vendredi, décembre 17, 2010

SudOnLine - Le Portail de Sud Quotidien SENEGAL | DECONSTRUCTION DES MYTHES SEXISTES ET RACISTES, CONSTITUTION DES NOUVEAUX ESPACES DE SENS CULTUREL ET RENAISSANCE AFRICAINE

"La renaissance africaine est une notion ancienne réintroduite dans un contexte de mondialisation. De Amo, philosophe ghanéen du 18è siècle au président Abdoulaye Wade en passant par le penseur afro américain Marcus Garvey, le Martiniquais Frantz Fanon, le nigérian Azikiwe, les sénégalais Cheikh Anta Diop et Senghor, le ghanéen Kwameh Kroumah, le tanzanien Julius Nyerere, le sud africain Steve Biko, les intellectuels noirs, les penseurs panafricanistes ont toujours tenté, chacun à sa façon, d’exprimer une identité africaine collective et singulière opposable au reste du monde. Forgé comme concept par Cheikh Anta, elle a vu sa formalisation en tant que discours par le président Thabo Mbeki de l’Afrique du Sud lorsqu’il proclamait le 16 Juin 1999, lors de son investiture, que « le XXIè siècle sera africain ».
Pourquoi parle-t-on de renaissance africaine ? Qu’entend-t-on par renaissance africaine aujourd’hui ? Par qui et comment se réalisera-t-elle ? Telles sont les questions qui seront abordées tour à tour dans la présente contribution.

Le terme renaissance renvoie à une nouvelle naissance, à un nouvel essor, un renouveau. La Renaissance dans l’histoire de l’Europe occidentale par exemple est un essor intellectuel provoqué à partir du 15è siècle en Italie puis dans tout le continent par le retour aux idées, à l’art antique gréco-latin. Parler de renaissance africaine revient donc à prôner un renouveau africain, un retour au passé de l’Afrique résolument orienté vers l’avenir.
Ce sentiment qui anime les africains du continent et de la diaspora est sans aucun doute causé par une insatisfaction, une désarticulation très profonde et très marquée entre une situation réelle vécue et des aspirations légitimes.

Point n’est besoin de dire que la situation actuelle de l’Afrique préoccupe tout esprit conscient. Face à cela, la renaissance africaine s’impose comme un «policy paradigm » aux acteurs de la vie civile et politique, notamment aux institutions africaines. En effet, l’Afrique berceau de l’humanité (Lucy en Ethiopie et Toumaï au Tchad qui sont les vestiges les plus anciens de l’homme), a connu de grandes époques de progrès avant sa métamorphose. L’Égypte ancienne et les grands empires ont offert aux africains, bien avant le développement des autres parties du globe, des civilisations florissantes. Cela est confirmé par Aristote, Isocrate et Platon qui ont écrit que l’Egypte pharaonique est le berceau de la philosophie et des théories mathématiques. Par ailleurs, la recherche égyptologique, entamée dès 1831 par Champollion et développée plus tard par Cheikh Anta Diop corrobore de manière rigoureuse ce fait.

C’est ainsi que, pour mettre l’Afrique à genoux, les africanistes ont créé des mythes qui donnent une image avachissante de l’africain. Les mythes, comme le dit Lévi Strauss, influencent et modèlent inconsciemment notre imagination. Ils structurent la pensée et les actions de l’homme et façonne profondément la vie en Afrique plus qu’ailleurs. Aussi sont-ils des paradigmes qui légitiment le statu quo de la domination et expliquent certaines valeurs ou modèles sociaux. Ils sont aussi des outils qui permettent d’imposer certaines références épistémologiques. En conséquence, il est facile d’y greffer des arguments discriminatoires fondés sur la race dans tous les domaines de la vie et d’établir donc des codes de conduites qui normalisent partout la visibilité de l’homme blanc. L’école et aujourd’hui les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication ont joué un rôle prépondérant dans la transmission de ces valeurs développées par les piliers de l’africanisme. Sous ce rapport, Montesquieu, écrivain et philosophe français du XVIIIe siècle, nie chez le noir africain « le corps, l’âme et la raison » ; le philosophe et historien britannique David Hume qui défend que « le noir est inférieur par nature et qu’il n’a jamais été responsable d’aucune civilisation. » ; les esclavagistes qui disaient à nos ancêtres que « le noir est le cinquième de l’être humain » et qui ont diabolisé la femme noire à travers les mythes de Mammy, de Jézabel et de Saphir ; le philosophe allemand Hegel a théorisé qu’en raison du « climat torride et caniculaire », l’esprit africain ne peut se développer ; l’Egypte pharaonique ne peut en aucun cas appartenir à l’esprit africain, elle est reliée au monde méditerranéen oriental ; et enfin le contact avec les européens durant l’esclavage a permis aux Africains d’être civilisés.

