L'histoire et la sociologie de la caraïbe, des antilles et du monde noir. Naviguons dans le passé de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Réunion et de l'Afrique
vendredi, août 28, 2009
Pr Iba Der Thiam (Historien) : ‘L’Afrique est aujourd’hui universellement reconnue comme le berceau de l’humanité’
L’égyptologue Cheikh Anta Diop l’avait dit et répété : Les Noirs sont à l’origine de la civilisation humaine puisque l’Afrique est la mère des civilisations et des nations. Des chercheurs africains-américains viennent de le confirmer, révèle le Pr Iba Der Thiam dans l’entretien qu’il nous a accordé sur l’antériorité des civilisations noires. Selon lui, ces chercheurs ont porté le flambeau à un niveau d’analyse et de recherche qui a balayé toutes les contrevérités enseignées encore de nos jours. Entretien à bâtons rompus.
Wal Fadjri : Vous avez dit, récemment, que le peuple noir était à l’origine de la civilisation. Pourquoi cela n’est-il pas enseigné dans les écoles d’Afrique et des autres continents ? Le racisme et les préjugés n’auraient-ils pas diminué, si de telles informations étaient connues du grand public ?
Iba Der THIAM : Je confirme l’idée que ‘l’Afrique est la mère des civilisations et des nations’. Cette expression n’est pas de moi, mais d’un chercheur américain, nommé Georges Welles Parker, né en 1882. Avant lui, un autre savant Gerald Massey, né en 1828, disait que ‘l’Afrique est le berceau et l’Egypte, la voie’. Il était l’un des plus grands spécialistes de l’Antiquité de son époque.
Il faut, en effet, savoir que, depuis le XIXe siècle, des anthropologues, des archéologues, des historiens, des linguistes, des spécialistes des religions, des spécialistes de l’architecture se fondant sur des documents irréfutables, sur des témoignages d’auteurs grecs comme Homère, Ephore, Diodore de Sicile, d’autres, latins ou arabes, comme Al Jahiz, qui a écrit un livre intitulé : ’Des titres de gloire des Noirs sur les Blancs’, au VIIIe siècle, avaient, tous, signalé le rôle que les civilisations noires ont joué dans la naissance et la diffusion du progrès par leur présence, depuis l’aube du temps, en Asie et en Europe, par exemple. Cette présence, estiment les spécialistes, a duré environ 300 millions d’années.
Si ces notions ne sont pas encore enseignées, la faute incombe aux Africains et aux citoyens des autres continents. Il est clair que si ces notions étaient diffusées, connues et enseignées, bien des choses auraient été différentes.
Wal Fadjri : Comment ce processus s’est-il effectué ?
Iba Der THIAM : L’Afrique est, aujourd’hui, universellement reconnue, comme étant le berceau de l’humanité. C’est, donc, sur son sol, que se sont constituées les premières formations sociales. C’est d’Afrique que les premières populations, dont la peau était noire, en raison des conditions climatiques tropicales, ont essaimé en direction des autres continents. Tout cela, Cheikh Anta l’avait dit.
Wal Fadjri : Cela veut-il dire que la dispersion des populations noires à travers le monde ne s’est pas opérée pendant l’esclavage, c’est-à-dire, les traites arabes et atlantiques, comme on le dit souvent, mais bien avant ?
Iba Der THIAM : C’est la stricte vérité. L’esclavage et les traites négrières arabes, en particulier, n’ont duré que du VIIe au XIXe siècle. Certes, des Noirs ont été tirés et vendus d’Afrique, par exemple, avant le VIIe siècle. Ce dont nous parlons, précède de beaucoup la traite pharaonique, grecque, romaine ou arabe. Elle date de 300 millions d’années. Tout cela, les savants occidentaux le savaient, depuis le XIXe siècle, au moins, mais ils l’avaient soigneusement caché et travesti. En effet, entre le IVe et le VIe siècle, la théorie de la damnation de Cham avait été élaborée et diffusée par certaines religions. C’est elle qui, entre autres facteurs, a servi de fondement à la traite négrière et au Code noir et, plus tard, à celui de l’indigénat du 30 septembre 1887. On disait que le Noir n’avait pas une âme, qu’il incarnait la couleur du péché, celle du démon et de la perversion. Dans la même lancée, alors que le Noir était la couleur des divinités les plus respectées, y compris de La Vierge Marie, dans beaucoup de cultures, on en a fait la couleur de Satan et du diable, en lui substituant la couleur blanche. Jean Devisse, ancien directeur du Centre d’études africaines de la Sorbonne, dans un ouvrage publié en 1987 (L’image du Noir au Moyen-Âge) devenu classique, rend compte de ce processus.
