ 2.050 personnes, auxquelles s'ajouteraient près de 2.000 républicains, encore plus de militaires emprisonnés après la reconquête des îles françaises, et un nombre inconnu de passagers enlevés à bord de navires neutres. Les sources d'informations étant moins prolixes pour la période allant de 1803 à 1809, on sait seulement qu'en l'an XIII (1804-1805) les corsaires ont fait 1.401 prisonniers anglais provenant de 125 prises. À la suite d'un échange qui eu lieu le 1er vendémiaire an XIV (23 septembre 1805), il est resté en Guadeloupe 78 hommes qui moururent tous, les uns après les autres.
Par ailleurs il y avait dans l'île, en 1809, 12.851 Blancs (12.174 en 1803), 6.484 libres (14.912 en 1803), et 100 763 esclaves (88 205 en 1803), soit 120 098 habitants (115 291 en 1803).
En janvier 1791, on avait dénombré 13.969 Blancs, 3.125 libres et 92.545 esclaves, soit 109 639 habitants. La diminution constante des habitants d'origine européenne est due, certes, à la répression révolutionnaire à l'égard des colons royalistes favorables aux Anglais, mais surtout à l'émigration vers les États-Unis, les îles neutres et d'autres destinations encore, et évidemment à des pertes au combat. L'augmentation des Noirs, bien que décimés durant la « guerre des bois », résulte surtout de la reprise intensive de la traite après 1802 et des détournements de navires négriers anglais opérés par les fermiers d'Ernouf, les tentatives de relance de l'agriculture ayant renchéri énormément le prix d'un Africain. La diminution du nombre de libres est due, certes, à des pertes au combat, mais aussi au fait que, après le rétablissement de l'esclavage, on ne reconnut, comme affranchis, que les personnes « détenant un acte de liberté du Gouvernement ».

Le coût financier de la guerre s'est soldé par une dette de la France envers les États-Unis de 20 millions, au titre de la convention de Mortefontaine et de 25 millions, au titre

du traité de juillet 1831, soit un total de 45 millions de francs - dont 9 à 10 millions concerneraient les réclamations américaines pour des prises jugées en Guadeloupe avant et après 1801 - ce passif ayant été compensé par la vente de la Louisiane (80 millions). La France révolutionnaire et impériale, contrairement aux théories de Kerguélen sur la guerre maritime, n'est pas parvenue à détruire la puissance britannique. Mais en subvenant par les saisies en mer aux besoins de sa population métropolitaine et d'outre-mer, tout s'est passé financièrement comme si, in fine, elle avait tiré des traites à vue sur les cargaisons anglaises, américaines et neutres capturées. En 1875, Lorimer a exposé comme suit cette logique macroéconomique parfaitement vérifiée pour la Guadeloupe et la cession de la Louisiane :

« L'homme dont la propriété est saisie n'en perd aucunement ou ne devrait pas en perdre la valeur. En sa qualité de particulier, il la cède ou la prête, pour ainsi dire, à son propre pays. Le belligérant qui s'en empare lui en donne un reçu [le jugement du tribunal des prises prononçant la saisie] ; en d'autres termes, il tire une lettre de change du montant de cette valeur sur l'État auquel appartient le propriétaire des objets saisis. Cette lettre de change, il l'endosse, pour ainsi dire, avec la responsabilité éventuelle de paiement au cas où il serait défait. Si le pays du propriétaire dépouillé agit loyalement vis-à-vis de celui-ci, il fait honneur au billet ; en d'autres mots, il lui rembourse le dommage subi contre la production du reçu. La dette qui en résulte devient ainsi une dette de l'État. Si la nation à laquelle appartient l'individu dépouillé triomphe, elle se fait indemniser par le vaincu, alors même que la restitution en nature est impossible, de tout ce qu'elle a payé à ses sujets ; si elle est défaite, la perte subie par les particuliers est comprise dans les frais de la guerre qui retombent sur le pays tout entier sous forme d'impôt. »

