L'histoire et la sociologie de la caraïbe, des antilles et du monde noir. Naviguons dans le passé de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Réunion et de l'Afrique
lundi, avril 04, 2016
“COMBIEN DE NAVIRES ONT AINSI EMPORTE A TRAVERS L’ATLANTIQUE, DES ENNEMIS JURES, ENCHAINES L’UN A L’AUTRE "
Quelle fut la responsabilité des Africains dans la déportation transatlantique ?
Aucune se dépêcheront de dire certains, mineure, nuanceront d’autres...
Le pire c’est que cette dénégation dont on ne saurait dire si elle est plus indécente que stupide, sera souvent le fait de descendants d’esclaves eux-mêmes, qui commettront ainsi une double trahison. D’une part, celle de n’avoir pas avoir fait l’effort documentaire qu’il leur était moralement fait obligation vis à vis du martyr de leurs ancêtres, pour partager par la mémoire, la réalité et non une histoire fictive pour leur arrangement personnel, de leur odyssée. Mais également, par la non dénonciation, toujours parce que cela les arrange mieux ainsi, des circonstances peu glorieuses qui ont valu à ces malheureux de se retrouver captifs, par le fait de leurs semblables. Car ceux qui se retrouvaient dans la cale du bateau savaient très bien par quel cheminement malheureux ils s’étaient retrouvés là, et que leur sort fut scellé bien avant qu’ils n’aient aperçu pour la première fois de leur vie, un homme blanc...
Oui, absoudre ainsi, par une attitude simplificatrice et irresponsable voulant que dans cette affaire il y eut tout simplement les bons d’un coté et les mauvais de l’autre, ceux des ennemis féroces de ces malheureux qui furent la cause effective de leur captivité, c’est nier en les trahissant, ce qui fut la moitié de leur douleur.
Bien sûr, nous connaissons le schéma si facile et toujours réitéré auquel s’accrochent d’autant plus ceux qui se trouvent dans cette posture, que sa stupidité permet d’y accoler d’autres concepts fantasmatiques tels que celui d’un prétendu “peuple noir”, et selon lequel des hommes blancs s’en seraient venus d’Europe pour capturer des hommes de ce peuple noir qui vivait jusqu’alors uni dans la paix et la sérénité, afin de les emmener comme esclaves aux Amériques, et aussi simplement qu’il suffit de l’énoncer...
Ceci leur permet de ne donner qu’une seule couleur à la culpabilité dans cette affaire, et de manifester contre celle-ci une vindicte qui aurait risqué autrement de concerner également certains avec lesquels ils font front, et malgré l’évidence que les choses n’auraient pas pu se passer de la sorte, ces gens vous soutiendront ce bobard avec virulence.
Et tout cela, même si vous leur faites remarquer qu’à condition de déjà y mettre des moyens militaires conséquents, ce qui ne sera le cas que durant la période de la colonisation qui viendra beaucoup plus tard, ce genre d’opération de chasse et de capture massive de nègres dispersés jusqu’au plus profond de la savane ou de la forêt, parfois même à des centaines de kilomètres des côtes, combien même il aurait été ponctuellement faisable, et il ne l’était manifestement pas, il ne l’aurait certainement pas été dans la durée.
Car, sauf à prendre les Africains pour les derniers des derniers, la surprise aidant, ce genre d’opération aurait peut-être pu fonctionner durant quelques temps, quelques années tout au plus, mais certainement pas sur toute la durée de trois long siècles pendant lesquels pourtant prévenus, expéditions après expéditions, années après années, capture après capture, jamais ces Africains n’auraient trouvé durant tout ce temps la moindre parade, ne serait-ce qu’en se regroupant pour faire efficacement front à ce qui n’était à l’époque que quelques poignées d’aventuriers, afin de se soustraire à cela...
Et c’est là qu’apparait la mystification car il est clair que la durée aussi longue de la déportation ne peut s’expliquer que si elle se trouve articulée sur une disposition qui était propre au continent africains et qui en l’occurrence, était la “mise en servitude”, telle qu’elle se pratiquait depuis des lustres, principalement des vaincus des conflits incessants entre nations africaines, qui sévissaient alors et qui hélas perdurent aujourd’hui. Et ce; même s’il n’existait pas à l’origine de commerce de ces captifs, coutume qui sera apportée par les Arabes, imités en cela par les Européens dont la lourde faute historique consistera en l’ampleur dévastatrice qu’ils donneront à celui-ci.
Et qu’on ne nous parle pas en télescopant les époques et en accordant aux aventuriers du 16ème siècle qui ne disposaient que de vieilles pétoires à pierre qui tiraient un coup toutes les dix minutes en étant placées sur un chevalet, la mobilité des armes à feu qui n’apparaîtront qu’au 19ème siècle, pour nous faire croire que c’est grâce à cela que ces aventuriers dont les tenants de ce bobard ne se préoccupent jamais de nous dire combien ils étaient, ont pu avec quelques poignées d’hommes encercler des villages entiers pour en faire captifs les habitants probablement rendus incapables de se défendre parce qu’apeurés, et surtout, organiser les fameux “convois”, qui permettaient après plusieurs semaines de marche, de faire parvenir les captifs de l’intérieur des terres jusqu’à la côte, au milieu des populations hostiles...
