SENENEWS.COM avec Jeune Afrique- Dans la recherche de leurs racines africaines des personnalités américaines comme Condoleeza Rice, Spike Lee ou Eddy Muphy exhument le passé des comptoirs négriers établis au Cameroun à l’image de celui de Bimbia. Suscitant l’intérêt des organisations afro-américaines de recherche identitaire mais aussi les appétits touristiques de l’Etat camerounais.
Des bambous d’Inde recourbés forment une voûte, comme une porte se refermant sur le visiteur. Il est à peine 14 heures mais le soir semble déjà tomber dans cette forêt tropicale, sans doute l’une des plus inhospitalières au monde. Nous nous trouvons à l’entrée du comptoir négrier de Bimbia, un petit village juché sur les hauteurs de la ville balnéaire de Limbé, dans le sud-ouest du Cameroun. Découvert en 1987, Bimbia est aujourd’hui un site culturel classé au patrimoine national par l’État camerounais, qui rêve de l’inscrire au patrimoine mondial de l’Unesco. Des archéologues arpentent cette nouvelle “route de l’esclave” après qu’y ont été découverts de nombreux vestiges. Mais plusieurs années de recherches dans les archives et sur le terrain, entre Afrique, Europe et Amérique, seront encore nécessaires pour que Bimbia se transforme en un lieu de pèlerinage majeur. Dikolo, la localité qui abrite le port de Bimbia, veut pourtant y croire et organise déjà des visites guidées.
Au départ de Limbé, après 12 km de piste rocailleuse à bord d’un véhicule 4×4, il faut grimper à pied les 3 km qu’empruntaient jadis les esclaves entravés. Adolf Elwe Mwambo, notre guide, a exigé le paiement d’un droit d’entrée : 1 000 F CFA par personne, 5 000 F CFA par appareil photo, mais sans reçu. Bimbia, ex-État indépendant (jusqu’en 1884) de l’ethnie isubu, s’essaie au tourisme… Les informations qu’Adolf nous délivre, il les tient en partie de son grand-père, Charles Eyoum, 97 ans, dont le propre arrière-grand-père aurait participé à la capture des esclaves. Mais il semble surtout s’appuyer sur le projet Documentation et Restauration du site, financé et confié par les États-Unis à la Route des chefferies, en partenariat avec l’association Alliance internationale des Anneaux de la mémoire. Des riverains venus nous rejoindre affirment avoir eu connaissance de l’existence de la crique aux esclaves, mais ne s’y être jamais aventurés, car, aujourd’hui encore, nul n’en reviendrait jamais…
Une mangeoire et des chaînes encore visibles
Il a encore fallu enjamber les restes d’un gué pour découvrir les ruines d’une dizaine de structures. Notre guide nous explique que ce comptoir longtemps resté méconnu bénéficiait d’un environnement hostile, entre collines, ravins, volcan et côte rocheuse, qui n’offrait aux captifs aucune échappatoire… Repris par les historiens Stephen Fomin et Henry Kah et par l’archéologue Rachel Mariembe, des témoignages indiquent que, pendant la période d’intense commerce d’esclaves, les Isubus utilisaient ces obstacles naturels pour se cacher et se procuraient les esclaves dans l’arrière-pays. La position géographique de Bimbia était stratégique : sur le golfe de Guinée, à l’est de la baie de Biafra, entre Rio del Rey et Cameroon River (l’actuelle ville de Douala). Le maître des lieux, le roi Bilè, surnommé par les Anglais King William of Bimbia, était un homme d’affaires avisé, connu pour avoir convaincu les chefs des deux autres villages de l’État de prendre part au trafic, et pour l’avoir poursuivi après l’abolition de l’esclavage !
La tradition orale, confirmée par des recherches américaines, révèle que douze ou treize navires quittèrent Bimbia. Baptisé Falstaff, le premier a levé l’ancre en 1776 en direction de l’île Saint-Vincent. Le dernier, le Gabriel Dios Amigos, du capitaine Fena Manuel Gireau, parti en 1838, a accosté à Cuba. On retrouverait ainsi trace des esclaves qu’ils transportèrent en Caroline du Nord, au Brésil, en Guyane et à la Jamaïque. Au total, ce sont 2 393 hommes – 42,3 % d’enfants – qui embarquèrent à Bimbia, 2 078 étant parvenus à destination. Des notables de Dikolo et de Douala détiendraient encore des documents écrits datant de cette époque.