On remarquera que cette chaîne de responsabilités, à laquelle Kersaint et Clay faisaient déjà allusion, trouve son fondement dans la lettre de marque et le jugement d'un tribunal des prises légalement constitué ; deux éléments qui engagent l'État capteur au plan international.
La paix étant revenue après la reconquête anglaise, le lieutenant général Georges Beckwith, le major général Lyle Carmichaël, puis le vice-amiral Alexander Cochrane gouvernent, tour à tour, la Guadeloupe, ce dernier cumulant le pouvoir des trois magistrats français précédents.
L'île est divisée en quatre départements : la Basse-Terre, y compris les Saintes, la Grande-Terre, Marie-Galante et Saint-Martin. Dans chacune de ces entités, on installe un tribunal de première instance dont les jugements sont portés en appel devant la cour d'appel de Basse-Terre. Constatant que « nul planteur, quelque étendue que soit sa propriété, ne possède pas dix livres sterling en numéraire », Cochrane établi un impôt proportionnel (droit de sortie) frappant les produits agricoles seulement quand ils sont exportés. En avril 1811, il informe le Gouvernement britannique que la Guadeloupe, « comme tous les établissements du même genre », est désormais soumise à un régime prohibitif réservant pour sa Métropole (l'Angleterre) toutes les denrées de son cru, et qui utilise le produit de leur vente à l'importation exclusive « d'objets anglais manufacturés ». Le gouverneur précise aussi que l'achat des biens d'équipement que la nouvelle Métropole ne peut fournir, mais nécessaires à la colonie, est autorisé sur des bâtiments neutres. Cependant, leur paiement ne doit se faire qu'en mélasses ou en rhums. Curieuse ironie : le retour des cultivateurs à la terre, amorcé difficilement par Desfourneaux, est réalisé entièrement par ceux-là mêmes qui avaient indirectement contribué à en faire, pour une bonne part d'entre eux, des marins de haute mer !
En novembre 1811, Victor Hugues vit à Paris. L'année précédente, traduit devant le Conseil de guerre pour avoir livré Cayenne sans combattre, on l'avait néanmoins disculpé. Mais, où qu'il se trouvât, Hugues a toujours gardé un œil attendri sur la Guadeloupe. Comment, en effet, oublier cette colonie qui lui avait procuré la richesse et la notoriété ?
Espérant obtenir une mission salvatrice, il échafaude alors, en vrai stratège, un plan intitulé « Projet pour reprendre la Guadeloupe ». En trois feuillets, l'ancien gouverneur propose, pour ne pas éveiller les soupçons des Anglais, de concentrer des forces navales françaises au large des côtes d'Afrique - par les 9°, 13' de latitude, précise-t-il - et de les diriger ensuite vers la Guadeloupe. « Cette colonie offre plusieurs ports et des ressources par sa position topographique, que les autres n'ont pas. » Il souligne que la « bonne intelligence » entre la France et les Etats-Unis triplerait les chances de succès. Car « on ne peut se dissimuler que la perte de toutes les colonies des Antilles ne soit due à l'interruption du commerce américain pendant deux années ». Faisant valoir le caractère éminemment belliqueux et revêche des Guadeloupéens, son troisième argument repose sur l'impossibilité pour les Anglais, occupés à surveiller toutes les îles de l'arc antillais, de réunir instantanément des forces adéquates pouvant contrer un débarquement rapide opéré en un point précis. « Jamais diversion serait plus importante quand on se rappelle qu'en 1795, un an et demi après la reprise [de la colonie], 20 vaisseaux de ligne, 16 frégates et 400 transports de 26.000 hommes commandés par le général Abercombry, n'osèrent jamais attaquer la Guadeloupe. »
Il termine en soulignant le rôle des neutres dont il faudrait respecter le pavillon. Les enjeux n'étant plus ceux de 1794, le Gouvernement ne tint pas compte des propositions de l'ancien gouverneur. En 1817, il se retira en Guyane où il mourut en 1826.
Finalement, Hugues et Ernouf partagent plusieurs points communs, quoique paradoxaux : ils sont, dirons-nous, le Janus de la course guadeloupéenne. L'un ouvre, dès la reconquête, le premier cycle de la guerre aux Antilles, l'autre ferme le dernier cycle dans la défaite absolue. À tous les deux, le Gouvernement central a reproché, avec la même myopie, d'avoir négligé l'agriculture au profit des armements corsaires. Le premier l'a fait dans l'autonomie, sinon l'indépendance, l'autre dans l'assujettissement le plus total à sa Métropole. Le premier, grâce à la guerre maritime, a su conserver la Guadeloupe dans la République, le second, en dépit de la course, l'a livrée aux Anglais avec des soldats blancs et noirs démotivés et une poignée de capitaines fatigués, prêts cependant à « entendre l'appel des colonies espagnoles insurgées1 » et à regagner « la grande famille des hommes de la mer » dans les ports du sud des États-Unis et de la Côte Ferme, d'où Collot et Hugues les avaient fait venir, moins de vingt ans plus tôt.


