dimanche, novembre 20, 2005

Les Indiens caraïbes étaient-ils anthropophages ? part 5

E) Au source de la construction du cannibalisme des Indiens


La première source faisant état de l’anthropophagie des Indiens caraïbes, émane de Christophe Colomb lors de son premier voyage, qui relate dans son Journal de Bord, les dires d’Indiens rencontrés dans la mer des Antilles, fuyant les Caraïbes qui lui aurait exprimé (du moins à ses interprètes arabes): «la terreur d’être mangé les rendait muets et qu’il ne pouvait les délivrer de cette peur. Ils disaient que les canibas n’avaient qu’un œil et une face de chien.17» Il est écrit qu’il ne prit pas ces propos au sérieux, mais au cours de son deuxième voyage, débarquant en l’île de la Guadeloupe, il rencontra un groupe de femmes qui s’approchant d’eux: «les mêmes femmes vinrent le supplier qu’on les conduisit aux navires, indiquant par signes que les gens de l’île ne les retenaient en esclavage que pour le manger. […] Les femmes faisaient entendre qu’elles préféraient se confier à des étrangers, quels qu’ils puissent être, que de rester au milieu de ces barbares qui avaient dévoré leurs maris et leurs enfants.18» les marins à la recherche de vivres, poursuivant l’inspection des lieux, ils remarquèrent que: «Ces cabanes étaient carrées d’ailleurs, et non rondes comme la généralité de celles que les Espagnols avaient vues jusque-là.
Ils trouvèrent de grands perroquets, du miel, de la cire, des instruments tranchants, des espèces de métiers destinés à tresser les nattes dont étaient faites les parois de leurs demeures, et enfin un bras d’homme embroché pour être rôti.19» s’appuyant sur les archives de son père voilà les éléments pouvant conforter l’anthropophagie des Caraïbes qu’il apporte.


Quelle est la part de vérité dans ces témoignages, pouvons nous prendre en compte les propos des femmes essayant de fuir la servitude des Caraïbes, sachant que les Espagnols ne comprenaient pas leur langage, seul le bras prêt à être rôti, pourrait retenir l’attention, et faire penser que l’intrusion des marins avait interrompu un festin cannibale, mais tout cela paraît bien léger. Le traducteur du texte (Muller), faisait remarquer: «Pour suppléer sans doute au peu d’étendue que l’Amiral donne par lui-même à l’observation des mœurs et coutumes des Indiens, notre auteur imagine de placer ici un cahier qu’il dit avoir trouvé dans les papiers de son père. C’est l’œuvre d’un pauvre moine hiéronymite, qui connaissait la langue du pays, et à qui l’Amiral avait, paraît-il ordonné de rassembler tout ce qu’il pouvait apprendre des traditions et des croyances des Indiens. En somme, maigre et indigeste ramassis de fables sans intérêt, que Fernand Colomb aurait dû ne pas insérer dans son livre. Nous croyons bien faire en l’oubliant dans notre traduction.20» Les éléments imputant aux Caraïbes des pratiques anthropophagiques, ne sont guères fiables et pourtant ils seront repris amplifiés, pour construire la fable du Caraïbe cannibale. En France, ce mythe se popularise – entre autres - en France au XVI e siècle, avec la parution de l’Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil dite Amérique, de Jean de Lery, écrit en 1578, la première édition que nous avons consulté étant pratiquement illisible, nous utiliserons les textes de la cinquième édition (1611) publiée à Genève, où il est écrit à la page 230 et suivantes: «guerre mortelle contre plusieurs nations de ce pays-là: tant y a que leurs plus prochains & capitaux ennemis sont, tant ceux qu’ils nomment Margaias que les Portugais Peros leurs alliez: comme au réciproque lesdits Margaias n’en veulent pas seulement aux Tououpinambaults, mais aussi aux François leur confederez. Nó pas, quant à ces Barbares, qu’ils se fassent la guerre pour conquérir les pays & terres les uns des autres, car chacun en a plus qu’il ne lui en faut: moins que les vainqueurs prétendent de s’enrichir des dépouilles, rançons & armes des vaincus: ce n’est pas, di-ie, tout cela qui les meine. Car, comme eux-mêmes confessent, n’estans poussez d’autre afection que de venger, chacun de son costé, les pares & amis, lesquels par le passé ont esté prins & mangez, à la façon que ie dirai au chapitre suiuant, ils sont tellement acharnez les uns à l’encontre des autres, que quiconque tombe en la main de son ennemi, il faut sans autre composition il s’attĕde d’estre traité de même; c’est à dire, assomé, boucanné & mangé.» La suite de ce texte est bien plus explicite, il décrit les guerres, la capture, les préliminaires à la guerre, c'est-à-dire les fameuses harangues des vieillards récapitulant tous les maux, les souffrances et les afflictions causés par leurs ennemis héréditaires: «gens de ma nation, puissans & et tres-forts ieunes hommes, ce n’est pas ainsi qu’il faut faire: plustost, nous disposans de les aller trouuer, faut-il que nous-nous facions tous tuer & manger, ou que nous ayons vengeance des nostres», le retour des guerriers avec leur butin humain, et la manière dont-ils boucaneront leurs prisonniers: «tout ce qui se fera empoigné, soit hommes, femmes ou enfans, non seulement sera emmené, mais aussi quand ils seront de retour en leur pays tous seront assommez, puis mis par pieces sur le boucan, & finalement mangez.». Ce texte est à notre avis la grande source historique des chroniqueurs français du XVII e et du XVIII e siècle, qui chacun à son tour, y puisera son inspiration et l’adaptera en fonction des besoins de leur propre propagande, en y apportant des réserves ou des témoignages visuels, nous en citerons deux exemples, de la vision des chroniqueurs, en prenant celui qui est sans doute le moins connu: Jean de Clodoré (16..-1731) et le plus connu: Jean Baptiste Labat (1663-1738), sachant que tous les autres ont écrit sur le sujet.


Dans sa: Relation de ce qui s’est passe dans les isles & Terre-Ferme de l’Amérique, pendant la dernière Guerre avec l’Angleterre, & depuis en exécution du traitté de Breda, chez Gervais Clouzier, t.,I, Paris 1671. Jean de Clodoré qui dans son sommaire indique:
«Depuis les Espagnols pretendans avoir reconnu que les naturels de ces isles estoient antropophages, ils demanderent persmission aux roys de Castille de les captiver, c’est à dire de les prendres & d’en faire des esclaves, (ce qu’ils pratiquerent en beaucoup d’autres endroits sans permission) de sorte qu’ils n’aborderent plus les Antilles que les armes à la main, & en qualité d’ennemis declarez, & que les Indiens qui les habitoient se preparoient à leur faire la plus cruelle guerre qui leur estoit possible.»


L’auteur officiel de cette relation, car d’aucuns supposent qu’il est en réalité l’œuvre du sieur de la Barre, ne confirme pas l’anthropophagie des Caraïbes, mais l’avance comme un prétexte trouvé par les Espagnols afin de se procurer des esclaves. Quant à Jean Baptiste Labat, le chroniqueur le plus connu et sans doute le plus contesté, car certains voyant en lui l’auteur qui a le plus plagié les textes de ses prédécesseurs et de ses contemporains; sur le sujet, il avance à la page 320 à 324 de son quatrième tome (1722), de son Nouveau voyage aux isles de l’Amérique,: «Si c’est une partie de guerre qu’on propose, quelque vieille femme ne manque pas de se produire & de haranguer les conviez pour les exciter à la vengeance. Elle leur fait un long détail des torts & des injures qu’ils ont reçûs de leurs ennemis, elle y joint le denombrement de leurs parens & amis qui ont esté tuez; & quand elle voit que toute la compagnie déjà fort échauffé par la boisson, commence à donner des signes de fureur, & qu’ils ne respirent plus que le sang & la mort de leurs ennemis, elle jette au milieu de l’assemblée quelques membres boucannez de ceux qu’ils ont tuez à la guerre, sur lesquels ils fondent aussi tôt comme des furieux, les égratignent, les coupent en pieces, les mordent & mâchent avec toute la rage dont ils sont capables des gens lâches, vindicatifs & ivres.» Ce texte recèle quelques similitudes avec celui de Jean de Lery 21; mais il apporte une explication de ce qu’il dit avoir été témoin: «C’est une erreur de croire que les Sauvages de nos isles soient antropophages, & qu’ils aillent à la guerre exprès pour faire des prisonniers, afin de s’en rassasier, ou que les ayant pris, sans avoir cette intention, ils se servent de l’occasion qu’ils ont en les tenant entre leurs mains, pour les dévorer.


J’ai la preuve du contraire plus claires que le jour. Il ost vrai que j’ai entendu dire à plusieurs de nos Flibustiers que vers l’Isthme de Darien, Bocca del Toro, l’isle d’or, & quelques autres endroits de la côte, il y a des nations errantes, que les Espagnols appellent Indiens Bravos, qui n’ont jamais voulu avoir de commerce avec personne, qui mangent sans miséricorde tous ceux qui tombent entre leurs mains. Cela peut être & peut être aussi faux; car s’ils n’ont point de commerce avec personne, comment le peut-on sçavoir? Et quand cela seroit vrai, qu’est-ce que cela prouveroit par rapport à nos Caraïbes des isles si éloignez de ceux-là, & par la distance des lieux , par leur manière de vivre. Pourquoi se ressembleroient-ils plûtôt en ce point que dans les autres ?


Je sçai que le Marquis de Maintenon d’Angennes, qui commandoient la Frégate du roi la Sorciere en 16 perdit sa chaloupe avec dix-huit ou vingt hommes qui estoient dedans, qui furent enlevez par ces Indiens, en voulant prendre de l’eau dans une rivière & on peut conjecturer qu’enlevant comme ils dirent, les hommes morts & les vivans, c’estoit pour se rassasier de leur chair, comme certains Nègres de la côte d’Afrique qui en tiennent boucherie ouverte, du moins à ce que disent quelques historiens. Je jçai encore, & il est très vrai que dans les commencemens que les François & les Anglois s’établirent aux isles il y eut plusieurs personnes des deux nations qui furent tuées, boucannées & mangées par les Caraïbes; mais c’estit une action toute extraordinaire chez ces peuples: c’estoit la rage qui leur faisoit commettre cet excès, parce qu’ils ne pouvoient se venger pleinement de l’injustice que les européens leur faisoient de les chassez de leurs terres, qu’en les faisant perir, quand ils les prenoient, avec cruautez qui ne leur sont pas ordinaire ni naturelles; car si cela estoit dans ce tems-là il le feroit encore aujourd’hui & c’est pourtant ce qu’on ne voit pas qu’ils pratiquent, ni sur les Anglois avec lesquels ils sont presque toûjours en guerre, ni même avec leurs plus grands ennemis les Alloüagues qui sont des Indiens de Terre ferme du côté de la rivière d’Orénoque, avec lesquels ils sont continuellement en guerre. Il est vrai que quand ils tuent quelqu’un, ils font boucanner ses membres, & remplissent des calebasses de la graisse, qu’ils emportent chez eux; mais c’est comme un trophée & une marque de leur victoire & de leur valeur, à peu près de même que les Sauvages de Canada emportent les chevelures de leurs ennemis quand ils les ont tuez, & de leurs prisonniers, après qu’ils les ont fiat mourir avec des cruautez inoüies. Nos sauvages sont plus humains.» Premièrement, le père Labat témoigne d’une scène d’anthropophagie, pour ensuite écrire au chapitre suivant que les Indiens caraïbes n’étaient pas des Anthropophages, il semblerait que nous soyons face à une aporie, dont certains historiens s’en sont sortis à l’instar de P. Labat en développant la thèse de l' «anthropophagie rituelle» que bon nombre d’historiens ou de sociologues ont repris ensuite, la définissant en tant que: «corollaire symétrique de l’interdit anthropophage. Quand l'anthropophagie est reléguée hors de toute culture, soit qu'elle se situe en marge de celle-ci, soit qu'elle se situe en amont de sa constitution par le biais du mythe, le cannibalisme au contraire est la forme policée des même faits lorsqu'ils sont institués dans le corps de la civilité du groupe. Le changement de nature emporte ici changement de degré: de l'inconcevable absolu, l'absorption de chair humaine devient une transgression acceptée car gérée par un ordre dogmatique et encadré par la force édifiante du rituel. Intégrer pour mieux contrôler, telle est la stratégie de l'institution cannibale. Ceci contribue encore à isoler l'anthropophagie. Elle relève alors ontologiquement de l'autre, de celui qui se situe hors du champ de la culture. Il permet donc d'instituer la culture puisqu'il en délimite l'étendue. De plus, il contribue à construire les membres du groupe comme êtres humains et comme les seuls à pouvoir prétendre à ce titre.» Ce texte reflète une réalité dans laquelle se sont engouffrés pratiquement tous les anthropologues, archéologues, historiens, sociologues, qui ont eu à travailler sur la question.