Tout cela est non seulement faux, mais parfaitement stupide...
Le plus incroyable dans cette affaire, c’est qu’il n’y a pas lieu de se questionner jusque dans la nuit des temps pour savoir ce qui s’est effectivement passé. Car, contrairement à ce que s’imaginent certains, nous disposons d’une très abondante documentation, établie avec toute la rigueur des documents comptables et des livres de bord des navires négriers, pour mettre en évidence ce qui fut tout simplement ainsi que l’indique directement le mot “traite”, lequel n’a rien à voir avec un éventuel traitement infligé aux esclaves, mais qui décrit une opération commerciale, terme qui est d’ailleurs à l’origine du mot anglais “trade”, ce qui fut un gigantesque commerce d’hommes rendus captifs par leurs semblables, en échange de produits manufacturés en provenance d’Europe.
Toute la malhonnêteté dans cette affaire, c’est de feindre de croire pour les uns, et de proclamer bruyamment pour les autres, que ce sont les Européens qui s’en allaient eux-mêmes faire des captifs chez les Africains qui ignoraient tout de cette pratique, et qui par conséquent, portent l’entière et exclusive responsabilité dans ce désastre. Et ce faisant, alors qu’il est clair qu’il y eut dans cette affaire des vendeurs et des vendus, ces gens commettent le crime de solidariser la mémoire des vendus avec celle de ceux qui les ont vendus, en salissant ainsi celle des premiers. Qui peut croire que cette façon de descendants d’esclaves, de falsifier ainsi la mémoire de leurs martyrs, pourrait leur valoir la faveur de la destinée ?
Ceci étant, il est certain que des Africains n’ont pas du manquer de se faire razzier directement le long des côtes, comme cela s’est toujours fait depuis la lointaine antiquité sur les bords de la Méditerranée, mais ces malheureux capturés directement par des Européens, selon un schéma qu’on veut faire passer pour avoir été la cause essentielle de la traite, ne représentent pas grand chose parmi les millions et les millions de captifs qui furent déportés, et qui étaient pour la plupart, des captifs des guerres que des nations africaines se livraient, précisément afin d’alimenter une demande croissante de leurs clients Européens en captifs. Ces gens faisaient alors du captif, comme d’autres font de l’agriculture...
Il faut bien comprendre que telle est la logique même du commerce dit “triangulaire”, celle de bateaux partant principalement des ports de l’Atlantique tels que Nantes et Bordeaux concernant la France, chargés des “paquets”, d’ou le nom de “pacotille” concernant la valeur relativement faible de leur contenu, eu égard aux vies d’hommes qu’il permettait d’acquérir, afin d’un troc pour se procurer des esclaves, puis s’en allant les vendre aux Amériques, pour revenir en Europe chargés de produits qui étaient alors exotiques tels que le sucre et le coton.
Si donc c’était les Européens qui se chargeaient de capturer eux-mêmes les Africains, il n’y aurait pas eu lieu que se développent en Europe, toutes les activités qui étaient liées à ce commerce. Or pour bien prendre la mesure des choses, et sortir de cette imagerie stupide de quelques aventuriers s’en allant razzier sur les côtes d’Afrique, il faut savoir que pour un pays comme la France, les activités liées directement ou indirectement à ce commerce, représentaient 1/5 de l’activité commerciale totale de ce pays, et 1/8 des emplois, ce qui était absolument considérable...!
Une campagne négrière était une opération extrêmement importante et complexe à organiser, qui coûtait à l’époque l’équivalent du prix d’un hôtel particulier parisien, c’est dire. C’est d’ailleurs ce qui justifie toute la documentation comptable dont on dispose aujourd’hui, d’autant que ces campagnes ont justifié la mise en place d’opérations bancaires qui existent encore dont les fameuses “lettres de change” qui permettaient aux capitaines négriers, de ne pas avoir à rapporter d’argent des Antilles pour servir ainsi d’appâts aux pirates, et qui sont devenus ce que l’on appelle justement aujourd’hui, des “traites”.
Il fallait préparer les navires pour des campagnes qui pouvait durer jusqu’à neuf mois, en les armant dans les deux sens du terme, celui des armateurs qui se chargeaient de recruter les personnels et de prévoir les équipements, et dans le sens militaire car il s’agissait au départ de navires marchands sur lesquels on installait des pièces pour faire face à la piraterie, et deux pièces au moins dirigées vers le pont, pour le cas où il se produirait une révolte d’esclaves, ce qui n’était d’ailleurs pas le danger le plus probable pour les capitaines négriers.