J’espère que cet aperçu de ce livre passionnant vous donnera envie de l’acheter et de le lire J'ai fait sauter les notes de bas de page, que tout bon historien n'oublie pas de mettre. Si vous voulez les voir, vous achetez le bouquin.

Paul MOMBELLI. !

Sept dates pour commémorer l’abolition

Jusqu’ici, et grâce au président socialiste François Mitterrand (décret du 23 novembre 1983), cinq dates permettaient, en Outre-mer, de commémorer l’abolition de l’esclavage : le 27 mai en Guadeloupe, le 10 juin en Guyane, le 22 mai en Martinique, le 20 décembre à la Réunion et le 27 avril à Mayotte.

samedi, mai 03, 2008

Edouard Glissant et la critique postcoloniale de l'histoire (à propos du manifeste "Tous les jours de mai"


photo d'Emmanuelle Deschè

Comment ne pas souscrire à la parole généreuse d'Edouard Glissant ? Comment ne pas épouser pleinement sa critique de l'oubli intéressé des destinées d'outre-Occident ? Mais comment ne pas, d'un autre mouvement, s'étonner et s'inquiéter même d'une attaque, discrète mais lapidaire, contre les historiens attachés à une "vérité objective" et d'emblée supposés complices de pouvoirs qui murent les peuples et leurs mémoires dans le silence ? Je cite :

"Quelques rares historiens assez énervés tentent de parer à cela en prétendant décider d’une histoire objective, neutre, qui se voudrait scientifique, aux normes intouchables, et qui échapperait, dans la conception qu’on s’en ferait, aux faiblesses des prises de parti, aux manques insensés creusés par les sentiments individuels et collectifs quand ils ne sont pas satisfaits et qu’ils tournent au ressentiment."

Le propos d'Edouard Glissant se veut prudent : il vise quelques "rares énervés" devenus, par rancoeur ou désoeuvrement, apologues puérils du "temps béni des colonies" ou négateurs isolés de la mise en esclavage européenne des sociétés africaines. Mais la figure de style porte autrement à conséquences, qui oppose une histoire réflexive, perméable aux saveurs aigres-douces des vies ordinaires, à un projet de connaissance articulé autour de l'idée d'une "histoire objective, neutre, qui se voudrait scientifique". Est-ce à dire qu'il ne saurait y avoir d'histoire "objective" qui ne soit aussi réactionnaire ? Est-ce à dire, inversement, que l'on ne peut penser d'histoire sociale attentive aux souffrances des humbles que sur le mode du refus catégorique de toute régulation professionnelle de la production des savoirs ? Le choix est-il entre une histoire faite par tous (et donc par personne) et une histoire faite par quelques-uns, adeptes rétrogrades de la "vérité scientifique" ? Notons d'emblée qu'au vu des quantités prodigieuses d'erreurs factuelles relevées sur les pages de Wikipédia, l'on est en droit de s'interroger sur la validité d'une production totalement dérégulée de l'histoire.

Certes, il est une historiographie qui, au tournant des années 1970, apeurée par la montée en puissance des "historiens-amateurs" et des régionalismes militants, s'est claquemurée dans une illusoire tour d'ivoire en proclamant l'incompatibilité radicale de "l'histoire" et de la "mémoire", disqualifiée aussitôt que définie comme mauvaise histoire, "histoire sauvage". Le soupçon à l'égard de l'acteur (redéfini comme "témoin" sujet à hystérie et hallucinations) s'est ainsi redoublé de la méfiance corporative à l'égard de ceux qui osaient défier les hiérarchies universitaires. Mai 68 était aussi passé par là, qui obligeait à calfeutrer à la va-vite le paquebot Sorbonne.

Mais l'eau a coulé sous les ponts, et plus personne ne croit sérieusement, au pays des sciences sociales, en une Vérité à majuscule tapie derrière la broussaille mensongère des subjectivités. S'il est bien un point de consensus chez les historiens et les sociologues, qui ont pour règle de n'en avoir que très peu, c'est précisément que le monde social est tissé de vérités au pluriel, et que tout ce qui est admis et proclamé à un moment donné par un groupe ou une société (sa morale, ses moeurs), peut être soumis à l'épreuve critique du dépaysement (géographique, temporel ou social). Un bref voyage chez les Anciens Grecs ou chez les Jivaros suffit en général à montrer que tout ce que l'on tient pour "naturel" ne l'est pas, depuis la façon d'élever un enfant jusqu'à celle d'instituer une autorité publique ou de définir une union amoureuse. La leçon est précieuse, et ceux qui la délivrent sont précisément ces historiens et autres ethnologues à barbe blanche tant décriés de nos jours.