Fait aggravant, à l’époque des ‘Lumières’, on a glorifié la supériorité de la culture européenne sur toutes les autres cultures, au point d’en faire, avec le soutien de l’Eglise, des modèles et des références et même des instruments de mesure par rapport à toutes les autres cultures connues de l’époque. Doudou Diène a expliqué, dans une conférence faite au Guatemala sur la diversité, le rôle que Voltaire et le botaniste Buffon, par exemple, ont joué dans cette entreprise. Il a découlé de tout cela, la notion de ‘mission civilisatrice’, celle de la ‘hiérarchie des races’ si chère à Gobineau, avec pour corollaire, la légitimation de la domination coloniale, de l’expansion impérialiste et du partage de l’Afrique, au Congrès de Berlin, en 1884-1885.
Pourtant, dès le XVIIIe siècle (1787), le Comte de Volney avait révélé le rôle que les civilisations noires avaient joué dans l’Egypte Antique. Edward Blyden avait conforté ces thèses, de même que Mortillet, donnant ainsi raison, par anticipation, à l’inégalable égyptologue sénégalais, notre maître à tous, le Professeur Cheikh Anta Diop. Marcus Garvey, dans sa Revue ’Le Monde Noir’ avait, lui aussi, développé l’antériorité des civilisations noires et africaines sur les autres.
Wal Fadjri : D’où est-ce que tout est parti ?
Iba Der THIAM : Ce sont des migrants noirs venant de la Vallée du Nil, qui ont donné naissance à la civilisation de Summer, dont l’éclat rayonna sur toute l’Asie, sur l’Europe et même au-delà. Les summériens étaient appelés les ‘têtes noires’. Les villes assyriennes de Ninive et Babylone étaient peuplées de Noirs. Ce sont ces peuples anciens dans lesquels, les Noirs dominaient, qui ont inventé les mathématiques, l’astronomie, l’alphabet, l’écriture, le calendrier, la religion, créé des villes, développé l’architecture, bâti des empires.
Les auteurs de ces belles réalisations appartiennent à une civilisation originaire de la Vallée du Nil, comme le sont nos ancêtres primitifs, qui ont quitté l’Afrique pour coloniser l’Europe, le Moyen-Orient et l’Inde, il y a plus d’un million d’années. L‘Inde où existent, encore, dans la baie du Bengale, des populations noires d’origine africaine, appelées ‘Andamans’, qui s’y sont établies depuis 60 000 ans. Le numéro du 28 mars du journal ‘Le Monde’ leur a, d’ailleurs, consacré un reportage récemment. Il ne s’agit donc pas d’un rêve narcissique, mais d’une réalité scientifique établie.
La présence noire est, également, attestée dans tout le reste de la Mésopotamie, en Jordanie, en Palestine, en Ouzbékistan, au Kazakhstan, à Myanmar, au Cambodge, au Vietnam, au Pakistan, en Indonésie, en Iran, aux Philippines, en Malaisie, en Thaïlande et dans toute l’Asie du Sud-Est, y compris dans les îles. Ils sont plus de 350 millions rien qu’en Asie. Ce sont ces Noirs qui ont produit la prestigieuse civilisation d’Angkor et mis au point des canaux d’irrigation, dont certains avaient 64 kilomètres de long, des ouvrages hydrauliques admirables, des lacs artificiels, dès le IXe siècle, une civilisation qui a duré 600 ans. Ce sont des Noirs qui ont conçu un statut avancé de la femme à Elam.
Tout ceci, l’incomparable Cheikh Anta Diop l’avait pressenti et quelquefois, révélé. Après lui, heureusement que les Africains-Américains, qui se réclament, tous, de sa pensée, de ses idées et de son école, ont porté le flambeau à un niveau d’analyse et de recherche, qui a balayé toutes les contrevérités qu’on enseigne, encore, de nos jours et révélé, publiquement, ce qu’on cache au reste de l’humanité, par une conspiration du silence, qui constitue, assurément, la plus grande entreprise de falsification intellectuelle de notre temps.
Oui, les Noirs sont à l’origine de la civilisation humaine. Ils ont été les pionniers du progrès. Cela a été tellement évident dans l’Antiquité que, dans des pays comme le Japon, dont les premiers habitants étaient, eux aussi, noirs, l’histoire a même retenu l’existence d’un shogun noir. Mieux, la notion de Samouraï, si chère à la culture nipponne, doit beaucoup à la culture noire, puisqu’un proverbe japonais dit que ‘pour qu’un Samouraï soit courageux, il faut qu’il ait un peu de sang noir’.
Ce sont les Noirs, également, qui ont été les premiers occupants de la Chine où des tests d’Adn ont prouvé que 1/5 de la population totale de la Chine actuelle présente des caractères génétiques d’origine africaine. Ce sont les Noirs qui ont été, également, les premiers occupants de l’Arabie, où beaucoup de familles khoraïchites comptaient des Noirs dans leur généalogie.
Ce n’est pas un fait du hasard, si Seydina Muhammad a envoyé, en Afrique, pays d’Abyssinie et de la Reine de Saba, les premiers réfugiés musulmans provenant d’Arabie Saoudite et que la culture arabe confère au mythique Antar, guerrier noir, dont le geste a inspiré toute la chevalerie du Moyen-Orient et de l’Europe, une place tout à fait à part. Le Prophète Daniel, lui-même a été enterré à Elam, autre foyer antique de la civilisation noire. Même Bouddha présente des traits négroïdes incontestables, attestés par tous les chercheurs, sans compter qu’il reçut l’illumination à Bihâr, sous l’arbre Bodhi, dans un environnement, dont le caractère négroïde a été largement attesté.
La présence noire est, également, attestée en Russie, en Colchide, en particulier, que d’anciens égyptiens avaient envahi sous le règne du Pharaon Sesostris. La Colchide sera, d’ailleurs, dénommée sous le régime communiste, le ‘Soviet Noir’. Les Noirs ont été, également, les premiers habitants de la Turquie. Des chefs de guerre, aussi prestigieux que Nemerod ou Memnon étaient, aussi, d’origine noire.
Wal Fadjri : Comment tous ces Noirs, si puissants et si prestigieux ont-ils fini ?
Iba Der THIAM : Dans certains cas, les anciens royaumes se sont effondrés, à la suite de facteurs multiples : décadence, séismes, éruptions volcaniques, etc. Dans d’autres, les envahisseurs étrangers (Aryens, Mongols, etc.) ont surgi et se sont imposés. Les Noirs vaincus, ont été ravalés au rang de classe dominée, comme les intouchables en Inde. Les autres populations, à la suite des mutations climatiques, sur la longue durée et des modifications subies par l’environnement, ont vu la couleur de leur peau passer du brun au jaune, puis au blanc, au cours d’une présence attestée, je le répète, sur environ 300 millions d’années.
Wal Fadjri : Cela veut-il dire que nous appartenons, tous, à la même souche africaine et noire ?
Iba Der THIAM : Cela ne fait aucun doute. L’unité universelle du peuple africain ne peut plus être contestée, de nos jours. Il nous revient de transmettre ce message à toute l’humanité, moins pour en tirer des motifs d’orgueil, de suffisance, d’arrogance, ou de mépris, qu’une attitude de main tendue fraternellement à tous les peuples, dans le respect réciproque et l’égalité absolue. Un grand chercheur américain, nommé Runoko Rashidi, qui se considère comme un élève de Cheikh Anta Diop, vient de publier un livre palpitant, intitulé : ‘Histoire millénaire des Africains en Asie’, dans lequel, il répertorie, avec une rigueur de métronome, tous les travaux scientifiques qui prouvent plus 100 000 ans de présence noire en Asie, présence, au demeurant, tellement forte, que tous les voyageurs européens, qui ont visité ce continent du Moyen-Âge (Marco Polo), les Espagnols, en passant par les Portugais (Magellan), y ont, tous, noté une présence si importante des populations noires, que la communauté scientifique croyait que les Noirs étaient originaires d’Asie, d’où ils s’étaient, ensuite, déplacés, pour venir s’installer en Afrique. Or, c’est le contraire qui correspond à la vérité. Le livre de Runoko Rashidi doit pénétrer dans toutes les écoles, dans toutes les bibliothèques, dans toutes les universités, dans toutes les salles de rédaction des radios, des télévisions et des journaux, ainsi que sa traduction dans toutes les langues, dans Internet.
Wal Fadjri : Ce que vous venez de dire renverse complètement l’ordre culturel existant. Mais ne souffrez-vous pas de vous voir contesté ?
Iba Der THIAM : Tout ce que j’ai avancé est conforme à la vérité. D’autres avant moi l’avaient dit et écrit. Runoko Rashidi a ouvert la voie, en faisant des recherches dans soixante pays, en tenant des conférences dans plus de trente-cinq autres, sur l’antériorité des civilisations noires, thématique à laquelle Cheikh Anta Diop a consacré un livre. Il indique, ce faisant, aux générations présentes et futures d’historiens, la voie à suivre et qu’avait indiquée l’incomparable égyptologue sénégalais.
Nos départements d’Histoire doivent s’ajuster, en donnant à la question de l’antériorité des civilisations noires, une place capitale dans leurs recherches et dans leurs publications, pour que nul n’en ignore et pour que les curricula changent dans nos pays et dans le reste du monde, au nom de la stricte vérité. Si ce combat est mené, l’Afrique et l’homme noir seront réhabilités dans la paix, la fraternité pan humaine et le respect des autres, car, en disant que nous sommes les premiers à avoir civilisé le reste de l’Humanité, nous ne disons que la vérité. Je suis sûr que nous aurons, enfin, le respect des autres.
Propos recueillis par Mamadou Aliou DIALLO
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