jeudi, février 01, 2018

LA DANSE DES CAPORALES


C’est au 17ème siècle qu’arrivent, emmenés par les Espagnols, des esclaves africains jusque dans les hauts plateaux des Andes, au milieu des Amérindiens qu’ils s’acharnaient à soumettre, sans pourtant parvenir à les mettre en esclavage. Les conditions particulières de cet endroit, dont le grand isolement, vont faire qu’il va se produire très rapidement un grand métissage, d’une part entre les Espagnols et les Amérindiens, dont les métis constitueront l’essentiel des “caporaux”, terme alors employé pour désigner les gardiens des esclaves, et d’autre part entre les Africains et les Amérindiens qui vont constituer là et ailleurs sur le continent, des communautés de ce type de métis regroupées sous le nom de “Zambos”.

Ces derniers n’eurent pas la chance des premiers, car ils furent esclaves tout comme leurs ancêtres africains. Ils avaient coutume de former un cortège pour enterrer leurs morts, en exécutant une danse rythmée à l’aide de tambours, et d’une façon très particulière, selon un rythme très saccadé qui est devenu aujourd’hui celui des musiques andines…

A la fin de l’esclavage, ils firent de cette danse de tristesse, une danse de joie, toujours scandée par ce rythme troublant, mais où les hommes rappelaient selon une chorégraphie très dynamique et spectaculaire, les luttes qui furent menées contre la servitude. Aujourd’hui, dans leurs magnifiques tenues de danse, ils portent accrochées à leurs bottes des clochettes pour rappeler le bruit que faisaient les chaines accrochées aux pieds des esclaves…

Selon une aimable dérision, ils ont prolongé la signification et donc l’usage de cette danse, en remplaçant la soumission qui était la leur sous les ordres des caporaux, par celle qui demeure la leur sous le charme des femmes, les caporaux étant ainsi devenus des “Caporales”. Ceci, en notant qu’en espagnol le mot vaut pour les hommes comme pour les femmes.

Ce sont donc elles désormais qui portent le sifflet, rappelant aux hommes la force d’envoutement dont elles sont capables, en étant vêtues de tenues splendides leur permettant d’exercer au maximum leur séduction, en dansant avec celles-ci. Il est remarquable qu’elles exercent ainsi d’une façon encore plus troublante que les célèbres Cariocas brésiliennes qui en montrent pourtant beaucoup plus, ce qui va assurer la grande popularité de cette danse…


Le métissage s’étant poursuivi pour donner aujourd’hui les populations très bigarrées de cette région des Amériques, cette coutume des Zambos va se généraliser pour devenir dans un pays comme la Bolivie, une véritable tradition nationale. La danse des Caporales sera ainsi codifiée et présentée au public dans ce pays en 1969, et c’est en 1975 qu’y seront formées les premières associations consacrées à la pratique, tant de la danse que de la musique, sur le mode des écoles de samba brésiliennes…

Son succès va faire que cette tradition va se répandre hors de Bolivie, en Argentine, au Chili, et au Pérou, et curieusement, aux Etats-Unis où plusieurs associations d’Amérindiens, auxquelles se joignent volontiers des noirs américains, conscients qu’il s’agit à l’origine d’un fait culturel d’esclaves africains, associations qui disposent bien-sûr de moyens plus luxueux que ceux des associations culturelles sud-américaines, en font depuis quelques années une très grande promotion et avec un grand succès, compte tenu de l’aspect spectaculaire et esthétique de ces manifestations…

Voyant ainsi son pays en quelque sorte dépossédé d’un élément du folklore national, surtout de la part des Etats-Unis avec lesquels il n’entretient pas les meilleures relations, le gouvernement bolivien a proclamé en 2011, les “Caporales”, comme faisant partie d’une façon intangible, de l’héritage culturel de la Bolivie…

Cependant, il n’est pas interdit aux autres de les apprécier…


Richard Pulvar



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