Des images aussi infamantes pour l’Homme noir sont renforcées par une interprétation fallacieuse de la religion et une pensée binaire qui caractérise le blanc et le noir en termes de différence, mais surtout d’opposition. On peut citer comme exemple les relations binaires suivantes : Blanc/Noir, Raison/Emotion, Culture/Nature, Fait/Opinion, Esprit/Corps et Sujet/Objet. Chaque terme dans ces relations n’a de sens qu’en rapport avec l’autre. Ainsi le blanc dirige le noir, la raison est supérieure à l’émotion dans la recherche de la vérité, le fait remplace l’opinion dans l’évaluation de la connaissance, le blanc est civilisé et le noir est à l’état de nature, et enfin les sujets gouvernent les objets.

Si l’on conçoit avec Rolland Barthes que « le mythe est une parole choisie par l'histoire : il ne saurait surgir de la nature des choses » , on pourrait dire que les mythes et stéréotypes créés autour du noir sont des paroles choisies par l’histoire coloniale et esclavagiste en Afrique et en Amérique. A la parole de l’homme noir, l’on a substitué une parole choisie, c’est-à-dire le mythe. Il est donc clair que l’objectif de ces créateurs de mythes est de le réduire au silence pour parler à sa place, appauvrissant du coup son histoire. Une telle substitution est, selon Barthes, un élément essentiel à la fabrication d’un mythe : « Le mythe ne supprime pas l’histoire de l’objet mythifié, il l’appauvrit. »
C’est, en un mot, un camouflage subtil qui, comme le dit Malinowski, fournit une justification de l’ordre social. Il vous vole la parole, vous la restitue, mais non sans la remplacer par un discours teinté de stéréotypes, c’est-à-dire de clichés racistes et sexistes.

Les mythes, outre le fait qu’ils stigmatisent l’homme noir, ont pour fonction essentielle de naturaliser et de pérenniser toutes les formes d’injustice sociale (sexisme, racisme, pauvreté) qui inhibent sa personnalité. C’est ainsi que les atrocités de l’histoire à travers les razzias et déportations arabes et transatlantiques, la colonisation et aujourd’hui le néocolonialisme ont fini par mettre l’Afrique à genoux. Ses dignes fils qui, depuis ces temps immémoriaux, voulaient lui redonner la dignité et la fierté par le travail et les valeurs ancestrales sont vite étiquetés et assassinés. Ils sont suppléés par des gens peu respectueux des peuples dont ils se disent pourtant issus.

Parler de renaissance africaine suppose qu’on en ait une claire conscience.

Nous avons vu dans l’analyse qui précède que les dynamiques africaines « sont lues, dites et interprétées par des regards extérieurs » . Le discours de la renaissance africaine doit donc permettre à l’Afrique d’être productrice de son propre sens. Comme le disait feu le président Senghor la culture est au début et à la fin du développement ; elle doit ainsi participer à l’ouverture d’un « espace de sens » culturel et artistique qui sert de référent aux comportements des différents acteurs du continent et de la diaspora.

Aussi, puisant dans le répertoire du panafricanisme, la renaissance africaine vise à revaloriser le passé de l’Afrique en affirmant qu’elle a une histoire riche et fait partie intégrante de la civilisation humaine. Il s’agira de « restituer au peuple noir l’autorité et l’initiative culturelles qui sont les siennes » comme le disait Alioune Diop. Par ailleurs tournée vers l’avenir, elle permet aussi de catalyser les dynamiques qui animent le continent dans tous les domaines en mettant l’accent sur la diversité culturelle et l’unité africaine.

A travers la réhabilitation des sociétés noires, la renaissance africaine entend ainsi casser le dogme de l’«exception africaine » et projeter une image alternative à celle de « l’africain dépourvu de passé et d’avenir ». En ce sens, elle est fondamentalement un rejet de l’afro pessimisme et milite pour une reprise en main, par les africains, de leur propre destinée.

