C’est un fait certain, par delà les clivages politiques derrière lesquels certains se cachent, il est des hommes qui pour justifier leur pensée nationaliste la plus primaire souhaitent renier des pans d’Histoire de la France sous des prétextes fallacieux. Ils souhaiteraient que soit effacées des manuels scolaires des pages qui selon eux ne participent pas à la grandeur de la France et dans lesquelles, ils ne se reconnaissent pas. Cette Histoire qu’ils renient, c’est la mienne, et j’exprime mon refus de la voir disparaître des livres d’histoire des écoliers. Ce serait une nouvelle injure faite à toutes ses luttes entamées par mes aînés et mes compatriotes pour les y inscrire.
En cette période de crise économique et sociale, l’actualité expose chaque jour un retour en arrière : le refus de l’acceptation de l’autre et de sa culture : pourtant cet « autre » que l’on rejette contribue et a contribué à la réussite de la France. Tous ces discours trouvent leur justification dans les difficultés que rencontre actuellement la Nation, les attentats terroristes d’extrémistes islamistes révélant la vraie nature des uns et des autres et servant de justifications et de prétextes aux pensées jusqu’alors enfouies et qui puisent leurs racines dans le révisionnisme et le racisme.
Peut on prétendre renier toute une partie de l’Histoire de la France, de l’apport des sociétés, ex colonies, qui ont contribué à la grandeur et à la richesse de la société française sans que cela ne suscite de réactions ? Car l’histoire de mon île (la Martinique), des Antilles, des anciennes colonies françaises d’ »Afrique, d’Asie et d’Amérique du Nord » font partie de l’Histoire de la France.
La France, terre de « partage »
« La France ne serait pas coupable d’avoir voulu partager sa culture aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Nord ? » N’est-ce pas faire l’oubli que ce partage de la France avec les peuples qu’elle colonisait se fit le plus souvent par le fer et le feu, la Bible dans la main : partage brutal qui entraîna le génocide de populations ; des autodafés de documents précieux ; des destructions de monuments ; des expropriations de terres des autochtones que l’on substitua par des colons qui façonnèrent ces parties du monde selon la vision des états dont ils étaient originaires. Pour s’enrichir toujours plus, l’état de Louis XIII autorisait la traite négrière et l’esclavage de millions d’hommes et de femmes extraits du continent africain. Louis XIV légitima et légiféra sur cet état de fait et ordonna la mise en œuvre d’un texte particulièrement odieux qu’est le code noir (1685). Cet infâme commerce, que la « France n’a pas inventé » participa à la richesse et à la grandeur de la France.
« Le partage » ce fut également l’asservissement de peuples pour travailler dans des mines, dans des champs, réservant à ces populations dites « sauvages » des conditions de vie et de travail innommables, entraînant pour ces populations la disparition et l’extinction de leurs cultures pour le seul profit de quelques états dont la France faisait partie.
« Le partage », ce fut le refus de la culture de l’autre pour la substituer à celle plus « chrétienne » et plus « occidentale » de la France coloniale.
« Le partage », ce fut la spoliation des terres de ces peuples qui n’avaient pas demandé à accueillir, ni à recevoir.
« Le partage » ce fut le choc bactériologique, maladies courantes de France et d’Europe comme la grippe, la rougeole, la variole et la varicelle qui se propagèrent dans ces contrées lointaines, décimant des populations entières et entraînant un véritable ethnocide.
Le « partage » ce furent ces guerres de Croisades menées en Afrique (Saint Louis), les guerres coloniales des XVII et XVIIIe siècles qui se poursuivirent au XIXe et XXe siècles.
Le « partage » ce fut le rétablissement de l’esclavage par Napoléon 1er (anciennement appelé Bonaparte), le Second Empire (Napoléon III), la Troisième République et les exactions qui furent commises pour profiter de cet empire colonial, l’un des plus grands et des plus étendus, en Afrique et en Asie et qui a participé à la puissance de la France.
De ce partage qu’est-ce que la France a reçu en retour ?
Peut-on faire fi des contributions que ces peuples ont apportées à la France ? Dès le Moyen-Âge, la France s’est enrichie du savoir des Arabes, des Asiatiques, des Africains et des Amérindiens. Ces apports ; tant dans les sciences, la médecine, le culinaire, les mathématiques, la philosophie ou la géographie, la botanique, les lettres ; ont permi des progrès dans toutes les strates de la société française. La France est sortie du Moyen-Âge pour entrer dans l’époque moderne grâce à l’apport de ces civilisations. Durant la période des lumières au XVIIIe siècle, les colonies ont inspiré les philosophes et les penseurs, le mouvement a permis à la France de sortir des « ténèbres de l’ignorance ». La rencontre de l’Afrique, de l’Asie, des Amériques avec l’Occident provoquent et participent aux Révolutions industrielles. Durant les deux conflits mondiaux (1914-1918 et 1939- 1945), des hommes originaires des colonies ont payé le prix du sang pour sauver l’honneur de la France, sans que par la suite leur valeur soit reconnue à sa juste mesure. La langue française « langue magnifique », sa culture, son patrimoine sont riches des apports de toutes les cultures des pays que la France a colonisés.
La France riche des ses héros … Noirs
L’Histoire de France ce sont aussi des héros comme Delgrès, Toussaint Louverture, la négresse Solitude, Aimé Césaire, Félix Eboué, Camille Mortenol, Battling Siki, Roland Garros, Charles N’Tchoréré, Léopold Sédhar Senghor, Gaston Monnerville, Félix Houphouët Boigny. La liste est longue de ces héros ultramarin qui ont contribué à l’écriture de l’Histoire de France et porté haut les couleurs et les valeurs de celle-ci.
La loi Taubira (2001) que l’on met à mal depuis quelque temps, est une loi qui renforce la grandeur de cette France, seul état occidental à avoir reconnu la traite négrière et l’esclavage comme crimes contre l’humanité. Reconnaitre et apprendre ces pages d’Histoire à l’école, faire ce travail de mémoire (trop longtemps occultée), ce n’est pas accabler ou culpabiliser la France, mais c’est définir et admettre sa part de responsabilité, pour que demain nos enfants puissent aller de l’avant et trouver leur place au sein de la Nation française.
Pour finir ce propos, M. Fillion sait-il seulement que l’un des maires de la commune dans laquelle il fut lui même élu et où il tint son discours, était un martiniquais nommé Raphaël Élizé arrière petit fils d’esclave, vétérinaire, maire de Sablé sur Sarthe dans les années 1930, rejeté à cause de sa couleur, et qui entra en résistance lors du second conflit mondial, il fut interné à Buchenwald et tué lors d’un bombardement ? Certainement que cette histoire mériterait de trouver sa place dans les manuels scolaires..
Sylvie Meslien,
historienne, enseignante d’Histoire-Géographie