"Je vous avais dit ci-devant, parlant du grage, que le code noir avait interdit en 1685 la pratique des jardins que le maître donnait aux nègres, énumérant plutôt une liste d’aliments à fournir aux esclaves chaque semaine. Seulement constatant qu’en général les maîtres ne donnaient pas suffisamment à manger aux esclaves et voyant que de toute manière cette tradition du jardin-nègre sur l’Habitation avait fini par prendre aux yeux de ces derniers une importance considérable, le gouvernement royal du Roi-soleil avait généralisé cette mode plutôt que de continuer de l’interdire, d’autant qu’elle symbolisait en outre l’illusoire idée d’une perpétuation de la petite paysannerie africaine sous les tropiques. L’ordonnance du 17 octobre 1786 finit par rendre obligatoire l’existence de ce jardin. « Il sera distribué à chaque nègre ou négresse une petite portion de l’habitation pour être par eux cultivée à son profit, ainsi que bon leur semblera». Mais, s’entend, cela ne dédouanait pas le maître du devoir de nourrir ses différents ateliers d’esclaves.
Les nègres ont toujours été attachés à leur petit bout de terre comme à la prunelle de leurs yeux. Les propriétaires d’esclaves le comprirent bien vite et s’en servirent comme d’un outil de chantage, une espèce de soupape de sécurité, menaçant presque quotidiennement d’enlever le lopin de terre à ceux des esclaves qui n’étaient pas sages et obéissants. Et vu qu’à l’époque rien n’était plus dégradant que de se faire punir de la sorte, cela contribua de la tranquillité du maître.
Maintenant il y a une nouvelle évolution puisque la loi de 45 prévoit que chaque esclave devra disposer d’un jour dans la semaine pour travailler à son compte. Je déduis que cela réaffirme implicitement qu’il ait un jardin."
Josépha Luce
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