Rappelons en sus qu'il est aussi des traditions historiographiques qui acceptent et même sollicitent le dialogue avec le témoin ou l'acteur de l'évènement. On pense ici aux travaux trop souvent oubliés de Rafael Samuel sur l'histoire populaire et ouvrière britannique, et au format expérimental des "history workshops" qu'il avait promus (des séances de débat entre historiens universitaires, syndicalistes et ouvriers autour de l'histoire d'un lieu industriel). On pense aussi à tous ces travaux d'histoire "globale", "connectée" ou "subalterne" qui, depuis 20 ans, avec des succès certes mitigés mais une ambition toujours salutaire, s'échinent à retrouver la parole des "oubliés de l'histoire", colonisés et prolétaires métis des grands empires, et qui ce faisant défient effrontément l'arrogance européocentriste et les histoires nationales officielles, géographiquement autant que socialement étriquées.

A force de s'insurger contre les moulins à vent d'une histoire acoquinée aux puissants et à la Nation, et ainsi à tenir un quarteron de professeurs d'histoire ouvertement réactionnaires pour représentatifs d'une discipline dont les praticiens se comptent par milliers (ce que l'on fait en les qualifiant de "rares" mais en les prenant néanmoins toujours pour interlocuteurs), l'on pourrait aisément en venir, volens nolens, à entériner le discours d'un pouvoir politique qui, en France tout du moins, se juge en bon droit de réécrire l'histoire quand bon lui semble. N'était-ce pas au nom de la négation de toute "vérité objective" concernant la Guerre d'Algérie et par le truchement de la condamnation de "ce dangereux produit de l'intellect qu'est l'histoire" (Christian Vanneste, 29 novembre 2005) que les députés de l'UMP défendaient bec et ongles la loi scélérate du 23 février sur le "rôle positif de la colonisation" ? Il y a là, malheureusement, de troublantes congruences entre la critique postcoloniale de l'arrogance scientiste et la critique politique réactionnaire du "positivisme" (et partant de l'indépendance du métier d'historien).

A force de jeter le discrédit sur le métier d'historien (car c'est un métier, avec ses titres, ses compétences et ses controverses propres), à force de jeter aux orties l'idée même non pas d'une "vérité objective" mais d'un récit techniquement un peu plus vraisemblable que les autres (ce qui est, rien de plus rien de moins, ce que les sciences sociales proposent), l'on pourrait ainsi en venir à s'aligner sur l'anti-intellectualisme d'Etat etmême à faire le lit de ceux qui, usurpant la critique légitime de l'argument d'autorité scientifique, se mettent à écrire tout et n'importe quoi et, le cas échéant, à nier l'évidence même des souffrances.

Et pourtant, que serait notre connaissance contemporaine de la Traite ou du fait colonial sans le travail acharné de centaines d'historiens ? Car l'historien d'aujourd'hui, celui qui peine aux archives et non sur les plateaux de télévision, n'est plus un Lavisse de service. Il n'acquiesce plus béatement aux vérités officielles : il est même le premier à fracasser les mythologies nationalistes, à préférer le discours des humbles aux exploits des grands noms, à prendre "l'air du large" (F. Braudel) pour échapper aux anachronismes et aux pesanteurs du cadre national, à écouter dans leurs langues (orientales ou africaines) la plainte des "sans grade" sacrifiés jadis sur l'autel du profit et du patriotisme. C'est d'ailleurs ce que lui reproche ouvertement un récent projet de Musée de l'histoire nationale aux Invalides, dont l'auteur souhaiterait que l'on en revienne aux Grandes dates et aux Grands personnages pour inculquer aux citoyens en culottes courtes une saine vision lénifiante de la grandeur nationale. Halte aux escapades hors-chronologies constituées. Halte aux travaux "gauchistes" qui détricotent les hagiographies de toutes obédiences. Haro sur les savants-voyous qui préfèrent l'histoire sans frontières et réfutent l'idée d'une invention unilatérale (européenne donc) de la "modernité" et du raffinement culturel.

La critique postcoloniale de l'histoire comme discipline autoritaire et européocentrée est à ce titre plus que stimulante : elle est indispensable, en ce qu'elle nous oblige à remettre cent fois sur le métier nos outils d'analyse, forgés dans le creuset de la rencontre coupable entre le colonialisme et les premières anthropologies. Mais elle en vient parfois, paradoxalement, à épouser l'idée d'un monde sans recherche scientifique autonome, un monde où toutes les paroles de vérité se valent. Un monde sans CNRS, sans EHESS, sans Langues O', c'est-à-dire sans empêcheurs de légiférer en rond sur le passé.