Car, le danger le plus probable, c’était le risque de règlements de comptes furieux qui se produisaient assez fréquemment au fond de la cale, entre membres de tribus ennemies, d’ou la remarque du capitaine Théodore Cannot citée en titre, car on s’arrangeait pour ne pas emporter trop de membres d’une même tribu d’un coup, pour que justement ne puissent pas s’organiser de révoltes...
Il fallait de plus prévoir de quoi bien sûr nourrir et entretenir les captifs autant que les équipages durant des mois, étant entendu que le but de la manœuvre n’était pas de livrer des cadavres aux Amériques, ce qui demandait des préparatifs importants et coûteux, en plus de tous les matériels nécessaires pour entraver les esclaves.
Ces opérations ne s’improvisaient pas, et pour se procurer des captifs; les capitaines pouvaient procéder à ce que l’on appelait la traite “ à la volée ”, laquelle consistait pour eux, après avoir donné un coup de canon pour signaler leur présence le long des côtes, à faire disposer par des matelots, des “paquets” sur le rivage.
Les Africains s’en venaient constater ce qui leur était proposé, puis après avoir emporté le paquet, s’en revenaient avec quelques captifs qu’ils proposaient au choix du commis du capitaine négrier. Mais ce type de traite prenait du temps pour n’emporter que quelques captifs à chaque fois. Les capitaines préféraient donc s’adresser aux “factoreries”, ces comptoirs tenus par des Européens, où les “convoyeurs”, ces Africains qui avaient à charge la conduite et la surveillance du convoi, et dont les descendants aujourd’hui sont ces Africains qui portent des noms portugais, livraient les convois, et où ils pouvaient acquérir d’un coup plusieurs dizaines d’esclaves.
Lorsqu’après avoir livré bataille et fait de nombreux captifs, un roi envisageait de faire sa livraison, une estafette s’en allait annoncer sa venue pour qu’il soit correctement accueilli dans la factorerie. Le premier jour n’était destiné qu’à faire ripaille, les négociations serrées ne s’engageant que le lendemain. A ce sujet, circulait à cette époque un “guide” du capitaine négrier, pour lui indiquer quels était les meilleurs endroits pour se procurer des captifs, et tout ce qu’il fallait savoir pour pouvoir opérer le bon choix parmi ceux-ci, en particulier comment parvenir à établir leur âge, et bien sûr leur bon état de santé.
En échange de leur livraison, les Africains recevaient principalement, des outils, des métaux, des étoffes, du mobilier, de la vaisselle et de la verroterie, de l’alcool, et également ce dont ils étaient les plus demandeurs, des armes. Ceci pour défaire la légende selon laquelle il y avait conflit à cette époque, entre eux et les Européens et il est remarquable que dans tous les fortins qui furent érigés le long des côtes par ces derniers pour protéger ce commerce, aucune des pièces d’artillerie n’était orientée vers les terres d’où aurait pu venir un danger africain, mais qu’elles étaient toutes orientées vers la mer, pour faire échec à la concurrence d’autres nations européennes auprès des Africains.
Certaines tribus de la côte s’étaient spécialisées pour fournir en produits frais les navires négriers, et surtout, pour se charger d’opérer le transbordement vers ces navires ancrés loin du bord là où il n’y avait pas de port, les dizaines de captifs qui voyaient en ces instants les dernières chances pour eux de s’évader, et qui était prêts à tout tenter, encadrement musclé à bord d’embarcations, qui ne pouvait se faire par les seuls quelques matelots du bord...
Il faudrait bien sûr encore beaucoup développer concernant cette affaire, mais ce qu’il est intéressant d’en retenir pour l’instant, c’est que ce sont exactement les mêmes dispositions des Africains vis à vis de leurs semblables, qui ont fait la faveur opportuniste des Européens à l’époque, et qui, à cause même de ce déni qui n’a pas permis de mettre à plat toute cette affaire afin d’en tirer des enseignements profitables, se trouve à l’origine de tous les désastres africains d’aujourd’hui.
C’est ainsi que la mise en servitude qui a existé sur tous les continents de cette planète, et qui est bien l‘archaïsme social de l’Afrique de l’époque que les Européens vont savoir parfaitement exploiter, perdure encore jusqu’aujourd’hui dans certains endroits du continent dont la Mauritanie. C’est en exploitant les rivalités des nations africaines que les Européens vont parvenir à déstabiliser totalement ce continent avant d’en faire la conquête. Or, cette façon de faire, ils l’opèrent encore avec toujours autant de bonheur jusqu’aujourd’hui. C’est en favorisant certains chefs en les armant, afin qu’ils puissent leur livrer les richesses du continent, humaines autrefois, matérielles aujourd’hui, qu’ils sont parvenus et parviennent toujours à exploiter ce continent...
Tant que de façon bornée et avec la plus totale malhonnêteté intellectuelle, certains continueront à demeurer dans le déni, les différentes communautés concernées par cette affaire, qu’elles soient alors du continent ou de sa diaspora, ne seront pas libérées des tares comportementales qui font aujourd’hui leur grande faiblesse, et leur malheur...
Paris, le 6 février 2015
Richard Pulvar
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