Au Cameroun, où l’histoire du pays n’est guère enseignée, certains doutent de l’authenticité de Bimbia. Mais l’un des vestiges les plus révélateurs de l’abjection de la traite bat en brèche la théorie de l’imposture : la mangeoire des esclaves, une auge oblongue sur laquelle il est possible d’observer des restes de chaîne métallique.
À l’intérieur des bâtiments, désormais colonisés par des fromagers centenaires, se dressent encore de monumentaux pylônes de brique et de pierre. Des marques profondes suggèrent que les captifs y étaient enchaînés. Si les changements climatiques ont conduit à la baisse du niveau de l’eau, le touriste devine encore l’océan fouettant les murs pendant que les pirogues récupéraient les prisonniers pour les parquer ensuite sur Nicholls Island, à quelque 300 m des côtes, où la profondeur des eaux permettait aux bateaux d’accoster. Aujourd’hui, l’île, couverte d’une vaste forêt, accueille de temps à autre quelques curieux, qui n’ont cependant jamais osé y passer la nuit. L’administration camerounaise, en particulier le ministère du Tourisme, a des projets plein les cartons, comme la construction d’un complexe hôtelier. Un pont devrait aussi permettre de réunir les deux rives…
Eddy Murphy et Spike Lee, les Camerounais
Si Bimbia est depuis quatre ans sous le feu des projecteurs, c’est sans doute grâce à l’Ancestry Reconnection Program (“programme de retour aux origines”), initié aux États-Unis depuis des décennies par l’association ARK Jammers et qui vise à identifier les trajectoires des navires négriers. Se fondant sur des tests ADN de la firme américaine African Ancestry, il a permis de désigner Bimbia comme l’un des ports d’embarquement. Plus de 8 000 Africains-Américains, dont les acteurs et producteurs Eddy Murphy et Spike Lee, ou encore Quincy Jones, se sont ainsi découvert des racines dans l’actuel Cameroun. Et depuis 2010, ils sont plus de cent cinquante à y avoir entrepris une quête de soi, cherchant à retrouver un peu de la culture de leurs ancêtres, de la même façon que les Italian Americans ou les Irish Americans perpétuent leur culture européenne.
Autobaptisés “Caméricains”, ces Cameroonian Americans sont donc passés par Bimbia. Une étape à leurs yeux si symbolique et si incontournable qu’ils se soumettent aujourd’hui à une cérémonie de purification dans l’océan Atlantique, suscitant un regain d’intérêt et des levées de fonds. C’est d’ailleurs l’ambassade des États-Unis qui, la première, a décidé d’agir, provoquant dans un premier temps l’ire des autorités camerounaises. Mais si les États-Unis ont accordé 40 millions de F CFA à la Route des chefferies, le projet Documentation et Restauration implique désormais le ministère camerounais de la Culture. Il permettra de mettre en place une signalétique délivrant des informations historiques sur le site, tandis que des vestiges de la période seront également collectés, catalogués et exposés. La construction à Limbé d’un musée d’histoire est sur les rails.
Arrière-petit-fils du King of Bimbia, l’ethnologue et historien Kuma Ndoumbe III, professeur en sciences politiques, lui, estime qu’il faut aller plus loin. “Ce serait une erreur de se focaliser sur Bimbia, affirme-t-il. Les statistiques indiquent qu’il est parti davantage d’esclaves de Douala que de Bimbia, entre 1777 et 1821, sans que se profile aujourd’hui l’ombre d’un projet.” Professeur d’études africaines et africaines-américaines à l’université de l’Arizona, Lisa Aubrey avance le chiffre de 46 000 à 68 000 esclaves pour l’ensemble du Cameroun, ce qui en ferait un centre de la traite négrière. De nouvelles fouilles pourraient révéler d’autres vestiges. Ainsi, à Douala, des marchés aux esclaves se sont tenus directement sur le fleuve Wouri : il faut donc y rechercher des forts. Sous le régime Ahidjo, certains avaient servi de prisons pour opposants politiques. “Malheureusement, le Cameroun cultive son amnésie”, regrette Kuma Ndoumbe III.
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