lundi, mai 08, 2006

Le nègre du Surinam, par Dominique Dhombres



La France va commémorer, pour la première fois, le 10 mai, l'abolition de la traite négrière et de l'esclavage, désormais considérés comme des crimes contre l'humanité.
Le magazine "Thalassa" avait un peu d'avance sur l'événement, vendredi 5 mai, sur France 3. La traite a longtemps été occultée dans les manuels d'histoire. Elle n'occupait que quelques lignes en catimini. On préférait insister sur la figure lumineuse et fraternelle de Victor Schoelcher, député de la Guadeloupe et de la Martinique, qui fit adopter, le 27 avril 1848, le décret abolissant définitivement l'esclavage dans les colonies.
La France a pourtant été, avec le Portugal et l'Angleterre, un des pays qui ont le plus pratiqué, pendant trois siècles, la traite transatlantique. Les navires, partis d'Europe avec des cotonnades et de la verroterie, chargeaient les esclaves sur les côtes africaines et allaient les vendre en Amérique. Ils revenaient les cales remplies du sucre produit par ces mêmes esclaves dans les plantations des Antilles. Ce commerce triangulaire a fait la fortune de nombreux armateurs.
Les quatre grands ports négriers français étaient Bordeaux, La Rochelle, Le Havre et Nantes. Les hôtels particuliers des grands négociants sont restés. Les archives ont souvent disparu. On apercevait ainsi un livre de comptes, retrouvé un peu par hasard à Bordeaux, mentionnant le nombre d'hommes, de femmes et d'enfants transportés. Les navires étaient assurés. Leur "cargaison" aussi.
Le Code noir, rédigé en 1685 à l'initiative de Colbert, définissait l'esclave comme un "meuble". Le voile commence à peine à être levé, sur les bords de la Garonne, à propos de ce honteux commerce qui a fait, au même titre que le vin, la fortune de la ville. On en parle plus volontiers sur les rives de la Mersey. Liverpool a été le premier port négrier d'Europe.
Une aile entière de son Musée maritime est consacrée à la traite. "Notre ville s'est construite grâce à l'argent sale", remarque un conseiller municipal. L'âge d'or de la traite a coïncidé avec les Lumières. Les historiens sont désormais sévères avec les philosophes.
Voltaire raconte pourtant ainsi la rencontre de Candide avec le nègre du Surinam, qui gît au bord de la route, en guenilles, amputé de la jambe et de la main : "Quand nous travaillons aux sucreries et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe", explique ce malheureux. Tout était dit.

Dominique Dhombres

source

Aucun commentaire: