L'histoire et la sociologie de la caraïbe, des antilles et du monde noir. Naviguons dans le passé de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Réunion et de l'Afrique
jeudi, mai 20, 2010
SEPT SYMBOLES OU SIGNIFICATIONS DU DRAPEAU HAITIEN
De tous les symboles créés par l’homme dans son ardent désir de représenter sur le plan concret les idées forces qui l’animent et le guident, le drapeau est celui qui contient le plus de significations. Quelles sont celles de notre bicolore? A mon avis, notre drapeau comporte sept significations que je pourrais considérer comme majeures.
Première signification
La première signification du drapeau haïtien est celle de la réconciliation. Pendant la guerre de l’indépendance, l’armée indigène se battait en bandes dispersées. Les Petit-Noël, Sans-souci, Lamour Dérance…, tous des chefs de bande, refusèrent obstinément de se soumettre à l’autorité de Dessalines. Il fallait une stratégie unitaire des généraux indigènes tels que Christophe, et Philippe Guerrier pour ramener à la raison ces éléments de discorde dont l’action nocive pouvait retarder pour longtemps l’issue de la lutte contre les Français. La soumission de ces chefs de bande ainsi que le ralliement de Pétion dans les rangs de l’armée indigène ayant à sa tête Jean-Jacques Dessalines comme général en chef constituent un acte de haute portée historique. C’est le premier acte de réconciliation sincère posé dans notre histoire. Cette stratégie unitaire devait conduire à l’Arcahaie les officiers indigènes de l’Ouest et des quartiers voisins pour la création d’un drapeau spécial pour l’armée indigène le 18 mai 1803.
Deuxième signification
La deuxième signification du drapeau est celle de la liberté. Sans entrer dans les controverses historiques relatives aux couleurs de notre drapeau et à ses différentes positions par rapport à la rampe, notre (oriflamme à deux tranches) est le symbole vivant du souffle puissant de la liberté qui animait l’armée indigène dans sa lutte contre les hordes de Napoléon Bonaparte. Aussi, à chaque fois que nous voyons flotter le drapeau haïtien, il représente l’effort et les sacrifices consentis par nos ancêtres pour vivre libre ou mourir, tout en refusant la domination d’aucun autre peuple sur cette planète. L’épopée fulgurante de Vertières a été conduite et menée au succès au nom de la liberté. Car, après le 18 novembre 1803, le soleil d’Haïti luisait sur deux catégories d’hommes: les morts et les libres.
Troisième signification
La troisième signification de notre drapeau est celle l’indépendance nationale. L’indépendance est le fondement politico-juridique de la nation haïtienne. Elle lui confère une personnalité légale afin que ses citoyens puissent assurer son destin qui devrait être un destin de grandeur. A chaque fois que le drapeau haïtien flotte sur un édifice public ou privé, national ou international, il indique clairement que Haïti est une nation indépendante et qu’elle fait partie des autres nations, jouissant de son statut politico-juridique. Aussi, tout acte nuisible à l’indépendance nationale posé par nous est une souillure portée à notre drapeau.
Quatrième signification
La quatrième signification du drapeau haïtien est celle de l’unité nationale. Que de déchirements internes causés par notre manque de compréhension dans la gestion politique de notre nation! Au lendemain de notre indépendance, la nation fut divisée territorialement. Pétion régnait dans l’Ouest et Christophe dans le Nord. Deux tempéraments opposés politiquement et socialement. Ce qui nous a valu l’existence de deux Etats sur un espace territorial de 28,250 km2: une république et un royaume. Chacun de ces deux Etats hissait son drapeau, établissait son administration, présentait une vision différente de la chose politique. Au moment de la disparition de cette division nationale, un seul drapeau flottait sur le sol haïtien redevenu un et indivisible.
Cinquième signification
La cinquième signification du drapeau haïtien est celle de la souveraineté nationale. La souveraineté et l’autonomie sont deux notions complémentaires. Cependant, la première a un caractère juridique, la deuxième un caractère administratif. Par conséquent, être une nation souveraine et autonome, c’est établir, dans les limites de son territoire, les règles et principes de vie pour la pérennité de l’Etat. Notre drapeau flotte dans l’azur pour indiquer à tous, qu’une fois établis, seuls les fils du pays ont le droit inaliénable et imprescriptible de les modifier dans le but de parvenir à une société plus humaine, plus juste, plus harmonieuse et respectueuse des droits de chaque citoyen, surtout le droit à la vie et à la poursuite personnelle du bonheur.
Sixième signification
La sixième signification du drapeau haïtien est celle de l’existence de notre pays en tant qu’Etat. L’Etat est en quelque sorte une autre forme de pouvoir politique suivant le constitutionaliste George Burdeau. Il est le support indépendant des personnalités gouvernantes. L’Etat, suivant l’auteur précité, est le titulaire abstrait et permanent du Pouvoir dont les gouvernants ne sont que des agents d’exercice essentiellement passagers. C’est le drapeau qui symbolise la continuité et l’autorité dont sont investis les gouvernants. Par conséquent, le drapeau est aussi le symbole vivant de la continuité de l’Etat.
Septième signification
La septième signification du drapeau haïtien est celle de l’âme nationale. Tous les idéaux nobles, de grandeur qui ont contribué à faire de nous une nation reconnue et jadis respectée constituent une expression de la conscience nationale ou de l’âme nationale. D’après Kern Délince, “en dépit de nos luttes fratricides et nos comportements aberrants, nous avions gardé un certain nombre de traits positifs qui faisaient l’originalité de notre personnalité: Sentiment de l’honneur, amour passionné de la liberté, acharnement très vif à la souveraineté nationale, goût de l’héroïsme, courage physique et moral, croyance en une vocation messianique de la nation haïtienne.” Qui d’entre nous possède encore ces sentiments! Hélas, tous ces traits positifs ont perdu de leur valeur. Il nous faut les réanimer. Il nous faut retrouver le souffle des grand ancêtres comme aime à le répéter le Professeur Leslie Manigat, ancien président constitutionnel de la République d’Haïti.
Souiller le drapeau, l’insulter par des actes de vagabondage, des actes provenant des fils dénaturés, des renégats, c’est aussi souiller l’âme nationale. En l’espace d’une décade, notre drapeau a été souillé plusieurs fois. Réfléchissons, méditons sur les conséquences insultantes et honteuses d’une telle situation pour notre malheureux pays.
Que Dieu protège notre chère Haïti et notre drapeau!
Miami, le 18 mai 2005.
Rigobert Carty, av.
mercredi, mai 19, 2010
HISTORIQUE DU DRAPEAU HAÏTIEN
Tirée de Beaubrun Ardouin et Marlène R Étienne
Le drapeau est un simple symbole, rien qu’un signe. Mais évoque les souvenirs d’un moment historique. Pour certains un signe de gloire, de fierté, de victoire, de puisssance pour d’autres signe de douleurs, de souffrance, de péripétie, d’oppression. Ce symbole peut également incarne l’idéal d’un peuple ou non. En tout c’est un simple morceau de tissus, mais qui dit long sur notre histoire en tant que Haïtien. Alors je laisse au soin de Beaubrun Ardouin et de Marlène Étienne
Les membres de la nouvelle assemblée ayant repris le titre d’assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue et ceux de l’assemblée provinciale du Nord animés contre l’assemblée constituante par rapport au décret du 15 Mai, abandonnèrent la cocarde Nationale Tricolore pour adopter la cocarde Noire, en faisant porter aux troupes blanches des cocardes blanches, jaunes et vertes, signes de l’Aristocratie Française assiégeant en France de replacer la royauté dans les conditions de l’ancien régime.
La formation de deux régiments fut décrétée pour la colonie :
1) Le premier blanc, avec des cravates blanches, noires et rouges, ayant une salamandre au milieu avec les mots : Je vis dans le feu
2) Le second drapeau devient noir, rouge et blanc avec des cravates blanches ayant un Phénix dans le blanc portant ces morts : je renais de ma cendre
3) La coiffure des soldats était un drapeau rond à l’anglaise, avec panache noir et blanc. Ce n’est que plusieurs mois après que ces troupes reçurent des cocardes tricolores et autres insignes de la nationalité française
4) C’est de l’adaptation de ces couleurs qu’est née, parmi le plus grand nombre d’Haïtien, de ceux du Nord surtout, l’idée que le drapeau et la cocarde tricolore représentaient la couleur des trois classes d’hommes habitant Saint-Domingue : Blancs, Mulâtres et Noirs, bien que le drapeau tricolore ait le bleu au lieu de noir.
5) Dans la guerre de l’Indépendance, Dessalines retrancha le blanc du drapeau, pour indiquer que les blancs ne devaient plus faire partie de la nouvelle nation à créer. En 1805, il changea le bleu en noir, et le drapeau haïtien fut noir et rouge.
6) Christophe conserve ce drapeau, Noir et rouge, et en se faisant roi dans le Nord, il adopta un Phénix au milieu de ses armoiries, comme emblème de sa royauté, de son pouvoir avec la même devise : je renais de mes cendres
7) Dessalines, devenu empereur avait adapté le Coq gaulois
8) Pétion en fondant la République, rétablit le bleu et le rouge dans son drapeau . Ces couleurs provenaient du tricolore. Toutes ces choses indiquent l’influence des traditions parmi les peuples
9) Les esclaves révoltés adoptèrent la cocarde blanche et un drapeau blanc. Leurs chefs se décoraient dans le même sens
10) Selon Gros, le costume de Jeannot, généralissime de l’Armée des insurgés était : habit de drap gris, parement jaune, enrichi d’un crochet avec la Croix de Saint-Louis et le cordon rouge, il avait 12 gardes du corps, ceints d’une bandoulière remplie de fleurs de lis
11) Biassou portaient seulement la Croix de Saint Louis et le cordon rouge, plusieurs autres chef subalternes. Toussaint Louverture et d’autres étaient décorés de la Croix et des épaulettes. Leur passeport et leur brevet portaient toujours ces mots : Nous, généraux et brigardiers des armées du Roi, en vertu des pouvoirs qui nous ont été délégués.
12) Jean François prenait le titre de Grand Amiral de France, et Biassou celui de généralissime des pays conquis. Ils qualifiaient leur armée de gens du roi.
13) Les membres de l’assemblée siégeant au Cap avaient adopté en outre de la cocarde noire, d’autres insignes antinationaux. Ceux de l’assemblée générale portaient une écharpe noire, en signe du deuil qu’éprouvait la colonie par les insurrections des deux branches de la race noire, et ceux de l’assemblée provinciale adoptèrent une écharpe rouge en signe du sang européen que ces deux insurrections faisaient verser dans les combats. De telles idées devaient naturellement amener les colons à des résolutions insensées.
Selon différents historiens haïtiens et Marlène Étienne le drapeau de Dessalines, bleu et rouge au moment de la guerre de l’Indépendance était cousu par Catherine Flon, qui serait une mulâtresse. Mais selon Marlène il est difficile d’établir l’existence d’un personnage historique de Catherine Flon.
Selon elle, le 18 Mai à l’Arcahaie que Dessalines, dans un geste violent, arracha la partie blanche du drapeau français et présenta à ses frères et ses sœurs rassemblés les deux côtés, bleu et rouge, formant ainsi le bicolore de la révolution. Il symbolise par cet acte l’exclusion définitive des colons blancs et l’union des mulâtres et des noirs. Catherine Flon aurait été alors chargée de coudre le drapeau. Ainsi prit naissance, l’histoire de Catherine Flon, la belle mulâtresse de l’Archahaie, celle dont les longs cheveux servirent à coudre le drapeau de l’Armée indigène. Les premiers historiens ont tous ignoré ce fait. Catherine a-t-elle vraiment existé?
Selon Joseph Saint-Remy, les chefs de bandes s’embarquaient aux environs de Léogane le 13 mai 1803 sur 5 barques en direction de l’Arcahaie. Ils y déscendirent le 14 mai 1803. Allusion remarquable, car à Léogane se trouve découverte dans la section rurale Petite rivière en plaine, l’existence d’une habitation Flon. Probablement celle Catherine Flon soit originaire.
Sous l’empire de Dessalines on a retrouvé les traces d’un certain Jacques Flon, employé des domaines de l’Ouest. Les registres des actes aux archives nationales restent, mais muets sur Catherine Flon. Probable qu’elle soit été la mère, la sœur, l’épouse ou une parente de Jacques Flon, ou qu’ils aient le même nom de famille. Contrairement à ce que l’on raconte, catherine Flon n’est pas de l’Arcahaie mais de Léogane. Son séjour a été de courte durée à l’Arcahaie. Probable qu’elle ait péri à bord d’une des barques transportant les soldats indigènes de retour vers Léogane, ou qu’elle ait survécu à bord de celle transportant Gangé et les autres vers la terre ferme, suite à leur réunion de l’Archaie.
Tout tient à la tradition que Catherine Flon a été présente à l’Arcahaie pour reconnaître l’autorité de Dessalines. Faute de documentation, l’histoire haïtienne est remplie d’épisodes qui demeurent jusqu’à nos jours de véritables énigmes.
Chose certaine, la confection des drapeaux a fait suite au ralliement survenu autour de la personne et de l’autorité de Dessalines. Ce ralliement a fait suite à un serment de fidélité.
mardi, mai 18, 2010
Mettre fin au jeu du "à qui la faute ?" au sujet de l'esclavage - par Henry Louis GATES Jr.
Grâce à une confluence improbable de l'histoire et de la génétique – le fait qu'il soit afro-américain et président – Barack Obama a une occasion unique de remodeler le débat sur une des questions les plus controversées de l'héritage racial des USA : les réparations. L'idée étant que les descendants des esclaves usaméricains devraient recevoir un dédommagement pour le travail impayé et l'état de servitude de leurs ancêtres.
De nombreux problèmes épineux sont à résoudre avant que nous parvenions à un geste judicieux (même symbolique) qui soit à la hauteur d’un crime aussi soutenu et ignoble. Le plus fastidieux est peut-être de trouver comment déterminer la responsabilité de ceux qui étaient directement impliqués dans la capture et la vente d'êtres humains pour d'énormes profits économiques.
Alors que nous connaissons le rôle joué par les USA et les puissances coloniales européennes comme la Grande-Bretagne, la France, les Pays-Bas, le Portugal et l'Espagne, il y a eu peu de discussion sur le rôle joué par les Africains eux-mêmes. Et ce rôle s'est avéré être considérable, particulièrement pour les royaumes pratiquant la traite d'esclaves en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale. Parmi eux les Akans du royaume Ashanti dans l’actuel Ghana, les Fons d'Abomey (l'actuel Bénin), les Mambatas du Ndongo dans l'Angola d’aujourd’hui et l'empire Kongo de l'actuel Congo, parmi beaucoup d’ autres.
Pendant des siècles, les Européens en Afrique restèrent proches de leurs postes militaires et commerciaux, sur la côte. L'exploration de l'intérieur, foyer de la majeure partie des Africains vendus en esclavage au plus fort de la traite négrière, n'a commencé que lors des conquêtes coloniales. Ce qui explique pourquoi la recherche du Dr David Livingstone par Henry Morton Stanley en 1871 connut un si grand succès : il allait là où aucun homme (blanc) ne s'était jamais rendu.
Comment les esclaves se sont-ils retrouvés dans les forts côtiers ? Les historiens John Thornton et Linda Heywood de l'Université de Boston estiment que 90 % de ceux qui ont été envoyés dans le Nouveau Monde étaient esclaves des Africains puis vendus aux marchands européens. La triste vérité est que sans un partenariat commercial complexe entre les élites africaines, les marchands européens et les agents commerciaux, la traite des esclaves vers le Nouveau Monde n'aurait pas été possible, du moins à l'échelle où elle s'est produite.
Les partisans des réparations pour les descendants de ces esclaves ignorent ce problème souvent négligé, du rôle significatif joué par les Africains, préférant croire à la version idéalisée qui dit que nos ancêtres ont tous été kidnappés inconscients par les hommes blancs diaboliques, comme l'a été Kunta Kinte dans « Racines ». La vérité cependant est bien plus complexe : l'esclavage était une entreprise commerciale, extrêmement organisée et lucrative autant pour les acheteurs européens que pour les vendeurs africains.
Le rôle africain dans le trafic d'esclaves était très bien compris et ouvertement connu de nombreux Afro-Américains même avant la guerre civile. Pour Frederick Douglass, c'était un argument contre les projets de rapatriement des esclaves affranchis. « Les chefs sauvages des côtes ouest de l'Afrique, qui pendant des siècles ont eu l'habitude de vendre leurs prisonniers comme esclaves et d'empocher l'argent pour eux, ne vont plus aussi facilement accepter nos idées morales et économiques comme ils le faisaient avec les trafiquants d'esclaves du Maryland et de Virginie», avait-il prévenu. « C'est pourquoi nous sommes moins portés à partir en Afrique pour agir contre la traite d'esclaves que de rester pour agir depuis ici. »
Il est certain que le rôle des Africains dans le trafic d'esclaves a été fortement réduit après 1807 quand les abolitionnistes, d'abord en Grande-Bretagne puis, un an plus tard, aux USA réussirent à interdire l'importation d'esclaves. Cependant, les esclaves ont continué à être achetés et vendus à l'intérieur des USA et l'esclavage en tant qu'institution n'a pas été aboli avant 1865. Mais la culpabilité des propriétaires de plantations usaméricains n'a jamais ni effacé ni supplanté celle des esclavagistes africains. Ces dernières années, certains dirigeants africains sont devenus plus à l'aise pour discuter de ce passé compliqué que n'ont tendance à l'être les Afro-Américains.
En 1999 par exemple, le Président Mathieu Kerekou du Bénin surprit une assemblée entièrement noire à Baltimore en tombant à genoux et en implorant le pardon des Afro-Américains pour le rôle « honteux » et « abominable » que les Africains ont joué dans la traite. D'autres dirigeants africains, comme Jerry Rawlings du Ghana, ont suivi l'exemple audacieux de M. Kerekou.
Notre récente compréhension de l'envergure de l'implication africaine dans le trafic d'esclaves n'est pas une hypothèse historique. Grâce à la base de données de la traite transatlantique d'esclaves, dirigée par l'historien David Eltis de l'Université Emory, nous savons maintenant à partir de quels ports plus de 450 000 de nos ancêtres africains ont été embarqués pour ce qui est aujourd'hui les USA (la base de données a enregistré 12,5 millions de gens envoyés dans toutes les parties du Nouveau Monde de 1514 à 1866). Environ 16 % des esclaves aux USA venaient de l'est du Nigeria alors que 24 % venaient du Congo et de l'Angola.
A travers les travaux des professeurs Thornton et Heywood, nous savons également que les victimes de la traite d'esclaves étaient essentiellement des membres d'une cinquantaine de groupes ethniques. Cette donnée ainsi que le traçage des ancêtres noirs grâce aux tests ADN, nous donnent une compréhension plus complète des identités des victimes comme de celles de ceux qui ont facilité le trafic d'esclaves africains.
Pour de nombreux Afro-Américains, ces faits peuvent être difficiles à accepter. Toutes les excuses y sont passées, de « les Africains n'étaient pas au courant de la dureté de l'esclavage en Amérique » et « L'esclavage en Afrique était, en comparaison, bien plus humain » ou, dans une version étrange du « Le diable me l'a fait faire » : « Les Africains ne furent embarqués là-dedans que par les profits sans précédent offerts par les avides pays européens. »
Mais la triste vérité est que la conquête et la capture des Africains ainsi que leur vente aux Européens ont été une des ressources principales de devises étrangères pour de nombreux royaumes africains pendant très longtemps. Les esclaves étaient l'exportation principale du royaume de Kongo ; l'empire Ashanti au Ghana exportait des esclaves et utilisait les bénéfices pour importer de l'or. La reine Njinga, la fascinante souveraine du royaume angolais de Matamba au 17ème siècle, mena des guerres de résistance contre les Portugais mais conquit aussi presque 800 km à l'intérieur des terres et vendit ses prisonniers aux Portugais. Quand Njinga se convertit au christianisme, elle vendit des dirigeants religieux traditionnels africains comme esclaves, prétendant qu'ils avaient violé ses nouveaux préceptes chrétiens.
Est-ce que ces Africains connaissaient la dureté de l'esclavage dans le Nouveau Monde ? En fait, beaucoup d'Africains de l'élite ont visité l'Europe à cette époque et ils l'ont fait sur des navires d'esclaves, en suivant les vents dominants et en passant par le Nouveau Monde. Par exemple, quand Antonio Manuel, l'ambassadeur du Kongo au Vatican, s'est rendu en Europe en 1604, il s'est d'abord arrêté à Bahia au Brésil où il s'est arrangé pour faire libérer un compatriote qui avait été asservi à tort.
Les souverains africains envoyaient également leurs enfants à travers ces mêmes routes de l'esclavage pour qu'ils reçoivent une éducation en Europe. Et il y a eu des milliers d'anciens esclaves qui sont revenus pour s'installer au Liberia et en Sierra Leone. En d'autres mots, le Passage du Milieu (traversée de l'Atlantique par les esclaves) était parfois une voie à double sens. Dans ces circonstances, il paraît difficile d'affirmer que les Africains étaient ignorants ou innocents.
Étant donné cette histoire remarquablement compliquée, le problème avec les réparations n'est pas tant de savoir si c'est une bonne idée ou de décider qui en bénéficiera mais peut-être plutôt de savoir de qui vont venir ces réparations.
Alors comment le Président Obama peut-il démêler le nœud ? Dans le nouveau livre de David Remnick « The Bridge : The Life and Rise of Barack Obama » (La passerelle : la vie et l'ascension de Barack Obama), un des anciens étudiants du président à l'Université de Chicago explique les sentiments mitigés de M. Obama concernant le mouvement des réparations : « Il nous a dit ce qu'il pensait des réparations. Il était entièrement d'accord avec la théorie des réparations mais en pratique, il ne pensait pas que ce soit vraiment réalisable. »
Au sujet de l'aspect pratique, le professeur Obama a peut-être plus raison qu'il ne le croit. Heureusement, avec le Président Obama, enfant d'un Africain et d'une Américaine, nous avons enfin un dirigeant qui se trouve dans la position unique de réconcilier le grand clivage des réparations. Il se trouve à la meilleure place pour pouvoir attribuer publiquement les responsabilités et culpabilités aux bonnes personnes, aux blancs et aux noirs, des deux côtés de l'Atlantique, tous les deux complices d'un des plus grands maux de l'histoire de la civilisation. Et parvenir à cette compréhension est une condition préalable vitale à un accord juste et durable sur la question controversée des réparations de l'esclavage.
Article paru dans The New-York Times du 22 avril 2010
Source : Ending the Slavery Blame-Game
Traduit de l’anglo-américain par Isabelle Rousselot – Edité pour Tlaxcala par Fausto Giudice
Source de la version française : http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=10506&lg=fr
De nombreux problèmes épineux sont à résoudre avant que nous parvenions à un geste judicieux (même symbolique) qui soit à la hauteur d’un crime aussi soutenu et ignoble. Le plus fastidieux est peut-être de trouver comment déterminer la responsabilité de ceux qui étaient directement impliqués dans la capture et la vente d'êtres humains pour d'énormes profits économiques.
Alors que nous connaissons le rôle joué par les USA et les puissances coloniales européennes comme la Grande-Bretagne, la France, les Pays-Bas, le Portugal et l'Espagne, il y a eu peu de discussion sur le rôle joué par les Africains eux-mêmes. Et ce rôle s'est avéré être considérable, particulièrement pour les royaumes pratiquant la traite d'esclaves en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale. Parmi eux les Akans du royaume Ashanti dans l’actuel Ghana, les Fons d'Abomey (l'actuel Bénin), les Mambatas du Ndongo dans l'Angola d’aujourd’hui et l'empire Kongo de l'actuel Congo, parmi beaucoup d’ autres.
Pendant des siècles, les Européens en Afrique restèrent proches de leurs postes militaires et commerciaux, sur la côte. L'exploration de l'intérieur, foyer de la majeure partie des Africains vendus en esclavage au plus fort de la traite négrière, n'a commencé que lors des conquêtes coloniales. Ce qui explique pourquoi la recherche du Dr David Livingstone par Henry Morton Stanley en 1871 connut un si grand succès : il allait là où aucun homme (blanc) ne s'était jamais rendu.
Comment les esclaves se sont-ils retrouvés dans les forts côtiers ? Les historiens John Thornton et Linda Heywood de l'Université de Boston estiment que 90 % de ceux qui ont été envoyés dans le Nouveau Monde étaient esclaves des Africains puis vendus aux marchands européens. La triste vérité est que sans un partenariat commercial complexe entre les élites africaines, les marchands européens et les agents commerciaux, la traite des esclaves vers le Nouveau Monde n'aurait pas été possible, du moins à l'échelle où elle s'est produite.