En outre, le thème de la renaissance africaine invite les pays du continent, à travers une union forte, à se repositionner sur la scène internationale, notamment en repensant leurs rapports avec les grandes puissances sur une base égalitaire. Inspirée des idées des panafricanistes émérites, des expériences de coopération et d’intégration du passé, la vision de la renaissance africaine se doit de réinterpréter et de revaloriser l’imaginaire africain traditionnel pour l’articuler à l’environnement actuel caractérisé par les exigences de l’élargissement et de l’approfondissement de la démocratie mais aussi et surtout par les contraintes et les opportunités d’une mondialisation irréversible. Car la tradition, en tant qu’elle est ce qui est transmis, ne saurait être dévoyée par rapport à sa signification profonde pour devenir contemplation immobile et stérile de soi. Elle doit être plutôt, un ensemble de références plus ou moins stables, qui permettent d’encaisser et de digérer les inévitables ruptures liées à l’évolution politique, économique, culturelle et sociale des sociétés humaines.

A ce niveau deux questions s’imposent à nous : par qui se fera la renaissance africaine et comment se fera la renaissance africaine ?

La renaissance africaine du XXIè siècle se fera par les africains du continent et de la diaspora en général, par les intellectuels, les hommes de culture et les éducateurs en particulier. Pris dans le tourbillon de la crise, acculés par les urgences et les nécessités d’ordre alimentaire, les intellectuels africains tendent à renoncer à leur mission de critique et de veille sociale, perdant de vue ainsi, que la pensée comme le dit Umberto Ecco, est une vigilance de chaque instant . Cette mission est aujourd’hui plus que jamais importante et nécessaire.

La renaissance africaine doit reposer sur trois éléments fondateurs : l’image de soi, l’estime de soi et la confiance en soi qui furent, selon le philosophe Henri Bergson, les principes fondamentaux de la civilisation grecque. Pour parvenir à la création, un peuple doit avoir confiance en lui-même, pouvoir disposer de sa pensée et ne doit subir de pression d’aucune sorte. En réalité, la créativité n’a jamais fait défaut aux africains tout au long des siècles, depuis la haute antiquité. Cependant, le peuple africain doit aujourd’hui reconquérir ces éléments qui ont permis à Obama d’accéder à la maison blanche et au peuple de l’empire du soleil levant de connaître le miracle économique.

La confiance en soi est, selon Théophile Obenga, directement relié à « l’africanisme colonial ou postcolonial. » En effet, nous l’avons vu dans l’analyse qui précède, l’africanisme colonial ou postcolonial n’a qu’une visée : « baisser continuellement, par l’écrit, l’audiovisuel, la presse, le film, l’image, le taux de confiance des africains en eux-mêmes », c'est-à-dire ôter aux africains la possibilité d’imposer au monde une image positive, créatrice, esthétique, historique et intellectuelle qui ouvre les perspectives de la renaissance.

Il semble donc opportun d’agir sur la conscience collective et individuelle des africains pour déconstruire les images et stéréotypes tenaces, qui nous enferment dans un fatalisme foncier. Il faudra ensuite reconstruire de nouvelles images qui revalorisent la culture et les valeurs africaines à travers surtout l’école et les médias. C’est donc dire qu’il faille opérer une rupture épistémologique en élaborant un projet de société qui, à travers une politique générale de refonte de la conscience historique africaine, mettra l’accent sur la petite enfance sans oublier les jeunes et les adultes. Ces paradigmes majeurs représentent les bases fondatrices de la renaissance africaine pour que le continent soit en mesure de prendre en charge ses défis politiques, économiques et culturels. C’est aussi et surtout le moyen, pour le peuple africain, de recouvrer l’image de soi, l’estime de soi et la confiance en soi, pour parler comme Cheikh Anta qui disait que « l’Africain qui nous a compris est celui là qui, après la lecture de nos ouvrages, aura senti monter en lui un autre homme, animé d’une conscience historique, un vrai créateur, un prométhée porteur d’une nouvelle civilisation et parfaitement conscient de ce que la terre entière doit à son génie ancestral dans tous les domaines de la science, de la culture et de la religion ».

Pour cela, il faut des intellectuels, des éducateurs et des hommes d’état comme le Président Abdoulaye Wade, qui croient en l’Afrique pour théoriser et mettre en pratique la politique de refonte de la conscience historique africaine orientée vers l’avenir. A cet effet, le FESMAN 10 (le plus grand rendez-vous des arts et cultures noirs à travers le monde) dont le thème est la renaissance africaine, diversité culturelle et unité africaine, est une activité intégrante ; il est aussi un catalyseur des changements des secteurs politiques, économiques, culturels et éducatifs fondés sur nos valeurs intrinsèques, seuls gages d’un développement durable en Afrique et non sur des modèles importés.

Papa Baba DIASSE
Inspecteur d’académie de Sédhiou
Professeur d’Enseignement Secondaire (Anglais)
Doctorant en littératures et civilisations américaines UCAD
babadiasse@hotmail.com
77 535 73 84

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