Si au départ, il ne s’agissait que d’une présomption de cannibalisme à l’encontre des Caraïbes, ces soupçons se transformèrent rapidement en une accusation formelle, qui devint une évidence apodictique, une vérité indubitable et sans l’ombre d’un pyrrhonisme, l’Occident pouvait affirmer: les Caraïbes sont des cannibales. Une position que les nations occidentales prendront systématiquement face aux populations récalcitrantes à leur domination ou qui tout bonnement refuseront l’asservissement, dont certaines à notre avis, par l’effet pygmalion, se surdétermineront et adopteront des pratiques anthropophagiques à des moments donnés de leur histoire, ceci, si nous nous référons aux dires de certains Indiens du Canada: Charlie Myers, sorcier ottawa, ancien combattant et détenteur d'un doctorat en pharmacologie, affirme qu'ils agissaient ainsi pour des raisons spirituelles et religieuses. «On mangeait les gens lorsqu'ils étaient particulièrement forts. Si le bras de l'ennemi était très puissant, on en mangeait les muscles, s'il était un coureur rapide, c'était le mollet, s'il était courageux et intraitable, on mangeait son cœur, et ainsi de suite», affirme monsieur Myers. Leur but était «de s'approprier le pouvoir de la personne tuée». Nous rapportons ces paroles avec la réserve, qu’elles émanent d’une source internet, mais compte tenu qu’elles reflètent ce que nous avons pu lire par ailleurs sur le sujet, nous la maintenons, mais nous n’en faisons pas une vérité.
L’anthropophagie supposée ou réelle des peuples extra-européens alimentera pendant des siècles les peurs et les fantasmes de l’imaginaire occidental. Le Nouveau Monde n’y échappera pas, cet imaginaire projettera une charge d’absurdités, des monceaux d’aberrations sur cette terra incognita, et l’Amérique sera dépeinte par les illustrateurs du XVI e siècle comme la terre des sorcières, un lieu de sabbat, ce qui équivaut à dire, un lieu de débauche, le lieu de tous les vices possibles et inimaginables. A contrario, d’autres voyaient en elle, la terre des Félicités, le paradis perdu, une terre fabuleuse, un lieu où les rivières charroyaient de l’or à profusion, c’était la terre promise, l’eldorado qui leur tendait les bras, à un titre ou a un autre, elle le fut. Mais les uns comme les autres, cette terre et ses habitants échappaient à leur entendement. Comment aurait-il pu en être autrement, dans ce siècle où le diable guettait au coin de la rue, où l’on brûlait les sorcières, où une parole malencontreuse pouvait valoir d’être soumis à la question, dans ce siècle où l’Inquisition pesait sur ces nations, dans ce siècle ou le mal régnait en maître dans les esprits et dans les corps?
En ces temps d’obscurantisme profond ou le mal et le diable gouverne le monde, l’Amérique est mentalisée comme étant une résurgence du chaos dionysien, où les Caraïbes à l’instar des ménades qui mettaient en pièce leurs victimes, dans une fête macabre ou (vin) qui s’achevait dans la communion sanglante des initiés, ces êtres affranchis de tout interdit et de tout tabou. La confusion entre les mythes dionysiens sous les avatars du dieu (Phallen et Iakchos) ainsi que la pratique de ses mystères, ont été posées par les observateurs sur les peuples Indiens, jusqu’au Dionysos (dieu chtonien) initiateur et conducteur des âmes qui a libéré sa mère Sémélé des Enfers, pour la conduire au séjour des dieux. C’est en quoi ce mythe dionysien, ouvre la porte à la mission des Révérends Pères, curés, vicaires, abbés et de tous les évangélistes, qui fait que tous les enfants de la terre peuvent avoir accès à l’immortalité de l’âme, pourvu qu’ils se convertissent.
On pourrait rapprocher le mythe cosmogonique de Cronos (dieu cannibale qui dévora ses enfants avant d’être contraint par son fils Zeus de les régurgiter.) symbolisant le chaos primordial, un état de dégénérescence du cosmos, conduisant irrémédiablement à sa prochaine régénérescence, à cette phrase: la foi en Christ sortira ces êtres des ténèbres, pour les conduire à la lumière11. Charles Buet, en parlant de la mission que Christophe Colomb s’était octroyée, ne dit pas autre chose: «Cette avant-garde de l’ancien monde pouvait jouer un rôle important auprès des peuplades primitives dont elle était entourée, elle pouvait les amener à la civilisation par l’exemple, et commencer ainsi une régénération qui était et dans les projets de l’ambassadeur de Dieu12.» Voilà à notre avis les logiques qui prévalurent à la constitution du bon et du mauvais Sauvage dans l’inconscient européen, un inconscient chrétien encore fortement empreint des mythes de l’antiquité greco-romaine, dû à la lecture répétée des auteurs classiques et de l’obligation pour les élites d’étudier le grec et le latin.
Mardaye Tony