Les partisans des réparations pour les descendants de ces esclaves ignorent ce problème souvent négligé, du rôle significatif joué par les Africains, préférant croire à la version idéalisée qui dit que nos ancêtres ont tous été kidnappés inconscients par les hommes blancs diaboliques, comme l'a été Kunta Kinte dans « Racines ». La vérité cependant est bien plus complexe : l'esclavage était une entreprise commerciale, extrêmement organisée et lucrative autant pour les acheteurs européens que pour les vendeurs africains.
Le rôle africain dans le trafic d'esclaves était très bien compris et ouvertement connu de nombreux Afro-Américains même avant la guerre civile. Pour Frederick Douglass, c'était un argument contre les projets de rapatriement des esclaves affranchis. « Les chefs sauvages des côtes ouest de l'Afrique, qui pendant des siècles ont eu l'habitude de vendre leurs prisonniers comme esclaves et d'empocher l'argent pour eux, ne vont plus aussi facilement accepter nos idées morales et économiques comme ils le faisaient avec les trafiquants d'esclaves du Maryland et de Virginie», avait-il prévenu. « C'est pourquoi nous sommes moins portés à partir en Afrique pour agir contre la traite d'esclaves que de rester pour agir depuis ici. »
Il est certain que le rôle des Africains dans le trafic d'esclaves a été fortement réduit après 1807 quand les abolitionnistes, d'abord en Grande-Bretagne puis, un an plus tard, aux USA réussirent à interdire l'importation d'esclaves. Cependant, les esclaves ont continué à être achetés et vendus à l'intérieur des USA et l'esclavage en tant qu'institution n'a pas été aboli avant 1865. Mais la culpabilité des propriétaires de plantations usaméricains n'a jamais ni effacé ni supplanté celle des esclavagistes africains. Ces dernières années, certains dirigeants africains sont devenus plus à l'aise pour discuter de ce passé compliqué que n'ont tendance à l'être les Afro-Américains.
En 1999 par exemple, le Président Mathieu Kerekou du Bénin surprit une assemblée entièrement noire à Baltimore en tombant à genoux et en implorant le pardon des Afro-Américains pour le rôle « honteux » et « abominable » que les Africains ont joué dans la traite. D'autres dirigeants africains, comme Jerry Rawlings du Ghana, ont suivi l'exemple audacieux de M. Kerekou.
Notre récente compréhension de l'envergure de l'implication africaine dans le trafic d'esclaves n'est pas une hypothèse historique. Grâce à la base de données de la traite transatlantique d'esclaves, dirigée par l'historien David Eltis de l'Université Emory, nous savons maintenant à partir de quels ports plus de 450 000 de nos ancêtres africains ont été embarqués pour ce qui est aujourd'hui les USA (la base de données a enregistré 12,5 millions de gens envoyés dans toutes les parties du Nouveau Monde de 1514 à 1866). Environ 16 % des esclaves aux USA venaient de l'est du Nigeria alors que 24 % venaient du Congo et de l'Angola.
A travers les travaux des professeurs Thornton et Heywood, nous savons également que les victimes de la traite d'esclaves étaient essentiellement des membres d'une cinquantaine de groupes ethniques. Cette donnée ainsi que le traçage des ancêtres noirs grâce aux tests ADN, nous donnent une compréhension plus complète des identités des victimes comme de celles de ceux qui ont facilité le trafic d'esclaves africains.
Pour de nombreux Afro-Américains, ces faits peuvent être difficiles à accepter. Toutes les excuses y sont passées, de « les Africains n'étaient pas au courant de la dureté de l'esclavage en Amérique » et « L'esclavage en Afrique était, en comparaison, bien plus humain » ou, dans une version étrange du « Le diable me l'a fait faire » : « Les Africains ne furent embarqués là-dedans que par les profits sans précédent offerts par les avides pays européens. »
Mais la triste vérité est que la conquête et la capture des Africains ainsi que leur vente aux Européens ont été une des ressources principales de devises étrangères pour de nombreux royaumes africains pendant très longtemps. Les esclaves étaient l'exportation principale du royaume de Kongo ; l'empire Ashanti au Ghana exportait des esclaves et utilisait les bénéfices pour importer de l'or. La reine Njinga, la fascinante souveraine du royaume angolais de Matamba au 17ème siècle, mena des guerres de résistance contre les Portugais mais conquit aussi presque 800 km à l'intérieur des terres et vendit ses prisonniers aux Portugais. Quand Njinga se convertit au christianisme, elle vendit des dirigeants religieux traditionnels africains comme esclaves, prétendant qu'ils avaient violé ses nouveaux préceptes chrétiens.
Est-ce que ces Africains connaissaient la dureté de l'esclavage dans le Nouveau Monde ? En fait, beaucoup d'Africains de l'élite ont visité l'Europe à cette époque et ils l'ont fait sur des navires d'esclaves, en suivant les vents dominants et en passant par le Nouveau Monde. Par exemple, quand Antonio Manuel, l'ambassadeur du Kongo au Vatican, s'est rendu en Europe en 1604, il s'est d'abord arrêté à Bahia au Brésil où il s'est arrangé pour faire libérer un compatriote qui avait été asservi à tort.
Les souverains africains envoyaient également leurs enfants à travers ces mêmes routes de l'esclavage pour qu'ils reçoivent une éducation en Europe. Et il y a eu des milliers d'anciens esclaves qui sont revenus pour s'installer au Liberia et en Sierra Leone. En d'autres mots, le Passage du Milieu (traversée de l'Atlantique par les esclaves) était parfois une voie à double sens. Dans ces circonstances, il paraît difficile d'affirmer que les Africains étaient ignorants ou innocents.
Étant donné cette histoire remarquablement compliquée, le problème avec les réparations n'est pas tant de savoir si c'est une bonne idée ou de décider qui en bénéficiera mais peut-être plutôt de savoir de qui vont venir ces réparations.
Alors comment le Président Obama peut-il démêler le nœud ? Dans le nouveau livre de David Remnick « The Bridge : The Life and Rise of Barack Obama » (La passerelle : la vie et l'ascension de Barack Obama), un des anciens étudiants du président à l'Université de Chicago explique les sentiments mitigés de M. Obama concernant le mouvement des réparations : « Il nous a dit ce qu'il pensait des réparations. Il était entièrement d'accord avec la théorie des réparations mais en pratique, il ne pensait pas que ce soit vraiment réalisable. »
Au sujet de l'aspect pratique, le professeur Obama a peut-être plus raison qu'il ne le croit. Heureusement, avec le Président Obama, enfant d'un Africain et d'une Américaine, nous avons enfin un dirigeant qui se trouve dans la position unique de réconcilier le grand clivage des réparations. Il se trouve à la meilleure place pour pouvoir attribuer publiquement les responsabilités et culpabilités aux bonnes personnes, aux blancs et aux noirs, des deux côtés de l'Atlantique, tous les deux complices d'un des plus grands maux de l'histoire de la civilisation. Et parvenir à cette compréhension est une condition préalable vitale à un accord juste et durable sur la question controversée des réparations de l'esclavage.
Article paru dans The New-York Times du 22 avril 2010
Source : Ending the Slavery Blame-Game
Traduit de l’anglo-américain par Isabelle Rousselot – Edité pour Tlaxcala par Fausto Giudice
Source de la version française : http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=10506&lg=fr
HISTOIRE DU DRAPEAU HAÏTIEN
1697 Le drapeau français flotte sur la colonie française de Saint-Domingue durant plus d’un siècle jusqu’en février 1803. Le leader Noir, précurseur de l’indépendance, Toussaint Louverture, adopte en 1798 le tricolore français. En janvier 1801 il est nommé gouverneur et dirige l’île toute entière, puis par la constitution du 8 juillet 1801, devient Gouverneur à vie. En juin 1802, Toussaint Louverture est fait prisonnier par Napoléon Bonaparte et déporté en France où il meurt.
1803 En février 1803, à Petite Rivière de l’Artibonite, Jean-Jacques Dessalines, le chef des insurgés Noirs et Alexandre Pétion, le leader des Mulâtres, décident de ne plus combattre aux côtés des Français. Lors du Congrès de l’Arcahaie, le 18 mai 1803, Dessalines ôte la bande blanche de l’emblème colonial pour donner naissance au premier étendard haïtien symbolisant l’union des Mulâtres et des Noirs dans la lutte pour leur liberté. Il y fait inscrire la devise « Liberté ou la Mort ». Dessalines est alors nommé Général en chef de l’armée de l’insurrection. Catherine Flon, belle-fille de l’épouse de Dessalines, est chargée de recoudre les deux bandes, bleu et rouge.
1804 Le 18 novembre 1803, la capitulation des troupes françaises à Vertières scelle l’indépendance d’Haïti. Le 1er janvier 1804, les chefs de la Révolution décident de changer le drapeau en disposant horizontalement les couleurs. C’est le premier drapeau officiel de la République libre et indépendante. La Constitution de 1843 confirme ce drapeau bicolore horizontal (article 192).
1805 Le 8 octobre 1804, Dessalines se proclame empereur sous le nom de Jacques 1er. Il adopte alors, le 20 mai 1805, un nouveau drapeau noir et rouge vertical. Ces couleurs symbolisent les mots : la "Liberté" (rouge) ou la "Mort" (noir).
1806 Après les événements du 17 octobre 1806 au Pont Rouge, où est assassiné Jean-Jacques Dessalines, le pays, durant 14 ans, se divise en deux parties, d’une part le Nord et d’autre part, le Sud et l’Ouest, gouvernées respectivement par Alexandre Pétion et Henri Christophe. Alexandre Pétion redessine le drapeau cette même année, reprenant le bleu et le rouge de 1804 en y ajoutant « L’Union fait la force » et un carré d’étoffe blanche au milieu duquel furent placées les armes de la République ornées du bonnet de la liberté (bonnet phrygien). Ce drapeau flotta au-dessus du Palais National durant 158 années jusqu’en 1964.
1811 Le 27 décembre 1806, le Général Henri Christophe, est nommé président et est reconnu par le Nord, le Nord-Ouest et plus tard, en 1807, par l’Arbonite. Le 28 mars 1811, il s’est proclamé roi sous le nom de Henri Ier (1811-1820). L’Empereur conserve les couleurs de l’étendard impérial du Royaume du Nord (1805) mais en glissant la bande rouge du côté du mât avec au milieu, un écusson muni d’un phénix surmonté de cinq étoiles d’or sur fond bleu. Une couronne est disposée au-dessus du phénix et dans le cercle, une inscription latine ’ex cinerebus nascitur’ "des cendres, je renaîtrai". Le royaume d’Henri Ier est supprimé en 1818 suite à la conquête du Nord par Alexandre Pétion, proclamé président le 19 mars 1807, et qui impose le drapeau bleu, rouge, horizontal. Jean-Pierre Boyer lui succède le 8 octobre 1820 mais conserve le même drapeau.
1822 Le 9 février 1822, Jean-Pierre Boyer annexe la partie espagnole de l’île (à présent République Dominicaine) laquelle, quelques mois auparavant, le 30 novembre 1821, proclame son indépendance de l’Espagne sous le nom de "Republica del Haiti espanol" "République d’Haïti Espagnol" et parallèlement, son union avec la Grande Colombie. Le drapeau de la République d’Haïti Espagnol est hissé dès les premières semaines de 1822 mais c’est le drapeau de la Grande Colombie de l’époque. Une République que Boyer ne tarde pas à dissoudre.
1849 Une tentative de réhabilitation du drapeau noir et rouge, entreprise en 1844, est un échec. En 1847, Faustin Soulouque est élu président et en 1849, se proclame empereur sous le nom de Faustin Ier (1849-1859). Dans sa Constitution de 1849, il adopte le drapeau bleu et rouge mais remplace les armoiries par un écusson. L’Empire de Faustin 1er se termine le 15 Janvier 1859 et les armes de la République retrouvent leur place initiale, au centre du drapeau.
1964 François Duvalier, Papa Doc, est élu président en 1957 et en 1960, s’empare de tous les pouvoirs. En 1963 il crée le parti unique. Une nouvelle Constitution est adoptée le 25 mai 1964, laquelle adopte le drapeau noir et rouge. Ce dernier est officiellement confirmé le 21 juin 1964. Cependant, les armoiries de la République sont conservées. Duvalier meurt le 21 avril 1971 et est remplacé par son fils, Jean Claude, proclamé président à vie. A la suite d’une révolte populaire, Jean Claude quitte le pouvoir en février 1986.
1986 Le 17 février 1986, 10 jours après le départ de Jean-Claude Duvalier, la nation adopte de nouveau le bleu et rouge qui est ratifié un an plus tard, le 29 Mars 1987, lors du plébiscite sur la Constitution de 1987.
1803 En février 1803, à Petite Rivière de l’Artibonite, Jean-Jacques Dessalines, le chef des insurgés Noirs et Alexandre Pétion, le leader des Mulâtres, décident de ne plus combattre aux côtés des Français. Lors du Congrès de l’Arcahaie, le 18 mai 1803, Dessalines ôte la bande blanche de l’emblème colonial pour donner naissance au premier étendard haïtien symbolisant l’union des Mulâtres et des Noirs dans la lutte pour leur liberté. Il y fait inscrire la devise « Liberté ou la Mort ». Dessalines est alors nommé Général en chef de l’armée de l’insurrection. Catherine Flon, belle-fille de l’épouse de Dessalines, est chargée de recoudre les deux bandes, bleu et rouge.
1804 Le 18 novembre 1803, la capitulation des troupes françaises à Vertières scelle l’indépendance d’Haïti. Le 1er janvier 1804, les chefs de la Révolution décident de changer le drapeau en disposant horizontalement les couleurs. C’est le premier drapeau officiel de la République libre et indépendante. La Constitution de 1843 confirme ce drapeau bicolore horizontal (article 192).
1805 Le 8 octobre 1804, Dessalines se proclame empereur sous le nom de Jacques 1er. Il adopte alors, le 20 mai 1805, un nouveau drapeau noir et rouge vertical. Ces couleurs symbolisent les mots : la "Liberté" (rouge) ou la "Mort" (noir).
1806 Après les événements du 17 octobre 1806 au Pont Rouge, où est assassiné Jean-Jacques Dessalines, le pays, durant 14 ans, se divise en deux parties, d’une part le Nord et d’autre part, le Sud et l’Ouest, gouvernées respectivement par Alexandre Pétion et Henri Christophe. Alexandre Pétion redessine le drapeau cette même année, reprenant le bleu et le rouge de 1804 en y ajoutant « L’Union fait la force » et un carré d’étoffe blanche au milieu duquel furent placées les armes de la République ornées du bonnet de la liberté (bonnet phrygien). Ce drapeau flotta au-dessus du Palais National durant 158 années jusqu’en 1964.
1811 Le 27 décembre 1806, le Général Henri Christophe, est nommé président et est reconnu par le Nord, le Nord-Ouest et plus tard, en 1807, par l’Arbonite. Le 28 mars 1811, il s’est proclamé roi sous le nom de Henri Ier (1811-1820). L’Empereur conserve les couleurs de l’étendard impérial du Royaume du Nord (1805) mais en glissant la bande rouge du côté du mât avec au milieu, un écusson muni d’un phénix surmonté de cinq étoiles d’or sur fond bleu. Une couronne est disposée au-dessus du phénix et dans le cercle, une inscription latine ’ex cinerebus nascitur’ "des cendres, je renaîtrai". Le royaume d’Henri Ier est supprimé en 1818 suite à la conquête du Nord par Alexandre Pétion, proclamé président le 19 mars 1807, et qui impose le drapeau bleu, rouge, horizontal. Jean-Pierre Boyer lui succède le 8 octobre 1820 mais conserve le même drapeau.
1822 Le 9 février 1822, Jean-Pierre Boyer annexe la partie espagnole de l’île (à présent République Dominicaine) laquelle, quelques mois auparavant, le 30 novembre 1821, proclame son indépendance de l’Espagne sous le nom de "Republica del Haiti espanol" "République d’Haïti Espagnol" et parallèlement, son union avec la Grande Colombie. Le drapeau de la République d’Haïti Espagnol est hissé dès les premières semaines de 1822 mais c’est le drapeau de la Grande Colombie de l’époque. Une République que Boyer ne tarde pas à dissoudre.
1849 Une tentative de réhabilitation du drapeau noir et rouge, entreprise en 1844, est un échec. En 1847, Faustin Soulouque est élu président et en 1849, se proclame empereur sous le nom de Faustin Ier (1849-1859). Dans sa Constitution de 1849, il adopte le drapeau bleu et rouge mais remplace les armoiries par un écusson. L’Empire de Faustin 1er se termine le 15 Janvier 1859 et les armes de la République retrouvent leur place initiale, au centre du drapeau.
1964 François Duvalier, Papa Doc, est élu président en 1957 et en 1960, s’empare de tous les pouvoirs. En 1963 il crée le parti unique. Une nouvelle Constitution est adoptée le 25 mai 1964, laquelle adopte le drapeau noir et rouge. Ce dernier est officiellement confirmé le 21 juin 1964. Cependant, les armoiries de la République sont conservées. Duvalier meurt le 21 avril 1971 et est remplacé par son fils, Jean Claude, proclamé président à vie. A la suite d’une révolte populaire, Jean Claude quitte le pouvoir en février 1986.
1986 Le 17 février 1986, 10 jours après le départ de Jean-Claude Duvalier, la nation adopte de nouveau le bleu et rouge qui est ratifié un an plus tard, le 29 Mars 1987, lors du plébiscite sur la Constitution de 1987.
1 mai 1802, Proclamation de Basse Terre (Guadeloupe)
« A L'UNIVERS ENTIER LE DERNIER CRI DE L'INNOCENCE ET DU DÉSESPOIR »
C'est dans les plus beaux jours d'un siècle à jamais célèbre par le triomphe des lumières et de la philosophie, qu'une classe d'infortunés qu'on veut anéantir se voit obligée d'élever sa voix vers la postérité pour lui faire connaître, lorsqu'elle aura disparu, son innocence et ses malheurs.
Victime de quelques individus altérés de sang, qui ont osé tromper le gouvernement français, une foule de citoyens, toujours fidèles à la patrie, se voit enveloppée dans une proscription méditée par l'auteur de tous ses maux. Le général Richepance, dont nous ne connaissons pas l'étendue des pouvoirs puisqu'il ne s'annonce que comme général d'armée, ne nous a encore fait connaître son arrivée que par une proclamation, dont les expressions sont si bien mesurées que, lors même qu'il promet protection, il pourrait nous donner la mort, sans s'écarter des termes dont il se sert. A ce style, nous avons reconnu l'influence du contre-amiral Lacrosse, qui nous a juré une haine éternelle... Oui, nous aimons à croire que le général Richepance, lui aussi, a été trompé par cet homme perfide, qui sait employer également les poignards et la calomnie.
Quels sont les coups d'autorité dont on nous menace ? Veut-on diriger contre nous les baïonnettes de ces braves militaires, dont nous aimions calculer le moment de l'arrivée et qui naguère ne les dirigeaient que contre les ennemis de la République ? Ah ! Plutôt, si nous en croyons les coups d'autorité déjà frappés au Port-de-la-Liberté, le système d'une mort lente dans les cachots continue à être suivi. Eh bien ! Nous choisissons de mourir plus promptement.
Osons le dire, les maximes de la tyrannie la plus atroce sont surpassées aujourd'hui. Nos anciens tyrans permettaient a un maître d'affranchir son esclave, et tout nous annonce que, dans le siècle de la philosophie, il existe des hommes, malheureusement trop puissants par leur éloignement de l'autorité dont ils émanent, qui ne veulent voir d'hommes noirs ou tirant leur origine de cette couleur, que dans les fers de l'esclavage.
Et vous, Premier Consul de la République, vous guerrier philosophe de qui nous attendions la justice qui nous était due, pourquoi faut-il que nous ayons à déplorer notre éloignement du foyer d'où partent les conceptions sublimes que vous nous avez si souvent fait admirer ! Ah ! sans doute un jour vous connaîtrez notre innocence ; mais il ne sera plus temps et des pervers auront déjà profité des calomnies qu'ils ont prodiguées contre nous pour consommer notre ruine.
Citoyens de la Guadeloupe, vous dont la différence de l'épiderme est un titre suffisant pour ne point craindre les vengeances dont on nous menace - â moins qu'on ne veuille vous faire un crime de n'avoir pas dirigé vos armes contre nous -, vous avez entendu les motifs qui ont excité notre indignation.
La résistance à l'oppression est un droit naturel.
La divinité même ne peut être offensée que nous défendions notre cause ; elle est celle de la justice et de l'humanité : nous ne la souillerons pas par l'ombre même du crime. Oui, nous sommes résolus à nous tenir sur une juste défensive ; mais nous ne deviendrons jamais les agresseurs. Pour vous, restez dans vos foyers ; ne craignez rien de notre part. Nous vous jurons solennellement de respecter vos femmes, vos enfants, vos propriétés, et d'employer tous nos moyens à les faire respecter par tous.
Et toi, postérité ! accorde une larme à nos malheurs et nous mourrons satisfaits."
Le commandant de la Basse-Terre,
Louis DELGRES
Ségolène Royal : L'esclavage et son abolition : une histoire partagée, des valeurs universelles
Rébellion d'un esclave sur un bateau négrier. Peinture réalisée par Edouard Antoine Renard en 1833 - Musée du Nouveau Monde à La Rochelle
Chères amies, chers amis,
La lourdeur de l'actualité, la crise financière européenne, la marée noire sur les côtes américaines, la politique de rigueur annoncée par le gouvernement, le grave recul du Grenelle de l'environnement, les menaces sur les retraites et bien d'autres sujets graves d'inquiétudes et de colère vont sans doute rejeter au second plan ce qu'il faudrait activement commémorer en ce 10 mai 2010 : non pas seulement l'élection de François Mitterrand en 1981, ce jour d'espoir si cher à notre coeur, mais la « journée nationale des mémoires de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions ». Je voudrais toutefois vous en parler un peu car c'est un jour important et une page de notre histoire.
Cette date a été choisie car c'est le 10 mai 2001 que fut définitivement adoptée par le Parlement la loi proposée par Christiane Taubira, députée de la Guyane, et soutenue par la gauche, reconnaissant la traite et l'esclavage pour ce qu'ils furent : un crime contre l'humanité.
La République, ce jour-là, assuma avec lucidité un passé constitutif de notre histoire commune et décida de rendre hommage à ceux, noirs et blancs, esclaves et abolitionnistes, qui se dressèrent contre « l'infâme commerce ».
La France, ce jour-là, fut digne de ses valeurs.
Loin, très loin de ceux qui, sous prétexte de pourfendre je ne sais quelle repentance imaginaire, la voudrait amnésique, oublieuse de ses combats fondateurs, frileusement crispée sur une identité au rabais.
A l'opposé de ceux qui tentèrent, en 2005, de donner force de loi aux « bienfaits de la colonisation » et de ces 40 députés UMP qui, à la veille du 10 mai 2006, voulaient empêcher que, conformément à l'article 2 de la loi de 2001, les programmes scolaires et de recherche accordent à la traite et à l'esclavage la place qu'ils méritent.
Je l'ai dit souvent car je le crois profondément : notre pays s'honore d'avoir été le premier à caractériser clairement l'esclavage non pas comme un crime inhumain mais comme crime contre l'humanité. La France a tout à perdre d'une lecture révisionniste de son passé et tout à gagner d'une histoire partagée qui l'arme pour les combats d'aujourd'hui et de demain.
Je me souviens d'en avoir parlé avec Aimé Césaire, à Fort de France, lui qui affirmait en 1982 à la tribune de l'Assemblée nationale, combien il est important pour tous les Français « de se rappeler que le combat, le séculaire combat pour la liberté, l'égalité et la fraternité, n'est jamais entièrement gagné et que c'est tous les jours qu'il vaut la peine d'être livré ».
Il rendit à cette occasion un bel hommage à Victor Schoelcher, artisan majeur de l'abolition définitive de l'esclavage en 1848, soulignant que le même mouvement l'avait porté, sa vie durant, à vouloir l'émancipation des esclaves et celle des ouvriers « victimes désignées d'un capitalisme sauvage ».
Mais nous voulons aussi, ajoutait Césaire, que soit célébré le souvenir de ceux qui ne se résignèrent jamais et se levèrent périodiquement contre l'asservissement esclavagiste.
