L'histoire et la sociologie de la caraïbe, des antilles et du monde noir. Naviguons dans le passé de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Réunion et de l'Afrique
lundi, octobre 16, 2017
GUADELOUPE : les 4 dépôts d’immigrants arrivés de l'Inde
- DARBOUSIER (MACTe)
- FOUILLOLE (uNIV)
- CARENAGE (Bas-de-la Source)
- FORT-DELGRÈS (Basse-Terre)
Aux points de départ en Inde, Pondichéry par exemple, il existait un dépôt des émigrants. De même, dans les colonies sucrières d’arrivée, la Guadeloupe par exemple, il existait un dépôt des immigrants.
C'était le tout premier endroit de son nouveau pays que foulait l’immigrant indien, son tout premier contact avec son nouvel univers de vie et de travail, le lieu de la transformation du passager de coolie-ship en futur résident indien en Guadeloupe (ou Martinique, Guyane, Réunion).
Ce "sas" était tout d’abord le lieu d’accomplissement de formalités d’arrivée et d’entrée sur le territoire guadeloupéen, formalités administratives et médicales.
Il fallait en effet, livrer au colon qui en avait préalablement "passé commande" à l’Administration de la colonie, une "marchandise" de bras d'Inde franche et loyale...
Dit moins brutalement, on devait évaluer médicalement notamment, que l’immigrant ne serait pas inapte au dur travail pour lequel la filière agricole guadeloupéenne d’alors le faisait venir, de si loin.
Il fallait aussi prémunir la population guadeloupéenne de tout risque de contagion épidémique par des passagers malades ; en cas de suspicion, avant toute autorisation de débarquer pour le dépôt des immigrants, le navire était envoyé en quarantaine, classiquement à Terre-de-Haut, dans l'archipel des Saintes.
Au plan administratif, n'oublions pas que, travailleur immigré, l’Indien avait en Guadeloupe le statut d’étranger, à tout le moins celui qui était en provenance de l’Inde anglaise.
Celui qui était issu de la juridiction de Pondichéry, pour français qu’il était, ne jouissait pas de la qualité de citoyen comme le Guadeloupéen d’après l'abolition de l'esclavage en avril 1848. Sa condition était celle de sujet et travailleur.
Il faudra pour ce cela change, attendre... 1923 !
L'aboutissement du long combat politique de Henry Sidambarom pour les droits civiques et la reconnaissance comme citoyen français pour ces "sujets-travailleurs", par le gouvernement de Raymond Poincaré.
A ce double titre, c’est donc dans le dépôt des immigrants que s’enclenchait la procédure de mise en conformité du sujet avec les règles "ad hoc" de la Guadeloupe de l’époque, pour la durée de son engagement et en prévision de son séjour en terre guadeloupéenne.
À partir de la convention franco-britannique du 1er juillet 1861, l’immigration post-abolition réglementée sera désormais uniquement indienne. Mais l’institution de "dépôts" d’immigrants, indépendante de la nationalité, est antérieure.
On trouve trace de sa création dès 1855, pour des immigrants ne provenant pas uniquement de l'Inde (Congo, Chine, Annam...).
Sur l’essentiel, d’après les sources consultées, il semble qu’on puisse scinder en quatre phases l’histoire des dépôts d’immigrants étrangers exclusivement indiens à partir de 1861 soit :
1 — avant 1860 :
Pas de dépôts d’immigrants clairement identifiés.
S’il est vrai que, dès 1855, les règlements administratifs locaux guadeloupéens évoquent clairement l’obligation de diriger les arrivants vers un lieu d’isolement, désigné ou validé par l’Administration de la colonie... on ne sait rien de la localisation de cet endroit.
Il sera précisé en 1859, qu’il s’agit d’un dépôt, toujours sans qu’on puisse le situer géographiquement ; on comprend cependant qu’il devait nécessairement être aux proches abords de Pointe-à-Pitre puisqu’à cette époque, il était fait obligation aux navires transporteurs d’immigrants de mouiller dans son port.
Il faudra attendre 1860 pour identifier le site dit d’Arboussier comme étant celui de l’installation de ce dépôt (une parcelle constitue aujourd’hui le terrain d’assiette du... MEMORIAL ACTe, eh oui !..)
2 — 1860 à 1867 : le dépôt de DARBOUSSIER
1860 n’est peut-être pas une année totalement neutre sur ces questions : c’est en effet, un an seulement avant que le consul britannique à Pointe-à-Pitre n’obtienne droit de regard (au titre de la convention franco-britannique alors en cours de négociation, qui serait signée le 1er juillet 1861) sur les conditions de débarquement en Guadeloupe de ceux des immigrants indiens qui étaient sujets britanniques.
