mardi, novembre 10, 2009

Le couronnement d'un ardent combat


Emprisonné à Bourg-Egalité (Bourg-la-Reine), Nicolas de Condorcet est retrouvé mort dans sa cellule, de causes encore obscures, le 29 mars 1794. Près de deux mois auparavant, le 4 février, la Convention avait aboli l'esclavage dans les colonies françaises, en un grand élan d'enthousiasme. Un vacarme grandiloquent qui rattrapait plus de quatre ans d'un assourdissant mutisme : la Déclaration de 1789, qui assurait que "les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits", avait tout bonnement oublié ces Noirs enchaînés dans les îles, réduits légalement à l'état de "biens meubles" par le Code noir, édicté en 1685.

Pourchassé par la Terreur, cloîtré chez sa protectrice, Mme Vernet, Condorcet voit cette loi couronner un de ses plus ardents combats. En 1781, ses Réflexions sur l'esclavage des Nègres, écrites sous le pseudonyme de Joachim Schwartz, avaient été le premier ouvrage d'un philosophe des Lumières entièrement consacré à cette avanie du temps. L'abbé Raynal, dans l'Histoire des deux Indes, Rousseau, dans le Contrat social, Voltaire, dans Candide, ainsi que d'autres esprits s'étaient émus, mais émus seulement, du sort des Africains mis en servitude. Condorcet, lui, instruit un implacable procès, avance l'illégitimité de cette pratique, et réfute les arguments économiques des défenseurs.

Il rejoint, en 1788, la Société des amis des Noirs, qui ne milite, dans un premier temps, que pour l'abolition de la traite. Un concours de circonstances, comme la Révolution sut en précipiter, aboutit à une abolition au débotté, en 1794. De fait, elle ne sera réellement appliquée qu'en Guadeloupe, avant que Napoléon ne rétablisse l'esclavage, en 1802. Cette première abolition restera largement la "farce grandiose" moquée par Aimé Césaire. Prudent, Condorcet se donnait soixante-dix ans pour en finir avec la servitude des Noirs. La véritable abolition interviendra finalement en 1848. Soixante-sept ans après la sortie de son livre.

Benoît Hopquin

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