En ce 10 mai 2010, souvenons-nous qu'ils étaient nos frères et nos soeurs ces esclaves déportés d'Afrique qui, par tous les moyens, résistèrent à leur déshumanisation et à leur marchandisation. Ces hommes et ces femmes qui se jetèrent à la mer durant la traversée des bateaux négriers, Ces « marrons » qui s'évadèrent des plantations pour vivre libres. Ces esclaves révoltés qui s'emparèrent des idéaux de 1789 et anticipèrent la première abolition de 1794.
Et aussi Louis Delgrès et les siens, dressés en 1802 contre le rétablissement par Bonaparte de l'esclavage en Guadeloupe. Dans la belle Proclamation de Basse Terre publiée le 10 mai 1802, Delgrès en appelle « à l'univers entier » et rappelle à ceux qui trahissent la République que « la résistance à l'oppression est un droit naturel ». Encerclés par les troupes venues les remettre dans les fers, ils choisirent la mort plutôt que la servitude.
A leurs côtés, des femmes. Parmi elles, la Mûlatresse Solitude, exécutée après la naissance de son enfant, et Marthe-Rose, blessée au combat, qu'on conduisit à la mort sur un brancard.
La répression de cette insurrection républicaine fut sanglante.
Il fallut bien des luttes encore et le développement du mouvement abolitionniste pour que la République issue de la Révolution de 1848 abolisse définitivement l'esclavage.
Si j'évoque la mémoire des résistants d'alors, c'est pour rappeler que l'abolition ne fut pas un cadeau octroyé mais une conquête, fruit d'une double lutte menée, dans les outre-mers et dans l'Hexagone, par les esclaves eux-mêmes et par les ennemis de l'esclavage.
Nous savons qu'après la fin de l'esclavage vinrent d'autres formes de domination : le travail forcé, la citoyenneté inachevée car prise dans le carcan colonial, les espoirs déçus de la départementalisation outre-mer et, de nos jours encore, ces discriminations qui défigurent la République.
Mais il ne faut pas, comme le disait sagement Césaire, demander « aux hommes du siècle dernier de résoudre des problèmes qui ne se posaient pas encore à eux ». Ils firent, en leur temps, les choix courageux qui permirent à l'émancipation d'aller de l'avant. D'autres, ensuite, prirent le relais. A nous, aujourd'hui, d'approfondir le chemin qu'ils ont ouvert.
Voilà pourquoi il est important de garder vive la mémoire d'un crime dont Frantz Fanon, dans « Peau noire, masques blancs » a admirablement décrit les ravages sur ses victimes et sur ses auteurs : « Le malheur de l'homme de couleur est d'avoir été esclavagisé. Le malheur et l'inhumanité du Blanc sont d'avoir tué l'homme quelque part ». Il disait aussi : « je ne suis pas esclave de l'esclavage qui déshumanisa mes pères » car « moi, l'homme de couleur, je ne veux qu'une chose : que jamais l'instrument ne domine l'homme. Que cesse à jamais l'asservissement de l'homme par l'homme ».
Voilà pourquoi il est important de transmettre aux jeunes générations les repères solides d'un récit partagé et citoyen qui ne gomme pas les blessures profondes laissées par quatre siècles de traite et d'esclavage mais rende, dans le même temps, pleinement justice aux combattants et combattantes passés des droits humains et à la richesse actuelle d'une culture française forte de tous ses métissages. L'école et les programmes scolaires ont, ici, le premier rôle. Car il ne s'agit pas de concurrence des mémoires mais de valeurs universelles.
Voilà pourquoi, aussi, nous avons quelques raisons supplémentaires d'assumer à l'égard du peuple haïtien, si durement frappé par le terrible séisme de janvier dernier, un devoir de solidarité qui n'oublie pas la contribution apportée à l'histoire de l'humanité par ce pays qui se dressa, à l'appel de Toussaint Louverture, pour « déraciner l'arbre de l'esclavage » et où, comme l'écrit Césaire dans le Cahier d'un retour au pays natal, « la négritude se mit debout pour la première fois et dit qu'elle croyait à son humanité ».
En Poitou-Charentes et tout particulièrement à La Rochelle qui fut un grand port négrier, le 10 mai est un moment fort où l'on peut prendre la mesure du rôle que joua le système esclavagiste dans l'économie du territoire et l'édification des fortunes locales des armateurs et des industriel du sucre. Durant sept mois, de mars à septembre 2010, des débats, des conférences, des expositions, des publications permettent aux habitants de la région de s'approprier cette histoire et aux scientifiques de faire un bilan des connaissances disponibles tout en promouvant de nouvelles recherches.
Ce capitalisme négrier dont la région porte l'empreinte eut ses dissidents : au 18ème siècle, Léon-Robert de l'Astran, humaniste et savant naturaliste mais également fils d'un armateur rochellais qui s'adonnait à la traité, refusa que les bateaux qu'il héritait de son père continuent de servir un trafic qu'il réprouvait.
En ce 10 mai 2010, je tiens à faire le lien entre ces deux émancipations que furent, à plus d'un siècle de distance, l'abolition définitive de l'esclavage et les indépendances africaines dont on célèbre cette année le cinquantenaire.
Nous savons bien, et les Africains mieux que nous, que ces affranchissements de la tutelle coloniale française n'ont, comme le pressentait lucidement Frantz Fanon, pas exaucé toutes les espérances de ceux qui combattirent pour la libération de leur pays. D'autres sujétions prirent le relais. Economiques, politiques et sociales. Le Nord, en général, et la France, en particulier, en portent une part de responsabilité. Ce ne fut pas la fin de l'histoire mais le commencement d'une autre et, avec elle, d'autres combats.
Mais je n'ai pas, vous le savez, de l'Afrique une vision misérabiliste car je sais combien elle recèle de talents, d'énergies, d'intelligences, de solidarités pour tracer son propre chemin et construire, à égalité, ce monde nouveau dont nous ressentons l'urgence.
J'ai dit à Dakar, le 7 avril 2009, combien nos destins étaient liés, pour le pire, parfois, dont témoigne notre passé mais surtout pour le meilleur, à bâtir ensemble.
J'ai dit, à Dakar, que nous avions le devoir de poser des mots justes sur ce qui fut, un devoir de vérité. C'est pourquoi elles n'auraient jamais dû être prononcées au nom de la France, ces paroles humiliantes d'un Président aveugle à l'histoire de l'Afrique et à sa contribution de longue date à l'histoire du monde.
J'ai dit, à Dakar, ma conviction que ce siècle serait celui du continent africain.
La mondialisation esclavagiste a été défaite.
La mondialisation colonialiste a été défaite.
La mondialisation de la finance prédatrice le sera à son tour si nous en avons le courage, à commencer par celui d'aller contre les idées reçues, les modèles éculés et les égoïsmes dépassés.
Ségolène Royal
jeudi, mai 13, 2010
Pourquoi les noirs américains n’obtiendront pas réparation
Chacun reconnaît sa responsabilité dans la traite négrière, mais aucune réparation ne sera faite
Henry Louis Gates Jr., que j'ai dans un élan d'admiration élevé au rang d'héritier direct de W.E.B Du Bois et P.T. Barnum, a le génie de la polémique, même involontaire. J'en veux pour preuve sa mésaventure de l'an dernier: en se faisant arrêter pour tentative d'effraction dans sa propre maison, le rédacteur en chef du journal en ligne The Root nous a offert la première vraie controverse raciale du mandat tout neuf de Barack Obama. Il n'y a donc rien de surprenant à ce que sa dernière contribution au New York Times ait mis les bloggeurs afro-américains en émoi.
Ce déchaînement de passions était prévisible au vu de la thèse avancée par Monsieur Gates qui, rappelons-le, compte parmi les intellectuels les plus brillants de la communauté noire. D'après lui, pour obtenir du gouvernement américain une quelconque réparation de l'esclavage, il faut commencer par convaincre les descendants des tribus africaines qui ont vendu nos ancêtres de faire également amende honorable. En effet, en reconnaissant la culpabilité de leurs aïeux (à l'instar des dirigeants politiques du Bénin et du Ghana), les Africains créeraient un exemple moral que l'homme blanc ne pourrait ignorer.
Comme il me l'a expliqué lors de nos échanges électroniques, Monsieur Gates cherchait à faire passer l'idée selon laquelle «une reconnaissance de cette culpabilité historique par les gouvernements africains constituerait un argument massue pour pousser les autorités américaines à faire des concessions (discrimination positive, par exemple). Si les gouvernements africains sont capables de faire leur mea culpa, l'Amérique n'aura plus d'excuse pour ne pas faire de même. Je ne parle pas forcément d'espèces sonnantes et trébuchantes, on pourrait très bien imaginer une citoyenneté symbolique, des aides à l'acquisition foncière, des visas de tourisme à long terme ou que sais-je encore!»
Des questions qui n'ont pas de sens
Mon grand regret est qu'il ne se soit pas montré aussi explicite dans son article. Car, même si cette thèse relève de la pure utopie, la formuler clairement lui aurait évité de voir ses détracteurs partir dans un grossier contresens et y lire une tentative de dédouaner l'Etat américain vis-à-vis des descendants des esclaves. Je déplore également l'incroyable maladresse dans le choix du titre «Ending the Slavery Blame-Game» [Esclavage: arrêtons de nous renvoyer la balle], qui peut laisser penser qu'il existe un débat légitime quant aux responsables de l'esclavage.
Cette question ne se pose pas, pas plus que celle de savoir qui doit payer les pots cassés. En effet, quiconque s'est intéressé de près ou de loin aux origines de ce crime historique sait que différentes tribus africaines ont délibérément vendu des millions de nos ancêtres aux négriers venus d'Europe et d'Amérique. Pour autant, s'agissant de la dimension morale du problème, il va de soi pour n'importe qui, et a fortiori pour un chercheur aussi éminent que Monsieur Gates, que cette complicité des Africains ne saurait absoudre les Européens et les Américains de leurs responsabilités dans ce crime contre l'humanité perpétré sur plusieurs siècles, ou vice-versa. Pensons, par exemple, au droit pénal qui prévoit la même peine pour celui qui vend le produit d'un vol que pour celui qui l'achète. La question de savoir qui est le plus coupable des deux n'a pas de sens.
Pour nous autres Afro-américains, le seul débat digne d'intérêt concernant les réparations est de savoir s'il est possible de contraindre les Etats-Unis, coupables d'avoir réduit nos ancêtres en esclavage pendant des siècles avant de nous faire l'aumône d'une citoyenneté de seconde zone, à payer et, dans l'affirmative, combien. Le montant dépasserait l'imagination; j'avais avancé il y a des années le chiffre faramineux de 24.000 milliards de dollars dans un article pour le magazine Time. Il est donc bien évident que, pour recevables que soient nos arguments, les Etats-Unis ne paieront jamais. Ne nous berçons pas d'illusions, nous ne toucherons pas un sou. Tout au plus pouvons-nous espérer des excuses bien tardives dans la lignée de la résolution adoptée par le congrès en 2008 pour exprimer les regrets de l'Amérique concernant «l'injustice, la cruauté, la brutalité et l'inhumanité profondes de l'esclavage et de la législation Jim Crow».
Suicide politique pour Obama
Ce qui m'amène à ma principale interrogation concernant l'article de Monsieur Gates: pourquoi lancer cette peau de banane au pauvre Barack Obama? Aux yeux de notre polémiste, Barack Obama, en sa qualité de premier président afro-américain de l'histoire, jouit d'une légitimité incontestable pour designer publiquement les vrais responsables de cette tragédie, à savoir les Blancs et les Noirs, des deux côtés de l'Atlantique. Belle idée, mais c'est un vœu pieux. On imagine mal Obama sermonnant les Africains sur leur responsabilité collective dans la traite des noirs. Même aux Etats-Unis, le président se fait très discret sur les questions raciales, une attitude d'ailleurs encore plus marquée depuis le tollé qu'il a provoqué en employant le mot «stupide» pour qualifier l'arrestation de Monsieur Gates dans sa propre maison.
Voyons les choses en face: une prise de position sur cette question serait un véritable suicide politique pour un président libéral, quelle que soit son origine ethnique, et Gates et Obama le savent bien. Il est d'ailleurs de notoriété publique que Barack Obama, bien que favorable sur le fond au principe d'une réparation, est suffisamment lucide pour savoir qu'elle est irréalisable dans les faits. Et ce n'est certainement pas en arrachant une contrition aux Africains pour les péchés de leurs ancêtres qu'on y changera quoi que ce soit. Monsieur Gates a indéniablement le génie de la polémique, mais c'est un piètre stratège.