L’anthropophagie et le cannibalisme rituel ne diffère que parce que l’un est géré par un «ordre dogmatique», plus prosaïquement, l’acceptation du cannibalisme rituel est du fait que pendant des siècles, les momies égyptiennes, réduites en poudre ont servi de médicament aux populations occidentales, vu comme une panacée universelle, cette poudre a trôné pendant des siècles sur les étagères des apothicaires. Donc, l’ingestion de chair humaine, fusse t’elle vieille de plusieurs siècles ou millénaires ou tous les onguents composés à partir de la graisse humaine ou des viscères humains utilisés à des fins thérapeutiques ne peuvent pas être considérée comme de l’anthropophagie par ces populations. En créant cette théorie du cannibalisme rituel, ils répondaient en fait à leur propre contradiction. Cette idée était simplement acceptable pour les occidentaux.


Mais qu’en est-il réellement des actes de cannibalisme imputés aux Caraïbes? Comme nous avons pu le remarquer, les deux chroniqueurs ne se montrent pas particulièrement convaincants, ni donner excessivement crédit à cette possibilité. En dehors de la justification morale pour la conquête et la réduction en esclave des peuples indiens ou des témoignages, pour le moins douteux des chroniqueurs et des historiens que se sont copiés les uns les autres, quelles sont aujourd’hui les éléments objectifs qui permettent de conclure à l’une ou l’autre thèses en dehors des écrits, d’autres disent des élucubrations de Christophe Colomb (Xpoferens), cet homme qui se prenait pour un envoyé de Dieu, celui grâce à qui la Jérusalem terrestres sera délivrée de la domination des Musulmans. Nous ne disposons d’aucun élément tangible qui permette d’affirmer que les Caraïbes furent un peuple anthropophage, les anthropologues, les ethnologues ne disposent pas de la moindre preuve en ce qui concerne les Petites Antilles, pas d’ossements, pas de squelettes qui puissent confirmer cette thèse.


Mais par contre, ils ont apporté une «preuve tangible» de pratiques cannibales chez les Indiens d’Amérique du nord. L’équipe du Pr Richard Marlar, de Université du Colorado, a trouvé les restes de sept corps dans un foyer, dont les os portent des marques de coups de couteau, et dont l’analyse biochimique à révélée des traces de myoglobine dans des excréments humains trouvé sur le site. Cette protéine présente dans les muscles ne peut se retrouver dans les excréments que si la chair humaine a été ingérée. Les chercheurs ne savent pas les raisons ont conduit cette population de ce village situé sur la Mesa Verde à commettre des actes de cannibalisme. Certains chercheurs avancent l’idée qu’une période de chaos social en raison d’une terrible sécheresse en serait la cause. Mais, ces éléments ne sont pas probants, car toutes les nations humaines à un moment donné de leur histoire (guerre, famine, disette), un groupe humain a eu recours à des actes de cannibalisme. Et en analysant les fèces humaines de ces périodes précises où l’histoire des nations est chahutée ou chaotique, il est vraisemblable que l’on trouverait les traces de cette protéine dans les déjections humaines de toutes les nations du monde et tout les continents, de l’Europe à l’Asie en passant par l’Afrique. Les témoignages ne manquent pas en Europe sur cette question (Les populations soviétiques touchées par famine des années 1932-1933 se seraient nourries de cadavres, et récemment en Russie un boucher à été arrêté parce qu’il vendait de chair humaine en la faisant passer pour de la viande de bœuf, Nous savons que dans les campagnes françaises, en temps de crise ou de famine, on constatait une forte recrudescence des loups, qui fort à propos expliquait la disparition de certains villageois.) , mais est-ce pour autant on imputerait à l’Européen de cette époque d’être des anthropophages ?



Mardaye Tony

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