En 1860, moyennant un loyer annuel de 4.639 francs de l'époque, la colonie de la Guadeloupe louera à son propriétaire un ensemble de terrains et constructions au lieu-dit d’Arboussier à la sortie de Pointe-à-Pitre, sur le chemin de la Source, dans un but explicite : "installer le cantonnement des immigrants à leur arrivée dans la colonie".
En 1867, le propriétaire vendra le site à la compagnie F. Cail & E. Souques, le plus puissant usinier de la Guadeloupe de l’époque, pour y construire la plus grande usine sucrière moderne des petites Antilles : la future usine Darboussier.
3 — 1867 à 1899 : le dépôt de FOUILLOLE.
Ce changement de propriétaire obligera à délocaliser le cantonnement des immigrants. Le Conseil Général de la colonie optera alors pour la pointe Fouillole, à moins d’un kilomètre de l’emplacement initial de Darboussier.
Du point de vue du Conseil Général, ce nouveau site n’offre que des avantages au regard de ce que l’on attend d’un "bon dépôt d’immigrants". De surcroît, le terrain appartient déjà à la colonie.
De fait, jusqu’à la fin de l’immigration réglementée, le dépôt de Fouillole sera le principal dépôt d’immigrants de la Guadeloupe.
De strict dépôt d’immigrants qu’elle est à l’origine, la structure dérivera insensiblement vers une sorte de polyvalence d’activités diverses, toujours plus éloignées de sa vocation initiale que seule préservera d’une dénaturation définitive l’indianité de ses usagers, par ailleurs très divers :
- des immigrants en attente d’un proche rapatriement.
- des immigrants devant être maintenus à disposition de la justice
- des immigrants engagés aux contrats résiliés et sans réengagements
- des immigrants sous le coup d’une décision de rapatriement d’office et en attente d’un navire
- des immigrants en situation de marronnage ou de vagabondage, en attente d’être remis à leurs engagistes
- des immigrants dont l’identité ne pouvait être immédiatement établie...
Après le 31 janvier 1889, il n’y aura plus de nouvelles arrivée d’immigrants indiens en Guadeloupe.
La fonction originelle de dépôt d’immigrants de la structure perdra sa raison d’être avec l’arrivée ce jour-là, des plus de 500 derniers immigrants indiens en Guadeloupe, débarqués du "Nantes-Bordeaux", le 93è et dernier coolie-ship arrivé en Guadeloupe.
En 1897, un rapport décrit une structure de dépôt quasiment vide d’immigrants, pas plus de cinq à dix personnes. Dès lors, autant fermer, orienter vers l’hospice les quelques immigrants indiens dont l’état de santé le réclame, et réaliser des économies budgétaires.
Cependant ce ne sera pas la décision politique, mais la fureur du cyclone du 7 août 1899 qui, en détruisant le dépôt de Fouillole réglera le problème : il ne sera pas reconstruit.
Néanmoins, jusqu’à 1906, ultime année des "convois de rapatriement", des navires continueront d’appareiller de Pointe-à-Pitre.
L’Administration de la colonie logera les Indiens en attente de rapatriement dans une petite maison qu’elle louait au CARÉNAGE à Pointe-à-Pitre.
4 — de 1890 à la 1è guerre mondiale, le dépôt de BASSE-TERRE
Un peu moins d’un an après la destruction par le cyclone du dépôt de Fouillole, il est décidé, le 30 juin 1890, de créer un dépôt d’immigrants à... Basse-Terre.
Ce choix peut surprendre eu égard à la décision déjà ancienne de faire de Pointe-à-Pitre le terminal portuaire guadeloupéen des ‘convois indiens’.
De façon exceptionnelle en 1881, les passagers du "Latona" et du "Syria" avaient été débarqués à Basse-Terre. Faute de sources, on suppose qu’à cette occasion l’actuel Fort Delgrès a pu faire office de dépôt d’immigrants.
On trouve trace du fonctionnement du dépôt de Basse-Terre jusqu’au début de la première guerre mondiale.
Au sortir du conflit il avait définitivement disparu et, avec lui, l’un des derniers témoins institutionnels de l’immigration réglementée en Guadeloupe.
À quand cette histoire dans les livres scolaires ?
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D'après les recherches de M. Jack Caïlachon, chercheur indépendant. Cf. son article publié le 15 octobre 2016.
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