Jack White
Traduit par Micha Cziffra
mercredi, mai 12, 2010
James Ramsay - 1733-1789 (Etats-Unis)
Prêtre de l’église anglicane et médecin de marine, James Ramsay découvre en 1759, suite à l’interception d’un navire négrier, les traitements inhumains que subissent les esclaves. Prenant conscience de l’immoralité de ce commerce humain, il s’engage alors dans la lutte pour l’abolition de l’esclavage.
En 1784, il publie son ouvrage le plus connu, “Essay on the Treatment and Conversion of African Slaves in the British Sugar Colonies” (Essai sur le traitement et la conversion des esclaves africains dans les colonies sucrières britanniques), ouvrage qui questionne pour la première fois l’opinion anglaise sur la question de la traite négrière.
Ramsay devient l’une des personnalités les plus influentes parmi les hommes politiques, philanthropes et hommes d’église de Teston.
En 1783, avec William Wilberforce, il rencontre à plusieurs reprises William Pitt the Younger, le Premier ministre, et joue un rôle significatif dans la campagne contre la traite négrière.
L’action de Ramsay aura une grande influence sur la création du comité pour l’abolition de la traite négrière les années suivantes.
Ratsitatane - ?-1822 (Maurice)
Prince malgache, Ratsitatane est capturé et déporté à l’île Maurice. Il s’évade de prison, prend la tête d’une révolte d’esclaves en 1822, et menace de mettre le feu à Port-Louis.
Il est condamné à mort et exécuté.
L’écrivain mauricien Issa Agarally a célébré sa mémoire et son action dans un ouvrage publié au début des années 1980.
Sancousy -18ème siècle (Etats-Unis)
Sancousy est un esclave originaire du peuple des Natchez de Louisiane. En 1727, il décide de fuir l’asservissement et rejoint une communauté d’une dizaine de marrons d’origine africaine. Ensemble, ils décident de constituer une communauté libre et de mener une lutte armée.
Pour se nourrir et survivre, le groupe de marrons multiplie les attaques contre les plantations esclavagistes dans les colonies françaises de la Louisiane, pour ramener armes, munitions et nourriture.
Sancousy est aujourd’hui considéré comme un héros de la révolte afro-indienne dans toute l’Amérique.
Victor Schœlcher – 1804-1893 (France)
Victor Schoelcher est né à Paris le 22 juillet 1804, dans une famille bourgeoise. En 1830, son père l’envoie en Amérique pour trouver de nouveaux clients pour son commerce de céramique. Schoelcher y découvre l’esclavage et cette situation le révolte.
Dès son retour en France, il adhère à la Société pour l’Abolition de l’Esclavage. Il rédige plusieurs ouvrages, dont “Abolition de l’esclavage. Examen critique du préjugé contre la couleur des Africains et des sang-mêlés” en 1840, ou encore “Des colonies françaises. Abolition immédiate de l’esclavage”, en 1842. II déclare dans ce dernier livre : « L’esclavage ne peut plus, ne doit plus subsister, son abolition absorbe toute la question coloniale ; là est le présent plein de trouble, là est le difficile avenir qui agitent si profondément les colonies. L’émancipation est pour les propriétaires d’esclaves une épée de Damoclès qu’ils voient toujours suspendue sur leur tête ».
Il est nommé Sous-secrétaire d’Etat à la Marine et aux Colonies dans le gouvernement provisoire de 1848 par le ministre François Arago. Il préside la “Commission d’application du décret d’abolition de l’esclavage dans les colonies” et défend, en vain, le droit des esclaves à être indemnisés et à obtenir une terre. Le décret, adopté le 27 avril 1848, abolit l’esclavage et ordonne la libération immédiate de tous les esclaves dans les colonies françaises. Schoelcher est élu député de la Martinique en 1848, puis de la Guadeloupe de 1849 à 1850.
De 1875 à sa mort, il est sénateur. Il mène alors un combat contre la peine de mort, pour l’enseignement primaire obligatoire et pour les droits politiques des femmes. Depuis 1949, son corps repose au Panthéon.
mardi, mai 11, 2010
En 1815, La Bonne Mère troque 355 esclaves
Repères
« Cinq nègres et deux négresses »
C'est un journal de traite, un document privé, on pourrait dire secret, propriété du seul armateur. Ce journal raconte dans le moindre détail la partie commerciale d'une expédition de 1815. Au fil de 27 pages de ce grand cahier parcheminé sont consignés, jour après jour, et avec une grande minutie, les trocs réalisés par le navire La Bonne Mère sur la côte de l'actuelle Guinée. Et la vente des esclaves aux Antilles.
Le 5 mai, le chef africain Besse Pepel remet ainsi « cinq nègres et deux négresses » contre quatre barils de poudre, dix barres de fer, trois parasols, des toiles indiennes, trois ancres, des chapeaux, des mouchoirs de Cholet, du plomb... Parti de Nantes en février, le bateau passe deux mois sur la côte africaine, achetant les esclaves par petits lots. Le capitaine va embarquer au total 355 esclaves. Il en vendra 340 car 15 d'entre eux meurent « de fièvre ataxique et de dysenterie », précise le chirurgien-major du bord.
Un capitaine de Paimboeuf
La Bonne Mère est construit à Nantes en 1802 pour l'armateur nantais Trottier, qui demeure dans l'Île Feydeau. Désarmé sous l'Empire, ce bateau de 350 tonneaux, mené par 35 hommes d'équipage, reprend du service en 1815 pour les armateurs nantais Salentin et Van Neunen. Le capitaine Leglé est originaire de Paimboeuf, l'avant-port de Nantes dans l'estuaire de la Loire. En septembre, le navire est saisi par les Anglais à Pointe-à-Pitre, précise l'universitaire Serge Daget dans son répertoire des expéditions négrières françaises entre 1814 et 1850. On ignore comment le journal de traite est arrivé jusqu'à nous. L'actuel propriétaire, qui vient de le confier à l'association nantaise Les Anneaux de la Mémoire, veut préserver son anonymat.
À propos de ce navire, Serge Daget écrivait : « On ne sait rien sur la traite. » Ce n'est plus le cas. L'historien Jean Breteau parle d'un document choc. « L'accumulation de détails révèle la totale maîtrise d'un commerce qui va encore prospérer, et même prendre de grandes proportions jusqu'en 1830, pendant ces années où la traite est illégale. L'extrême précision des comptes fait ressortir l'inhumanité et le crime de ce commerce. »
Une exposition à Paimboeuf
Le journal va être étudié par Eric Saugera, spécialiste de la traite nantaise et bordelaise. Puis son contenu sera présenté et mis en perspective, cet été, à Paimboeuf (à partir du 18 juin sur le port). Il se trouve que l'association Les Anneaux de la Mémoire préparait une exposition consacrée au passé négrier de l'ancien avant-port nantais. « Ce journal, en lien avec Nantes et Paimboeuf, est un formidable cadeau », note Jean Breteau.
L'association a joué un rôle pionnier dans la connaissance, par le grand public, du passé négrier de Nantes. Depuis elle continue son travail de recherche et de vulgarisation. Et développe des liens avec les pays concernés en Afrique et aux Amériques. Ce travail, depuis vingt ans, explique sans doute que ce soit aux Anneaux de la Mémoire que le propriétaire a confié le précieux journal.
Marc LE DUC.
« Cinq nègres et deux négresses »
C'est un journal de traite, un document privé, on pourrait dire secret, propriété du seul armateur. Ce journal raconte dans le moindre détail la partie commerciale d'une expédition de 1815. Au fil de 27 pages de ce grand cahier parcheminé sont consignés, jour après jour, et avec une grande minutie, les trocs réalisés par le navire La Bonne Mère sur la côte de l'actuelle Guinée. Et la vente des esclaves aux Antilles.
Le 5 mai, le chef africain Besse Pepel remet ainsi « cinq nègres et deux négresses » contre quatre barils de poudre, dix barres de fer, trois parasols, des toiles indiennes, trois ancres, des chapeaux, des mouchoirs de Cholet, du plomb... Parti de Nantes en février, le bateau passe deux mois sur la côte africaine, achetant les esclaves par petits lots. Le capitaine va embarquer au total 355 esclaves. Il en vendra 340 car 15 d'entre eux meurent « de fièvre ataxique et de dysenterie », précise le chirurgien-major du bord.
Un capitaine de Paimboeuf
La Bonne Mère est construit à Nantes en 1802 pour l'armateur nantais Trottier, qui demeure dans l'Île Feydeau. Désarmé sous l'Empire, ce bateau de 350 tonneaux, mené par 35 hommes d'équipage, reprend du service en 1815 pour les armateurs nantais Salentin et Van Neunen. Le capitaine Leglé est originaire de Paimboeuf, l'avant-port de Nantes dans l'estuaire de la Loire. En septembre, le navire est saisi par les Anglais à Pointe-à-Pitre, précise l'universitaire Serge Daget dans son répertoire des expéditions négrières françaises entre 1814 et 1850. On ignore comment le journal de traite est arrivé jusqu'à nous. L'actuel propriétaire, qui vient de le confier à l'association nantaise Les Anneaux de la Mémoire, veut préserver son anonymat.
À propos de ce navire, Serge Daget écrivait : « On ne sait rien sur la traite. » Ce n'est plus le cas. L'historien Jean Breteau parle d'un document choc. « L'accumulation de détails révèle la totale maîtrise d'un commerce qui va encore prospérer, et même prendre de grandes proportions jusqu'en 1830, pendant ces années où la traite est illégale. L'extrême précision des comptes fait ressortir l'inhumanité et le crime de ce commerce. »
Une exposition à Paimboeuf
Le journal va être étudié par Eric Saugera, spécialiste de la traite nantaise et bordelaise. Puis son contenu sera présenté et mis en perspective, cet été, à Paimboeuf (à partir du 18 juin sur le port). Il se trouve que l'association Les Anneaux de la Mémoire préparait une exposition consacrée au passé négrier de l'ancien avant-port nantais. « Ce journal, en lien avec Nantes et Paimboeuf, est un formidable cadeau », note Jean Breteau.
L'association a joué un rôle pionnier dans la connaissance, par le grand public, du passé négrier de Nantes. Depuis elle continue son travail de recherche et de vulgarisation. Et développe des liens avec les pays concernés en Afrique et aux Amériques. Ce travail, depuis vingt ans, explique sans doute que ce soit aux Anneaux de la Mémoire que le propriétaire a confié le précieux journal.
Marc LE DUC.
Nantes veut se souvenir de son passé de port négrier
Nantes pose la première pierre aujourd’hui d’un mémorial à l’abolition de l’esclavage. Il s’agit, pour la ville, de se souvenir de son passé de port négrier. Une cérémonie qui intervient à l’occasion de la journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et leurs abolitions...
L’idée d’installer un tel mémorial a fait débat à Nantes. Débat entre ceux qui estiment qu’un tel lieu est insuffisant et ceux qui pensent, au contraire, que la pose d’une simple plaque aurait suffit. Une plaque comme il y en a une à Bordeaux, l’autre grand port négrier français.
Car c’est bien de cela dont il s’agit : rappeler aux Nantais que leur ville fut tout au long du XVIIIe siècle la capitale de la traite négrière. En tout ce sont 1.709 expéditions qui ont quitté le port de Nantes. 450.000 hommes, femmes et enfants seront enlevés à l’Afrique, réduits en esclavage en Amérique et aux Antilles.
source
La traite des Noirs, l'abolition et la mémoire
Voici les principales dates de l'histoire de l'esclavage et son abolition dans les colonies françaises.
- 1635 : Occupation de la Guadeloupe et la Martinique par la France.
- 1642 : Louis XIII autorise la traite des Noirs.
- 1685 : Le « Code noir » dénie toute personnalité civile et juridique aux esclaves considérés comme des « meubles ».
- 1770 : Parution de l'Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, sous le nom de l'abbé Raynal : condamnation vigoureuse de l'esclavagisme.
- 1788 : Le journaliste Pierre Brisot crée à Paris une « Société des amis des Noirs ».
- 1794 : La Convention abolit l'esclavage sur une proposition de l'abbé Grégoire, suite à la révolte des esclaves de Saint-Domingue.
- 1802 : Bonaparte rétablit l'esclavage.
- 1804 : Saint-Domingue proclame son indépendance et prend le nom d'Haïti.
- 1815 : Les puissances européennes s'engagent à interdire la traite négrière au Congrès de Vienne.
Le 29 mars, décret de Napoléon Ier, pendant les Cent Jours, interdisant la traite des Noirs.
- 1818 : Première loi française interdisant la traite négrière.
- 1827 : Deuxième loi d'interdiction.
- 1831 : Troisième loi d'interdiction.
- 1830 : Soulèvement d'esclaves aux Antilles.
- 1832 : La France accorde aux mulâtres et Noirs libres l'égalité civile et politique.
- 1834 : Création à Paris de la « Société française pour l'abolition de l'esclavage ».
- 1848 : Décret d'abolition sous l'impulsion de Victor Schoelcher, sous-secrétaire d'Etat aux colonies.
- 1893 : Victor Schoelcher inhumé au Panthéon.
- 2001 : Loi « reconnaissant la traite et l'esclavage en tant que crime contre l'humanité ».
- 2004 : Création du Comité pour la mémoire de l'esclavage, qui propose le 10 mai comme date de commémoration annuelle.
- 2006 : Le 10 mai est retenu comme journée de commémoration en France métropolitaine.
- 2009 : Le Comité change d'appellation et devient Comité pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage. Il est présidé depuis le 13 février 2008 par Françoise Vergès.
- 2009 le 10 mai, Bordeaux a inauguré un espace d’exposition permanent sur le commerce atlantique et l’esclavage dans la ville portuaire.
- 2012 Création des colonnes de la liberté à Ste Geneviève des Bois
10 mai : l'esclavage ne fut pas que transatlantique !
L’esclavage des Rroms en Europe, en particulier en Moldavie et en Valachie, aura duré au moins cinq siècles ! Peu d’Européens le savent ! Ce fait, en soi, déjà, est bouleversant.
Nul besoin, dans la seconde partie du 14e siècle, dans la principauté de Valachie, d’aller chercher la main d’œuvre et de la convoyer ; elle était immédiatement disponible ! Entrés libres dans le sud-est de l’Europe, les Rroms furent, en effet, rapidement, contraints par la force de demeurer sur place et de se soumettre à des propriétaires terriens, boyards ou moines, devenus leurs maîtres absolus.
« Les premières traces écrites de cet esclavage date du règne de Rudolf IV (1331-1355) ». Les tentatives de fuite vers l’Allemagne ou la Pologne furent d’autant plus vite réprimées et annihilées que les Rroms durent faire retour sur les Carpates après avoir subi les pires cruautés de la part de ceux qui les considéraient comme « musulmans » (à cause de leur teint mat).
Que l’esclavage ait été longuement présent en Europe comme aux Amériques, a dérangé et continuera de déranger les bien-pensants de toutes obédiences. Cette réalité historique est, pourtant, d’autant plus acquise que c’est dans la même mouvance anti-esclavagiste des années 1840-1860 qu’apparurent les décisions d’abolition dans la toute jeune Roumanie. L’Église moldave libéra ses esclaves en 1844. L’Église de Valachie, en 1847, fit de même.
En France, Victor Schoelcher, arrachait à Arago, en mars 1848, la décision qui devait aboutir au décret abolitionniste de 27 avril, paru dans Le Moniteur le 3 mai, mais inappliqué jusqu’à ce que les nègres de Martinique s’insurgent le 22 mai, et voient paraître, enfin, l’arrêté d’application, le 23 mai.
Les Noirs des Antilles et les « nègres blancs » de Roumanie marchèrent donc, progressivement, ensemble, sans se connaître, vers leur libération. L’esclavage devint totalement illégal en Moldavie, le 23 décembre 1855, et le 8 février 1856 en Valachie.
Même libérés de l'esclavage, les Rroms ont pourtant continué de vivre dans des conditions dramatiques. Nombreux d'ailleurs sont ceux qui, craignant un retour à l'esclavage, s’enfuirent, d'abord vers les pays voisins, puis jusqu'en Scandinavie ou en Europe de l'Ouest, voire en Amérique.
Ils n’avaient pas tort : après que le traité de Paris eut reconnu, en 1856, dans le cadre de l'empire ottoman, l'autonomie des deux provinces roumaines –qui, à partir de 1861, vont former la Roumanie- le nouveau dirigeant des provinces, le Prince Ioan Alexandru Couza, instaura à nouveau l'esclavage pour les Rroms et le servage pour les paysans. Ce n'est qu'en 1864, suite au coup d'Etat mené par Mihaïl Kogalniceanu, que l'esclavage et le servage seront définitivement abolis en Roumanie.
S’il faut établir un parallélisme entre l’esclavage des nègres et celui des Rroms on relèvera qu’ils ont connu les uns comme les autres une période de réinstauration de l’esclavage ? Entre 1802 et 1848, l’esclavage des noirs, aboli en 1794, par la Convention, aura été rétabli par un décret de Bonaparte aussi lapidaire que cyniquement atroce. Ce crime bonapartiste reste, le plus souvent, ignoré des enfants de France : les livres d’histoire font silence sur cette ignominie.
En 1815, la Restauration royale ne revint, évidemment pas sur cet acte impérial qui renvoyait avant la Révolution :
« Article 1 : l’esclavage sera maintenu conformément aux lois et règlements antérieurs à 1789.
« Article 2 : la traite des noirs et les importations dans les dites colonies auront lieu conformément aux lois et règlements existant avant 1789. »
Avant 1789 ? Depuis Colbert, c’est le temps du Code Noir ! Le premier article de ce document historique effroyable concerne –et ce n’est pas un hasard-… les Juifs, dont, sans doute, on veut qu’ils ne soient ni témoins, ni bénéficiaires. « Voulons que l'édit du feu Roi de Glorieuse Mémoire, notre très honoré seigneur et père, du 23 avril 1615, soit exécuté dans nos îles; ce faisant, enjoignons à tous nos officiers de chasser de nos dites îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme aux ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d'en sortir dans trois mois à compter du jour de la publication des présentes, à peine de confiscation de corps et de biens. »
Place nette donc, l’esclavage est, selon le Code Noir, l’affaire des seuls catholiques. Selon l’article 2 : « Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine. » Les sujets protestants, auxquels il n’est pas interdit de posséder des esclaves, n’ont qu’à se maintenir à l’écart, toutefois, de cette réglementation ; ainsi dit encore l’article 5 : « Défendons à nos sujets de la religion protestante d'apporter aucun trouble ni empêchement à nos autres sujets, même à leurs esclaves, dans le libre exercice de la religion catholique, apostolique et romaine, à peine de punition exemplaire ».
Une fois ce cadre religieux imposé et bien installé, il reste à rendre impensable et impossible tout espoir de liberté physique. La fuite, c’est la mutilation ou la mort. L’article 38 le spécifie : « L'esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son maître l'aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marquée d'une fleur de lis une épaule; s'il récidive un autre mois pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d'une fleur de lys sur l'autre épaule; et, la troisième fois, il sera puni de mort. » Le reste du texte, y compris les quelques formelles velléités d’atténuation du sort des esclaves, dont le droit d’affranchir certains esclaves, sont de simples rappels que l’autorité des maîtres a une limite : l’autorité du Roi.
Quant à l’avenir, tout est aussi en ordre. L’enfant d’esclave restera esclave et les progénitures sont un bien acquis avec les mères ; c’est l’article 12 qui le précise : « Les enfants qui naîtront des mariages entre esclaves seront esclaves et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves et non à ceux de leurs maris, si le mari et la femme ont des maîtres différents. »
Est-on si loin du code pénal de Valachie, postérieur, qui, en 1818, inclut les articles suivants, concernant les Rroms :
Section 2 : les tsiganes naissent esclaves.
Section 3 : tout enfant né d'une mère esclave est esclave.
Section 5 : tout propriétaire a le droit de vendre ou de donner ses esclaves.
Section 6 : tout tsigane sans propriétaire est la propriété du Prince.
Quant au code pénal moldave de 1833, il précise encore, sans parler des Rroms (mais il n’y a que des esclaves rroms, alors, en Roumanie):
Section II.154 : des mariages légaux ne peuvent avoir lieu entre des personnes libres et des esclaves.
Section II.162 : Les mariages entre esclaves ne peuvent avoir lieu sans le consentement de leurs propriétaires.
Section II.174 : Le prix d'un esclave doit être fixé par le tribunal, selon son age, sa condition et sa profession.
Il en est de l’esclavage comme des génocides : il atteint tout l’homme, toute l’humanité, et pas seulement une partie des hommes. Noirs ou pas, nègres d’Afrique ou nègres blancs d’Europe, ceux qui ont été mis au rang des sous-hommes sur lesquels des maîtres ont eu droit de vie et de mort, ces êtres vivants, tout juste bons à enrichir ceux qui les possèdent et les soumettent, sont cependant nos semblables.
L’esclavage déshumanise moins les victimes que les bourreaux. Le mystère est épais qui recouvre les motivations profondes de ceux qui ne voient plus en l’autre le reflet d’eux-mêmes et qui réifient autrui jusqu’à en faire, donc, un objet d’utilité sans aucune autre valeur que la valeur d’usage.
Quelle meilleure réponse philosophique fournir aux esclavagistes que celle de ce droit à l’hospitalité pour tout homme né homme dont parle Kant ? La non-reconnaissance de l’homme en l’homme n’a cessé de justifier, maintenir et faire perdurer « l’exploitation de l’homme par l’homme ».
Dès la Renaissance, avec les Grandes Découvertes dont celle d’hommes nouveaux sur une terre inconnue, on s’était réinterrogé sur la qualité d’homme, l’apparence humaine ne suffisant manifestement pas à convaincre qu’on avait affaire à un être humain dont aucun autre homme ne pouvait disposer à son gré ! L’empereur Charles Quint, souhaitant connaître « la manière dont devaient se faire les conquêtes dans le Nouveau Monde, pour qu’elles se fassent avec justice et en sécurité de conscience » (et non comme on l’a cru, pour savoir si les Indiens, avaient eux aussi une âme) il fut organisé à Valladolid, alors capitale de l’Espagne, à partir du 15 août 1550, dans la chapelle du collège Saint Grégoire, une controverse[1] « Jamais probablement, avant ou après, un puissant empereur n’ordonna, comme alors, la suspension de ses conquêtes, pour qu’il fût décidé si elles étaient justes », écrit l’historien Lewis Hanke[2].
Bartolomé de Las Casas[3], en y faisant convenir que les Indiens du Nouveau Monde sont des hommes comme les autres, sur lesquels ne pouvaient s’exercer le droit de conquête, ne réussit qu’à déplacer l’autorisation du légat du Pape Jean III à recourir à l’esclavage vers des « habitants des contrées africaines beaucoup plus proches de l’animal ». Ce gain d’une controverse (unique dans l’histoire[4], réinventée, pour le scénario d’un téléfilm[5] en 1991, un livre en 1992 puis le théatre en 1999, par Jean-Claude Carrière[6]) ne fut donc qu’un leurre. Gines des Sepúlveda, docte « philosophe », confesseur de Charles Quint, partisan de la conquête, et surtout les colons, furent entendus par l’Église non pas au nom du Christ mais d’Aristote qui, en d’autres temps bien antérieurs, avait parlé d’esclaves-nés… La controverse de Valladolid se prolongera pendant un mois et demi en 1550, avant une deuxième session de mi-avril à mi-mai, en 1551. Au-delà de l’enjeu politique -la légitimité de la conquête-, cette discussion-fleuve aura posé la «question de l’autre» – selon la formule de Todorov.
En 1500, la population du globe est de l’ordre de 400 millions d’habitants, dont 80 dans les Amériques, note précisément Tzvetan Todorov[7]. « Au milieu du XVIe siècle, de ces 80 millions, il en reste 10. » On peut discuter des chiffres, et les Espagnols n’ont pas exterminé directement des dizaines de millions d’Indiens. Mais les massacres, les mauvais traitements, et surtout les épidémies de variole et de rougeole propagées par les colonisateurs, ont entraîné la disparition de la plus grande partie de la population native.
Quant à Las Casas, né en 1474, fils d’un compagnon de Christophe Colomb, premier prêtre ordonné outre Atlantique, dominicain, après avoir effectué douze traversées transatlantiques, un temps évêque des Chiapas, il mourut à quatre-vingt-douze ans, en 1556, après avoir été témoin et dénonciateur de toutes ces horreurs, sans avoir convaincu ses contemporains ni par son action, ni par ses livres, (notamment De unico modo…) que toutes les créatures humaines avaient, devant Dieu, la même dignité.
Les philosophes et encyclopédistes, deux siècles plus tard, en signalant le « commerce des nègres » n’ont pas manqué de faire connaître les nations qui s’y livraient « dans les Indes occidentales et particulièrement : les Français, les Anglais, les Portugais, les Hollandais, les Suédois et les Danois »[8]. Des esclaves d’Europe rien n’a pu être dit. En 1837, un demi-siècle plus tard, Mihaïl Kogalniceanu, écrivain et homme politique moldave né à Iasi, écrit pourtant : « Les Européens organisent des sociétés philanthropiques pour l'abolition de l'esclavage en Amérique, alors que, sur leur propre continent, 400 000 Tsiganes sont maintenus en esclavage[9]». Pour qu’il y soit définitivement mis fin, il faudra attendre 1864 que ce même Kogalniceanu soit parvenu au pouvoir..
L’esclavage n’est finalement pas celui des Noirs ou des Rroms : d’autres en ont été victimes ; d’autres le sont encore ; il est celui des hommes. Il aura fallu attendre la courte loi (courte par son texte, grande par sa portée) dite « loi Taubira » pour qu’en 2001 l’esclavage soit considéré, en France, comme un crime contre l’humanité[10] : « La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité. » On ne peut cependant pas omettre de relever, dès lors qu’ « une requête en reconnaissance de la traite négrière transatlantique ainsi que de la traite dans l'océan Indien et de l'esclavage comme crime contre l'humanité sera introduite auprès du Conseil de l'Europe, des organisations internationales et de l'Organisation des Nations unies » (article 3), que la question de l’esclavage cesse d’appartenir exclusivement à l’outremer. Il ne suffit plus de reconnaître, par exemple que les perpétrateurs de l’esclavage ont fait la richesse de ports négriers comme Nantes, Bordeaux ou La Rochelle ; il faudra bien que, tôt ou tard, une fois la Roumanie entrée en Europe, soit historiquement constatée et jugée cette dimension intra-européenne du crime contre l’humanité qu’a constitué, sur ce continent aussi, l’esclavage !
« Le comité de personnalités qualifiées, parmi lesquelles des représentants d'associations défendant la mémoire des esclaves » qu’appelle à constituer, en son article 4, la loi du 21 mai 2001, intégrera-t-il, fut-ce au titre de la solidarité internationale de toutes les victimes, cet « apport » européen des Rroms à l’histoire de l’esclavage ? Un tel comité, si sa compétence historique et scientifique sont effectifs, ne saurait négliger, en effet, les cinq siècles de l’esclavage subi dans un pays, l’actuelle Roumanie, dont les principales élites, souvent francophones, n’ont pu dissimuler en Europe, siècle après siècle, leurs pratiques, jamais dénoncées !
Point de comparaison mais un rapprochement donc, à faire : quatre siècles de traite massive de plusieurs dizaines de millions de Noirs, arrachés à l’Afrique ; cinq siècles d’asservissement total des plusieurs centaines de milliers de Rroms entrés en Europe et pris au piège de la société féodale : la vérité sur l’esclavage, voulu, organisé, perpétré dans les Amériques, depuis l’Europe, doit être étendue à ce qui s’est passé, tout aussi brutalement et indignement en Europe même.
Il appartient au philosophe de s’interroger, sur les raisons qui expliquent qu’au côté de l’holocauste oublié, existe un esclavage oublié, un crime oublié! La nation disait Renan a besoin de l’oubli pour se constituer. « Tout citoyen français doit avoir oublié la Saint Barthélémy », écrit-il. On peut aussi penser qu’un peuple se constitue avec les matériaux que lui fournit son passé assumé. Il n’est pas de devoir de mémoire : ce qui fut vécu ne se transmet pas. Seuls les faits historiques sont communicables. Ce qui peut et doit être évoqué, c’est ce qui permet de lire, dans sa propre histoire, y compris la plus tragique, la plus repoussante, ce que nous enseignent, sur la condition humaine, des événements avérés, qu’aucun négationnisme ne masquera parce qu’ils ont laissé des traces ineffaçables. L’oubli est ambivalent. On peut convenir, avec Renan, que garder des blessures ouvertes, des décennies après des crimes collectifs, peut réanimer, à tout instant, les conflits les plus violents. Imputer aux enfants de leurs enfants les infamies commises par des assassins est non seulement injuste mais détourne de la connaissance du crime. Oublier la rancœur, le ressentiment et l’amertume n’oblige toutefois pas à oublier les faits et leurs enseignements.
Il est fréquent de relever les traces d’autres racismes que le racisme anti-Noirs : tous ces rejets des populations en lesquelles les Européens ne se reconnaissent pas eux-mêmes ont nourri et continue de nourrir des racismes.
Il ne suffit donc pas que soit promulguée une loi pour que soit effacée une injustice. Christiane Taubira-Delannon, députée de la Guyane, rappelle volontiers que quatre cents années de déportation, de quinze à trente millions de déportés n’ont été rendus possibles que parce que la traite négrière était un système étatique. L'état était, des pouvoirs locaux étaient, en effet, en grande partie propriétaires des plantations et percevaient des taxes sur les esclaves. Indépendamment des culpabilités individuelles qui appartiennent au passé et peuvent s’y dissoudre, ce système ne peut ni être oublié ni être absout.
L’encyclopédiste Jaucourt, avec beaucoup moins d’ambiguïté que Montesquieu[11], (lequel vendait son vin aux Antilles), en dénonçant la traite des nègres, a de façon plus catégorique, condamné l’esclavage : « Si un commerce de ce genre peut être justifié par un principe de morale, il n'y a point de crime, quelque atroce qu'il soit, qu'on ne puisse légitimer. Les rois, les princes, les magistrats ne sont point les propriétaires de leurs sujets, ils ne sont donc pas en droit de disposer de leur liberté et de les vendre pour esclaves.
D'un autre côté, aucun homme n'a droit de les acheter ou de s'en rendre le maître; les hommes et leur liberté ne sont point un objet de commerce; ils ne peuvent être ni vendus, ni achetés, ni payés à aucun prix. Il faut conclure de là qu'un homme dont l'esclave prend la fuite, ne doit s'en prendre qu'à lui-même, puisqu'il avait acquis à prix d'argent une marchandise illicite, et dont l'acquisition lui était interdite par toutes les lois de l'humanité et de l'équité. »
Un tel texte valait et vaut encore aussi bien pour celui qui vend un homme que pour celui qui l’achète ou celui qu’on achète : où que ce soit sur la terre, les Droits de l’Homme sont ceux de tout homme, en Haïti comme à Bucarest.
«On a besoin d’histoire», affirme l’écrivain guadeloupéenne Maryse Condé, présidente du Comité pour la Mémoire de l’Esclavage, né de la loi Taubira. «Nous devons travailler sur la refonte des programmes scolaires, pour que l’esclavage et la traite soient enseignés aux jeunes Français. Nous voulons inventer des commémorations, des lieux de mémoire, pour que ce pays connaisse son passé.» ajoute-t-elle. Ce n’est pas parce que la France est le seul pays à avoir, jusqu’à présent, reconnu officiellement que l’esclavage est un crime contre l’humanité qu’il faudrait ne regarder ce crime que du point de vue de l’histoire de France ! On a besoin d’une histoire européenne complète. En avril 2005, les sages du comité doivent proposer à l’Etat une date nationale de commémoration. Ce sera, jure Maryse Condé, «une date consensuelle que tous pourront partager».
Y verra-t-on le signe qu’une histoire commune ne peut plus être strictement nationale ! C’est si vrai que le 11 mars 2005, deux députés européens, Marielle de Sarnez et Bernard Lehideux, ont annoncé avoir rédigé une déclaration écrite tendant à faire reconnaître par l'Union européenne la traite négrière et l'esclavage comme crime contre l'Humanité[12]. La « Déclaration écrite » propose en son point 1 de reconnaître comme un crime contre l'Humanité « la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'Océan indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du XVème siècle aux Amériques et dans les Caraïbes, dans l'Océan indien et en Europe au détriment des populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes ». Le texte invite également l'Union européenne à oeuvrer au plan international pour « définir une date commune de commémoration de l'abolition de la traite négrière et de l'esclavage ». Ce projet de déclaration est un décalque de la loi Taubira et du projet du Comité français pour la Mémoire de l’Esclavage ; il souffre d’ethnocentrisme. Autant la dimension européenne de la traite négrière correspond à une réalité à faire prendre en compte par l’ensemble de l’Europe politique en construction, autant ne s’en tenir qu’à cette traite, en Europe, constituerait un violent et nouveau déni de justice pour tous les Rroms d’Europe (et pas seulement ceux de Roumanie).
Il n’est certes pas impensable ni impossible que les intellectuels noirs mettent en jeu leur propre altérité et pratiquent une écoute attentive, sans dogmatisme, de la réalité culturelle de l'Autre, le Rrom. Se livrer à une opération de décentrement, se « déprendre » de soi-même comme le recommande Michel Foucault, ouvre des horizons nouveaux et permet de reformuler l'antique dialectique du Même et de l'Autre, en écartant cette tentation de ramener l'Autre au Même, jusqu’à percevoir soi comme un autre, (le comme de l'expression marquant alors un lien plus étroit que celui que permet la simple comparaison, et renvoyant au Soi en tant qu'Autre pour employer le langage de Paul Ricoeur).
Le nègre noir et le nègre blanc ont beaucoup à se dire sur l’esclavage dont ont eu à souffrir les hommes. Peut-être aussi, hors de la seule sphère de l’histoire écoulée, ont-ils beaucoup à dire, aujourd’hui, sur les asservissements et le mépris maintenus dans lesquels beaucoup d’autres parias du monde, victimes non résignées, restent enfermés !
Le négationnisme passif s’étale largement sur notre passé. Derrière ce que nous ne voulons pas voir, ce que nous estimons à jamais enfoui ou ce qu’il nous semble superflu de rappeler, s’entasse un amoncellement d’archives non ouvertes, non classées, non ou mal écrites mais toujours présentes. L’esclavage oublié des Rroms fait partie de ce que Catherine Coquio appelle lafontant[13].
Noirs, Juifs et Tsiganes portent, ensemble, bien que différemment, ces dénis successifs qui trouent l’histoire en y prélevant les traces de crimes contre l’humanité d’autant plus violents qu’ils s’abattent sur des populations que, pour de multiples et faux motifs, on vise à écarter du vécu « ordinaire » des sociétés.
[1] Dumont Jean, la Vraie Controverse de Valladolid, Critérion, Paris
[2] Hanke Lewis, Colonisation et conscience chrétienne au XVIe siècle. Trad. de François Durif. Plon, Paris, 1957, 311 pp.
[3] Alvaro Huerga, Bartolomé de Las Casas, Vie et œuvres, traduit de l'espagnol par Gérard Grenet, Paris, Le Cerf, janvier 2005, 498 pages, ISBN : 2204068748
[4] De Pracontal Michel, La Controverse de Valladolid, Le Nouvel Observateur, Semaine du jeudi 23 décembre 2004 - n°2094_95 - Dossier . http://www.nouvelobs.com/dossiers/p2094_95/a259843.html
[5] Téléfilm de Jean-Daniel Verhaeghe avec JP Mariellle (Las Casas, JL Trintignant (Sepúlveda) et J. Carmet (le Légat).
[6] Jean-Claude Carrière, La Controverse de Valladolid, pièce de théatre, Paris, Actes Sud-Papiers, 1999, ISBN : 2-7427-2130-4 (et Pocket 2003)
[7] Todorov Tzvetan , La Conquête de l’Amérique », Le Seuil, Paris, 1982.
[8] Diderot et d’Alembert, Encyclopédie, article « nègres » par Boulanger.
[9] Kogalniceanu, Mihail, 1837. Esquisse sur l'histoire, les moeurs et la langue des Cigains. Berlin: Behr Verlag
[10] Loi no 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité. J.O n° 119 du 23 mai 2001 page 8175
[11] Montesquiei, L’esprit des lois, voir le Livre 15 (sur 19), ayant pour titre : Comment les lois de l’esclavage civil ont du rapport avec la nature du climat.
[12] AFP, 11.03.05, 16h12
[13] Coquio Catherine, L’histoire trouée, négation et témoignage, L’Atalante, Nantes, 2003, 860 pages, ISBN 2-84172-248-1
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