Romain Bertrand

vendredi, mai 02, 2008

Circulaire relative aux comm émorations de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions -

JORF n°0103 du 2 mai 2008 page 7323
texte n° 3

CIRCULAIRE

Circulaire du 29 avril 2008 relative aux commémorations de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions

NOR: PRMX0811026C
Paris, le 29 avril 2008.

Le Premier ministre à Monsieur le ministre d'Etat, Mesdames et Messieurs les ministres, Mesdames et Messieurs les secrétaires d'Etat, Monsieur le haut-commissaire, Mesdames et Messieurs les préfets de région et de département, Madame et Monsieur les hauts-commissaires de la République, Mesdames et Messieurs les recteurs d'académie et vice-recteurs
A l'approche de la journée de commémoration du 10 mai, je souhaite vous rappeler l'objet des manifestations nationales et locales qui seront organisées afin de garantir à travers les générations la mémoire du crime de l'esclavage.

1. La commémoration nationale du 10 mai

Avant l'intervention de la loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, qui a modifié les dispositions de la loi n° 83-550 du 30 juin 1983, la commémoration de l'abolition de l'esclavage faisait uniquement l'objet d'une journée fériée dans les quatre départements d'outre-mer et à Mayotte.
Désormais, conformément aux dispositions du décret n° 2006-388 du 31 mars 2006, la France a fixé le 10 mai comme jour des « mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions », sur la proposition du comité pour la mémoire de l'esclavage, en référence à la date de l'adoption en dernière lecture par le Sénat de la loi du 21 mai 2001.
L'écho rencontré depuis deux ans par cette journée démontre l'importance que revêt la commémoration de l'abolition de la traite et de l'esclavage pour la société française. Je vous demande donc d'apporter toute l'attention nécessaire à l'organisation des cérémonies publiques prévues ce jour.
Si des intitulés courts et variés pourront être donnés aux manifestations, notamment artistiques et culturelles, préparées à cette occasion (« Mémoire de l'esclavage », « Regards sur l'esclavage »), il importera que les cérémonies publiques respectent le titre « mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions ».
Vous veillerez également au choix du lieu qui vous paraîtra le mieux respecter l'esprit de cette journée, dans le contexte local.
Le ministère chargé de l'outre-mer a rénové le site internet du comité pour la mémoire de l'esclavage, afin de recenser les diverses manifestations que je vous demande de porter à sa connaissance en vue de la préparation du programme de cette journée.

2. Les autres dates historiques ou commémoratives

Si le 10 mai est une journée nationale consacrée à l'histoire de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions, il serait contraire à l'esprit de la loi du 21 mai 2001 d'ignorer les autres dates commémoratives, dont les champs géographiques et les thématiques sont très variés.

En outre-mer

Le décret n° 83-1003 du 23 novembre 1983 relatif à la commémoration de l'abolition de l'esclavage fixe pour chacun des départements d'outre-mer et pour Mayotte une date annuelle de commémoration : le 27 mai en Guadeloupe ; le 10 juin en Guyane ; le 22 mai en Martinique ; le 20 décembre à La Réunion et le 27 avril à Mayotte.

En métropole

De nombreuses associations originaires d'outre-mer organisent le 23 mai une journée commémorative en souvenir de la souffrance des esclaves. Cette date rappelle, d'une part, celle de l'abolition de l'esclavage en 1848 et, d'autre part, celle de la marche silencieuse du 23 mai 1998 qui a contribué au débat national aboutissant au vote de la loi reconnaissant l'esclavage comme un crime contre l'humanité.
La date du 23 mai sera, pour les associations regroupant les Français d'outre-mer de l'Hexagone, celle de la commémoration du passé douloureux de leurs aïeux qui ne doit pas être oublié.
Je vous demande d'apporter l'attention et le soutien nécessaires aux initiatives qui seront prises lors de cette journée. Les autorités nationales, notamment la délégation interministérielle pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer, et locales pourront s'y associer.

