Le 22 mai
1848, quelques 60 000 esclaves de la Martinique se sont défaits de leurs
chaînes, et de la servitude, donc le 23 mai 1848 ces êtres vécurent leur
première journée d'hommes et de femmes libres.
22 mai 2006, entre ces
deux dates, 158 ans se sont écoulés.
En souvenir ce jour, le 22 mai est
devenu à la Martinique le jour de la commémoration de l'abolition de
l'esclavage.
Cette
date commémorative est fériée en
Martinique, suite à la promulgation de la « loi commémorant
l'abolition de l'esclavage dans les DOM " du 24 novembre 1983. »
Toutefois, l'obtention de cette date
commémorative a été l'aboutissement d'une lutte politique ayant débuté dès les
années 60, notamment avec la publication du manifeste : « La révolution
anti-esclavagiste de mai 1848 » écrit par Armand Nicolas, professeur
d’histoire et aussi membre du parti communiste martiniquais ( PCM ).
Cette parution avait eu pour effet de
réintroduire dans la mémoire collective des Martiniquais, cette date et ainsi
que tout un pan de leur histoire occulté par les autorités, qui entreprirent
pour des raisons politiques de ne mettre en avant que le 27 avril, date à
laquelle fut concédée aux Nègres l’abolition de l’esclavage ;
décret devant être appliqué que deux mois plus tard aux colonies. Ce
choix ne fut pas anodin, car il s’agissait de vanter ou de louer la
bonté et l’humanisme de la république française, avec comme image phare
l’abolitionniste Victor Schœlcher, qui désormais incarnait dans la Mémoire le
libérateur des Nègres et le fossoyeur de l’esclavage, passant sous silence la
révolte des esclaves, ayant contraint les autorités de l'île, à abolir
l'esclavage le 22 mai 1848.
Dès lors, pour les partis politiques de la
gauche martiniquaise, entre autres, le PCM (parti communiste martiniquais)
d'Armand Nicolas, le PPM (parti progressiste martiniquais)
d'Aimé Césaire, un mouvement revendicatif s'est amorcé pour instaurer cette
date comme jour de la commémoration solennelle de l’abolition de l’esclavage.
Dans les années 70, ont rejoint ce combat
pour la reconnaissance du 22 mai, les organisations syndicales comme la
CSTM et des partis indépendantistes, telle
La Parole au Peuple » (devenu le MIM, mouvement indépendantiste
martiniquais depuis), le GRS (Groupe Révolutionnaire Socialiste) et le Parti
du Combat Ouvrier.
En 1981, les commerçants de l'île ont pris
l’initiative de baisser leurs rideaux et de fermer leurs portes et depuis 1984
le 22 mai est officiellement célébré en Martinique.
En 2006, soit 24 ans après on peut
s'interroger sur la façon dont les Martiniquais s’approprient le 22
mai. Cette année, il y a eu des manifestations à foison,
des expositions un peu partout dans l’île, un festival de bélè au
Lamentin, un autre rendez-vous bélè à Schoelcher, une pièce de théâtre fut
jouée à Case-Pilote, un déjeuner fut offert par l’association La Fraternité
Africaine, d’où s’ensuivit un dépôt de gerbe à la place de Gorée à Sainte-Anne,
pour honorer la mémoire des Nègres africains déportés, pour devenir esclave en
Martinique.
Par ailleurs, des retraites aux flambeaux, des
concerts et aussi des marches furent organisées, dont celle qui se
déroula entre la commune du Prêcheur et celle
de Grand-Rivière, qui accueillit la fin du 6ème
« konvwa pou réparation ».
Ce «konvwa pou réparation» est une
marche initiée par Le Mouvement International pour
les Réparations, présidé par Garcin Malsa (maire de Sainte-Anne), qui
associa à cette manifestation, une demande en réparation du préjudice engendré,
comme ce qui a été reconnu par la République Française, comme étant un
crime contre l'humanité : l’esclavage et la traite négrière.
En ce qui concerna la capitale de Fort-de-France, un rassemblement
au tambour c’est tenu au Rond-Point du Vietnam Héroïque. Il y eut des marches
aux flambeaux à Tivoli, Volga-Plage, une marche nocturne entre la Jambette et
la Place de l'abbé Grégoire, des animations musicales à Dillon, un jogging
matinal à Didier suivi d'un petit-déjeuner : « ti-nain lan mori
[2]».
Les principales festivités ont été proposées
par la Région Martinique dans le cadre du «Gloryé 22 mé ». Dès le samedi
20, s'est tenue à l'Eco-Musée de Riviere-Pilote une série de
concerts: « Les chants d'esclaves, chants de liberté ».
Le dimanche 21 et le lundi 22, les
manifestations « Vini gloriyé 22 mé laréjion » ce sont
déroulées à Cluny dans les jardins du Conseil Régional. En outre
des spectacles musicaux, étaient proposés des expositions retraçant l'histoire
de l'abolition de l'esclavage, des ateliers de démonstration sur la fabrication
du manioc, de poterie, de vannerie et de tambour. Il y avait aussi un marché de
produits locaux et des lieux de dégustations.
Les enfants ne furent pas oubliés, puisqu'un
espace «ti manmaÿ» leur fut attribué, avec des jeux traditionnels
« chouval-bwa », manège de poneys, qui ont permis aux plus
jeunes de participer eux aussi à la commémoration.
Pour ce qui concerne les célébrations
officielles, cette année fut marquée par deux nouveautés :
- la
première est l'adhésion pour la première fois de la droite martiniquaise aujourd'hui
l'UMP aux manifestations du 22 mai, qui jusque-là s’était
farouchement opposé.
- La
seconde et non des moindres est la présence de békés comme celle de Louis de
Lucy de Fossarieu et Roger de Jaham tant à Fort de France qu’au Diamant et qui s'opposent
à toute idée de réparations et pour cause...
L’évolution de cette commémoration tend à transformer le 22 mai
comme un jour à caractère festif et dansant. Des voix s’élèvent pour dénoncer
cette dérive qui est jugée comme très éloignée d’un acte commémoratif,
c'est-à-dire à la mémoire de nos ancêtres esclaves.
Par ailleurs, la participation des békés,
héritiers des colons, arrière-petits-fils d’esclavagistes ont ébranlé plus
d'uns. Pour certains, cette présence a été considérée comme normale, car les
békés sont aussi des Martiniquais, mais pour d'autres, cela a été perçu comme
incongrue et inopportune voire choquante.
Les Martiniquais ont massivement participé à cette commémoration,
nul doute que les prochaines seront du même acabit, voire avec plus
de manifestations.
Le 22 mai sera amené à prendre une dimension
internationale avec la participation d’organisations émanant des pays africains
et de la Caraïbe qui témoigneront de leur solidarité en raison d’une proximité
historique, humaine ou géographique avec cette tragédie.
Emmanuelle Bramban
[1] Jour chômé et payé accordé aux personnels municipaux et aux
écoles.
[2]Plat composé de banane verte et de morue salée.
[2]Plat composé de banane verte et de morue salée.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire