Dans le cadre de sa 9e édition du Mai des aïeux, l'association Lanmou ba yo a organisé mercredi soir, à la médiathèque, un débat avec l'historienne Caroline Oudin-Bastide autour du film Espoir, vertu d'esclave et de son nouvel ouvrage, L'Effroi et la terreur. Esclavage, poison et sorcellerie aux Antilles, tout juste paru aux éditions La Découverte.
Caroline Oudin-Bastide : « La société esclavagiste est une société pénétrée par la peur de chacun de ses acteurs, les esclaves comme les maîtres. »
Dans la salle comble, les lumières se rallument. La projection du film coréalisé par Caroline Oudin-Bastide et Philippe Labrune Espoir, vertu d'esclave vient de s'achever et n'a pas laissé l'assistance de marbre. Le docufiction, produit par la chaîne Arte en 2008, revient sur une affaire qui a fait grand bruit en Martinique entre 1831 et 1834. L'habitation Spoutourne, à Trinité, était gérée par un M. Vermeil. Usant et abusant de ses pouvoirs, il faisait subir aux esclaves qu'il avait sous son contrôle de tels sévices que ceux-ci décidèrent de constituer une délégation pour le dénoncer auprès d'un juge arrivé en Martinique juste après la réforme de la justice coloniale de 1828. Ce dernier, suivi par la suite par deux de ses collaborateurs, a tenté de tirer l'affaire au clair. En cela, celle-ci prend une dimension exceptionnelle. Elle l'est aussi par le fait que les esclaves, injustement arrêtés et arbitrairement jugés, aient bénéficié d'un certain soutien du gouverneur, qui, pour de mauvaises raisons, choisit d'appuyer une cause juste.UNE RÉPRESSION IMPLACABLE« Cette histoire est exemplaire car elle révèle diverses caractéristiques de la société esclavagiste : la violence comme nécessité, l'impunité des maîtres, l'incapacité totale des colons à évoluer, mais aussi le rôle des esclaves comme acteurs de l'histoire » , souligne Caroline Oudin-Bastide, dans un entretien réalisé par Pascale Cornuel pour Arte (1).L'historienne a ensuite présenté son dernier ouvrage, L'Effroi et la terreur, qui traite des crimes d'empoisonnement durant la période esclavagiste. Caroline Oudin-Bastide revient sur le choix du sujet. « Depuis quinze ans, mon travail de recherche se base sur des sources d'archives, desquelles il se dégage très nettement que la société esclavagiste est une société pénétrée par la peur de chacun de ses acteurs, les esclaves comme les maîtres. » DES TRIBUNAUX D'EXCEPTIONCes derniers redoutent les révoltes bien sûr, le sabotage aussi, mais surtout, les empoisonnements. Par empoisonnement, il faut comprendre deux accusations distinctes : la première relève de l'utilisation de poisons dans l'intention de tuer, la seconde doit être perçue comme l'acte de jeter sortilèges ou maléfices par l'intermédiaire de quimbois. C'est surtout cette seconde interprétation que les colons redoutent car ils sont très superstitieux. Voilà pourquoi, dès les années 1720, ils réagissent par une répression implacable, criant au moindre prétexte au crime d'empoisonnement. Cette lutte à armes très inégales entre colons et esclaves décidera du sort de beaucoup de ces derniers, souvent accusés sans preuve. Elle se poursuivra jusqu'à l'abolition de l'esclavage. Les colons martiniquais obtinrent même des gouverneurs successifs la mise en place de tribunaux d'exception.L'auteure s'est également interrogée sur la fonction de ces crimes d'empoisonnement. « Les colons utilisent ce prétexte pour se déresponsabiliser et se déculpabiliser. Ainsi, ils peuvent avoir l'esprit plus tranquille par rapport à leurs agissements en se disant que ce n'est pas eux qui tuent, ce sont les esclaves eux-mêmes. » De nombreuses questions ont été posées à propos des archives, de la circulation des informations d'île à île à l'époque, de la position de l'Église par rapport à ces accusations de crimes d'empoisonnement (globalement absente et/ou silencieuse), etc. La discussion, passionnante, passionnée aussi, aurait pu se poursuivre bien au-delà si elle n'avait pas été interrompue par l'heure tardive.(1) cf. http://www.arte.tv/fr/une-histoire-exceptionnelle/2042144.html)
LA PHRASE. Le crime d'empoisonnement a servi à justifier un système de terreur. L'administration judiciaire partait du principe que le colon ne pouvait pas accuser à tort puisqu'il minait ainsi son propre système. Avant 1822, les accusés furent brûlés puis décapités à la hache. À partir de 1827, ils furent expulsés vers d'autres îles, notamment Porto Rico.