Les journées internationales

La journée du 2 décembre dite « Journée internationale pour l'abolition de l'esclavage » commémore la date anniversaire de l'adoption par l'Assemblée générale des Nations unies de la Convention pour la répression et l'abolition de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui en 1949.
Le 23 août, « Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition » initiée par l'UNESCO depuis 1998, rappelle que, dans la nuit du 22 au 23 août 1791, éclata à Saint-Domingue un soulèvement d'esclaves qui a fortement influencé le processus d'abolition de la traite négrière dans l'ensemble des colonies européennes.
La journée de commémoration du 10 mai, comme chacune des dates rappelées dans cette circulaire, contribue à l'unité et à la cohésion sociale de notre pays, en permettant notamment aux jeunes générations d'en connaître toute son histoire, dans le partage, en évitant d'occulter, de fragmenter, de limiter le champ chronologique et géographique, voire d'opposer des faits et des mémoires. A ce titre, ces journées participent pleinement au calendrier français de la mémoire.

François Fillon

Commémoration de l'esclavage : l'Etat reconnaît la date du 23 mai

La journée nationale de commémoration de l'esclavage du 10 mai, instaurée par Jacques Chirac en 2006, est quant à elle maintenue. Le 23 mai sera commémoré par les associations regroupant les Français d'outre-mer de l'Hexagone.


La date commémorative de l'esclavage est officiellement fixée au 23 mai en métropole par les associations regroupant les Français d'outre-mer de l'hexagone, a annoncé le Premier ministre dans une circulaire parue vendredi 2 mai au Journal Officiel.
"Cette date rappelle, d'une part, celle de l'abolition de l'esclavage en 1848, et, d'autre part, celle de la marche silencieuse du 23 mai 1998 qui a contribué au débat national aboutissant au vote de la loi reconnaissant l'esclavage comme un crime contre l'humanité", explique François Fillon.
"La date du 23 mai sera, pour les associations regroupant les Français d'outre-mer de l'hexagone, celle de la commémoration du passé douloureux de leurs aïeux, qui ne doit pas être oublié", poursuit-il.

La commémoration du 10 mai est maintenue

Bien que contestée, en particulier par des parlementaires domiens, la journée "nationale" de commémoration du 10 mai, "consacrée à l'histoire de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions", est quant à elle maintenue. Ces derniers, ainsi que le professeur Serge Romana, président du "Comité Marche du 23 mai 1998", critiquent le choix de la date du 10 mai. Celle-ci avait été instaurée en 2006 par Jacques Chirac, qui avait repris les recommandations du "comité pour la mémoire de l'esclavage".

Calendrier des commémorations de l'esclavage

La circulaire de Fillon indique qu'il y aura donc dorénavant plusieurs dates historiques ou commémoratives consacrées à l'esclavage et à son abolition :
- journée "nationale" le 10 mai
- commémoration de l'abolition de l'esclavage à Mayotte le 27 avril, le 22 mai en Martinique, le 27 mai en Guadeloupe, le 10 juin en Guyane et le 20 décembre à La Réunion (conformément à un décret de 1983)
- journée commémorative des associations originaires d'outre-mer en métropole le 23 mai, "en souvenir de la souffrance des esclaves"
François Fillon demande aux services de l'Etat "d'apporter l'attention et le soutien nécessaire aux initiatives qui seront prises lors de cette journée".
Il indique que "les autorités locales et nationales, notamment la délégation interministérielle pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer", dirigée par Patrick Karam, "pourront s'y associer"।

jeudi, mai 01, 2008

ESCLAVAGE : PSEUDO-HISTORIENS, VRAIS NEGATIONISTES


Depuis quelque temps, sous la houlette de l’historien français Olivier Pétré-Grenouilleau, un vaste mouvement de réécriture du phénomène de l’esclavage est en cours. On sait la polémique qu’avait entraîné les thèses défendues par ce dernier et par quelques porteurs d’eau africains et antillais, notamment la principale d’entre elle, à savoir que l’esclavage arabo-musulman fut pire, ou en tout cas plus important, que l’esclavage atlantique pratiqué par les Européens. Il s’agissait là, ni plus ni moins, que d’un retour à de vieilles thèses relativistes datant du début du XXe siècle qui mettaient sur le même plan esclavage antique (Grèce, Rome etc.), servage asiatique, esclavage arabo-musulman et esclavage euro-atlantique. Il s’agissait, plus profondément, de nier la spécificité de l’esclavage euro-atlantique en la ramenant à une forme d’asservissement de l’homme par l’homme comme une autre, alors que justement cet esclavage a nié la qualité d’être humain à l’Africain déporté. Pire : il a engendré tout un ensemble de théories racistes visant à classer les « races humaines » et plaçant la noire tout au bas de l’échelle. Par comparaison, l’esclavage arabo-musulman n’avait rien de racial puisqu’il mettait dans les fers aussi bien les Africains noirs que les Européens. Il y eut ainsi plus d’un million d’esclaves « blancs » en Afrique du Nord au cours des Xe et XIe siècles et, par exemple, Cervantès, le célèbre auteur de « Don Quichotte », fut capturé par les Barbaresques et mena trois ans durant une vie d’esclave à Alger.

Comment donc ne pas voir la spécificité de l’esclavage euro-atlantique, son caractère inouï, profondément scandaleux ? Et ici, Christiane Taubira a eu parfaitement raison, au moment de la rédaction de la loi qui porte son nom, de refuser d’écouter les sirènes qui lui demandaient de l’étendre à « toutes les formes d’esclavage ». S’il est évident qu’il y a des éléments commun à toutes les formes d’asservissement qui se sont produites au cours de l’histoire humaine, et cela à travers toute la planète, il n’en demeure pas moins que l’esclavage euro-atlantique est le seul qui ait rejeté l’asservi dans la pure animalité.

Dans le sillage du relativisme Pétré-Grenouillesque s’est greffé plus récemment un courant beaucoup plus néfaste que l’on peut qualifier sans détour de « courant négationniste ». En clair, il s’agit pour ces pseudo-historiens, martiniquais et surtout guadeloupéens, de nier le caractère profondément inhumain de la plantation esclavagiste, de replacer « dans leur contexte », comme ils disent, les atrocités et les abominations commises par les colons européens et finalement de banaliser ce qu’aux Etats-Unis, on appelait à juste raison « l’institution particulière ». Il est effarant de constater que ce sont des Antillais, auto-proclamés historiens, qui s’attèlent à cette tâche ignoble qui, s’agissant d’autres « crimes contre l’humanité », leur aurait valu convocation immédiate devant les tribunaux. Auto-proclamés parce qu’il faut se garder de confondre « enseigner l’histoire » et « faire de l’histoire », exactement comme personne ne confond « enseigner la littérature » avec « faire de la littérature ». En effet, il ne suffit pas de passer des heures ou des jours entiers aux archives, d’en extraire tel ou tel document que l’on commentera par la suite dans un article ou un livre, pour s’arroger du titre d’historien. Un historien, comme un écrivain, doit avoir une théorie. Une théorie de l’histoire. Avant de nous brandir triomphalement telle découverte dans telle archive ou d’asséner des arguments d’autorité, il doit expliciter ses présupposés théoriques et indiquer clairement dans quel cadre de pensée il situe son travail. De même, un écrivain qui n’a pas au départ une théorie de l’écriture n’est qu’un littérateur.

EPISTEMOLGIE ADAPTEE

En fait, quand on compare, le fonctionnement des différentes Sciences Humaines aux Antilles, on se rend compte que l’histoire__en particulier, celle pratiquée par les négationistes__est la seule à n’avoir pas fait l’effort de réfléchir à une épistémologie adaptée à nos particularités. La seule à n’avoir pas ressenti le besoin de proposer de nouveaux concepts opératoires. Tant en linguistique, qu’en analyse littéraire, en anthropologie et sociologie, ou encore en économie, nos spécialistes se sont attelés, depuis au moins trois décennies, à produire un savoir fondé non pas seulement sur les principes généraux de leur discipline tels qu’ils sont généralement en usage en Europe ou en Amérique du Nord, mais aussi sur de nouveaux découpages du réel, du réel antillais s’entend, de nouvelles manières de conceptualiser ce dernier.

Ainsi, en analyse littéraire, aucun chercheur antillais ne se contente de se référer seulement à Roland Barthes, Gérard Genette ou quelques autres autorités occidentales en la matière. Il dispose désormais de tout un appareillage conceptuel forgé pour la littérature antillaise et sa spécificité. Ainsi le concept de « diglossie littéraire », concept central, fondamental, à partir duquel vont s’articuler ceux de « langue indigène du récit », « procuration linguistique », « surconscience linguistique », « souveraineté littéraire » et bien d’autres. Mieux, une véritable transversalité s’est instaurée entre les quatre disciplines susnommées lesquelles non seulement puisent dans l’une ou l’autre selon les besoins, mais travaillent autour du même concept : par exemple, celui de « créolisation », lui aussi fondamental.

