vendredi, mai 12, 2006

L'esclavage, un passé trop noir pour les chaînes



Silence, on commémore. En ce jour d'hommage national aux victimes de la traite négrière et de l'esclavage, la télévision fait preuve d'un recueillement extrême. Au point de faire l'impasse sur cet indigne commerce dans ses programmes phares. Un petit reportage dans le JT de TF1 par-ci, une spéciale du « Jour du Seigneur » sur France 2 par-là... Reconnu crime contre l'humanité en 2001, l'esclavage serait-il encore un thème télévisuel inabordable ? « Les journalistes perdent leurs réflexes professionnels dès qu'on parle des descendants d'esclaves, assène Claudy Siar, journaliste de RFI. Inconsciemment, ils prennent un ton condescendant, comme s'ils admettaient qu'ils n'ont pas affaire à des gens comme les autres. »

Pourtant, coproduit par France Télévisions, le docu Noirs a bénéficié de moyens exceptionnels : 300 000 e de budget, pas de contrainte éditoriale, un dossier de presse classieux pour ce film qui tente de définir l'identité noire à travers l'histoire de l'esclavage et de la colonisation française. Et « un soutien constant de Patrick de Carolis », insiste son réalisateur, Arnaud Ngatcha. Mais aujourd'hui, Noirs n'est diffusé par France 5 que sur le satellite (à 20 h). Il sera bien repris vendredi sur France 3, mais à 23 h 45. « Les conditions de production ne sont pas normales, parce que le sujet lui-même n'est pas considéré comme normal, relève Pascal Blanchard, historien de la colonisation. Pour France Télévisions, ce documentaire est un acte politique et symbolique. On met les moyens pour marquer le coup, mais peu importe la qualité et l'audience du film. »

Aux soupçons de politiquement correct qui pèsent sur les commémorations du 10 mai, Françoise Vergès, vice-présidente du comité pour la mémoire de l'esclavage, préfère opposer un louable effort de vulgarisation : « Les Français doivent apprendre à connaître leurs compatriotes noirs. Il faut créer un tronc incontournable de faits connus de tous, comme pour la Seconde Guerre mondiale. A quand de grandes fictions sur l'esclavage ? » Bientôt peut-être : « Tabous avant les années 1980 », dixit Pascal Blanchard, la Shoah et Vichy ont fait l'objet, depuis, de 650 documentaires francophones.

Christel Brigaudeau

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