Lettre de Victor Hugo à M. Heurtelou, Rédacteur en chef du Progrès
Le 1 mars 1860
Vous êtes, Monsieur, un noble échantillon de cette humanité noire, si longtemps opprimée et méconnue.
D’un bout à l’autre de la terre, la même flamme est dans l’homme; et les Noirs comme vous le prouvent.
Y a-t-il eu plusieurs Adam ? Les naturalistes peuvent discuter la question; mais ce qui est certain, c’est qu’il n’y a qu’un Dieu. Puisqu’il n’y a qu’un père, nous sommes frères. C’est pour cette vérité que John Brown est mort; c’est pour cette vérité que je lutte. Vous m’en remerciez, et je ne saurais vous dire combien vos belles paroles me touchent.
Il n’y a sur la terre ni Blancs, ni Noirs, il y a des esprits; vous en êtes un. Devant Dieu, toutes les âmes sont blanches. J’aime votre pays, votre race, votre liberté, votre révolution, votre république. Votre île magnifique et douce plaît, à cette heure, aux âmes libres; elle vient de donner un grand exemple; elle a brisé le despotisme. Elle nous aidera à briser l’esclavage. Car la servitude, sous toutes ses formes, disparaîtra. Ce que les États du Sud viennent de tuer, ce n’est pas John Brown, c’est l’esclavage.
Dès aujourd’hui, l’Union américaine peut, quoi qu’en dise le honteux message du Président Buchanan, être considérée comme rompue. Je le regrette profondément, mais cela est désormais fatal; entre le Sud et le Nord, il y a le gibet de Brown. La solidarité n’est pas possible. Un tel crime ne se porte pas à deux. Ce crime, continuez de le flétrir, et continuez de consolider votre généreuse révolution.
Poursuivez votre œuvre, vous et vos dignes concitoyens. Haïti est maintenant une lumière. Il est beau que, parmi les flambeaux du progrès, éclairant la route des hommes, on en voie un tenu par la main d’un nègre.
Votre frère, VICTOR HUGO.
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