L'histoire et la sociologie de la caraïbe, des antilles et du monde noir. Naviguons dans le passé de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Réunion et de l'Afrique
mercredi, août 12, 2009
Portrait. 220 ans après la révolution française
Toussaint Louverture, père de l’émancipation des esclaves
1743-1803. Né esclave dans une plantation de Saint-Domingue, Toussaint Louverture est le premier leader noir à avoir vaincu les forces d’un empire colonial européen.
Àla fin du XVIIIe siècle, la colonie de Saint-Domingue, possession française depuis le traité de Ryswick de 1697, est la plus riche des Antilles. La valeur de ses exportations dépasse même celle des États-Unis. La culture de la canne à sucre et celle du café emploient alors près de 500 000 esclaves noirs. Le reste de la population est composé de 32 000 colons blancs et de 28 000 mulâtres et affranchis. La Révolution française va complètement changer la donne puisque moins de quinze ans après la prise de la Bastille, l’ancienne Saint-Domingue aura définitivement chassé l’occupant de ses terres. Première République noire indépendante, quarante-trois ans avant la création du Liberia et plus de cent cinquante ans avant la décolonisation, Haïti (de l’arawak Ayiti) était auparavant parvenue à libérer ses travailleurs asservis grâce à la fougue et à la ténacité d’un homme, un ancien esclave devenu général de la République : Toussaint Louverture.
Né le 20 mai 1743 dans la plantation du comte de Bréda, située dans la province du nord, près de Cap-Français, François-Dominique Toussaint serait le petit-fils d’un roi nommé Gaou-Guinou qui possédait une portion de territoire de l’actuel Bénin. Petit, malingre, il est surnommé Fatras-Bâton du fait de sa laideur. Son maître, Baillon de Libertat, l’aurait avantagé, l’encourageant notamment à apprendre à lire et à écrire. Selon les témoignages, il a été cocher, domestique ou encore gardien de bétail. Une chose semble certaine : Toussaint Louverture fait partie de la minorité privilégiée des « nègres de grand’case » qui était au service du propriétaire de la plantation et qui ne travaillait pas dans les champs.
Toussaint Louverture est affranchi en 1776, à l’âge de trente-trois ans. Hasard de l’histoire : il se libère du joug de l’esclavagisme l’année de la déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique. En 1779, son gendre lui loue une parcelle d’une quinzaine d’hectares et les esclaves qui y travaillent. Il exploite ces terres jusqu’à la Révolution française et amasse ainsi une petite fortune. Le futur général anti-esclavagiste n’évoquera jamais cette période de sa vie, préférant mettre en avant son statut d’ancien esclave plutôt que celui d’affranchi. Peut-on lui en tenir rigueur ?
En août 1791, les esclaves du Nord se révoltent contre leurs maîtres après la cérémonie vaudoue de Bois-Caïman. Plus de 1 000 Blancs sont égorgés et plusieurs dizaines de plantations incendiées. Toussaint Louverture ne participe pas directement à ces événements. Il rejoint néanmoins rapidement les rangs des insurgés en devenant l’aide de camp de Georges Biassou, l’un des chefs de la rébellion. Fuyant la répression des colons, celui-ci se réfugie dans la partie orientale de l’île. Alliés aux Espagnols, qui contrôlent Santo Domingo (future République dominicaine) et, à l’époque, en guerre avec la France, les révoltés y reçoivent une formation militaire. Leur objectif est simple : l’accession à la liberté. Car si l’égalité des droits entre tous les hommes libres, quelle que soit leur couleur de peau, est promulguée par la Législative le 4 avril 1792, il n’est, pour l’instant, pas encore question d’abolir l’esclavage. Toussaint Louverture compte donc bien profiter de l’aide espagnole et de ses bases arrière sécurisées pour défaire les Français esclavagistes. À la tête de ses troupes, il remporte plusieurs succès en 1793. Il est rapidement nommé général des armées du roi d’Espagne. C’est à cette époque qu’on lui donne le surnom de « L’Ouverture ». Le 29 août 1793, dans une célèbre déclaration, Toussaint se présente comme le leader de la révolution : « J’ai entrepris la vengeance de ma race. Je veux que la liberté et l’égalité règnent à Saint-Domingue. Unissez-vous, frères, et combattez avec moi pour la même cause. Déracinez avec moi l’arbre de l’esclavage. » Son aura est jalousée par ses chefs militaires, qui tentent de le faire éliminer, sans succès.
