
La république française s’apprête à commémorer les « hauts-faits » de Napoléon Bonaparte ce samedi 3 décembre 2005 avec le bicentenaire de la bataille d’Austerlitz. On a les héros qu’on peut. La valeur des nôtres ne se mesure pas au nombre de cadavres laissés dans leur sillage, ni au nombre de territoires conquis, ni au nombre de peuples dominés ou exterminés, anéantis. Mais à la légitimité des combats qu’ils ont dû mener pour défendre la liberté. Valeur républicaine s’il en est, écrite au fronton de la nation française. Pour notre part, proclamons bien haut :
A l’Univers entier, notre cri de colère et d’indignation ! Alors que l’Assemblée Nationale de la France a voté une loi en février 2005 demandant que les enseignants mettent l’accent sur les « aspects positifs de la colonisation » en Outre-mer et en Afrique du Nord. Disons que cette loi est scélérate. Qu’elle va à l’encontre des principes de la République. Demandons à tous, épris des valeurs de justice et de liberté, de se désolidariser de ces représentants de l’Etat qui l’ont votée. Enjoignons tous les professeurs d’Histoire à refuser de l’appliquer au nom de l’esprit même de la République.
Pour ce qui est de la colonisation, que dire de plus qu’Aimé Césaire ?
« Je vois bien ce que la colonisation a détruit : les admirables civilisations indiennes et que ni Deterding, ni Royal Dutch, ni Standard Oil ne me consoleront jamais des Aztèques ni des Incas. […]Sécurité ? Culture ? Juridisme ? En attendant, je regarde et je vois, partout où il y a, face à face, colonisateurs et colonisés, la force, la brutalité, la cruauté, le sadisme, le heurt et, en parodie de la formation culturelle, la fabrication hâtive de quelques milliers de fonctionnaires subalternes, de boys, d’artisans, d’employés de commerce et d’interprètes nécessaires à la bonne marche des affaires.J’ai parlé de contact.Entre colonisateur et colonisé, il n’y a de place que pour la corvée, l’intimidation, la pression, la police, l’impôt, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies.Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforme l’homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourme, en chicote et l’homme indigène en instrument de production.A mon tour de poser une équation : colonisation = chosification.J’entends la tempête. On me parle de progrès, de « réalisations », de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes.Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, de cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées.On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemin de fer.Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. […] Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse.Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. » In : « Discours sur le colonialisme » ; 1955
Guadeloupe, le 30 novembre 2005
Jocelyn ValtonCritique d’Art, AICA
Jocelyn ValtonCritique d’Art, AICA
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