Il n’y a que l’histoire à être demeurée à l’écart de ce recentrage épistémologique et à continuer à nous asséner, imperturbablement des choses du genre « Le 12 février 1840, le gouverneur Untel a décrété ceci… » ou « A la fin du 19è siècle, les ouvriers agricoles entamèrent des grèves… ». A continuer, ce qui est tout aussi grave, à ignorer l’apport théorique de l’anthropologie antillaise ou de l’analyse littéraire antillaise, disciplines auxquelles nos historiens ne font qu’allusion sans qu’on comprenne bien comment lesdites allusions s’articulent à leurs démonstrations.

Nous posons donc la question : où est l’épistémologie des sciences historiques adaptée à notre réalité ? Quels en sont les concepts opératoires ?

Parmi, tous ces prétendus historiens, le plus inconsistant théoriquement, celui chez qui, malgré beaucoup d’esbroufe, on dénote la plus grande vacuité conceptuelle n’est autre que le dénommé Frédéric Régent.


ARCHIVE SYMBOLIQUE

Quelle est donc la théorie, quelles sont les théories sur lesquelles s’appuient les Antillais et Africains qui grenouillent dans le sillage de Pétré-Grenouilleau ? Aucune ! Or, s’agissant des pays colonisés, en particulier ceux où l’écriture était du seul ressort du maître ou du colon (ce qui ne fut pas le cas de l’Asie ou du monde arabe où malgré la domination coloniale, les indigènes purent conserver une certaine maîtrise de l’écrit dans leur propre langue), il y a une véritable critique des archives à opérer. Il y a à réfléchir à la notion même d’archive. D’abord, on note que celle-ci n’émane que du maître et de lui seul ; ensuite, il apparaît que ce qui est archivé ne visait qu’à asseoir le pouvoir du maître et était donc souvent délibérément tronqué ou manipulé. Chiffres, listes, notations diverses, actes juridiques parfois, tout ce qui est de la main du colon ou de l’Etat colonial est suspect ou, en tout cas, doit être interrogé. Enfin, nos petits Pétré-Grenouilleau locaux font carrément l’impasse sur ce que Dany Bébel-Gisler appelait dans « Le Créole, force jugulée (L’Harmattan, 1972) « l’archive symbolique » de notre culture à savoir le créole et toutes les productions orales dans cette langue (contes, récits familiaux, proverbes, chants de travail etc.). Ils font donc abstraction de l’esclave, du vécu de l’esclave. En ne fondant leur propos que sur l’écrit du maître blanc, ils font comme si l’esclave noir était demeuré les bras croisés et n’avait pas, au cœur même de l’effroyable, recréé une nouvelle culture, un nouveau rapport au monde. Pour ces messieurs, l’esclave n’écrit pas donc il n’a rien à dire !

Au-delà de l’absence de toute réflexion théorique, ce qui est plus scandaleux chez eux, c’est qu’en s’employant à minimiser les atrocités de la période esclavagiste, ils poursuivent en réalité un autre but, un but soigneusement dissimulé, masqué : montrer qu’en dépit de tout ce que nous a fait subir la puissance coloniale, nous pouvons aujourd’hui continuer à vivre en son sein car grâce à de grands hommes, de grands humanistes émanant de cette même puissance, nous avons pu recouvrer notre dignité d’homme et manger à la même table que nos anciens maîtres. Ce négationnisme est donc une forme de néo-assimilationnisme. Il vise à brouiller les cartes et à nous faire perdre de vue, ce qu’Aimé Césaire a nommé « le génocide par substitution ». Le négationnisme de ces pseudo-historiens, dont certains ont vainement tenté d’entrer à l’Université, sert en fait le phénomène de caldochisation, c’est-à-dire le remplacement des Antillais à tous les postes de responsabilité par des gens venus d’ailleurs. En donnant des gages aux Caldoches, en relativisant l’esclavage, en se faisant les porteurs d’eau des Pétré-Grenouilleau et autres, ils espèrent telle ou telle gratification : poste de directeur de telle institution ou tel organisme de l’Etat français, petit chef de ceci ou de cela, invité systématique des plateaux-télés coloniaux etc.

Tous ceux qui ont la nation martiniquaise ou guadeloupéenne chevillée au corps se doivent de combattre avec la dernière énergie les négationnistes car ces derniers, en répandant leur discours mensongers dans l’esprit de nos élèves et de nos étudiants, sont en fait à la pointe du combat pro-assimilation. Ils sont les nouveaux hussards de l’entreprise d’éradication de notre identité créole. Ils ne visent ni plus ni moins, en final de compte, qu’à prouver que, malgré l’esclavage, nous avions vocation à devenir de bons Français.

Historiens, ces gens-là ? Que non ! Agents du colonialisme français।

Raphaël Confiant