Les victoires de Toussaint Louverture et des rebelles mettent le commissaire Léger-Félicité Sonthonax, l’un des deux représentants de la toute jeune République française, dans une situation catastrophique. Attaqué de toutes parts par les Britanniques et les Espagnols, eux-mêmes soutenus par les colons royalistes - en lutte contre la République - et les esclaves révoltés, il est acculé dans la partie nord de l’île. Le 29 août 1793, le jour même de la déclaration de Toussaint Louverture, il décide, de son propre chef, d’abolir l’esclavage dans le nord de la colonie. Il espère ainsi rallier à lui les nouveaux affranchis. Le commissaire Étienne Polvérel fera de même dans le Sud. Cet acte aura des conséquences considérables sur la suite des événements puisque l’abolition de l’esclavage est non seulement votée par la Convention le 4 février 1794, mais elle est également étendue à l’ensemble des possessions françaises. Ayant obtenu ce pour quoi il se battait, Toussaint Louverture, déçu par l’attitude des Espagnols, décide de changer de camp et rejoint celui de la République. En une année, à la tête de son armée composée de soldats noirs, mulâtres et blancs, il refoule les Espagnols jusqu’à Santo Domingo et élimine les derniers foyers de résistance des rebelles. En juillet 1795, auréolé de ses succès, il est élevé au grade de général de brigade, puis de général de division, en août 1796.
La paix n’est cependant pas encore totalement revenue à Saint-Domingue puisque les Britanniques occupent toujours certaines parties de l’île. Toussaint Louverture mène dès lors une bataille sur trois fronts. Il s’affaire tout d’abord à relancer l’économie de la colonie. Pour cela, il incite les colons à revenir dans leurs plantations. Les Noirs, désarmés par leur ancien chef, y travaillent en tant qu’hommes libres. Louverture cherche ensuite à asseoir son pouvoir politique. Nommé commandant en chef de la colonie de Saint-Domingue le 15 mai 1797, il précipite le départ des commissaires de la République et des chefs militaires métropolitains afin d’être le seul aux commandes de l’île. Enfin, disposant d’une armée d’environ 50 000 hommes, Louverture va reprendre la lutte contre les Britanniques, sans en informer la France, dont il se méfie toujours. Il n’obtient pas de succès décisif, mais, usés par cette guerre sans véritable but, les Britanniques vont accepter de négocier avec le général. Ils quittent finalement Saint-Domingue le 31 août 1798, suivis de peu par le général Hédouville, représentant militaire de la France. Toussaint Louverture doit encore faire face au soulèvement des mulâtres, jaloux de l’influence des Noirs. Une guerre sans pitié éclate. Elle durera un an et s’achèvera par la défaite des forces du général Rigaud.
L’objectif de Toussaint Louverture est désormais de mener Saint-Domingue à l’indépendance. Pour cela, il faut, selon lui, relancer l’économie de la colonie. Le 12 octobre 1800, il publie un règlement relatif au fonctionnement des plantations qui réintroduit de facto le travail forcé. Pour le général anti-esclavagiste, ce dernier est absolument nécessaire, durant quelque temps, pour assurer la future indépendance de l’île. Il va également chercher à rallier les Blancs en rappelant les émigrés (beaucoup de colons s’étaient réfugiés en Louisiane) et en imposant le catholicisme comme religion - d’État au détriment du culte vaudou pratiqué par les anciens esclaves. Enfin, il va réunifier l’île en occupant sa partie orientale le 26 janvier 1801. Le 9 mai, une constitution autonomiste le nomme gouverneur à vie. Il ne reste plus qu’un pas à franchir jusqu’à l’indépendance.
Cette situation n’est cependant pas du goût de Napoléon Bonaparte. Convaincu par le lobby colon du nécessaire rétablissement de l’esclavage, le Premier consul envoie une armée de 30 000 hommes reprendre le contrôle de Saint-Domingue. Les troupes françaises prennent pied sur l’île le 29 janvier 1802. Toussaint Louverture s’oppose militairement au débarquement en appelant les Noirs à l’insurrection, mais au bout de quatre mois, il doit se résoudre à déposer les armes. Le 7 mai 1802, après s’être assuré auprès des Français que l’esclavage ne serait pas rétabli, il se retire dans son domaine d’Ennery. Un mois plus tard, alors qu’il fait partie d’un complot qui vise à chasser l’occupant français, il est trahi et dénoncé par le général Dessalines, le père de l’indépendance haïtienne. Il est arrêté et envoyé en France à bord du vaisseau le Héros. Sa famille l’accompagne dans ce dernier voyage. Le 23 août, il est enfermé au fort de Joux, dans le Doubs. Isolé, humilié, brimé, il est soumis à plusieurs interrogatoires. Le vieil homme ne résistera pas longtemps au régime pénitentiaire. Il succombe à une pneumonie le 7 avril 1803. Toussaint Louverture sera inhumé dans l’enceinte du fort où il a fini ses jours. Le 25 mars 1983, le gouvernement français remettra une urne contenant ses restes mortels au gouvernement haïtien. Le libérateur des esclaves retrouvera, cent quatre-vingts ans plus tard, la terre qui l’a vu naître et se battre et qui a, finalement, fait triompher son idéal en accédant à l’indépendance le 1er janvier 1804, devenant ainsi la première République noire indépendante.
Philippe Peter
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