Karfa Diallo, président de la fondation diverscités, et Lionel Jensac, membre du collectif débaptisons les rues de négriers
Pourquoi débaptiser les noms de rues des négriers ?
« J’appelle négrier, non seulement le capitaine de navire qui vole, achète, enchaîne et vend des hommes noirs… qui même les jette à la mer, mais encore tout individu qui, par une coopération directe ou indirecte, est complice de ces crimes. » Abbé Grégoire, Des peines infamantes à infliger aux négriers.
Le 23 août dernier (Journée internationale du souvenir de la traite des Noirs de l’Unesco), DiversCités, la Fondation européenne du Mémorial de la traite des Noirs lançaient la campagne nationale Débaptiser les rues de négriers, à Bordeaux, Nantes, La Rochelle, Le Havre et Marseille. Ces villes abritent, en effet, des rues et places qui continuent d’honorer des personnalités qui se sont illustrées dans l’armement de navires, l’achat, la vente et la mise en esclavage d’êtres humains pendant la période du commerce triangulaire.
Déclarée crime contre l’humanité par la conférence internationale de Durban en 2001, par la France avec la loi Taubira et récemment par le Sénégal le 23 mars 2010, la traite des Noirs est la seule entreprise criminelle de cette envergure pour laquelle il n’y a ni châtiment ni réparation.
Cette reconnaissance des enjeux de la mémoire est nécessaire en termes de citoyenneté, de lutte contre l’oubli et les discriminations, mais aussi de combat contre toutes les formes d’esclavage moderne. Elle exprime ici la volonté de vigilance et d’engagement. Alors, pourquoi débaptiser les rues de négriers ?
Pour l’écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau : « Pour moi, il est évident qu’il faut débaptiser les rues de Bordeaux, de Nantes, de La Rochelle et du Havre qui portent le nom de négriers. Les choix de noms pour les rues sont de nature emblématique, voire symbolique. C’est un maillage de petites célébrations qui est censé conforter les valeurs les plus fondamentales de la nation. Quand on a compris cela, l’insupportable surgit alors… »
La révélation de cet héritage urbain très encombrant pour la plupart des anciens ports négriers a eu un accueil différent selon les villes. Ainsi à Nantes, le maire, Jean-Marc Ayrault, a répondu rapidement à la demande de DiversCités en envisageant la pose de plaques explicatives pour préserver cette mémoire. Cependant, à Bordeaux l’amnésie demeure dans la cité qui honore actuellement le plus d’armateurs (évalués à 25) et où, au mépris du dialogue espéré, Alain Juppé déclare : « C’est absurde… quand va s’arrêter la repentance ? »
En réponse à cela, un collectif indépendant s’est formé dans la lignée des actions de DiversCités. Il a choisi comme nom Débaptisons les rues de négriers pour interpeller l’opinion publique. Son but n’étant pas de supprimer le passé mais bien d’aider à la réparation morale en proposant la pose de plaques explicatives dans les rues désignées. Le mercredi 7 avril, les membres du collectif organiseront leur première action. Ils se réuniront place de la Victoire à Bordeaux à 14 heures afin d’apposer, en parallèle des noms qu’ils désirent mettre en évidence, des autocollants portant le nom d’abolitionnistes célèbres. Par cette action directe non violente médiatisée, ils espèrent sensibiliser l’opinion publique et inciter la municipalité de Bordeaux à s’engager dans le débat sur la reconnaissance de l’histoire de la ville.
Dans notre démocratie représentative, lorsqu’il y a refus catégorique de dialogue de la part des élus vis-à-vis de leurs électeurs, l’action directe des citoyens devient légitime pour faire appliquer le devoir de mémoire qui nous incombe à tous, estiment les membres du collectif. Cette mobilisation, qui n’est pas une entreprise de victimisation ou de diabolisation, est déterminée à donner à la mémoire de la traite des Noirs toute sa place dans le récit national.
(1) debaptisonslesruesdenegriers@hotmail.fr
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